Quand on a rencontré la violence pendant l'enfance, c'est comme une langue maternelle qu'on nous a apprise.

Marie-France Hirigoyen.

Et si la parentalité positive n’était pas si positive que cela ?

Par David Dutarte

Depuis plusieurs années, le Conseil de l’Europe, en parallèle à la demande d’interdiction des châtiments corporels et autres traitements humiliants envers les enfants dans ses États membres, fait la promotion de la parentalité positive. Mais que signifie réellement cette notion ?

Une parentalité qui respecte l’intérêt supérieur de l’enfant

Dans son discours tenu à l’occasion du lancement à Zagreb en 2008 de l’initiative du Conseil de l’Europe contre les châtiments corporels infligés aux enfants, Maud de Boer-Buquicchio, qui en est la secrétaire générale adjointe, explique que « la parentalité positive se réfère à un comportement parental fondé sur l'intérêt supérieur de l'enfant : elle vise à l'élever et à le responsabiliser et lui fournit reconnaissance et assistance pour lui permettre de s'épanouir pleinement. »

Un rapport intitulé Évolution de la parentalité : Enfants aujourd’hui, parents demain - La parentalité positive dans l’Europe contemporaine, basé sur des travaux de recherche, des articles et ouvrages de nombreux auteurs, publié par le Conseil de l’Europe et ayant servi de base à une conférence des ministres européens chargés des affaires familiales sur ce thème en 2006, présente en détail cette notion. On retiendra que « la parentalité désigne les ensembles actuels de relations et activités dans lesquelles les parents sont impliqués pour soigner et éduquer les enfants, [qu’elle] implique alors un ensemble de réaménagements psychiques et affectifs qui permettent à des adultes de jouer leur rôle de parents, c’est-à-dire de répondre aux besoins de leurs enfants sur les plans physique, affectif, intellectuel et social » (p. 10).

Plus précisément, on peut lire au sujet de la parentalité positive qu’« elle consiste à encourager la création de relations positives entre parents et enfants et à permettre à l’enfant de développer pleinement son potentiel » (p. 11).

Il est intéressant de noter que cette notion de parentalité est étroitement associée à la promotion des Droits de l’enfant et à la notion d’éducation non-violente, à qui il est fait une place tout aussi importante dans ce même rapport.

On peut aussi, pour en savoir un peu plus, lire le paragraphe intitulé : Qu’est ce qu’une parentalité qui ne tient pas compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ?

La réponse est assez claire (p. 22) :


« C’est une parentalité où le développement psychophysique de l’enfant est gêné par des actes ou des omissions dus à un manquement des responsabilités des parents vis-à-vis des principes de l’intérêt supérieur de l’enfant (et de son droit à un développement maximal).

« Les façons dont les parents peuvent blesser un enfant ou nuire à son développement sont très nombreuses. Nous n’en mentionnerons que quelques-unes. Il y a maltraitance physique lorsque les parents infligent ou menacent d’infliger une douleur et/ou une blessure corporelle, ce qui recouvre des actes tels que pousser l’enfant, lui donner une claque, le frapper du poing ou à l’aide d’un objet, lui tirer les cheveux, lui donner des coups de pied, le secouer, l’attacher etc. Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, les agressions physiques sont souvent des punitions corporelles qui dégénèrent [sic]. »


Le rapport aborde ensuite les violences que sont l’abus sexuel et la négligence. Puis on peut lire (p. 23) :


« Tandis que les comportements cités ci-dessus constituent des atteintes flagrantes à l’intérêt supérieur de l’enfant, le consensus semble légèrement plus fragile en ce qui concerne la reconnaissance de la maltraitance et de la négligence affectives comme violations des droits de l’enfant. Selon [une étude citée dans ce rapport], la maltraitance et la négligence affectives recouvrent les attitudes suivantes :

• L’absence de disponibilité affective, la non-réceptivité et la négligence (les parents sont incapables de réagir aux besoins affectifs de l’enfant en raison des préoccupations causées par leurs propres difficultés) ;

• Des présomptions négatives ou erronées portées sur l’enfant (hostilité et rejet, l’enfant perçu comme le méritant) ;

• Interactions incohérentes ou inappropriées pour le développement (attentes développementales irréalistes de la part de l’enfant, surprotection et limite de l’exploration et de l’apprentissage, exposition à des événements et interactions traumatisants et trompeurs, [par exemple] incitant l’enfant à avoir peur ou à se sentir en danger) ;

• Incapacité à reconnaître l’individualité de l’enfant et les frontières psychologiques (en utilisant l’enfant pour remplir les besoins psychologiques des parents, l’incapacité à faire la distinction entre la réalité de l’enfant et les convictions et souhaits des adultes) ;

• Incapacité à favoriser l’adaptation sociale de l’enfant (promotion d’une mauvaise socialisation, négligence/échec psychologique à apporter une stimulation cognitive adéquate et/ou des possibilités d’apprentissage par l’expérience). »


Il semblerait donc qu’il y ait violence et violence… Au sein de l’OVEO, nous sommes convaincus que les attitudes décrites ci-dessus font partie du champ de la violence éducative ordinaire.

