C’est seulement quand se produit un changement dans l’enfance que les sociétés commencent à progresser dans des directions nouvelles imprévisibles et plus appropriées.

Lloyd de Mause, président de l'association internationale de Psychohistoire.

Arte « au pays de la fessée interdite », toujours d’actualité

Compte-rendu critique par Catherine Barret, membre de l’OVEO
(avec l’aide de David, Marianne, Sandrine, Roberto et Virginie, merci !)

Alors que la controverse ressurgit régulièrement sur « l’utilité » ou pas de légiférer pour interdire les châtiments corporels et autres « punitions humiliantes 1 », en particulier avec les récentes observations du Conseil de l’Europe, il nous a paru utile de publier le compte-rendu complet de la soirée Thema du 6 décembre 2011 sur Arte. En effet, non seulement cette soirée abordait, directement ou indirectement, tous les « sujets qui fâchent », mais le premier documentaire, Au pays de la fessée interdite (sur la Suède), est à l’origine du film que l’on peut voir sur notre site, Si j’aurais su... je serais né en Suède ! Film réalisé par Marion Cuerq en réponse aux informations partiales et partielles données dans ce documentaire, et à la teneur du débat qui a suivi.

Les trois parties de la soirée :
Au pays de la fessée interdite (reportage en Suède)
Tu vas t’en prendre une (reportage en France)
Le débat


Au pays de la fessée interdite

Photo sous licence CC : BY Meena Kadri

Photo sous licence CC : BY Meena Kadri

Ce reportage en Suède, bien qu’il aborde toutes sortes de sujets intéressants, frappe d’abord par le ton presque constamment ironique et doucereux du commentaire, au point qu’on peut se demander quel est vraiment le but – se demander (en paraphrasant Montesquieu) « comment on peut être Suédois » ? Les allusions supposées amusantes à la blondeur des Suédois sont-elles censées symboliser leur « conformisme » ? Faut-il parler de naïveté ou de mauvaise foi ? Quoi qu’il en soit, on comprend bien, tout au long du reportage, que ce qui est bon pour les Suédois peut difficilement l’être pour nous, Français…

Le documentaire commence par un extrait d’un journal télévisé italien. Un père de famille italien en voyage en Suède « a osé braver l’interdit suédois par excellence » : son fils de douze ans faisait un « caprice » (sic) dans la rue, il lui a donné une gifle, ce qui a causé un scandale public et son arrestation par la police. Cette affaire est détaillée pendant cinq bonnes minutes, on explique que le père a passé trois jours en garde à vue, etc. Ce n’est pas Tintin au pays des Soviets, mais pour le ton, on n’en est pas très loin.

Dès le début, il est précisé sur un ton ironique (sur fond d’images « rose bonbon » d’une campagne du Conseil de l’Europe) qu’en Suède, c’est un crime de « lever la main sur sa progéniture ». De même, lorsqu’elle rencontrera son premier couple de parents suédois, la journaliste leur demandera avec insistance de prononcer la phrase : « La fessée est un crime » (avec ce sous-titre en français). Or, dans beaucoup de langues (dont l’anglais, l’allemand et le suédois), le mot « crime » inclut en droit ce qu’on appelle « délit » en français (où le mot « crime » est réservé à des infractions beaucoup plus graves, souvent au meurtre). On joue donc sur les mots. Que ce soit par ignorance ou par mauvaise foi, le résultat est là. Le procédé sera repris plus tard à propos de l’évolution des mœurs en Suède jusqu’à l’adoption de la loi : il sera question de Fifi Brindacier comme incarnant « un rêve de pouvoir pour les enfants ». Là aussi, le mot est pour le moins décalé, il ne désigne pas comme dans d’autres langues une force, une énergie ou le simple fait de « pouvoir » – d’être capable simplement d’agir, de faire des choix, d’avoir des compétences, des capacités –, mais bien souvent un abus… Ce malentendu fondamental, ajouté à la mauvaise foi, plane sur beaucoup de discussions à propos d’éducation (même si, à l’inverse, on a tendance à minimiser les conséquences du « pouvoir » ou de « l’autorité » des parents…).

villa-kunterbuntAprès cette entrée en matière, la journaliste va voir, avec une curiosité d’anthropologue débarquant dans une peuplade un peu étrange, « comment font les parents suédois ». Car, en Suède, « la fessée on n’en parle même pas » (autrement dit, c’est un sujet tabou, comme on nous le montrera plus tard, « preuves » à l’appui). Dans la première famille filmée – celle où l’on réussit à faire prononcer aux parents (en suédois !) la phrase « la fessée est un crime » –, il s’agit visiblement de démontrer que les parents sont débordés, que les enfants font n’importe quoi… la présence de la journaliste et de la caméra n’étant bien entendu pour rien dans cette petite agitation ! La maman explique qu’il n’est pas question de frapper les enfants, qu’elle préférerait encore (s’il fallait choisir…) que son mari la frappe, elle, parce qu’elle pourrait au moins se défendre, porter plainte, etc., alors que l’enfant ne le peut pas. La journaliste ne trouve pas utile de commenter. En revanche, lorsque les parents expliquent gentiment que pour faire s’habiller leurs enfants, il faut souvent une « longue conversation » et que, même, « parfois ça ne marche pas », on comprend bien que, pour elle, il est parfaitement inutile de « discuter » avec un enfant… Tout à coup, elle remarque que « le petit garçon a l’air en colère : assisterions-nous à un caprice d’enfant ? » Mais oui ! Et, comme on n’a pas le temps de discuter (là encore, la journaliste paraît curieusement inconsciente du fait que, par politesse, on essaie de ne pas la faire attendre), « on le soudoie avec un ordinateur… avec une petite gêne quand même » – comprendre : le parent aurait dû sévir devant ce nouveau « caprice »…

