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Rencontres de l’OVEO le 21 octobre : une journée dédiée aux questions de violence éducative et de domination adulte

(Article mis à jour le 16 octobre 2023)

L'OVEO organise le 21 octobre une première édition des "Rencontres de l'OVEO" à l’École démocratique de Paris (6-8 rue Léon Giraud, 75019 Paris).

Cette journée sera l'occasion de 15 contributions sur la domination adulte et la violence éducative ordinaire et d’ateliers militants. Les contributions se feront sous la forme de 3 tables rondes.

L'objectif de ces Rencontres est de mettre en place un réseau de personnes sensibilisées et concernées par la critique des dominations subies par les plus jeunes.

La journée commencera à 8h30 par un temps d’accueil, puis suivront les tables rondes dans lesquelles seront présentées témoignages, communications scientifiques, partages d’expériences militantes et interventions artistiques.

Des ateliers militants seront organisés l'après-midi sous forme d’échanges libres (méthode du forum ouvert) autour de thématiques proposées par les participant·es et par l’OVEO.

Enfin, la journée se conclura par un temps festif et convivial.

> Voir le programme complet (.pdf)

Les thèmes abordés lors de cette journée seront nombreux : violence éducative ordinaire, domination adulte, infantilisation des groupes sociaux dominés, âgisme, politisation de l’enfance, rapports de domination et de pouvoir, éducationnisme, etc.

Les Rencontres sont complètes actuellement, cependant nous avons mis en place une liste d'attente : https://oveo.limesurvey.net/978665?lang=fr

Nous vous recontacterons dès que des places se libèrent.

C'est avec beaucoup de joie que nous vous retrouverons ou vous rencontrerons le 21 octobre.

L’équipe d’organisation des Rencontres de l’OVEO

De l’origine radicale du mal : la preuve par Gaza ?

Publié Par Catherine Barret Sur Dans Accueil,Point de vue de l'OVEO sur l'actualité | Commentaires désactivés

Nous publions ci-dessous le point de vue de deux militantes de l’OVEO qui dénoncent le génocide en cours à Gaza, qui atteint en premier lieu les plus jeunes.


Photo : Nils Huenerfuerst (Unsplash)

Par cahty malherbe et Daliborka Milovanovic

La lutte contre la violence éducative et la domination adulte ne doit pas s’arrêter aux portes de l’Occident, mais doit intégrer une préoccupation décoloniale, à savoir la question de la colonialité et sa déconstruction. L’enfantisme((Construit sur le modèle de « féminisme », le terme « enfantisme » désigne les luttes en faveur des intérêts des enfants. L’enfantisme revendique une égalité de dignité et de respect entre enfants et adultes, l’abolition des rapports de domination adultiste et des conditions de vie décentes et sûres pour toutes les jeunes personnes. Il est entendu que les luttes enfantistes doivent intégrer tous les enfants et toutes les jeunes personnes (et pas seulement « nos chères têtes blondes »), quelles que soient leur nationalité, la couleur de leur peau, leur religion, leur classe sociale, leur sexe et tout autre critère discriminant.)) ne doit pas rester « blanc », ou « occidentalo-centré », comme le sont encore trop souvent aujourd’hui les luttes féministes.

En 2012, Olivier Maurel a proposé une formule d’une grande pertinence, pour qualifier l’aveuglement de celles et ceux qui, dans le champ des sciences humaines, réfléchissent aux causes et aux processus du phénomène violence : le trou noir((La Violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines, Olivier Maurel, L’Instant présent, 2012.)). Ce « trou noir », c’est à la fois celui de l’absence ou de la rareté des recherches sur les effets à long terme de la violence éducative ordinaire, notamment les effets sur le destin social, politique et historique des humains, et celui de la mémoire traumatique des victimes que nous avons presque toutes et tous été de ce type particulier de violence. Notamment en histoire et en sciences politiques, il ne vient presque jamais à l’idée des chercheur·euses (sauf exception1) que les conditions de l’enfance d’un groupe de dirigeants ou d’une population donnés aient pu sérieusement déterminer le cours de leur histoire.

Même les fonctionnaires nazis sont, dit-on, au bout du compte, des « gens normaux », « qui n’étaient pas fous, n’avaient pas de problèmes pathologiques particuliers((L'historien Johann Chapoutot à propos du film La Zone d'intérêt.)) », et pourtant, ils ont adopté cette vision utilitariste et réifiante de l’humain qui les a, par étapes, conduits à la Shoah. Nous postulons, avec d’autres, et notamment avec Alice Miller((Voir C’est pour ton bien. Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant, Aubier, 1985. Voir aussi le site consacré au travail d’Alice Miller, notamment son entretien avec Olivier Maurel et ses entretiens avec Thomas Gruner sur l'enfance et la politique.)), que la réification des êtres vivants (qui implique une déshumanisation et, plus généralement, le retrait ou la négation du caractère d’être sensible et pour soi d’un être vivant) est une des conséquences de la violence éducative ordinaire, et que cette dernière nourrit un terreau propice aux actes meurtriers. On aurait tort de croire que cette réification est le propre de la postmodernité. Elle est une disposition mentale qui affecte diverses civilisations probablement depuis des millénaires, mais qui n’est en rien constitutive de l’humanité. Aujourd’hui, c’est par Gaza que nous en avons une preuve supplémentaire : que « le mal » se dépose en l’enfance, par l’éducation, nourrissant, chez les survivants d’une telle destruction de leur sensibilité, la haine des enfants.

À Gaza, la moitié de la population a moins de 18 ans. En bombardant Gaza, le gouvernement israélien sait pertinemment que ce sont majoritairement des enfants qu’il assassine, qu’il blesse et qu’il affame((Voir également le traitement particulier réservé aux femmes enceintes qui sont empêchées d’accoucher dans des conditions dignes et sûres. Le fait qu’enfants et femmes soient les principales victimes de cette guerre menée contre les Palestinien·nes rend la caractérisation de génocide particulièrement pertinente car c’est le potentiel reproducteur des Palestinien.nes qui est réduit et mis en péril. Lire sur BBC News More than 30,000 killed in Gaza, Hamas-run health ministry says.)). Pourtant, si peu d’organisations de « protection » réagissent en France. Houria Bouteldja se pose la question dans son livre Beaufs et Barbares. Le pari du nous : « Les Blancs aiment-ils les enfants ? », et notamment les enfants des « autres », « les damnés de la Terre », dans la « zone du non-être » (Franz Fanon), les peuples colonisés, « altérisés », réifiés, les « animaux humains », a déclaré le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant en octobre 2023.

Les enfants des autres, ceux qui travaillent dans les mines pour extraire le métal de nos si précieux appareils électroniques, dans les plantations de cacaoyers pour récolter la précieuse fève qui fera la joie des petits Occidentaux ou l'anxiolytique de leurs parents, les enfants vendus au tourisme sexuel, les enfants soldats du Congo ou du Mali, et autres ravages du capitalisme qu’on préfère ne pas imaginer… Les enfants de Gaza, des dizaines de milliers assassinés par des snipers ou sous les bombes, blessés sans soins, brûlés par le phosphore blanc, amputés sans anesthésie (on parle de dix enfants par jour), enlevés par l’armée israélienne, torturés, mourant de soif ou de faim, orphelins, uniques survivants de leur famille… Ces enfants-objets, qui « n’ont pas d’âme((Voir le documentaire Almost friends.)) », semblent nous indifférer ; après tout, Israël est dans son droit, nous répètent les éditorialistes, envers et contre le droit international même. 

Mais Gaza, c’est loin, et il y a tant à faire chez soi, pense-t-on. Admettons. Mais sommes-nous vraiment si impuissants ? Nous nous permettons d’en douter, tant les intérêts économiques des grandes puissances commerciales mondiales en jeu, et dont nous sommes, engagent politiquement et moralement notre responsabilité. Nous profitons bel et bien de tous ces crimes. Notre pays commerce, il a signé des accords, il vend des armes, il protège ses zones d’intérêt. Et nous avons la sueur, la souffrance et le sang d’enfants sur les mains, ceux qui triment pour notre confort occidental mais aussi ceux de Gaza. 

Au risque de paraître excessifs, nous affirmons que notre mode de vie nous rend complices du génocide en cours à Gaza. 

