Quand on a rencontré la violence pendant l'enfance, c'est comme une langue maternelle qu'on nous a apprise.

Marie-France Hirigoyen.

À propos des enfants-rois et des adultes tyrans

Dans l’inépuisable série « Il faut frustrer les enfants », le magazine Psychologies de janvier 2013 vient de publier un nouvel article sur le thème des « enfants-rois » et des « adultes tyrans ». Cet article est un modèle de désinformation.

Son titre : « De l’enfant-roi à l’adulte tyran » est suivi d’un résumé qui ne laisse aucun doute sur la réalité de la prolifération de ces dangereuses personnalités : « Moi d’abord ! Ils sont de plus en plus nombreux à refuser sans remords les règles de la vie en collectivité. » Or, quand on lit l’article, on s’aperçoit que l’augmentation annoncée comme vertigineuse du nombre des « mal-élevés » ne repose que sur la conviction du psychologue Didier Pleux (« J’ai eu affaire, ces dernières années, à une augmentation des consultations d’hommes et de femmes victimes de ces personnalités tyranniques, mais aussi d’adultes tyrans, traînés dans mon cabinet par leur conjoint ou leurs parents. ») et sur celles d’une professeure de sciences économiques, Cécile Ernst, qui affirme que « nous sommes en face d’un phénomène inquiétant » sans en donner la moindre preuve autre que son sentiment que les adolescents sont de plus en plus difficiles. Une psychologue plus avisée, Dominique Picard, reconnaît, elle, qu’« on ne peut pas savoir objectivement si l’incivilité augmente », mais seulement qu’« elle est de plus en plus ressentie et mal vécue », ce qui n’a rien à voir avec une augmentation objective du phénomène. L’autre référence « scientifique » de l’article est l’écrivain et humoriste Jean-Louis Fournier, auteur d’un livre au titre significatif : Mouchons les morveux, et qui, lui, affirme que « l’enfant-roi, c’est de la graine de dictateur ».

Or, il suffit d’un peu réfléchir pour se rendre compte que l’augmentation des consultations pour ce genre de cas, si elle est réelle, ce qui reste encore à prouver, peut être au contraire un très bon signe, celui que les parents sont plus conscients de leurs difficultés, que les conjoints ou conjointes se laissent moins faire et que les « adultes tyrans » eux-mêmes, si dangereux d’après Didier Pleux, acceptent de venir consulter un psychologue, ce qui est plus civilisé que de battre son conjoint ou sa conjointe. Je ne vois pas en quoi il y a là « danger pour la démocratie », comme le proclament Pleux, Ernst et Fournier.

Quant à la cause de ladite augmentation des « adultes tyrans », dont la réalité n’est prouvée par aucune étude scientifique, pour Didier Pleux elle est claire. Il affirme que ces adultes n’ont pas été « mal aimés, incompris, empêchés de s’exprimer dans leur enfance ». Ils n’ont subi « aucune carence affective », mais au contraire une « survalorisation de leur personnalité ». Leur enfance a été le moment de la « toute-puissance », autre tarte à la crème de la psychologie et de la psychanalyse actuelle. Les analyses d’Alice Miller, qu’il cite, ne concernent, pour Didier Pleux que « la génération élevée dans la rigidité du surmoi et de la puissance parentale » qu’il oppose à la génération qui, selon lui, a pu cultiver jusqu’à l’âge adulte son illusion de « toute-puissance ». Il précise bien qu’il n’est pas question pour lui de regretter les fessées, mais en affirmant cela, il montre que, pour lui, les fessées appartiennent au passé, alors que 80 % des parents continuent à y recourir.

Il n’est pas question de nier que certains parents sont débordés par leurs enfants, souvent parce qu’ils ont cherché à satisfaire non pas les besoins de leurs enfants (besoins de tendresse, de présence réelle, d’attention), mais leurs désirs de biens de consommation exacerbés par la publicité. Mais, jusqu’à preuve du contraire, il reste que les grands criminels ont été beaucoup plus souvent des enfants maltraités ou mal aimés que des enfants-rois. Les dictateurs, comme l’a montré Alice Miller ont tous été des enfants épouvantablement maltraités. Depuis que l’éducation s’est relativement adoucie par rapport à ce qu’elle était au début du XXe siècle, le taux réel de délinquance et de criminalité n’a pas cessé de baisser.

Le vrai « danger pour la démocratie » et le vrai risque de voir apparaître des dictateurs reste toujours la violence éducative, qu’elle se manifeste sous la forme de carences, ou qu’elle soit physique, verbale ou psychologique.

Olivier Maurel,
fondateur de l'OVEO.


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