Mais, se demande-t-on ensuite sur le même ton humoristique, « d’où vient cette lubie suédoise » ? Cela remonte à « cette petite coquine [sic] à couettes orange » qu’est Fifi Brindacier, la jeune héroïne d’Astrid Lindgren connue dans le monde entier. Fifi incarne donc « un rêve de pouvoir pour tous les enfants » – de nouveau, on joue sur les mots : Fifi devient le précurseur de « l’enfant tyran » de la famille qu’on vient de voir. Le pédopsychiatre Lars H. Gustafsson 2 retrace l’historique de la loi en Suède. Dans les années 1960, on se met à observer les enfants, à les écouter… Les enfants sont des êtres humains à part entière. En 1971, un « fait divers » accélère la prise de conscience : une petite fille de trois ans meurt sous les coups de son père. Lars Gustafsson explique que si on veut éradiquer la maltraitance, il faut commencer par les violences ordinaires. Une archive montre Astrid Lindgren parlant, en 1978, contre les « méthodes d’éducation répressives ». On voit les documents de la loi de 1979, les brochures de la campagne d’information qui a suivi, les packs de lait portant les slogans sur l'interdiction de frapper les enfants. Puis « une belle Viking de 1,80 m » (sic) de Save the Children Suède explique qu’il y a un « devoir de dénonciation » par les enseignants et les professionnels (là encore, dans la traduction française, un mot connoté négativement – en français, on parle plutôt de « signalement »…). « La violence n’est jamais une affaire privée », poursuit-elle. « Il est évident que ça laisse des traces ! » « Nous devons continuer à militer pour une “discipline positive”, mais pas par la peur ! »

Commentaire de la journaliste : « Et si la peur changeait alors de camp ? » – autrement dit : si elle passait maintenant du côté des éducateurs, après avoir été du côté des enfants ? (Il faut bien constater que, dans ce reportage, il ne saurait y avoir que des gagnants et des perdants…) Pour le prouver, on se rend dans une crèche où la journaliste interroge une éducatrice… française. Celle-ci explique que le fait que les parents aient le droit de rester dans la crèche et que tout se passe au vu de tous est « une pression saine », qu’on ne doit rien cacher. L’éducatrice doit signaler aux services sociaux même des menaces. Il existe un numéro vert, celui de l’organisation BRIS pour les droits des enfants (c’est le 116 111, comme on le voit à l’image, mais, bizarrement, la journaliste dit 112 au lieu de 111…). Pressée de questions, l’éducatrice admet que ce numéro est parfois utilisé comme une « arme de chantage » par les enfants (« Si tu fais ça, je vais appeler BRIS ! »).

La documentariste se demande alors comment font les Suédois, s’ils ont « le droit de se mettre en colère »… puisque les violences psychologiques sont elles aussi interdites ! Elle parle de « parents au bord de la crise de nerfs »… Pour savoir quelles solutions ils trouvent, elle va interroger un jeune parent… d’origine slovaque ! Qui explique qu’on peut faire d’autres choses à la place : pincer, menacer de retirer les jeux vidéo… (Puis, devant la réaction de la journaliste : « Ah bon, c’est interdit aussi ? ») Ce qu’il trouve le plus gênant, ce n’est pas que la fessée soit interdite, mais plutôt le « climat général de laxisme » – que les enfants aient le droit de faire « n’importe quoi »… Il reconnaît aussi qu’on est plus gentil avec les enfants à l’extérieur qu’à la maison… Une remarque intéressante, bien sûr, car il existe réellement un conformisme social en Suède… mais n’est-ce pas le cas dans la plupart des pays de la planète ? Ne faut-il pas mettre cela en regard du niveau de violence de toute la société, et est-ce uniquement une question d’« interdit » ? Après tout, dans d’autres pays, la réprobation frappe les parents que l’on ne trouve pas assez durs avec leurs enfants ! Dans certains pays, il est même bien vu que les enfants soient frappés et humiliés par n’importe quel adulte supposé compétent…

Un criminologue commente ensuite un article qui parle de « tragique augmentation de la violence intrafamiliale en Suède » : il ne s’agit pas d’une véritable augmentation, c’est la définition de ce qu’est la violence qui s’est élargie. (Voir l’article de Joan Durrant La Suède reste l'un des pays au monde où la maltraitance est la plus faible, et celui de David Dutarte, Pays pionniers en matière d’abolition des châtiments corporels, où en sont les pays nordiques aujourd’hui ?)