Sommes-nous vraiment complices quand nous sommes dans l’ignorance des causalités ? demandera-t-on peut-être. La question est légitime : ce n’est ni à l’école de la République, ni dans les médias, qu’ils soient publics ou privés, qu’on exhibera notre responsabilité dans le malheur de tant de populations exploitées dans ce néocolonialisme qu’est la globalisation. Et puis, la chaîne des causalités est tellement longue et complexe qu’il y a trop de paramètres… Pourtant, pas tant que cela : cette chaîne, cet héritage de la violence, ce mal, et notre indifférence à celui-ci, prennent leur racine dans l’enfance. Et cela, nous y pouvons quelque chose. Il est temps de tirer les conséquences de la violence éducative et de la mémoire traumatique, et de briser la chaîne.

Cette violence, tant d'Israéliens l’ont reçue en héritage, celui des pogroms, de la Shoah, et celui d’un sionisme radical, nationaliste, raciste et étatique((Antisionisme, une histoire juive, textes choisis par Béatrice Orès, Michèle Sibony et Sonia Fayman, Syllepse. Voir également le site de l’UJFP (Union juive française pour la paix).)) ; un héritage funeste de la violence sans doute entretenu par une éducation militarisée((Voir sur FranceInfoTV cette chronique de 2018 sur le service militaire obligatoire et l’importance qu’il revêt dans la formation des jeunes. Des parents israéliens témoignent du militarisme dans l’éducation des jeunes Israéliens.)). On peut comprendre les traumatismes. Mais on ne doit jamais accepter que ces traumatismes soient rejoués sur les générations suivantes. Il n’y aura jamais assez de morts d’enfants palestiniens pour équilibrer les morts d’enfants juifs, telle est la réalité. Une telle comptabilité est folie. 

L’action la plus urgente, la plus profondément efficace, même si ses effets ne seront pas immédiats, c’est de comprendre comment la violence ordinaire dans l’enfance, le fait d’avoir été chosifié, de s’être vu dénier la qualité de personne et d’être sensible, fait de chacun de nous une bombe à retardement, indifférente à la souffrance d’autrui, comme nos éducateurs l’ont été face à la nôtre ; et de véritablement protéger, choyer et rendre leur pouvoir propre à tous les enfants, afin que dans le miroir de nos yeux reconnaissant pleinement leur sensibilité, iels reconnaissent celle de tous les êtres vivants. Car aucune violence n’est anodine, en particulier celle que l’on subit dans l’enfance et l’adolescence.

Pour conclure, nous souhaitons laisser la parole à Timothée, un jeune de 15 ans, qui, le 10 février 2024, à Dunkerque, dénonce le génocide à Gaza et en Palestine :

« [...] enfants de France où nous vivons en paix, [nous] devons soutenir les enfants opprimés du monde entier. Depuis la Nakba de 1948, l'État d’Israël fait la guerre aux enfants en attaquant les lieux de refuge comme les écoles et les hôpitaux. La puissance occupante arrête chaque année et met en prison des centaines d’enfants innocents âgés parfois d’à peine 12 ans qui ont pour seul crime le fait de jeter des pierres. Ils sont enlevés à leur domicile la nuit, arrachés de leurs familles, sont ligotés et torturés en détention par les forces israéliennes qui procèdent à ces arrestations sans mandat. Certains sont battus, privés de sommeil, et sont soumis à la torture physique et psychologique. Depuis le 7 octobre les arrestations n’ont fait que s'accroître, il y a plus de 200 arrestations d’enfants depuis cette date, sans que les enfants soient accusés d’un seul crime, l'État d’Israël les détient dans les prisons israéliennes et les définit comme terroristes. Les colons israéliens font la guerre aux enfants en les privant de toute liberté dans une prison à ciel ouvert comme s’ils avaient peur de l’avenir. Les officiers israéliens se présentent comme l’armée la plus morale du monde mais la vérité est tout autre, ils tuent l’humanité chaque jour en faisant subir la guerre aux enfants. Depuis le 7 octobre, la situation empire pour les Palestiniens et le projet génocidaire israélien est mis en œuvre chaque jour par son armée. Ce véritable génocide et le nettoyage ethnique doivent stopper.

Les habitants de Gaza souffrent, en quatre mois 28 000 habitants dont plus de 11 300 enfants ont été tués, les vies des Palestiniens et de ces enfants sont dévastées, 17 000 enfants sont éloignés de leur famille, l’État d’Israël détruit Gaza et ne laisse aucune aide humanitaire entrer, ils coupent l’eau, toute nourriture et tout espoir d’aide. L’État d’Israël est à l’apogée du génocide qu’il veut exercer sur la Palestine depuis des années. Comme d’habitude, les médias et les États occidentaux se taisent et confondent, le terroriste, c’est l'État d’Israël et les terrorisés, ce sont les Palestiniens. Nous savons que notre mobilisation est juste et maintenons mettre tout en œuvre pour faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils arrêtent de financer et de participer eux aussi à ce génocide. Continuons la lutte pour les Palestiniens et les enfants palestiniens comme pour tous les opprimés du monde. »


Notice sur l’usage du « nous »

© Daniel Garcia, 2016 (www.danielgarciaart.com)

Le « nous » employé dans le texte se réfère aux populations du « Nord global » (Europe occidentale, Amérique du Nord, mais aussi Australie, Israël, Japon, Nouvelle-Zélande), qui sont les consommateur·ices des biens massivement produits dans le Sud global, par ses populations exploitées et dont les ressources sont pillées. Il désigne également les populations dont les impôts directs et indirects servent à fabriquer des armes, qu’elles consentent ou pas à cette industrie meurtrière. L’illustration ci-contre, du dessinateur portugais Daniel Garcia, suggère de façon assez limpide le travail invisible auquel ces populations privilégiées doivent le luxe de confort de leur existence protégée de la guerre.

Au sein même du Nord global, on retrouve des territoires qui relèvent du Sud, en particulier dans les quartiers dit populaires où vivent les enfants racisé.e.s – notamment Noir.e.s et « Arabes », afrodescendant.e.s, enfants de familles originaires des anciennes colonies françaises et des régions appelées « Outremers » –, zones de non-droit où la violence que l’État français y déploie, par le bras armé de sa police, prend des allures de guerre menée contre les jeunes (une marche est organisée le 21 avril 2024 pour dénoncer le racisme et la violence de l’Etat français envers ces enfants qui, très souvent, sont adultisés, voir l'appel à la Marche du 21 avril 2024).

  1. Voir La psychohistoire : de l'origine du mal. []

Pour une véritable culture du consentement

Publié Par Catherine Barret Sur Dans Accueil,Les effets de la violence éducative ordinaire,Livres,VEO et premières années de vie | Commentaires désactivés

L’avènement d’une véritable culture du consentement ne peut faire l’économie d’une réelle éradication de la violence éducative ordinaire

Par Amandine C., membre de l'OVEO (mars 2023)

On ne peut que se réjouir de la libération de la parole des femmes qui, partout dans le monde, dénoncent en la révélant « l’épidémie mondiale » (Dr Denis Mukwege) de viols qu’elles ont subis et continuent à subir. Les législations, nationales et internationales, semblent sortir de la léthargie et de la cécité, bousculer le déni collectif. Les retours en arrière restent une menace omniprésente, mais en même temps, le flot enfin libéré des témoignages, le réveil, semblent ne pas pouvoir se tarir. Il en va de la responsabilité et de la crédibilité des autorités de ne plus faire la politique de l’autruche.

Il est à noter que la Suède, en 2018, avait été moquée pour sa nouvelle loi sur le viol exigeant un consentement mutuel explicite avant tout rapport sexuel et au cours de celui-ci : Yes means yes. Les railleries n’ont pas manqué pour tourner cela en dérision alors que le sens profond était oublié, ou en tout cas amputé de ses réelles implications. Est-ce un hasard si la Suède, premier pays à avoir aboli les châtiments corporels en 1979 et à mettre au cœur de ses politiques le respect du statut de personne de l’enfant, est aussi le premier à adopter une loi aussi pointilleuse ? Il reste intéressant que, dans ce pays où, depuis 1979, une génération entière a pu grandir dans une meilleur considération de la souveraineté du sujet, l’idée même de consentement apparaisse avec une évidence qui n’en est pas une pour la plupart des autres pays.

