Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

Comment devient-on Rupert Murdoch ?

Par Olivier Maurel, fondateur de l'OVEO

Rupert Murdoch, dont un scandale en Grande-Bretagne vient de révéler les écoutes téléphoniques qu’il utilise pour alimenter ses tabloïds en nouvelles croustillantes, est le patron d’un immense empire de presse. Les plus grands chefs d’Etat sont obligés de le courtiser pour s’assurer qu’il ne déclenche pas contre eux une campagne de presse dévastatrice. La revue Forbes le classe 13ème personnalité la plus puissante du monde et 117ème fortune mondiale. Ses journaux, tout en exploitant de façon éhontée le sang, le sexe et les scandales, défendent les « valeurs traditionnelles », ont soutenu Margaret Thatcher et en général tirent à boulets rouges sur l’Etat providence, les syndicats, les féministes, les pacifistes. Il a soutenu la participation de l’Australie à la guerre du Vietnam et, plus tard, l’invasion de l’Irak.

Le journal Le Monde a publié, dans ses numéros des 3 et 4 août 2011, deux grands articles de Marc Roche, correspondant du Monde à Londres, articles qui, contrairement à beaucoup d’autres (voir par exemple l’article que consacre à Murdoch Wikipédia), évoquent les conditions dans lesquelles Murdoch a vécu son enfance. On pourrait croire que Rupert Murdoch, fils de Keith Murdoch, lui-même patron de presse, a été un enfant gâté, un enfant-roi porté à réaliser tous ses caprices.

Il n’en est rien. Rupert Murdoch est un pur produit de la violence éducative. Il a été élevé « à la dure », sur le modèle de l’éducation de la noblesse anglaise. Son père, pour l’endurcir, l’oblige à dormir, sans lumière, dans une cabane nichée dans un arbre et infestée de moustiques. Sa mère préfère courir les cocktails et les dîners de charité plutôt que de s’occuper de son fils et il est confié à une gouvernante autoritaire et sévère.

A l’âge de 10 ans, il est inscrit dans un pensionnat au régime spartiate. « Sensible et solitaire, écrit Marc Roche dans son article du 3 août, peu intéressé par le sport, il fait le rude apprentissage du système sadique et cruel des établissements privés. Il est victime du harcèlement de ses condisciples, enfants de l’aristocratie financière et minière qui méprisent la profession de son père, indigne d’un gentleman. » Par réaction peut-être, Rupert Murdoch devient, au moins aux yeux du directeur de l’établissement, « a little nuisance », un trublion.

Ensuite, il est intéressant de voir qu’avant de devenir conservateur, voire ultraconservateur, il s’affiche de gauche et proche du parti communiste : « Un buste de Lénine ornait sa chambre. » Les enfants victimes d’abus de pouvoir et de violences peuvent osciller entre la révolte contre les pouvoirs et l’identification aux pouvoirs les plus violents. En tant que patron de presse, il se comporte de façon tyrannique à l’égard de ses journalistes.

Rupert Murdoch est un bon exemple de ce que peuvent donner les méthodes d’éducation autoritaires sur les enfants qui les subissent. Devenus adultes, ces enfants, quand ils en ont les capacités intellectuelles et la persévérance, peuvent reproduire en grand, parfois à l’échelle du monde entier, le système de mépris, d’humiliation, de domination et de violence qu'ils ont subi. Portés à la domination ou à la soumission, ils sont souvent incapables, parce qu'ils n'ont pas été eux-mêmes respectés et qu'ils en ont perdu leurs capacités d’attachement et d’empathie, d’établir de simples relations d’égalité et de respect avec les autres.

Pourquoi nombre d'intellectuels d'aujourd'hui, au lieu de s'incliner devant la prétendue « énigme de la violence », ne s'interrogent-ils pas plutôt sur ce que les personnalités violentes et tyranniques ont subi dans leur enfance, comme l'a fait Alice Miller dans ses études sur l'enfance d'Hitler, de Staline, de Mao, de Ceausescu, de Saddam Hussein ? Il ne s'agit nullement, bien sûr, d'excuser ces personnalités dévastatrices, mais de comprendre où se situent les vraies racines de la violence.


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