On part ensuite pour Carlstadt, à quelques centaines de kilomètres de Stockholm, pour rencontrer Peter et Emma, couple d’intégristes religieux adeptes du « qui aime bien châtie bien » (interrogés par la documentariste, ils admettront au cours de l’entretien que tous les chrétiens « ne pensent pas comme eux »...). Leurs deux enfants leur ont été retirés pour être placés (dans des foyers différents, on ne saura pas s’il y a une raison particulière à cela), et on apprendra que les parents ont été condamnés à la suite d’un signalement par l’école où allait leur fils : un jour, l’enseignante a parlé à l’enfant de dire quelque chose à ses parents, et il l’a suppliée de n’en rien faire, sans quoi il serait battu. (A la fin de la séquence, on nous expliquera que les auteures du documentaire n’ont pas pu interviewer les services sociaux, qui « se retranchent derrière le secret professionnel » – ce qui n’a rien de surprenant, s’agissant d’un cas particulièrement médiatisé 3…)

Peter a été condamné à un an de prison. Il a été élevé avec des coups, et reste convaincu que c’est utile et même bénéfique. Il déclare que s’il récupère ses enfants, il ne les frappera plus, mais uniquement pour pouvoir les garder. Il explique qu’il frappait les enfants avec la brosse à habits, comme une punition et sans colère 4, après quoi tout le monde (parents et enfants) était « en paix »… A le voir (c’est un homme grand et imposant), on a nettement l’impression que cette « paix » était surtout de son côté, car on imagine sans peine un enfant terrifié devant lui… Il est très clair dans le film que ces parents frappaient très régulièrement leurs enfants et que c’était chez eux une méthode d’éducation : on est donc très loin de l’unique fessée ou gifle qui envoie en prison ! (Pendant ce reportage, on aura souvent l’impression que la journaliste trouve qu’aller en prison pour si peu, c’est cher payé…). Emma est visiblement une « femme sous influence » : elle-même a été élevée sans châtiments corporels, c’est après sa rencontre avec Peter qu’elle s’est laissé convaincre, mais, dit-elle, elle ne s’est jamais sentie à l’aise avec cela. Aujourd’hui, elle porte un bracelet électronique à la cheville et elle espère récupérer un jour ses enfants… Elle se demande ce qui se serait passé si elle avait dit non à Peter, si elle avait refusé de frapper ses enfants. (On sent que cela lui aurait été bien difficile sans quitter son mari…)

Suit une séquence chez un « parent à l’ancienne » (?), un « résistant », le musicien Janne (prononcer Ianne). Pour lui, « cette loi part du principe que les enfants sont des anges »… « parfois il faut savoir utiliser la force »… Question : la fessée est-elle un sujet tabou en Suède ? « Ça, c’est vrai ! » approuve Janne. On le voit avec sa fille Angela (âgée d’une vingtaine d’années), qui n’a pas reçu de fessées – ce que la documentariste résume ainsi : « Angela était une enfant sage, donc Janne n’a pas eu “besoin” de la fesser »… Plus précisément, Angela déclare qu’elle ne se souvient pas d’avoir été frappée, et son père affirme qu’elle ne l’a pas été. Ce qui nous laisse quelques doutes, car nous savons qu’il suffit parfois d’une seule menace ou d’un seul coup pour qu’un très jeune enfant (qui ne se souviendra de rien par la suite) devienne « sage » : mot poli pour dire que l’enfant conditionné par la peur se soumet aux désirs (de tranquillité) du parent qu’il aime et dont il dépend entièrement.

Quoi qu’il en soit, cette séquence semble avoir pour seul but de nous faire savoir qu’il existe en Suède quelques marginaux en désaccord avec ce conformisme social… qui empêche même d’envisager qu’on ait le « libre choix » d’user ou non de la force !

On interroge ensuite un couple de « thérapeutes familiaux » d’un certain âge, qui expliquent que les parents « n’osent pas résister aux enfants » (personne ne les arrête, ne leur donne de limites…). Ils seraient plutôt pour un retour à l’autorité (voire à l’autoritarisme ?), mais « c’est impossible ». Cependant, ajoutent-ils, « s’il y a des limites claires, pourquoi leur donner la fessée ? ». Leur rôle est d’aider les parents dépassés. Dommage que le commentaire omette de relever le fait que, dans un pays où il est interdit de frapper les enfants, on a le loisir (et on se donne les moyens) de se pencher sur ce genre de problème !

La fin du reportage se passe dans une école internationale en Suède. L’enseignante (française) se rend visiblement compte que la journaliste aimerait montrer qu’il se passe n’importe quoi dans la classe, « puisque » les élèves ont le droit de parler en cours, mais elle explique que c’est mieux comme cela, que tout se passe bien. La journaliste interroge ensuite les élèves (qui semblent âgés de 16 à 18 ans environ) sur ce qu’ils pensent des châtiments corporels. Ils paraissent gênés, mais on se demande si ce n’est pas surtout par l’insistance de la journaliste, qui tient absolument à leur faire dire qu’en Suède, « la fessée » est un « sujet tabou ». N’est-il pas compréhensible que cela les gêne d’en parler dans ces conditions ? Seul un jeune Italien trouve qu’on doit donner des fessées aux enfants (il précise qu’il en a reçu – ceci explique cela !), mais, dit-il, « on doit s’adapter à la société dans laquelle on est »… Il n’a visiblement pas eu l’occasion de réfléchir à la question. Cette journaliste trouverait-elle qu’en France, les étrangers ayant des pratiques qui la choquent (battre leur femme, par exemple ?) ne doivent pas s’adapter à « notre société » ?