Dans son livre La Force des femmes((Voir notre compte-rendu sur le site de l’OVEO.)), le Dr Denis Mukwege évoque aussi les abus banalisés qui relèvent parfois d’un viol, lors des rapports sexuels au sein d’un couple a priori amoureux. Quand l’une se force pour ne pas décevoir celui qu’elle aime, que ce soit dès le début ou au cours de la relation sexuelle. Quand l’un considère que, puisque leur amour ou leur union ne fait aucun doute, il sait à chaque moment ce qui peut faire ou donner du plaisir à l’autre. Ce sont bien aussi ces situations limites que la Suède veut combattre par cette loi de 2018. Et ces situations plus ordinaires, moins explicites, sont, comme la violence éducative ordinaire, les premières et le reflet atténué de celles où une violence plus évidente et sans ambivalence est rendue possible par la banalisation des premières. Ainsi, la Suède ne devrait plus être raillé quand elle a mis en lumière qu’il n’existe pas de « petits abus ». Le corps de chacun n’appartient qu’à lui-même, et, à tout instant, chacun doit rester libre de dire « stop » ou « non », et surtout d’être entendu dans cette limite posée, sans craindre de représailles comme le rejet ou une violence accrue. On ne devrait ainsi en aucun cas renoncer à son ressenti et au respect de ses propres limites pour faire plaisir à quelqu’un, tel l’enfant qui se force à « finir son assiette » pour « faire plaisir à maman ». La comparaison peut choquer, et il ne s’agit pas ici de provoquer ni de minimiser la gravité des violences sexuelles, mais il me semble urgent de faire le rapprochement entre ce qui conditionne, « éduque » nos interactions affectives et plus largement sociales, et les violences((Quel que soit leur degré : sans nier l’horreur, il n’existe pas de « petite » violence qui serait acceptable.)) qu’elles peuvent nous faire un jour endurer.

Les violeurs ne sont pas nécessairement des psychopathes au départ, avant de passer à l’acte – le plus souvent, ce sont des gens « comme tout le monde »... –, mais ils sont toujours les anciennes victimes de profondes violences et négligences. Certains violent pour faire délibérément souffrir. D’autres le font sans penser aux conséquences pour leur victime, qu’ils ne prennent même pas en considération, celle-ci n’étant qu’un moyen, un objet pour assouvir leurs envies. D’autres enfin pensent sincèrement mieux savoir que la victime ce qu’elle désire ou apprécie, et là non plus ne comprennent pas sa réaction, ce qui peut décupler leur violence. Dans tous les cas, la victime est réduite, pulvérisée à l’état d’objet à la merci du vouloir de son agresseur. Celui-ci use aussi bien du chantage ou de la manipulation que de la force. Le rapport de forces est d’ailleurs inégal, autant du point de vue physique que psychologique. La résistance peut se payer d’une violence accrue, et cela, la victime l’a souvent déjà expérimenté à divers degrés. La vulnérabilité se renforce dès le plus jeune âge si aucun « témoin secourable » (Alice Miller) ne nous apprend que personne, jamais, n’a le droit d’user de sa force, de son pouvoir sur nous – qu’il vienne de la masse musculaire, de la taille, de la position sociale ou hiérarchique ou autre – pour nous soumettre et nous faire du mal, même lorsqu’il est prétendu « pour notre bien ». Aucune soumission n’est jamais justifiée, si ce n’est par un réflexe de survie. La mémoire traumatique de violences, plus ou moins ordinaire, que nous avons subies ou dont nous avons été témoins, vient encore compliquer tant le discernement de l’agresseur que la prise de conscience par la victime de ce qui la menace ou de ce dont elle doit être reconnue victime.

Le Dr Mukwege n’a aucun doute sur le rôle prédéterminant des violences éducatives subies (châtiments corporels, exposition à des scènes ou images violentes – y compris pornographiques –, violences psychologiques...) dans les passages à l’acte des violeurs. C’est bien leur capacité d’appréhender autrui comme un sujet, et plus largement leur empathie, qui ont été atrophiées et par moments anesthésiées, ou carrément brisées. La responsabilité individuelle des violeurs, comme de tout criminel, interpelle bien, autant en amont qu’en aval de leurs crimes, la responsabilité de la société dans son ensemble, et les cas de violence extrême sont autant révélateurs que favorisés par les cas plus tristement ordinaires que la société laisse perpétrer et perdurer.

La violence éducative ordinaire, intentionnellement ou pas, réduit l’enfant à l’état d’objet : objet de soins, objet d’attention ou d’inquiétudes... Elle dépossède l’enfant de son propre corps. Je ne sais plus qui parlait de « viol des orifices » qui débute à la naissance : malgré les recommandations de l’OMS répétées depuis près de vingt ans((Recommandations de l’OMS en 2018, mises à jour en 2022.)), nombre de nouveau-nés se voient en effet encore infliger des gestes routiniers invasifs au nom d’une prophylaxie pourtant désuète et même reconnue iatrogène – collyre dans les yeux, vérification (via introductions dans nez, bouche et rectum) de la perméabilité des choanes, de l’œsophage et de l’anus... À peine sorti du ventre de sa mère, le petit humain subit encore bien trop souvent ces gestes intrusifs qui sont, de fait, les premières expériences sensorielles de sa vie aérienne. D’entrée, le monde extérieur lui signale que ce genre d’agressions, encore largement systématisées sans gestes d’appel, sont normales et même réalisées « pour son bien ».

Il s’agit certes de protocoles médicaux, mais ils représentent autant des séquelles que des prémices aux violences commises au nom de l’éducation, du bien de l’enfant((Voir l’article La violence obstétricale ordinaire, séquelles et prémisses de la violence éducative ordinaire.)). Comme elles, ils sont non seulement ordinaires et encore trop peu remis en cause, mais aussi révélateurs d’une culture malade de ses refoulement et de sa cécité, qui freine fortement les avancées en termes de bientraitance mettant plus rapidement les protocoles en phase avec les recommandations actualisées((La naissance, la périnatalité représentent un moment fondateur, mais aussi révélateur, comme un zoom de la culture où elles se situent. L’historien Jacques Gélis estimait ainsi que la violence d’une société se mesure à la manière dont elle accueille ses nouveaux membres.)).

Notons aussi que peu de nouveau-nés, au XXIe siècle, peuvent encore rester les initiateurs et les chefs d’orchestre qui décident de leur naissance et de la cadence de celle-ci. Cela ne fait que s’accélérer depuis la fin du XXe siècle : nombre de naissances sont désormais déclenchées, au motif de mieux les accompagner, au point que des sages-femmes de certaines maternités américaines((On peut entendre leurs témoignages dans le documentaire de 2008 The Business of Being Born.)) (et peut-être, aujourd’hui, de certaines cliniques françaises ?) n’ont jamais vu de naissance spontanée. La quasi-totalité des naissances sont accélérées : on perce la poche des eaux, on manipule le fœtus, on injecte de l’ocytocine de synthèse. À ce propos, le Dr Michel Odent s’inquiète de ce que cette dernière court-circuite et annihile l’ocytocine naturelle sans en remplacer la fonction affective : elle n’en reproduit que l’effet mécanique sur l’utérus, sans permettre au fœtus de s’imprégner de ce « shoot » premier et primordial de l’hormone du bien-être et de l’amour. Pour ce spécialiste renommé de la naissance, cela ne peut pas être sans incidence sur l’individu comme sur le tissu social. Il fait l’hypothèse que cela peut être une cause, au moins facilitante, de l’affaiblissement du lien, de l’empathie, et de l’augmentation des chiffres évoquant une augmentation significative des diagnostics de troubles autistiques... Ce qui est déjà certain, c’est que l’ocytocine est indispensable et ne peut plus jouer pleinement son rôle. A contrario, l’ocytocine de synthèse, utilisée elle aussi de manière systématique sans signes d’appel, peut avoir des effets iatrogènes dont la femme comme le nouveau-né sont les premières victimes potentielles.

Notons au passage qu’il est rare (ou carrément inédit) qu’une équipe médicale respecte scrupuleusement les lois Kouchner et s’enquière du consentement – qui, de plus, doit être éclairé et non obtenu sous les menaces brandies – de la mère qui subit ces interventions le plus souvent inutiles et délétères. Plus largement, il est notable que les lois Kouchner restent peu appliquées, pour diverses raisons, tant structurelles que de fond, puisque la posture du « sachant » / « soignant » s’inscrit dans la lignée de celle de l’éducateur et sur une culture intériorisée de soumission, favorisée et majorée par un contexte médical où l’on est, de fait, vulnérabilisé par un état physique ou une situation déstabilisants.

La naissance est une empreinte, on le sait depuis bien longtemps maintenant. Son respect est bien un enjeu éducatif majeur du corps social et médical dans son ensemble, et il imprègne les premiers liens entre le petit humain et ses parents. Je ne m’étends pas plus ici sur ce passage initiatique, lui ayant déjà consacré un article à part entière, mais il est important pour notre propos actuel de le rappeler.

