Il est urgent de promouvoir la culture du respect de l’enfant comme “ultime révolution possible” et comme élément fondamental de transformation sociale, culturelle, politique et humaine de la collectivité.

Maria Rita Parsi, psychologue italienne.

Ces mots qui semblent anodins mais qui nous touchent

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site.

Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?
Principalement des violences psychologiques, très peu physiques (j'ai pris 2 claques dans toute ma vie). Elles prenaient différentes formes :

Le chantage au suicide de mon père dès que j'osais me "rebeller" face à son éducation, il s'enfermait dans une pièce en me disant qu'il allait se pendre, qu'on serait bien plus heureux sans lui, que je serais contente quand il décédera. Cela a commencé à partir de mes 9 ans. J'avais aussi le rôle de "compagne" avec lui après la séparation de mes parents, c'est moi qui devais décider de ce qu'on allait manger le soir, faire attention à ce que mon père ne soit pas trop dépensier, qu'il ne se fasse pas avoir (mon père est du genre trop bon trop con). J'avais une liberté totale, une absence cruelle de limites. Avec lui j'ai aussi souffert de son manque de soutien, d'ailleurs j'ai longtemps considéré que mon père n'avait "rien dans le pantalon" (ce que je pense toujours d'ailleurs). Depuis qu'il est avec sa compagne c'est elle qui décide de tout, même vis-à-vis de moi et lui ne prend jamais ma défense ou de décision. Quand j'ai commencé ma deuxième année d'études supérieures, je lui ai demandé si comme l'année précédente il partagerait avec moi et ma mère une partie de mes frais scolaires (je travaillais l'été, je mettais 1000 euros de ma poche et mes parents 600 euros chacun), elle m'a dit mot pour mot : "c'est pas la banque de France ici on ne te donnera pas 1 centime !!" sachant que je me débrouillais pour vivre, payer mon appartement avec mes faibles bourses scolaires et que mon demi-frère et ma demi-sœur ont eu leurs frais de scolarité payés, et que mon demi-frère était même l'apprenti de mon père (donc un salaire). Il n'a jamais non plus eu le courage d'intervenir quand je me faisais harceler sexuellement et que j'étais victime d'homophobie à un repas de "famille" avec la famille de sa compagne, alors que la personne proférant ces insultes était à côté de lui et que j'avais tout juste 18 ans. Suite à tout cela j'ai coupé les ponts avec mon père pendant près d'un an, et ça a été d'autant plus difficile que ma famille ne comprenait pas mon comportement (ma belle-mère étant très sympa avec eux, et eux ne vivent plus à la maison depuis longtemps), et je me suis donc sentie rejetée, à part de ma famille, je ressens toujours cette "fracture".

J'ai aussi subi le manque de patience de ma mère qui se mettait à crier dès que quelque chose n'allait pas (si elle faisait tomber quelque chose, se cognait, ne réussissait pas quelque chose ...) et qui s'agaçait après la première personne présente (moi, vu qu'elle vivait avec moi uniquement), manque de patience face à mes explications, impossibilité de me justifier après une remarque, et des comparaisons désobligeantes par rapport à mon père "les t'es fainéante comme ton père, t'es molle comme lui" et les critiques - "madame passe sa vie dans sa chambre sur son ordi mais peut pas m'expliquer un truc tout simple", ou "arrête de prendre les gens pour des cons parce que t'es intelligente". Le tout additionné d'un manque d'affection et de partage, n'aimant pas les jeux et manquant cruellement de patience, n'ayant pas les mêmes goûts on faisait extrêmement peu de choses ensemble. De plus elle avait une éducation un peu stricte, ce qui tranchait totalement avec ce que je vivais chez mon père. Je pense que cela m'a beaucoup chamboulée d'avoir des parents aux extrêmes et chez qui je vivais une semaine sur 2.

Il y aussi toutes ces remarques censées être positives pour moi mais qui étaient en réalité extrêmement douloureuses, notamment les comparaisons désobligeantes de mes tantes par rapport à mes cousins/ cousines, elles n'étaient pas négatives, mais ça me faisait souffrir d'être l'objet de comparaisons qui servaient à dénigrer les gens que j'aime. J'ai aussi ressenti ça par le biais du comportement de mes professeurs ou surveillantes, censé être positif pour moi, les "avantages" de traitement que m'offraient mes notes me mettaient dans une grande situation d'inconfort vis-à-vis de mes camarades, j'avais l'impression que l'on m'appréciait que pour mes facultés et pas parce que j'étais cool. En soi ce n'est pas de la violence éducative directe, mais je l'ai ressenti comme une violence psychologique. Au collège mes profs étaient contre mon orientation car j'avais un "trop bon niveau pour ce genre d'école" (j'ai fait un bac S mais j'ai décidé de le faire en lycée agricole, ce qui ne change presque rien), mes profs voulaient que j'aille dans un lycée dont les méthodes éducatives ne me convenaient pas... A l'internat aussi, au lycée en seconde, les surveillantes avaient accès à nos bulletins, et ceux qu'elles estimaient pas assez bons faisaient l'objet d'une surveillance accrue (on faisait nos devoirs dans nos chambres), comme la récitation des leçons, la vérification que TOUS les devoirs étaient faits, l'obligation d'étudier jusqu'à la fin de l'heure. Avec mes notes je bénéficiais d'un traitement de faveur (explicitement énoncé devant mes compagnes de chambre), aucune vérification était faite, et j'avais le droit de faire autre chose une fois mes devoirs finis. Cette injustice était pour moi extrêmement pesante et j'avais l'impression que l'on cherchait délibérément à me mettre à l'écart du groupe.