A la fin du reportage, deux Africains – une jeune femme, et un homme marié à une Suédoise – parlent des effets des châtiments corporels. Ils se souviennent d’avoir été frappés dans leur enfance et d’avoir trouvé cela injuste, de s’être promis de ne pas faire cela à leurs enfants, de « briser le cercle de la violence ». Ils se souviennent d’avoir ressenti de la haine lorsqu’ils étaient frappés… Pour cette raison, c’est peut-être le moment le plus émouvant de tout le film, celui où on ressent le plus de sincérité, où on est le plus loin du fameux « conformisme social »… Pour ces jeunes adultes qui ont connu la violence éducative, vivre en Suède est un vrai choix de vie. Bien sûr, ce n’est pas le cas de certains Suédois qui regrettent le bon vieux temps… Mais sortir de la violence n’est-il pas un long combat, un processus où chacun doit faire son propre chemin ?

*Malgré son parti pris ironique et sa mauvaise foi (le spectateur non convaincu d’avance ne risque guère de changer d’avis…), ce reportage était intéressant pour certaines questions qu’il permet de formuler une nouvelle fois, parce qu’elles ne sont pas des plus évidentes.

Par exemple sur la façon dont la violence éducative ordinaire se reproduit : dans le reportage, les partisans des châtiments corporels sont toujours des gens qui les ont subis dans leur enfance – aucun des jeunes et des adultes qui n’ont pas été frappés ne se déclare en faveur des coups, même si les positions sont très variables concernant les façons plus ou moins « contrôlantes » d’élever les enfants.

A l’inverse, certains adultes sont opposés aux châtiments corporels parce qu’ils les ont subis, ce qui amène à se poser la question du sentiment d’injustice. Les deux Africains vivant en Suède se souviennent de leurs sentiments de peur et de haine lorsqu’ils étaient battus, alors qu’ils ne se sentaient pas coupables. Cela signifie-t-il que des punitions « justes » auraient été acceptables ? Le sentiment d’injustice ne naît-il pas précisément du fait que punir un enfant est toujours injuste (en plus d’être « inefficace ») ? Comment un enfant apprend-il, par la punition ou par l’exemple ? La même question se pose avec les punitions « humiliantes » (selon la formulation des lois d’interdiction dans certains pays) : existe-t-il réellement des punitions non humiliantes ? La punition n’est-elle pas par définition une humiliation ?

Ce qui permet à la violence éducative ordinaire de se perpétuer, c’est précisément que l’éducation réussit, la plupart du temps et de façon très précoce, à convaincre l’enfant lui-même qu’il a mérité la punition, qu’il a fait quelque chose de mal, qu’il est mauvais. Le sentiment d’injustice n’existe donc à l’âge adulte que parce qu’il y a eu « échec » de l’éducation violente, au sens où on n’a pas réussi à convaincre l’enfant de sa culpabilité. Cela peut aussi être dû à la présence d’un « témoin secourable » qui a permis à l’enfant de ne pas se sentir coupable de ses erreurs – réelles ou supposées, mais commises par ignorance et non par « méchanceté » foncière (celle-ci, comme l’hypocrisie et le mensonge, ne vient que plus tard, à cause de l’éducation violente !).

En conclusion, nous serions tentés de dire : Dans quel pays la fessée est-elle réellement un « sujet tabou » ? N’est-ce pas plutôt en France, où le « droit à la fessée » est considéré par la plupart des parents comme quasi sacré ? Où il existe un fétichisme de la fessée à cause duquel, comme on le verra ensuite au cours du débat, on ne peut aborder le sujet sans susciter des sourires égrillards, ou sans que les « spécialistes » de l’éducation ne prennent soin de nous rassurer sur le fait qu’ils ne sont « pas contre » (voire qu’ils sont « pour ») la fessée « entre adultes consentants » ? N’est-il pas plus rassurant qu’inquiétant que les jeunes Suédois n’aient pas envie de parler de « la fessée » – parce que cela leur paraît une pratique absurde et d’un autre âge ? N’est-il pas symptomatique du niveau de la violence éducative en France que des journalistes tournant un documentaire sur le « pays de la fessée interdite » aient si peu la notion d’une éducation sans violence, basée sur la relation avec l’enfant et non sur la peur, qu’elles ne prennent même pas la peine de s’informer des pratiques les plus positives ?

La mise en œuvre d’une loi contre la violence éducative (et des mesures qui l’accompagnent) est un long processus, où chacun a son chemin à faire. En Suède, beaucoup s’y reconnaissent, se souviennent du mal que la fessée leur a fait, sont d'accord intellectuellement. Pour les autres, c’est plus difficile. Il en resterait officiellement 9 % en Suède – et, sur les 91 % restants, d’autres ne disent peut-être pas tout ce qu’ils pensent, ou se sentent dépassés. Mais, lorsque toute la société va dans ce sens, c’est une aide considérable. Et aucun enfant ne meurt plus de maltraitance en Suède ! (Contre deux par jour en France – pour ne parler que des morts officiellement reconnues comme dues à la maltraitance…)


Tu vas t’en prendre une

Le deuxième film de cette soirée Thema, portant sur la violence éducative en France, est commenté de façon plus convaincante, sans persiflage ni parti pris négatif, bien qu’il se révèle décevant sur les conclusions, qui resteront très « consensuelles » : on en retire surtout l’impression que la fessée est à proscrire parce que « inefficace » – pour faire obéir un enfant –, mais pas si dangereuse tant qu’on reste dans certaines limites… Cependant, le reportage montre de façon intéressante les « chemins de vie » de plusieurs personnes qui se sont interrogées sur leur propre violence et sur ses causes…

On rencontre d’abord Jean-Jacques, un quinquagénaire qui « a fait un long travail sur lui-même pour ne pas reproduire sa propre éducation ». Avec son quatrième enfant, une petite fille, il répare ce qu’il a fait avec les trois premiers. Il explique qu’il a frappé son premier fils lorsqu’il avait un an et demi parce que, après avoir été sur le pot, il s’était levé et avait fait pipi par terre en marchant – et sa femme lui avait demandé pourquoi il avait frappé l’enfant… C’est là qu’il a commencé à se poser des questions.