Comme le souligne encore le Dr Odent, la naissance a ainsi de tout temps été perturbée, ritualisée par des cultures qui ont toujours interféré dans un processus fondamentalement involontaire, et a priori physiologique dans sa grande majorité. Mais, d’une part, nous avons désormais assez de moyens et de connaissances scientifiques valides pour remettre cela en cause, d’autre part, c’est un phénomène récent dans l’Histoire que l’on interfère à ce point, jusque sur les subtiles interactions hormonales qu’on a voulu « scientifier » et synthétiser((Dr Michel Odent, L’Amour scientifié, 2001, rééd. Le Hêtre-Myriadis, 2014, 2017 ; Le Fermier et l’accoucheur, 2004, rééd. 2017.)).

Ces premières expériences et empreintes quelque peu bousculantes sont ensuite, le plus souvent, renforcées par des habitudes encore tenaces. Si le nouveau-né est désormais reconnu comme une personne à part entière à qui l’on parle, qui bénéficie d’anesthésies en cas d’opération, que l’on accueille presque toujours avec tendresse et attention, son traitement reste encore trop souvent conditionné par l’image de « tube digestif » qui lui colle à la peau. La confiance en sa sensibilité, ses capacités inouïes de discernement et de communication, fait encore défaut. Au point que parfois, la seule raison qui détourne une jeune mère de l’allaitement au sein est le fait de ne pas pouvoir contrôler la quantité de lait que son petit ingère. Ainsi, c’est l’adulte qui fixe le moment et la quantité du nourrissage du petit d’homme, y compris dans l’allaitement au sein qui reste souvent soumis à des normes de fréquence et de durée standardisées. J’ai vu des bébés gavés, littéralement, par des parents inquiets qu’il puisse manquer. La diversification alimentaire, décidée et orchestrée par l’adulte selon les normes pédiatriques standards, peut encore aggraver ces ingérences, cela avec les meilleures intentions et le souci de bien faire. Malgré les études scientifiquement validées qui nous y invitent fortement, l’observation du petit d’homme, la confiance en ses aptitudes ne sont pas encore entrées dans les mœurs.

Il en va de même pour le sommeil : c’est l’adulte qui saurait quand et combien de temps le petit doit dormir, et cela souvent sans grande flexibilité selon les contextes variés qui rythment le quotidien.

On évoque par ailleurs régulièrement, lorsqu’on dénonce l’adultisme et l’autoritarisme – qui lui laissent peu de place pour se déployer pleinement, librement et sans peur de sanctions ou d’abandon – la souveraineté de sujet de l’enfant((L’OVEO a ainsi proposé de nombreux textes sur différents paramètres du quotidien des enfants et des jeunes qui illustrent à quel point la volonté des adultes écrase le « sujet » enfant, la plupart du temps par souci de bien faire, mais dans l’inconscience d’une part de ce que leur propre vécu a incorporé, d’autre part des besoins profonds et des aptitudes des enfants.)). De fait, dans nos interactions avec les adultes, sauf pour de rares et chanceuses exceptions, nous apprenons, à divers degrés et que ce soit dans nos foyers ou à l’école, à nous conformer. Nos adaptations sont souvent aussi des amputations. Nous apprenons la dépendance, l’impuissance, la peur de l’abandon, la soumission... Autant de poisons qui rongent l’estime de soi, la confiance et tous nos élans d’enfants. La créativité s’entache de la peur de se tromper, d’être jugé ou rejeté. L’empathie peut même s’anesthésier pour arriver à survivre à trop d’émotions douloureuses.

Les adultes qui nous ont accompagnés, eux-mêmes prisonniers de leurs propres conditionnements incorporés et pour la plupart refoulés, n’ont pas voulu cela, mais leur propre déni les empêche même de prendre conscience de ces conséquences délétères de la « bonne éducation » qu’ils nous inculquent.

Ainsi la violence éducative ordinaire devient-elle le terreau de toutes les violences plus ou moins ordinaires. Bien sûr, on peut toujours revisiter et soigner son histoire pour s’en libérer et se retrouver. Mais cela reste coûteux et incertain, tant la violence éducative est pernicieuse, car souvent invisible et incorporée, donc non conscientisée. On trouve souvent d’autres raisons à notre mal-être ou à la somatisation, et la cécité générale des thérapeutes comme de l’ensemble du corps médical n’aide pas à nous détromper de ces fausses explications. On passe ainsi parfois une vie entière à souffrir et à se soigner en restant à côté de la vraie source de nos maux. Se préserver de toute forme de violence vaut toujours mieux que d’y survivre et de se réparer. Car les rechutes, même avec un travail thérapeutique, restent possibles lorsque nous nous retrouvons dans un état de vulnérabilité. Guérir de son enfance peut prendre beaucoup de temps, et pour certains, les cicatrices resteront autant de fissures propices à de nouvelles violences (voir les travaux du Dr Muriel Salmona sur la mémoire traumatique).

Éradiquer la violence éducative ordinaire, c’est donc transformer la culture de l’impuissance en culture de la responsabilité, la culture de l’obéissance et de la soumission en celle de la bien-traitance, la culture du viol en celle du respect et du consentement. Éradiquer la violence éducative ordinaire, c’est renouer avec notre humanité originelle, notre empathie fondamentale qui empêche de commettre et d’avoir à subir tout abus et toute violence.

Enquête de l’OVEO : 5 ans après le vote de la loi “relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires”, où en est-on ?

Publié Par Sophie Sur Dans Accueil,LA VEO À LA LOUPE,Nos actions | Commentaires désactivés

Le 10 juillet 2019 a été adoptée la loi “relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires”, inscrivant dans le Code civil que “l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques”.

Près de cinq ans plus tard, l’OVEO souhaite établir un bilan de cette loi, en interrogeant les professionnel·les de l’enfance et de la parentalité.

Voici le lien pour répondre à cette enquête : https://forms.gle/pUH9burgMV2oZRp88
Les réponses permettront de nourrir notre état des lieux et nos préconisations.

Nous vous remercions pour votre contribution et pour la diffusion la plus large possible dans vos réseaux professionnels !

La violence éducative toujours dans le « trou noir » de la psychanalyse

Publié Par Catherine Barret Sur Dans Accueil,La VEO dans la psychanalyse,Livres | Commentaires désactivés

Par Olivier Maurel

En 2010 et 2011, pour vérifier dans quelle mesure les sciences humaines tenaient compte de la violence éducative ordinaire sur les enfants, j’ai étudié tous les livres publiés en français sur la violence humaine aux environs de l’an 2000, et j’ai présenté le résultat de ce travail dans un livre : La Violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines (L’Instant présent, 2012).

Les Figures de la cruauté. Entre civilisation et barbarie (éditions In Press)

Or, une correspondante m’a signalé un livre plus récent qui se présente aussi comme une étude globale sur un aspect de la violence : la cruauté. Ce livre s’intitule : Les Figures de la cruauté. Entre civilisation et barbarie (éditions In Press). Il s’agit en fait d’un recueil d’articles publié en mai 2016 et résultant d’un séminaire organisé sur la saison 2014-2015 par l’association Schibboleth – Actualité de Freud, et dont la quasi-totalité des participants (35 sur 40) étaient psychanalystes. Ce livre, de plus de 600 pages grand format, a été conçu dans « le cadre des activités scientifiques » de cette association. Il réunit une quarantaine d’auteurs, ce qui représente un bon corpus pour savoir si, quinze ans après l’an 2000, la psychanalyse accordait à la violence éducative ordinaire une place un peu plus importante qu’elle ne le faisait (ou plutôt qu’elle ne le faisait pas) quinze ans avant. Je me suis donc procuré ce livre et je l’ai lu de près.

La violence éducative largement sous-évaluée

Bonne nouvelle : cinq intervenants sur quarante font allusion (pardon pour l’énumération qui suit !) à la maltraitance subie par les enfants, à « l’importance d’une relation affective satisfaisante, rassurante », au fait que certains adolescents aient été abusés, aux carences, aux sévices, voire aux tortures dont « la biographie des tueurs en série est quasiment toujours marquée », à « l’agonie primitive » qui a offensé le potentiel d’humanité du bébé, à « la cruauté dont la famille peut être le lieu d’expression », aux familles maltraitantes ou carencées, aux parents défaillants, au lieu de sécurité que devrait être la famille, à la violence ordinaire, au « coup qui ne laisse pas de trace », au silence au lieu de la parole, au mépris au lieu de l’attention, à la violence morale souvent plus redoutable que la violence physique, à l’autorité « très souvent exercée de façon abusive », à la violence verbale, émotionnelle ou sexuelle, aux mauvais traitements, à la négligence, aux familles « à transactions violentes ».