A partir de et jusqu'à quel âge ?
Depuis la séparation de mes parents (avant ils s'énervaient entre eux, ensuite j'ai pris la place du conjoint...) donc vers mes 9 ans et encore parfois aujourd'hui (très rarement et ça m'atteint moins).

Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Mon père, ma mère, mes tantes, le système éducatif.

Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Ma mère a reçu une éducation assez stricte.

Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir ”bien mérité“...) ?
Vis-à-vis de ma mère un sentiment d'incompréhension de ce comportement, et aussi de ne jamais être assez bien pour elle, parfois je disais, petite, ne pas l'aimer et qu'elle ne m'aimait pas.

Du côté de mon père j'avais l'impression que c'était normal, que je devais prendre la place de ma mère malgré mon jeune âge, puis avec les histoires avec ma belle-mère une profonde injustice vis-à-vis de ma demi-sœur et de mon demi-frère, l'impression de pas faire partie de la même famille et de ne pas avoir le même traitement qu'eux.

Par contre le fait que ma mère ait pris récemment conscience de son comportement vis-à-vis de moi m'a fait beaucoup de bien et depuis nous sommes plus proches.

Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
J'ai parlé du comportement de mon père à ma mère qui m'a soutenue là-dessus.
Ma grand-mère a souvent aussi essayé de prendre ma défense face à ma mère, "laisse-la vivre".
Par contre ce que j'ai du mal à encaisser encore aujourd'hui c'est que plusieurs personnes de ma famille ont été spectateurs de ces différents comportements, en ont pris conscience (certains m'en ont parlé) mais jamais personne n'est intervenu ...
Sinon je me suis toujours sentie vraiment seule face à cela.

Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
C'est compliqué de dire quels comportements pouvaient découler de cette violence. Je me souviens d'avoir été plusieurs fois en "rupture" et d'avoir été en réaction face à des professeurs qui me faisaient des remarques, je pense que j'avais aussi envie de me démarquer en dehors de mes notes, donc j'étais parfois légèrement en rébellion, mais toujours avec des professeurs qui avaient pu me blesser.
Sinon j'étais timide, assez renfermée, je n'avais et n'ai toujours pas de facilité à m'intégrer dans un groupe; je me sens toujours en décalage et à l'écart, est-ce que cela vient du fait que je ne me sens pas à ma place dans ma famille ? Peut être.

Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ? En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
Je suis aujourd'hui quelqu'un qui a peu confiance en soi, en recherche constante d'attention, d'affection, de preuves d'amour. J'ai du mal du coup dans mes relations amoureuses, car je n'arrive pas à voir l'amour de l'autre s'il n'est pas clairement exprimé, j'ai constamment peur de perdre la personne que j'aime, de ne pas être assez bien, et du coup j'ai tendance à en faire trop.
Je suis éducatrice à l'environnement donc je suis souvent en relation avec des enfants, et je me rends compte que lorsque je suis l'unique encadrante je perds vite patience, alors que quand je ne suis pas seule j'arrive assez facilement à calmer les choses en étant positive.

Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
Je n'ai pas eu une mauvaise éducation en soi, mais je regrette beaucoup de choses, effectivement il y a des limites à poser mais il y a des façons de le faire. Mais cela m'a à la fois aidée à me construire et en même temps m'a rendue extrêmement fragile et sensible.

Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
En France la société est psychologiquement violente, beaucoup de critères de valeurs sont émis, des cases, des préjugés, des stéréotypes, la recherche du toujours mieux etc., c'est cette violence ordinaire qui est dure à vivre et qui l'est toujours, je le vis encore à l'heure actuelle avec ce que l'on appelle "homophobie ordinaire".

Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
Au contraire j'ai voyagé au Népal et je me suis rendu compte que notre société française se dit évoluée par rapport à d'autres pays "en développement", mais c'est un développement purement matériel, la bienveillance, l'accueil, les faibles discriminations, le positivisme, le vivre ensemble sont courants dans ces pays.

Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
Pour moi les violences éducatives sont toutes ces choses négatives qui peuvent avoir une influence sur le développement de l'être, dont on ne voit pas forcément les conséquences immédiatement. J'ai du mal à trouver une limite claire qui sépare ces deux termes, c'est une question d'échelle mais qu'est-ce qui fait la bascule, je ne sais pas.

Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Aucune.

Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
Un article sur [le site] Madmoizelle.

Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
Clairement renforcé.

Laura, 22 ans, éducatrice à l'environnement.

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