Jean-Jacques fait partie d’un groupe de parents qui travaille apparemment avec une « formatrice », dont on ne saura cependant pas qui elle est ni selon quels principes elle travaille… (Lorsqu’on la voit en action, on se dit qu’il faut vraiment beaucoup de bonne volonté pour supporter son ton autoritaire et condescendant – c’est vraiment « faites ce que je dis, ne dites pas ce que je fais » !) Le but de ce coaching est apparemment d’apprendre à « exprimer son autorité » « sans faire mal » (???). Puis Jean-Jacques, qu’on retrouve avec sa dernière fille (qui doit avoir environ 3 ans), explique qu’il est « dans la participation et pas la confrontation », par exemple, à un certain âge les enfants ont besoin d’apprendre à dire non, si le parent accepte, ça passe très vite – il donne l’exemple de la pizza, si la petite fille à qui on en propose dit non, on peut lui dire : très bien, d’accord, et ensuite elle réfléchit et se dit : mais si, j’en veux, de la pizza ! Etc. En tout cas, tout se passe bien avec la petite fille, mais on se demande si ce n’est pas davantage grâce au sens de l’humour de Jean-Jacques et à sa réflexion personnelle sur son histoire qu’aux méthodes proposées par le « coach »…

Suit une séquence avec Stéphanie Allenos, dont on apprendra seulement à la fin qu’elle a écrit un livre, Mère épuisée. Elle parle d’abord de façon intéressante de la colère, du fait qu’on croit que c’est la faute de l’enfant (qu’il a réellement fait quelque chose qui justifie la colère). Elle a eu une fille, puis deux garçons jumeaux, et c’est là que les choses ont commencé à « dégénérer ». C’est grâce à une thérapie qu’elle est sortie de la « relation maltraitante » : à un certain moment, elle s’est aperçue que ses enfants levaient le bras pour se protéger, donc qu’elle les frappait « trop », que « ce n’était plus possible »… Elle a donc écrit un livre sur son expérience, grâce à sa psychanalyste, Sophie Marinopoulos (qui intervient dans le reportage).

On voit ensuite son mari – qui, dit-elle, « manquait de patience » lui aussi et avait une éducation très traditionnelle (c’est elle qui faisait tout à la maison)… Les relations avec les enfants se sont donc nettement améliorées. Mais, à la fin, on a la déception d’entendre Stéphanie dire à ses enfants : « Vous en avez quasiment plus, des fessées… »… ce qui résume bien les limites de ce reportage ! Il s’agit bien plutôt d’une intervention à la « Super Nanny » que d’une vraie réflexion sur la violence éducative ordinaire. On reste dans le consensus sur ce qui est considéré comme acceptable par les psychopédagogues français : « maltraitance », non ; contrôle, manipulation et « petite fessée occasionnelle », oui.

On se trouve ensuite chez un autre couple, Mathieu et Géraldine, avec leurs enfants (dans un joli appartement, ce qui ne gâte rien…) : « Ils se plient en quatre pour satisfaire leurs moindres désirs » (en fait, on les voit seulement à table, où les enfants ne sont pas obligés de rester assis tout le temps, ni de manger ce qu’on leur dit – ils peuvent choisir, s’en aller…). « Aujourd’hui les mots d’ordre sont réciprocité, écoute… ». Mais ça n’a pas toujours été le cas. Avant, Mathieu donnait des fessées, il disait : « Fais ci, fais ça, sinon… ». Il en a reçu quand il était petit. Ses grands-parents avaient un martinet. Mais, ajoute-t-il, « ça ne m’a pas traumatisé plus que ça, parce que c’était dans mon éducation ». « C’est une violence ordinaire… » (Doit-on en conclure que les coups donnés sans complexes ont moins de conséquences ? Cette petite phrase nous laisse sur notre faim.) Mais « ça créait plus de difficultés que ça ne résolvait de problèmes »… Géraldine explique qu’elle a commencé à réfléchir avec son deuxième garçon (ils ont trois enfants) : ce garçon-là, déjà petit, rendait les coups lorsqu’on lui donnait une fessée. Elle s’est demandé ce que ça allait devenir si elle avait avec lui une relation basée sur la force, jusqu’où elle devrait aller… (C’est donc l’enfant, en se révoltant, qui lui a montré que cela ne menait à rien ! Que serait-il arrivé sans cela ?). Mathieu parle d’un « chemin de vie fait ensemble », ils pensent tous deux que s’ils n’avaient pas pu être d’accord sur ce point, ils auraient peut-être dû se séparer (ce qui fait curieusement écho à l’impression laissée par le couple d’intégristes religieux du reportage sur la Suède).