Cette longue énumération peut faire illusion, mais elle était nécessaire pour prendre la mesure de la place accordée en réalité à la violence éducative dans ce livre de 600 pages, car elle représente la totalité des mentions concernant la violence éducative et la maltraitance et, comme on le voit, elle tient en une dizaine de lignes. Et la portée de ces mentions est toujours limitée à « certaines familles », « certains adolescents », comme si ces pratiques n’étaient subies que par une minorité infime d’individus.

Mais ce n’est pas tout. Sur les cinq auteurs à qui on doit ces lignes, un seulement est psychanalyste. Les quatre autres sont psychiatres, c’est-à-dire plus conscients, par leur formation, de la réalité des violences subies par les enfants. Quant au seul psychanalyste parmi ces cinq auteurs, le seul exemple de « cruauté familiale » qu’il parvient à mentionner, c’est celui de Folcoche dans Vipère au poing, d’Hervé Bazin, c’est-à-dire un cas extrême de maltraitance et datant de près d’un siècle.

Une vision aberrante de l’enfant pour dissimuler la responsabilité les adultes

Parmi les quatre auteurs sur cinq non psychanalystes, un auteur, Jacques Amar, docteur en droit et sociologie, évoque la fessée. Mais à peine a-t-il mentionné « l’expérience décrite par Jean-Jacques Rousseau dans les Confessions », et cité le jugement de Freud porté sur cette « expérience » : « La stimulation douloureuse de l’épiderme fessier est connue de tous les éducateurs, depuis les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, comme une des racines érogènes de la pulsion passive de cruauté », qu’il rajoute une citation de Groddek, que Freud considérait comme un « splendide analyste » : « L’enfant veut être battu, il en rêve, il se consume d’envie de recevoir une raclée. Et par une sournoiserie qui se manifeste de mille façons, il tâche de susciter la punition », ce qui nous fait retomber dans les aberrations psychanalytiques : si les parents frappent les enfants, c’est que les enfants veulent ardemment et « sournoisement » être frappés. Sales gosses !

Jacques Amar va cependant plus loin. Il évoque deux personnalités qui veulent supprimer la fessée comme méthode éducative : Alexander S. Neill, l’auteur de Libres enfants de Summerhill, et Alice Miller. Il cite une dizaine de lignes de l’article qu’elle a publié sur son site : Il n’y a pas de bonne fessée, ce qui pourrait être méritoire. Mais c’est pour conclure : « Dès lors, vouloir interdire la fessée revient soit à vouloir changer la nature de l’enfant dont les multiples expressions de ses pulsions forment autant d’éléments constitutifs de sa future personnalité, soit à promouvoir un changement de société tellement profond qu’il en modifierait l’équilibre politique. » Autrement dit, interdire la fessée est irréaliste. Mais, pire : ce serait « une figure de la cruauté » qui disparaîtrait « pour mieux se draper du masque de la violence dont la statistique ne retient que les faits pour mieux ignorer l’intention. La violence c’est la cruauté débarrassée de l’intention ; la cruauté, c’est la violence pour la violence. » Si l’on comprend bien ces formules sibyllines, l’interdiction de la fessée serait non seulement irréaliste mais aussi hypocrite.

L’enfant responsable de la violence qu’il subit

Est-il nécessaire d’ajouter que, dans ce livre sur la cruauté de 600 pages qui se présente comme « scientifique », on ne trouve pas la moindre mention – même sous forme d’allusion – du fait que, depuis au moins cinq millénaires, dans toutes les sociétés dotées d’une écriture, les enfants ont été traités à coups de bâton, de fouet et autres instruments contondants, non pas exceptionnellement mais quotidiennement, tout cela étant attesté par une multitude de témoignages et de proverbes invitant expressément les parents à battre leurs enfants et les enseignants à battre leurs élèves. Tout cela n’a apparemment rien à voir avec la cruauté, aux yeux des psychanalystes.

Mais il y a pire encore. Quelle naïveté que d’aller chercher la cruauté dans les bastonnades subies depuis des millénaires par les enfants ! Pour la quasi-totalité des psychanalystes auteurs des articles de ce livre, « la cruauté entre pulsions de vie et pulsions de mort » est présente « tout au long du développement » de l’enfant (p. 67). Loin de la subir, ce sont les enfants qui en sont la source ! La « violence fondamentale », ainsi nommée par Bergeret en 1984, est « préobjectale, préœdipienne », c’est-à-dire présente dès la naissance du bébé. « Intimement liée à la dynamique du narcissisme primaire, elle est naturelle, innée, nécessaire à la vie et à la survie de l’individu, mais aussi de l’espèce. » (P 67). Elle est « proche de la notion d’emprise » et recouvre « un besoin primitif de toute-puissance sous peine d’angoisse de mort » (p. 68).

Le nourrisson est non seulement violent, mais il est haineux. Sa haine « se rapproche en fait de l’envie kleinienne à l’égard du contenu maternel ». Car, comme chacun sait, le nourrisson rêve de dévorer (avec les dents qu’il n’a pas encore !) le sein de sa mère dans lequel il trouvera, entre autres, « le pénis du père » (Melanie Klein, Essais de psychanalyse, Payot, 1948, p. 263).

Un des auteurs repère trois formes d’agressivité chez l’enfant dès la naissance : la violence fondamentale déjà nommée ; l’agressivité de vérification (dans le deuxième semestre de la vie !!!) et, bien sûr, l’« agressivité œdipienne avec son but d’élimination du rival ». Et la cruauté du bébé se manifeste de plusieurs façons : morsures de la mère par le bébé, souillure fécale (eh oui ! S’il salit ses couches, c’est par cruauté ! Pour Melanie Klein, à qui ces preuves de cruauté font allusion, les matières fécales du bébé sont en réalité des armes, des projectiles lancés contre sa mère). Participent aussi à l’agressivité du bébé ses refus de propreté, ses colères, ses oppositions… (p. 71). On comprend qu’auprès de telles preuves de cruauté inhumaine, les bastonnades subies par les enfants pendant des millénaires ne méritent même pas d’être mentionnées.

Le déni de réalité des auteurs du livre

Pas étonnant que, pour Freud et ses disciples, à l’origine de tout, il y ait « le meurtre du père » (p. 47) par ces criminels d’enfants. Désir de parricide avec lequel ils naissent, désir d’inceste avec leur mère : encore deux dogmes de la psychanalyse constamment démentis par la réalité. Les parricides sont les crimes les plus rares (les seuls commis le sont en général par des fils ou des filles pour sauver leur mère de la violence du père), quant aux incestes fils-mère, ils sont le plus souvent commis à l’initiative de la mère et non de l’enfant.

Mais foin de la réalité ! Ce qui compte, pour la psychanalyse, ce sont les fantasmes. Surtout les fantasmes de Freud.

A la lecture de ce livre, présenté comme résultant d’études « scientifiques », on est souvent consterné par tant d’exemples de cécité collective face à tout ce que les adultes ont pu faire subir aux enfants et à une telle volonté d’accuser les enfants eux-mêmes.

Bref, inutile de vous précipiter pour lire Les Figures de la cruauté. Vous n’y trouverez aucune clarté sur la nature humaine.

23 novembre 2023

Uniforme scolaire, violence éducative et violence en milieu scolaire

Publié Par Catherine Barret Sur Dans Accueil,La VEO à l'école,Vos témoignages sur la VEO | Commentaires désactivés

Témoignage en forme de billet d’humeur reçu le 13 janvier 2023.


Récemment, le ministre de l'Éducation français (Gabriel Attal, qui a récemment été "muté" au poste de Premier ministre) a annoncé "expérimenter" l'uniforme dans plusieurs écoles du pays, et d'ores et déjà plusieurs municipalités s'y sont mises. Comme c'est parti là, la France cherche à implanter l'uniforme scolaire obligatoire, et ce au niveau national. Et ce, après avoir tenté d'implanter un service national universel obligatoire pour les adolescents (comprenez une version "lite" du service militaire), et avoir fait la chasse aux tenues connotées trop "musulmanes" dans plusieurs lycées. Tout ceci pour, selon eux, lutter contre le "communautarisme", l'extrémisme religieux et le harcèlement scolaire.

