Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

A propos de l’enfant-roi

A l'occasion de Noël et à propos de l'enfant-roi

Par Olivier Maurel

L'enfant-roi est le grand épouvantail que beaucoup de spécialistes de l'enfance agitent devant les parents qu'ils jugent laxistes.

Pourtant, un bon nombre d'exemples célèbres prêcheraient plutôt dans un autre sens.

Qu'auraient dit ces professionnels de l'enfance à un père qui aurait poussé le refus de frustrer son enfant jusqu'à le faire éveiller en musique pour ne pas brusquer son sommeil. Certainement : “Vous allez en faire un enfant-roi ! Et gare à la suite !”. La suite, c'est Michel de Montaigne, un des plus grands écrivains français, un de ceux qui ont exercé l'influence la plus humanisante sur les siècles suivants. Son père, effectivement, le faisait réveiller en musique.

Qu'auraient dit ces professionnels de l'enfance à un père qui, par amour pour son fils, cherchait à le protéger des duretés de la vie, à tel point que ce garçon dut attendre sa majorité pour être confronté à la maladie, à la vieillesse et à la mort ? “Vous allez en faire un enfant-roi ! Et gare à la suite !” La suite, c'est Bouddha, fondateur d'une religion non-violente.

Qu'auraient dit ces professionnels de l'enfance à des parents qui, depuis la naissance de leur fils, l'ont entouré des soins les plus attentifs parce que des rêves et des visions les avaient persuadés qu'il était exceptionnel. Ils étaient si laxistes que lorsque leur fils, au cours d'un voyage, disparut pendant trois jours sans les prévenir pour rester à discuter dans un temple, au lieu de lui flanquer une bonne raclée, ils lui ont dit qu'ils avaient été très angoissés et lui ont simplement demandé pourquoi il avait fait ça. Et même s'ils n'ont pas compris sa réponse, ils ne l'ont puni d'aucune manière. “Gare à la suite !” auraient très certainement menacé ces professionnels de l'enfance, “vous allez en faire un enfant-roi !” La suite ? C'est Jésus qui a prêché l'amour toute sa vie.

Qu'auraient dit enfin ces sourcilleux professionnels de l'enfance à ces centaines de parents du début du XXe siècle qui aimaient tellement leurs enfants qu'ils leur faisaient confiance, se contentaient de leur enseigner par l'exemple les valeurs auxquelles ils croyaient et ne manifestaient envers eux ni autoritarisme ni répression ? “Gare à la suite”, auraient-ils dit sans doute. La suite ? Ce sont les Justes qui, pendant l'occupation allemande, ont risqué leur vie pour sauver des centaines de Juifs persécutés. Quatre cents d'entre eux, interrogés sur leur éducation, ont répondu en majorité qu'ils avaient des parents affectueux, qui leur avaient enseigné l'altruisme, qui leur faisaient confiance et qui leur ont donné une éducation non autoritaire et non répressive.


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