Le reportage se termine par une consultation d’Edwige Antier, qui reçoit une maman avec son bébé. Dans toutes ses consultations depuis plus de dix ans, elle pose aux parents la « question rituelle » : donnent-ils des fessées ? C’est cette expérience accumulée qui l’a conduite à faire sa proposition de loi pour que la France adopte la mesure d’interdiction demandée par le Conseil de l’Europe. Elle explique que ce sont les enfants frappés qui deviennent provocateurs, et non les autres – contrairement à l’argument classique de l’enfant qui « cherche les limites » et donc « demande » à être frappé…


Le débat

A la suite de ces deux reportages, le débat était animé par Daniel Leconte (ci-après DL), avec pour invités Stéphane Clerget, pédopsychiatre français, auteur de Parents, sachez vous faire obéir (livre à couverture rouge !), et Ralph Dawirs, neurobiologiste (?) allemand, auteur de Die 10 größten Erziehungsirrtümer - und wie wir es besser machen können (« Les 10 plus grandes erreurs à propos de l’éducation - et comment faire mieux », non traduit en français.)

Daniel Leconte cite une statistique : « 80 % des parents français ont déjà donné une ou des fessées. 62 % auraient préféré faire autrement. »

Interrogé sur la législation française Stéphane Clerget répond que ce qui est « toléré » (donc non interdit) par la loi française, c’est la fessée qui n’entraîne pas de lésion, les coups avec la main et non avec un objet, par exemple. DL se demande alors, fort à propos, si le fait qu’il y ait une « zone d’ombre » dans la loi n’explique pas la maltraitance (l’OVEO n’est pas cité, mais on voit ici que l’animateur s’est tout de même posé la question…). On regrette que la question ne soit pas davantage commentée.

Ralph Dawirs, interrogé sur la loi allemande : « Toute forme de violence à l'égard des enfants, même la petite tape, est proscrite. Ce n'est pas autorisé, et cela vaut aussi pour la violence morale. Cette violence peut prendre de nombreuses formes notamment, nous l'avons vu dans le film, la menace de violence, tout cela n'est pas permis. »

En Allemagne (contrairement à la Suède), la loi proscrit toute violence, mais ne punit pas. L’esprit de la loi n’est pas de « criminaliser » les parents, mais d’apporter une aide : « L'esprit de la loi était de ne pas criminaliser les parents. L'idée de la loi c'est de dire, quand on détecte ce genre de comportement, on tente d'apporter une aide de façon à promouvoir dans la société une attitude de rejet de la violence, de la violence sous toutes ses formes, en particulier à l'encontre des enfants. Parce que, selon nous, les enfants ne sont pas des personnes qui doivent obéir, mais des personnes en train de se construire, et toute forme de violence constitue un obstacle au développement équilibré de la personne. »

DL demande à Ralph Dawirs si le droit de l’enfant à ne pas être frappé « est un droit de l’homme ». Réponse : « Je suis intimement convaincu que la dignité de l'enfant est une partie indissociable de la dignité humaine. Et que si on lève la main sur un enfant cela constitue une atteinte à sa dignité. » « L'objectif de l'éducation c'est de permettre le libre épanouissement de la personnalité, c'est un droit fondamental, en tout cas en Allemagne. »

DL cite Astrid Lindgren (qu’on a vue dans le reportage sur la Suède) : « Mettre fin à la fessée, c'était faire un pas de plus vers la paix du monde ». Ralph Dawirs : « Elle avait tout à fait raison. » DL : « Ce n'est pas un peu exagéré ? » Il se tourne vers Stéphane Clerget, qui répond : « Ah, ben on peut se fixer comme ça des objectifs idéalistes, si effectivement l'objectif c'est la paix dans le monde, pourquoi pas ? Si déjà on obtient la paix dans la famille ça sera déjà une bonne chose. » (Cela situe bien le niveau du débat, et surtout la différence énorme entre les deux intervenants…)

Ralph Dawirs : « Comment voulons-nous façonner un monde pacifique si nous ne sommes même pas capables de nous comporter pacifiquement les uns envers les autres au sein même de la cellule sociale de base que constitue la famille ? Vivre en paix sans violence c'est bien de cela qu'il s'agit. »

DL : « Y’a du pain sur la planche ! » – quand on sait qu’environ 90 % des enfants sont frappés dans le monde (information fournie par Olivier Maurel ?). Il cite une statistique récente : dans les six derniers mois, 36 % des mères indiennes ont frappé leur enfant avec un objet ; en Chine, 70 % des enfants ont été frappés, dont 50 % « avec force ». Interrogé, Stéphane Clerget note que ces « châtiments » seraient considérés comme de la maltraitance en France... Avant d’expliquer ce qu’est pour lui l’éducation (« Apprendre à obéir, à respecter des règles, des lois »), il déclare (pour la première fois) qu’il n’est pas « pour » la fessée… mais « seulement entre adultes consentants », précise-t-il avec un peu de gêne et sans vraiment sourire : est-ce pour défendre son propre droit à cette pratique, par souci des « libertés publiques » ou pour se concilier les bonnes grâces du téléspectateur ? On ne le saura pas, mais il le répétera tout de même une deuxième fois au cours du débat, ce qui montre que cela lui paraît important… (Craint-il vraiment que ce ne soit interdit un jour ??? Ou que cette jolie pratique ne tombe en désuétude faute d’apprentissage dès le plus jeune âge ? Mystère et flou artistique…). Extrait :