Mais quand je comprends leur démarche, je constate qu'il s'agit pour le gouvernement de Macron d'une part, faire une sorte de "nettoyage ethnique" qui ne dit pas son nom envers les jeunes issu(e)s de communautés noires ou de confession musulmane, sur base de clichés peu flatteurs à leur encontre. D'autre part, et c'est là que je rentre dans le vif des violences éducatives ordinaires, ce gouvernement souhaite soumettre sa jeunesse et faire des institutions les accueillant des lieux où l'on doit obéir et se taire, où les jeunes ne seraient que de simples exécutants. Par "école de la confiance", je comprends une école élitiste, où l'on est soumis au maître, où seuls les "nantis" réussissent, et où l'autorité des adultes est absolue. Et s'il s'agit d'une autorité brutale et punitive, c'est "encore mieux" pour eux.

Donc, on en est là en 2023. Alors que des progrès massifs en neurosciences ont été faits depuis plusieurs années en ce qui concerne la psychologie de l'enfant et de l'adolescent, voilà qu'on songe à rétablir une "autorité" dans le milieu scolaire absolument rétrograde, mais surtout psychologiquement dégradant pour l'enfant et l'adolescent, dignes des écoles privées britanniques de l'après-guerre. Apparemment, ce serait même soutenu par beaucoup de Français, si j'en crois plusieurs sondages.

Pour moi, le simple fait d'obliger à porter une même tenue, tout le temps, est une forme de violence éducative au même titre que les gifles ou la fessée. Un jeune qui porte un uniforme scolaire est un jeune bridé dans son individualité par une institution censée l'accueillir pour ce qu'il est. Je pense même que, dans le cadre du milieu scolaire, ça forme une sorte de tout en matière de soumission de l'élève. Parce que quand je me renseigne, une part non négligeable des pays où l'uniforme scolaire est répandu (ou bien obligatoire) est aussi connue pour son système scolaire violent et éprouvant. 

Les exemples de certains pays d'Asie de l'Est sont les premiers qui me viennent en tête; la Corée du Sud et le Japon en particulier. Les défenseurs de l'uniforme scolaire les citent comme exemple de réussite où les élèves ont d'excellentes notes, sous-entendu grâce à la tenue unique. Sauf que... non. Déjà, le harcèlement scolaire y est accepté, voire encouragé. Que ce soit de la part des élèves ou des professeurs. Rien que ça, ça démolit l'argument de l'uniforme comme moyen "magique" de supprimer le harcèlement scolaire. Les élèves sont sous constante pression en matière de résultats, on leur fait comprendre que s'ils n'ont pas les meilleures notes, ils n'auront pas de vie (à quoi bon, étant donné que le Japon se fait régulièrement épingler pour falsification de notes des élèves féminines), et la moindre petite erreur. Les élèves qui "réussissent" sont généralement toujours de la même classe sociale, et ceux qui sont un peu différents de la "norme" ou fragiles sont tout de suite ciblés comme boucs émissaires. Et les professeurs ? ... Bah, de vrais dictateurs en puissance pour la plupart, adeptes des coups de journal, de règle, des humiliations verbales (parfois devant toute la classe), et autres formes de VEO. 

Extrait du manga de Syoichi Tanazono Sans aller à l'école, je suis devenu mangaka. (Illustration choisie par l'OVEO)

Et encore, on parle de pays où la ligne entre VEO et maltraitance est délibérément floue, voire inexistante, dans le sens où la vision de l'éducation dans ces pays-là est alarmante dans sa violence brute. Il n'est pas rare de trouver des adultes qui ne voient pas de problème à ce qu'un enfant soit battu pour avoir fait une petite bêtise. Du coup, certains professeurs ne se contentent pas seulement d'être "sévères", mais vont jusqu'à employer des méthodes dignes des pires brutes d'école envers parfois de très jeunes enfants, dans le but de les "pousser à être le meilleur d'eux-mêmes". Sans compter les abus sexuels presque ritualisés et rarement dénoncés par effet d'emprise ; je pense sincèrement qu'une personne qui a accepté d'être éduquée de manière "violente" est plus à risque de subir des violences sexuelles ou de l'inceste, je pense même que de plus en plus d'études arrivent à le prouver.

Personnellement, quand je vois un personnage de professeur dans un anime se montrer autoritaire, je suis très souvent choqué de la malveillance dont ils font preuve. Et très souvent, ça finit ainsi : "Mon professeur est très sévère, mais il a quand même un bon fond, il est venu chez moi me demander si j'allais bien et il m'a donné des conseils de vie." Quand je dis ça, je pense surtout au personnage d'Aizawa dans My Hero Academia. Un professeur adepte des menaces de renvoi général si ses élèves ne sont pas à la hauteur de ses exigences. Il admet lui-même que c'est une ruse pour pousser ses élèves à bout, et il me semble l'avoir vu une fois mettre un gnon à un autre personnage pour le crime impardonnable d'avoir échoué à un exercice (à moins que ce soit un effet Mandela de ma part avec un autre anime). Mais les élèves continuent de le défendre malgré tout, parce qu'il a eu deux-trois moments de "sagesse" et parce qu’"il doit être comme ça parce que la situation l'exige". Vous voyez bien le problème : on encourage les professeurs à être sadiques et violents. A contrario, A Silent Voice avait parfaitement abordé le harcèlement scolaire. C'était mentalement éprouvant pour moi de voir cette jeune fille sourde être harcelée de manière banale et continuelle avec la complicité de ses professeurs.

Tout ce mode de fonctionnement, la tenue unique, le harcèlement par les élèves, la pression sociale, la violence des professeurs... ça mène à des retraits de la vie sociale (les fameux "hikkikomori" au Japon), ou à tentatives de suicide, voire des suicides tout court. Mais tout ce système est considéré comme normal dans ces pays-là, et ceux qui osent le remettre en question ont très souvent de gros problèmes. Ça a été le cas aussi en Angleterre, par exemple, à l'époque des fameuses écoles privées pour garçons. Mais même si l'uniforme est toujours la norme là-bas, je trouve qu'il y a quand même une certaine prise de conscience par rapport aux violences graves subies par les élèves, en attestent les quelques documentaires sortis sur le sujet. Notamment en ce qui concerne les viols de la part de professeurs restés impunis pendant tant d'années. Quand bien même certains n'auraient pas eu le temps de mourir avant d'être accusés formellement.

J'ai sincèrement l'impression que le gouvernement français se dirige vers ce genre de système scolaire. Je dois vous avouer qu'en tant que jeune adulte belge, j'ai extrêmement peur. Je n'ai pas d'enfant moi-même, mais certains membres de ma famille un peu plus âgés que moi viennent d'en avoir. En Belgique, il n'est pour le moment pas question d'instaurer une tenue unique obligatoire dans toutes les écoles, et c'est tant mieux. Mais les écoles ont individuellement le choix d'en imposer une ou non ; il y a une école à Huy (Wallonie), par exemple, où les élèves portent l'uniforme. Enfin, il y a beaucoup de gens en Belgique qui soutiennent l'uniforme obligatoire. C'est pour moi impensable, pas seulement par rapport au fait de vouloir "contrôler" l'enfant, mais surtout parce qu'il y a un contexte de tensions entre Wallons et Flamands assez palpable dans le pays, exacerbées par certains partis à tendance nationaliste flamande (la NVA et le Vlaams Belang, notamment) qui ont de plus en plus de soutiens. Croyez-moi, l'élève wallon qui porte un uniforme obligatoire dans une école flamande, il sera vite repéré malgré ça et pris pour cible par les élèves et les professeurs. D'autant plus que certaines écoles en Belgique fliquent déjà les élèves sur leur tenue vestimentaire. 

Ce qui me permet de faire une transition à un autre sujet qui est celui de ma remise en question par rapport au système scolaire belge. Et ça me désole de l'admettre, mais ce n'est pas un système scolaire particulièrement sain pour l'enfant ; il y a encore beaucoup de progrès à faire en Belgique.

Bien que je n'aie jamais porté l'uniforme, j'ai été dans une école catholique pendant au moins 70 % de mes années en secondaire (je précise qu'il y a 6 ans d'études secondaires en Belgique, une de moins qu'en France). J'avais les cheveux très longs à l'époque et j'avais tendance à porter des vêtements à l'effigie de mes groupes de musique favoris... Un jour, j'ai été sommé par un éducateur (à la demande de la directrice qui ne m'a JAMAIS directement parlé de ça) d'attacher mes cheveux et de changer de tenue. Motif : ma coupe de cheveux et ma tenue n'étaient pas réglementaire, il fallait que j'ai un look plus "classique". Ça voulait dire quoi, "classique" ? Le terme était tellement vague selon moi. Mais je n'ai pas eu le choix, c'était ça, ou je ne pouvais plus mettre les pieds dans l'école. C'est du moins ce qui a été dit auprès de mes parents qui sont montés au créneau quand ils ont appris la nouvelle. 