Quelles sont donc les conséquences de ce consensus fragile ?

Sur le site du Conseil de l’Europe, on trouve tout d’abord une brochure sur la parentalité positive qui reprend les termes du rapport ci-dessus. On peut y lire que le principe de parentalité positive se fonde sur plusieurs principes fondamentaux, dont celui-ci :

« Une éducation non violente – excluant tout châtiment corporel ou psychologiquement humiliant. Les châtiments corporels constituent en effet une violation du droit de l’enfant au regard de son intégrité physique et de sa dignité humaine. »

Et juste en dessous :

« En bref, les enfants réussissent mieux quand leurs parents : […]
- les complimentent lorsqu’ils se comportent bien ;
- réagissent à leur mauvaise conduite en leur expliquant pourquoi ils n’ont pas bien agi et en recourant, si nécessaire, à des punitions non violentes, comme leur imposer une mise à l’écart temporaire, leur faire réparer les dommages causés, ou encore leur donner moins d’argent de poche, et à d’autres sanctions de ce type, plutôt que les punir sévèrement.
»

On trouve aussi actuellement sur le site du Conseil de l’Europe un lien vers un document de l’UNODC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime) intitulé Compilation of Evidence-Based Family Skills Training Programmes (Ensemble de programmes reconnus scientifiquement de développement de compétences pour les familles), et directement associé à la notion de parentalité positive. La plupart des programmes présentés dans cette brochure font appel, entres autres, à deux techniques éducatives en vogue dans les pays anglo-saxons et qui apparaissent en Europe depuis quelques années : le renforcement du comportement adéquat ou positif et le time-out (mise au coin ou à l’écart, isolement, ignorance de la personne).

L’utilisation des ces méthodes n’a dans tous les cas pour seul objectif que d’obtenir un changement du comportement de l’enfant et marque le passage d’une relation sujet-sujet à une relation sujet-objet. Elles sont clairement une atteinte à la dignité de l’enfant et loin d’être en accord avec ce que pourrait être l’intérêt supérieur de l’enfant, tant elles sont des formes ordinaires de violence éducative.

Ayant à l’esprit la fragilité évoquée ci-dessus du consensus sur les maltraitance et négligence affectives et les informations qu’on trouve sur le site du Conseil de l’Europe concernant la parentalité positive, doit-on alors s’étonner de la teneur des échanges rapportés ci-dessous entre Hervé Mariton, Edwige Antier et Maud de Boer-Buquicchio lors du débat sur l’interdiction des châtiments corporels à l’Assemblée nationale en juin 2010 ?

Extraits de l’acte des débats (p. 22) :


Hervé MARITON - Une question tout à fait incidente, naïve, est la suivante : lorsqu'un parent dit à son enfant : « Puisque tu as fait quelque chose de mal, je t'interdis de sortir de ta chambre jusqu'au dîner », comment est-ce que l'on qualifie, dans notre affaire, une décision de cette nature ?

Dr. Edwige ANTIER - Là, je vais parler en tant que pédiatre : je trouve que c'est une très bonne réaction, c'est comme ça que l'on met des limites : « chacun chez soi ».

Hervé MARITON - Ce n'est donc pas une violence ?

Dr. Edwige ANTIER - Pas du tout ! Et je crois que tout le monde est d'accord ?

Maud de BOER-BUQUICCHIO - Mettre « au coin » un petit, c'est très bien, ça donne le temps de réfléchir.

Dr. Edwige ANTIER - Je préfère même « dans ta chambre » que « au coin », devant tout le monde...

Hervé MARITON - Si je me permets, Edwige, de [te] dire : « Tu as dit hier des âneries aux quatre colonnes [?] et donc je t'interdis de sortir de ton bureau pendant 48 heures », c'est quoi ça, c'est pas une violence ?

Maud de BOER-BUQUICCHIO - C'est une entrave à la liberté de circulation, c'est tout !