« En tout cas moi je suis pour la fessée... entre adultes consentants, pour autant, euh, je crois qu'il est important d'apprendre aux enfants à obéir. A obéir pourquoi ? Parce que l'enfant est appelé à devenir un adulte qui va être dans la société, qui va être soumis à un certain nombre de règles, un certain nombre de lois et que cela va pas de soi d'être capable de supporter les frustrations des règles et des lois, et pour cela ça nécessite un enseignement, une éducation, et c'est du devoir des parents d'apprendre à l'enfant à obéir aux règles, à obéir aux lois... »

DL parle alors de la violence qui entraîne la violence et cite (pour la seule et unique fois) Alice Miller 5 : « Il y a en tout dictateur un enfant qui a été gravement humilié. » Ce qu’il résume ainsi : les dictateurs « avaient tous été influencés, voire déterminés, par les châtiments corporels subis dans leur enfance ». Ralph Dawirs : « On peut aller plus loin ! » Il cite le film Le Ruban blanc : la génération des nazis n’a pu agir ainsi que parce qu’elle a été élevée de cette façon.

DL pose une question sur le développement cérébral. Ralph Dawirs : les premières années sont celles où le cerveau s’adapte à son environnement (et est obligé de le faire). Un enfant d’un an battu apprend à s’adapter de façon à éviter les coups. DL cite à l’appui deux études américaines (que nous connaissons, voir la rubrique Etudes scientifiques), l’une qui prouve les effets (des châtiments corporels) sur la violence, l’autre les effets sur le QI (les enfants qui ne sont pas frappés ont un QI plus élevé). A quoi S. Clerget croit bon de répondre que le QI plus élevé s’explique aussi (veut-il dire : surtout ?) par le fait qu’il s’agit de parents plus « sensibilisés », plus attentifs… DL cite alors a contrario l’étude Larzelere (Oklahoma) selon laquelle fesser les enfants entre 2 et 6 ans donne des résultats « positifs ». Nous connaissons aussi cette étude, dénoncée par l’association américaine Parents and Teachers Against Violent Education (voir par exemple cet article de Murray Straus) : l’étude est largement biaisée, en particulier par la définition retenue pour les « résultats positifs » : il s’agit seulement d’obtenir une obéissance immédiate – ce que Ralph Dawirs soulignera.

Daniel Leconte affirme ensuite que « 28 Etats des Etats-Unis ont aboli la fessée » : en réalité, il s’agit de l’interdiction des châtiments corporels à l’école ! Aucun Etat des Etats-Unis n’a à ce jour de loi interdisant les châtiments corporels dans la famille. En revanche, c’est le seul pays « développé » où ils ne sont toujours pas interdits à l’école, cela dans près de la moitié des Etats – essentiellement ceux de l’ancien Sud esclavagiste. (Dans le reportage précédent sur la Suède, on voit d’ailleurs un jeune Texan déclarer qu’il a été battu à l’école. Voir la palette qui sert à frapper les élèves jusqu’à l’âge de 18 ans !). Quand on sait quel rôle la violence éducative joue dans les pratiques politiques et militaires (par exemple la torture), c’est une erreur lourde de conséquences, si les téléspectateurs retiennent cette fausse information.

A propos de l’étude Larzelere, Ralph Dawirs admet qu’il est très possible de faire obéir les enfants à court terme en les frappant, et répond à cela : « Nous éduquons nos enfants pour qu’ils deviennent des personnes libres » – et il cite Karl Valentin : « C’est impossible d’éduquer les enfants, quoi qu’on fasse, ils nous imitent en tout. » Clerget n’est naturellement pas d’accord. Pour lui, c’est une conception utopiste qui suppose que les enfants sont « des anges ». Réponse de Ralph Dawirs : « Le renoncement à la violence n’a pas d’inconvénient identifié pour l’éducation des enfants. » Il accorde à Stéphane Clerget que « quand le mal est fait » – mais seulement à ce moment-là ! – on a effectivement besoin de gens comme lui, qui préconisent par exemple la contention (tenir l’enfant pour l’empêcher de se faire mal ou de faire mal à d’autres, etc.) ou d’autres mesures ou punitions qu’il désapprouve dans les situations normales… Il explique : « Tout enfant souhaite “obéir” » (« obéir entre guillemets », précise-t-il en faisant même le geste avec ses doigts, mais cela n’a pas été traduit), l’enfant désire « obéir » pour maintenir la relation (vitale pour lui) avec son parent. Stéphane Clerget reprend (c’est la deuxième fois) le couplet sur l’enfant qui se met à crier au supermarché. Il propose que, lorsque cela arrive, les autres adultes viennent en aide à la maman débordée (pour lui, c’est forcément la maman…) en disant à l’enfant : « Obéis à ta maman. » (Sic !) Ralph D. (indigné mais calme) commente : « Je n’aimerais pas que des inconnus viennent me dire ça. »