De toute façon, je ne suis pas resté dans cette école suite à un redoublement, et j'ai fini ma secondaire à l'IATA. C'est une école technique à vocation un peu artistique, et le règlement sur la tenue y était bien plus laxiste. La seule chose qui était interdite, c'était les tenues à caractère politique douteux. Mais j'avais le droit de venir les cheveux détachés et avec certains t-shirts de groupes de musique. Les professeurs y étaient incroyablement bienveillants et encourageants, et il y avait cet aspect d'aider individuellement les élèves qui avaient des difficultés. Evidemment, les cours en eux-mêmes étaient collectifs, c'est normal. Mais j'avoue que cette manière finalement assez proche de l'éducation positive de voir l'enseignement apportait quelque chose de frais dans mon parcours scolaire très chaotique.

Dans l'école catholique où j'étais avant, les professeurs étaient je-m’en-foutistes, ou alors prompts à juger et mettre dans une case ceux qui ne réussissent pas du premier coup. Ceux en difficultés étaient peu aidés, voire stigmatisés. Je précise que j'ai une forme d'autisme légère, qui fait que j'ai parfois des difficultés pour saisir certains sujets de manière "neurotypique". Mais voilà, aux yeux des professeurs, j'étais juste un élève moyen, voire médiocre, qui se complaisait dans son trouble. Je précise que je ne me faisais jamais remarquer, mais que certains professeurs aimaient bien me tanner malgré tout (coucou ma professeure de néerlandais qui m'humiliait souvent devant les autres élèves ou la prof de religion qui faisait recopier des chapitres entiers de son cours quand tu ratais ses contrôles...). Une de mes amies a fait une tentative de suicide suite à du harcèlement par plusieurs élèves. Aucune structure d'aide mise en place, aucun soutien, rien, nada. Pire, mon amie a eu droit à une convocation chez la directrice, qui apparemment, l'aurait grondée en disant qu'elle avait "nui à l'image de l'école", et que si elle recommençait, elle serait renvoyée définitivement. 

Cependant, je n'ai pas le souvenir d'avoir vu de forme de violence physique de la part de professeurs dans cette école. Pour le coup, c'est interdit dans les écoles depuis 2004 en Belgique. Mais ça ne l'est toujours pas à un niveau global malgré les nombreux projets de loi. Et pour l'école, à mon sens, la violence verbale est toujours présente, et j'estime que même une simple remarque comme : "Tu n'iras pas bien loin avec des notes pareilles" peut être interprétée comme telle.

D'autre part, je pense sincèrement que l'aspect "dominateur" de l'instituteur.trice est plus présent en primaire. Il y a toujours cette volonté de contrôler les enfants dont j'ai fait les frais. Entre les cris des professeurs, les punitions, les remarques dans le journal de classe, et les systèmes de bons points... Une école de quartier où j'ai été était particulièrement virulente à ce niveau-là. Me concernant, j'ai plusieurs souvenirs de m'être fait gronder, voire hurler dessus pour de petites erreurs. Je pleurais très souvent quand cela m'arrivait, et les professeurs ne comprenaient pas. Une fois, j'ai même été jeté de l'étude à cause d'un coup fourré de la part d'un élève qui me harcelait, j'avais beau protester et dire que je n'avais rien fait, c'était pas grave. La surveillante a jugé bon de me traîner par le bras jusque dans le couloir et de hurler devant plusieurs enfants : "MAINTENANT TU VAS ARRÊTER TON PETIT JEU, HEIN ? SINON CA VA MAL FINIR POUR TOI!" Sans compter que j'étais continuellement harcelé dans cette école, et ce par plusieurs autres enfants. Ils étaient d'une cruauté sans borne. J'ai eu droit à des moqueries, des insultes, et parfois même, des coups.

C'était une école où il y avait une sorte de culture de la violence, élève à élève et professeur à élève. Et pour le coup, ça pouvait aller loin. Trop loin, même. J'ai été retiré de l'école à la demande de mes parents, car l'ambiance y était si mauvaise qu'elle avait fini par avoir des effets sur ma santé. J'ai même appris que certains autres enfants étaient partis pour les mêmes raisons, et que le sous-directeur avait déjà été visé par une enquête pour avoir frappé un élève. La directrice à l'époque a fini par être démise de ses fonctions, probablement suite à une accumulation de plaintes. Mais pour moi, il n'y a jamais eu de vraie réparation. Ces tortionnaires auraient dû être non seulement renvoyés, mais aussi poursuivis pour leur traitement des enfants. Regardez le site Internet de l'école, à ce jour, 80 % de l'équipe que j'ai connue quand j'étais là-bas y travaille toujours.

Et même dans ma première école il y avait ça. Cette institutrice de première primaire excessivement sévère et exigeante qui n'hésitait pas à vous hurler dessus devant toute la classe et à déchirer ta feuille si elle n'aimait pas ton écriture. La surveillante du réfectoire qui donnait des coups de seau sur les doigts et qui mettait du tape sur la bouche des enfants qui parlaient trop. L'enseignante de maternelle qui prévient l'ONE1 sans l'accord des parents si l'élève est un peu trop turbulent...

Il y a aussi cette tendance des professeurs et des personnels enseignants à "séduire" les parents d'élèves en se disant "inquiets" pour leur enfant chez qui ils voient un potentiel qu'ils n'exploitent pas entièrement et qu'ils ne savent pas aider. Puis ensuite, une fois la porte de la classe close, vont s'en donner à cœur joie à tourmenter cette petite tête blonde en qui ils ne voient qu'une erreur de la vie. Ou les profs qui donnent des conseils d'éducation que la plupart des parents vont appliquer, vu que le professeur est considéré comme une figure d'autorité. Quant à ceux, plus futés, qui devinent la supercherie ? Eh bien, ils subissent le même sort que leur progéniture : la stigmatisation.

Il y a des gens qui disent avoir été heureux à l'école malgré tout. Et même, ils vous parleront des souvenirs de violence qu'ils ont subie comme des moments normaux, tout en disant que ceux qui se plaignent n'ont aucune raison de le faire. Pour moi, ce sont des raisons valables de se plaindre, et c'est plutôt ceux qui trouvent les violences subies à l'école "normales" qui devraient se poser des questions. Dans mon cas, je me demande si ce n'est pas en partie à cause de la violence à l'école que je n'ai pas réussi à faire d'études. J'en ai commencé deux fois avec le même résultat : arrêtées au bout d'un an. Dans le deuxième cas, j'ai fini par avoir des problèmes avec les professeurs car selon eux, j'aurais tenu des "propos agressifs envers des étudiants". Bien sûr, c'était faux, je m'étais en réalité plaint de certains problèmes d'organisation dans l'école et ce n'était pas bien passé. Aujourd'hui, cela fait deux ans que je cherche désespérément du travail, j'enchaîne les formations et les entretiens non fructifiants, et je n'ai aucun vrai diplôme hormis mon CESS (équivalent belge du bac). Par conséquent, j'ai des portes qui se ferment directement en matière d'emploi...

Donc voilà. Quand je vois un pays proche du mien vouloir utiliser l'école comme moyen de soumission, ça me fait peur. Je crains le jour où j'aurai des enfants et serai obligé de les envoyer dans leur école habillés en bagnards, tout en sachant que je les expose malgré moi à n'importe quelle forme de violence possible. Et voir des gens défendre ça me met en rage. Je vois même des gens de gauche comme moi soutenir l'uniforme scolaire alors que c'est à l'opposé total de leur valeurs ! Le comble ultime ! ... D'autant plus que la France a, encore une fois, des motivations particulièrement douteuses quant à l'instauration de l'uniforme.

Anonyme

  1. Office de la naissance et de l’enfance, équivalent de l’ASE française, note de l’OVEO. []

La Force des femmes

Publié Par Catherine Barret Sur Dans Accueil,Livres | Commentaires désactivés

Ce compte-rendu du livre du Dr Mukwege La Force des femmes est suivi de la lettre envoyée le 3 janvier 2015 au Dr Mukwege par Olivier Maurel, qui a attiré son attention sur les liens entre la violence éducative ordinaire, les violences sexuelles et leur utilisation comme arme de guerre. C’est après avoir reçu cette lettre que le Dr Mukwege a commencé à parler de violence éducative, comme il le fait dans ce livre. Voir aussi l’article d’Olivier Maurel Rwanda : de la violence sur les enfants au génocide (2014) et, sur le même sujet, les p. 86-87 de son livre Oui, la nature humaine est bonne ! (2009).


