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Est-il dangereux de faire des sondages sur la fessée dans les écoles ?

A l'occasion de la proposition de loi de la députée Edwige Antier, une enseignante de CM1 a eu la curiosité de faire un petit sondage dans sa classe pour savoir quels étaient les enfants qui recevaient des fessées.

Les résultats nous ont paru très intéressants : sur 19 élèves questionnés, 3 ont répondu n'avoir jamais reçu de fessée. Ce qui donne environ 85 % d'enfants qui en reçoivent (plus ou moins fréquemment), un pourcentage tout à fait conforme aux estimations habituelles.

A la question "êtes-vous pour ou contre la fessée ?", les 3 élèves qui disaient n'en avoir jamais reçu ont répondu qu'ils étaient contre. Sur les 16 autres (ceux qui reçoivent des fessées), 9 ont répondu qu'ils étaient contre, mais 7 ont dit qu'ils étaient pour.

Ceux qui étaient contre exprimaient souvent un sentiment d'humiliation. Quant à ceux qui étaient « pour », lorsqu'on leur a demandé pourquoi, la plupart ont répondu qu'ils préféraient une fessée (rapide et qui ne fasse pas trop mal) à une punition qui les priverait d'un loisir ou d'une friandise (donc d'un plaisir attendu, espéré ou habituel).

Ce petit sondage nous paraît exemplaire à bien des égards. Il montre d'abord que peu d'enfants ne reçoivent jamais de fessées (la question n'a pas été posée pour d'autres formes de châtiments corporels ni pour les différentes formes de punition). Mais surtout, il montre qu'on ne peut pas être « pour » la fessée à moins d'en avoir l'habitude et de considérer cela comme une punition « normale » et éventuellement « méritée ». De plus, le « choix » supposé de la fessée est purement négatif, c'est-à-dire que l'enfant, en réalité, la compare implicitement aux autres formes de punition qu'il connaît, et non à l'absence de punition – l'enfant qui a l'habitude d'être puni n'envisage pas qu'il soit possible de ne pas l'être.

Cette habitude inculquée dès le plus jeune âge l'amènera très souvent, une fois adulte, à oublier les sentiments d'injustice et de révolte qu'il a pu éprouver pour ne plus envisager que la « nécessité » des punitions pour élever un enfant, et à se convaincre que les punitions subies étaient normales et bien méritées.

A la suite de ce petit sondage, nous nous sommes demandé si l'OVEO ne pourrait pas proposer aux enseignants un sondage plus détaillé – avec des questions pour distinguer, par exemple, les enfants de moins de 5 ans, ou de 5 à 7 ans, de 7 à 9 ans, etc., et/ou des questions différenciant les sortes de punitions (fessée, autres châtiments corporels, mise à l'écart, privation d'un plaisir attendu…) – et établissant des relations entre les réponses. Un tel sondage aurait pu aussi nous permettre de savoir comment les enfants jugeaient le fait d'être frappés ou punis selon leur âge, s'ils trouvaient cela plus normal à 7 ou à 9 ans qu'à 3 ou 5 ans…

Finalement, nous avons renoncé à proposer ce sondage devant les difficultés qu'il risquait de présenter. Nous avons pensé que les instituteurs qui feraient ce sondage prendraient des risques, étant donné l'état de l'opinion publique sur cette question : si les enfants parlaient à leurs parents, ceux-ci risqueraient de penser que « l'instit se mêle de ce qui ne le regarde pas », qu'il fait intrusion dans la vie des familles. Et nous nous sommes demandé si nous courions nous-mêmes un risque (des poursuites judiciaires ?) si nous rendions compte d'un sondage réalisé dans ces conditions – par des enseignants dans leurs classes, sans que les parents en aient été informés.

Un article récemment paru sur le site de France Info vient confirmer l'idée qu'il n'est décidément pas facile, en France, de parler de la violence éducative ordinaire à l'école... Et pas seulement par crainte de représailles des parents, mais aussi parce que les enseignants eux-mêmes semblent avoir du mal à considérer « la fessée » comme une forme de violence ! Pris au dépourvu, cet enseignant a cherché désespérément à établir la différence entre une forme de violence ordinaire « acceptable » (sinon souhaitable !) et ce qu'il appelle lui-même « maltraitance ». Notons tout de même que, selon ses propres critères, le quart des enfants de sa classe sont donc victimes de « maltraitance » ! Et plus de la moitié des enfants se déclarent eux-mêmes « battus », que l'enseignant appelle cela « maltraitance » ou « fessée isolée ». On est en droit de penser que, sur les 11 élèves qui ne se sont pas déclarés « battus », une bonne partie ont tout de même reçu ou reçoivent plus ou moins régulièrement des fessées, sans parler d'autres formes de VEO comme les menaces, les punitions et les jugements dévalorisants…

    Extraits de l'article : « Ce devait [être] un cours de français ordinaire, ce matin de novembre, dans la classe de CE2 de M. O. […]. Mais, la conversation dérive sur la question de la maltraitance, et le débat tourne alors au grand déballage : 15 enfants sur 26 se déclarent subitement "battus" !

    Perplexité, panique (presque) de l'enseignant, qui précise pourtant à ses élèves, "qu'il ne faut pas confondre fessée isolée et coups répétés" et qui se sent soudain "très démuni". Que faire de ces témoignages pris sur le vif ? Comment protéger ces enfants ? Faute de réponse immédiate -réflexe- le maître conseille à ses élèves d'appeler le 119, le numéro d'appel d'urgence pour l'enfance en danger...

    "Ils sont quinze à se dire battus, mais il n'y a pas quinze enfants battus dans ma classe ", modère ce professeur des écoles qui exerce depuis plus de dix ans... Mais il se dit tout de même intimement convaincu que "sept le sont vraiment", étant donnés "leurs difficultés scolaires et leur comportement en classe". »

Cet article nous rappelle beaucoup l'article de Mme Claude Halmos, où il était question d'« une fessée, un jour » ! Et il nous montre que, décidément, il sera bien difficile de lutter contre la « maltraitance » tant que l'on cherchera à se convaincre que donner une « bonne fessée » n'a rien à voir avec « battre les enfants » ! Et tant qu'il sera dangereux pour un enseignant de faire un « petit sondage sur la fessée » dans sa classe…