On énumère ensuite quelques-unes des règles de base de Clerget : les meilleures punitions sont : 1/ la « réparation » (entre autres, s’excuser), 2/ « un petit travail d’intérêt familial » (notons que cela renvoie au « travail d’intérêt général » comme peine de substitution pour les délinquants et criminels… donc là encore, tout un programme… c’est de la rééducation et non de « l’éducation » !), 3/ marquer sa désapprobation – et « bien sûr », éviter la fessée (on comprend ici que c’est parce qu’elle n’est pas efficace, qu’elle est « un échec de l’éducation »). Il dit presque textuellement que « dans les punitions, ce qui est très pratique, ce sont tous les objets inutiles » qu’on offre aux enfants, ordinateurs, etc. : « Il faut les offrir aux enfants, ne serait-ce que pour pouvoir leur retirer » !!! Comme il ne sourit guère, on se demande si c’est de l’humour ou s’il parle sérieusement. Il y a peut-être une part d’humour (laissons-lui le bénéfice du doute), mais que de messages implicites ! (L’un d’eux pouvant être qu’il vaut mieux offrir des objets aux enfants que passer du temps avec eux… C’est tout bénéfice pour l’adulte : l’objet sert à la fois à occuper l’enfant et à le punir !)

Ralph Dawirs, qui a écouté tout cela avec incrédulité, s’insurge (toujours calmement) : il faut arrêter de se fixer des « objectifs éducatifs » et d’appliquer des méthodes pour cela ! C’est insensé au plan biologique de tracer une ligne à l’enfant. Il cite Kant, « accompagner l’enfant dans son développement »… (A noter que les méthodes éducatives de Kant, comme celles de Rousseau, laissent sans doute à désirer ! Cependant, on peut comprendre cette référence, s’agissant ici de la « programmation » de la vie de l’enfant, de décider à chaque instant ce qu’on veut qu’il fasse et qu’il soit.)

S. Clerget : « C’est plus compliqué que ça ! » Pour lui, cela dépend aussi des enfants, il est persuadé que c’est la personnalité d’un enfant (comparé à un autre) qui le pousse à « marcher sur les autres », donc « il faut lui apprendre à respecter autrui »…

DL questionne Dawirs sur l’opportunité de la fessée (pour savoir si ce ne serait pas bien… même juste une petite de temps en temps ?), réponse : « En aucune circonstance ! Il ne s’agit pas de se fixer des objectifs et de sanctionner des écarts. » Clerget déclare qu’il n’est pas « pour » la fessée (« seulement entre adultes consentants », précise-t-il pour la deuxième fois), même en dernier recours. Le dernier recours, c’est le pédopsychiatre (donc lui)… Il affirme être « en accord avec M. Dawirs » – mais on sent bien que M. Dawirs, lui, n’est pas d’accord avec ce psychiatre visiblement formé à l’école freudienne de l’enfant pervers polymorphe. Tout au long des interventions de M. Clerget, on a senti que pour lui l’enfant était l’ennemi à maîtriser. Il ne jure que par l’« apprentissage des limites » et la « frustration nécessaire » pour apprendre la dureté de la vie… Avec une ignorance totale de la façon dont les enfants apprennent réellement !

Au total, cette soirée aura bien montré l’opposition fondamentale entre ceux qui trouvent que lutter contre la violence éducative sous toutes ses formes (châtiments corporels, violence psychologique, manipulation et contrôle) est une préoccupation de gens riches (autrement dit, un luxe qui leur est réservé… et dont les pauvres peuvent se passer !), et ceux qui, comme Ralph Dawirs ici, pensent que c’est une question de droits humains, fondamentale pour la liberté des individus et pour la paix dans le monde.



  1. Bien que cette expression puisse apparaître comme un pléonasme…[]
  2. Auteur de « Grandir, et non pas obéir », que l’on reverra dans le film de Marion Cuerq.[]
  3. David Dutarte, président de l’OVEO en 2010, a été contacté par l’auteure du reportage, qui affirmait avoir apprécié ses articles sur le site de l’OVEO. Ayant longtemps vécu en Suède, il devait parler avec elle de la violence éducative ordinaire et de son expérience. Or, après avoir obtenu les noms des spécialistes à interviewer (ceux que l’on voit dans le film), la journaliste n’a plus donné de nouvelles jusqu'à l’annonce de la diffusion. Le côté superficiel du commentaire s’en ressent visiblement. De plus, des informations essentielles ne sont pas données, ce qui jette le doute sur la bonne foi des auteures. En particulier, s’agissant de ces parents à qui la garde de leurs enfants a été retirée, il n’a pas été dit que c'était la première fois (depuis l’adoption de la loi en 1979) que cette mesure était appliquée. Le spectateur peut donc penser que c’est une mesure courante – alors que la journaliste a dû partir loin de Stockholm pour pouvoir rencontrer les parents concernés. Nous avons d’ailleurs appris ensuite que le même couple avait été interviewé dans un reportage diffusé en Belgique : à croire que les médias de nos deux pays ont attendu cette unique condamnation pour s’intéresser à l’interdiction des châtiments corporels en Suède ![]
  4. La nécessité de frapper l’enfant froidement et non sous le coup de la colère est l’un des grands classiques de la pédagogie noire. A ce sujet, on peut lire la 1ère partie du livre d’Alice Miller, C’est pour ton bien, et voir le film de Michael Haneke Le Ruban blanc (en particulier les scènes avec le pasteur). Certaines sectes évangéliques, en particulier aux Etats-Unis, publient des manuels sur le sujet, comme celui du pasteur Michael Pearl.[]
  5. A un autre moment, il parlera aussi des « Justes », sans citer davantage ses sources.[]

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