Nous avions déjà émis des réserves à la sortie du livre d’Edwige Antier, L’Autorité sans fessée, dans lequel elle prône certaines méthodes comme l’isolement temporaire pour remplacer la fessée, méthodes qui restent à nos yeux du même ordre tout en constituant un outil pour garder l’autorité et entretenir avec l’enfant une relation de pouvoir et de soumission qui ne respecte pas ses besoins.

Peut-on alors, sachant tout cela, réellement parler de parentalité positive ? Non ! Le croire, c’est se mentir et mentir à nos enfants.

Depuis plusieurs années, plusieurs voix se font entendre à travers le monde pour dénoncer ces méthodes ou techniques éducatives :

- Alfie Kohn (Etats-Unis, auteur entres autres de Unconditional Parenting, « La Parentalité inconditionnelle » et Punished by Rewards, « Punis par la récompense ») propose aux parents de passer de la question « Que faire pour que mon enfant fasse tout ce que je lui demande ? » à « Quels sont les besoins de mon enfant et comment satisfaire ces besoins ? ». Il dénonce l’amour parental sous conditions dans un très bel article intitulé Quand “Je t’aime” signifie “Fais-ce que je te dis !”.

- Jesper Juul (Danemark, thérapeute familial et auteur entres autres de Dit kompetente barn, « L’enfant compétent » [traduction à paraître en février 2012 chez Chronique sociale]) affirme que tout commence par la reconnaissance de l’enfant en tant qu’être et non « devenir ». Il insiste aussi sur « l’importance pour les parents d’assumer pleinement la responsabilité de la qualité des relations avec l’enfant. » Il parle en terme d’ « autorité personnelle, c’est-à-dire qui découle d’un parent qui est authentique, une personne [responsable], quelqu’un qui a de l’intégrité, qui prend soin à satisfaire ses propres besoins, respecter ses limites et valeurs. » Il insiste sur le fait que « ces principes perdent naturellement de leur impact et de leur crédibilité s’ils n’incluent pas le respect de l’intégrité de l’enfant. Dès que l’adulte commence à user de son pouvoir pour définir l’enfant et qu’il parle de l’enfant ou le fait entrer dans une catégorie, la dignité d’égal à égal cesse et le résultat est un abus de pouvoir. »

- Lars H. Gustavsson (Suède, auteur de nombreux livres sur l’éducation des enfants, dont le plus récent : Växa – Inte lyda ! « Grandir – et non pas obéir ! ») s’interroge sur le retour de certaines formes de violence éducative, comme le time-out, jusque dans les institutions de l’enfance de son pays, cela malgré l’interdiction datant de 1979 de toute forme de violence envers les enfants. Il rejoint aussi Juul pour mettre en avant la notion de réciprocité, pour affirmer que l’éducation est un dialogue et en même temps une possibilité et une chance, pour les parents comme pour les enfants, de grandir et de s’épanouir en tant qu’être humain.

Les ouvrages de ces trois auteurs mériteraient d’être connus de tous. Ils ont malheureusement en commun de ne pas encore être à ce jour traduits en français. Leurs auteurs dénoncent en tout cas haut et fort l’utilisation par les parents et professionnels de l’enfance de méthodes éducatives qui n’ont pour objectif que la soumission de l’enfant à l’adulte. Ils rejoignent en cela la pensée d’Alice Miller qui, dans C’est pour ton bien, posait déjà la question : Existe-t-il une pédagogie blanche ? Plus encore, elle affirmait : « C’est l’éducateur, et non l’enfant, qui a besoin de la pédagogie » et ne cessait de répéter « Ouvrez les yeux ! Ouvrez les yeux sur ce que vous avez subi étant enfant ! » Prendre conscience des souffrances vécues durant l’enfance est le seul moyen de s’en délivrer et d’arrêter l’engrenage de la violence éducative.

Apprenons donc à nous connaître. Osons affronter nos blessures pour nous en libérer. Essayons d’être responsables et de respecter l’intégrité de nos enfants. Traitons-les comme nous voudrions qu’ils nous traitent, c’est-à-dire avec dignité. Cessons d’élever nos enfants à l’aide de méthodes et d’en justifier l’usage en les habillant de doux nom comme « éducation » ou « parentalité positive ».

Ouvrons les yeux : être parent, c’est faire un travail sur soi et non sur l’enfant !


Sources :
Discours de Zagreb
La brochure du Conseil de l'Europe n'est plus disponible en ligne. Les publications mises à disposition sont ici
Rapport sur la parentalité positive
Actes des débats à l’Assemblée
Rapport du L’UNOCD (en anglais) sur le site du COE


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