La Force des femmes

Par Amandine C., membre de l’OVEO (12 avril 2023)

Je viens de terminer la lecture de La Force des femmes, livre écrit en 2021 par le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix 2018. Centré sur « l’épidémie mondiale » (p. 182) des violences sexuelles infligées aux femmes, il en vient à s’interroger sur le rôle de l’éducation, la posture et le rôle de modèle de l’adulte envers l’enfant. Il avait déjà réalisé que ses patientes, survivantes de viols et sévices sexuels, n’étaient pas des cas isolés, cantonnés au contexte de guerre et de corruption de son pays, le Congo (RDC). Constatant ainsi que même les pays en paix et dits développés et prospères affichaient, derrière le déni et le mépris général, des taux également alarmants [de viol et d’agressions sexuelles], ce médecin et chirurgien ne veut pas s’en tenir à « réparer » l’horreur. Il a à cœur de la dénoncer et de l’inscrire dans une logique globale, systémique, qui incrimine clairement la culture de la convoitise et du patriarcat. Dénoncer, exiger une réelle implication de la justice nationale et internationale, des forces de l’ordre et des politiques, est fondamental et urgent, mais également faire évoluer les représentations, la binarité genrée et la répartition des rôles supposément dévolus à chaque sexe. Enfin, il établit clairement le lien entre la violence éducative dite ordinaire, partout dans le monde, et les violences commises par les hommes adultes (p. 188 et 326). Lui-même a eu une mère attachée à l’égalité entre filles et garçons et un père exceptionnellement non violent (p. 324). Il ne doute absolument pas que c’est l’éducation qui pervertit, à travers la violence banalisée et reproduite, et invite à observer les « très jeunes enfants » pour prendre conscience que nul ne naît mauvais (p. 349). Ainsi, les massacres, les génocides, les viols et autres atrocités dont l’homme se révèle encore capable au XXIe siècle ne sont pas l’œuvre d’« esprits dérangés » (p. 154) mais bien de personnes ordinaires, élevées dans le mépris de la femme et d’autrui, et brisées dans leur humanité originelle par l’accumulation de violences éducatives, souvent relayées et aggravées ensuite par les violences guerrières et sociétales qui y puisent de toute façon leurs racines.

Lire un tel ouvrage, qui sait non seulement témoigner mais aussi rétablir les problématiques dans un contexte global, me paraît porteur d’espoir pour les générations à venir. Il est poignant dans ce qu’il transmet – à travers lui, ce sont bien les femmes, tout autant victimes que puissantes, qui interpellent décideurs et opinions mondiaux : c’est à notre portée de construire un monde où la violence n’aurait plus de place ! Et cela commence et s’articule avec un accompagnement des enfants d’où non seulement les châtiments corporels sont proscrits, mais également le sexisme et, plus globalement, les modèles patriarcaux qui exploitent les femmes à bien des égards, pillent la planète et brisent les enfants.

Nota : l’autrice de ce compte-rendu revient sur le livre du Dr Mukwege dans d’autres articles que nous mettrons en lien lorsqu’ils seront publiés.


Lettre d'Olivier Maurel au Dr Mukwege

Le 3 janvier 2015

Très cher Docteur,

J'ai eu l'occasion de visionner le beau reportage qui a été consacré à votre action à l'hôpital de Panzi. Il m'a profondément ému : horreur d'un côté à voir ce que les femmes que vous soignez ont vécu dans leur chair et leur âme, admiration de l'autre pour la bonté qui émane de votre personne et pour l'efficacité de votre dévouement.

Mais en regardant le reportage, je me disais aussi qu'il n'y était pas fait mention de ce qui me semble être une des causes, sinon la cause principale, de la cruauté incroyable dont ces femmes sont victimes. Le fait que vous n'en ayez pas parlé ne signifie évidemment pas que vous n'y ayez pas pensé. Mais ne pouvant savoir si c'est le cas ou non, je me permets de vous faire part de ma conviction, qui repose sur près de vingt ans de recherche.

Je travaille en effet sur les conséquences de la violence dans l'éducation. Non pas ce qu'on appelle habituellement la maltraitance, mais la violence éducative ordinaire, celle qu'on trouve normal d'infliger aux enfants pour les faire obéir et les éduquer. Le niveau de cette violence est très variable selon les pays et selon les époques. En France, jusqu'au XIXe siècle en gros, on trouvait normal de punir les enfants à coups de bâton ou de ceinture et même d'enfermer un bon nombre d'enfants dans de véritables bagnes pour enfants. Aujourd'hui, sous l'influence conjuguée d'écrivains, de médecins et de législateurs, on ne trouve plus acceptable de tels traitements et au-delà de la gifle et de la fessée, on considère qu'on est dans la maltraitance, c'est-à-dire à un niveau de violence que la société ne tolère plus. En conséquence, le niveau de la violence dans la société française a considérablement baissé par rapport à ce qu'il était au XIXe siècle et dans les siècles antérieurs.

Mais je sais qu'en Afrique, le niveau de la violence éducative considéré comme normal est encore très élevé comme dans plusieurs autres régions du monde et que le recours à la chicotte, au câble électrique, au tuyau de plastique et à d'autres punitions très violentes est encore courant. Or, de multiples recherches sur les conséquences de ces traitements ont montré que la violence subie dans l'enfance et l'adolescence provoque statistiquement et de multiples manières des comportements de violence parfois extrêmes à l'adolescence et à l'âge adulte. Si ces punitions corporelles ont cette terrible efficacité, c'est qu'elles sont infligées aux enfants pendant toute la durée de la formation de leur cerveau et que ceux qui les leur donnent sont les personnes auxquelles ils sont le plus attachés : leurs parents, ou d'autres adultes de référence, leurs enseignants par exemple.

La violence subie incite d'abord à commettre la violence sur autrui par simple imitation. On sait aujourd'hui que nos « neurones miroirs » enregistrent les comportements que nous voyons et nous préparent à les reproduire spontanément. Ainsi, la première chose qu'on apprend à un enfant quand on le frappe, c'est à frapper et à trouver normal de frapper s'il n'a pas l'occasion, plus tard, de remettre en question ce comportement. Mais cette remise en question est très difficile et donc rare, du fait que presque tous les enfants subissent ce traitement (une enquête menée au Cameroun a montré que plus de 90 % des enfants subissent la bastonnade à l'école et à la maison), ce qui le rend banal et « normal ». Enfin, le fait que la violence éducative soit infligée « pour le bien » de l'enfant et qu'on le lui dise, marque la violence d'un signe positif : la violence peut être bonne, nécessaire et pédagogique ! Triste leçon !

Pour ne pas trop souffrir de la violence qu'il subit, l'enfant est obligé de s'endurcir, c'est-à-dire de se couper de sa propre souffrance, de ses propres émotions. Mais lorsqu'on réussit cette insensibilisation intérieure, on risque aussi de perdre toute capacité de ressentir les émotions des autres et on devient capable d'infliger les pires souffrances sans état d'âme puisqu'on a perdu l'empathie à l'égard des autres en même temps que l'empathie à l'égard de soi-même. Je suis personnellement convaincu que les bourreaux des femmes que vous soignez sont des hommes qui ont perdu très tôt leur capacité d'empathie sous les violences et les humiliations qu'ils ont subies lorsqu'ils étaient enfants. Or, l'empathie est notre frein principal à la violence : si je fais souffrir autrui, je souffre moi-même.

Un autre effet terrible de la violence éducative, c'est l'habitude donnée aux enfants d'obéir à la violence et aux personnalités violentes. La violence éducative est certainement l'explication de la soumission à l'autorité, dont Stanley Milgram a montré qu'elle peut amener les deux tiers des hommes à torturer un de leurs semblables, simplement parce qu'ils reconnaissent comme légitime l'autorité qui leur en donne l'ordre. Un des ressorts de la violence du génocide au Rwanda a été l'obéissance des tueurs aux ordres de tuer de la radio des Mille Collines.

Il faudrait encore ajouter les effets négatifs de la violence éducative sur le sens moral et sur l'intelligence. Une des choses que l'enfant apprend sous les coups, c'est l'hypocrisie : faire en cachette ce que les parents interdisent, ce qui est une très efficace formation à la corruption. De plus, la pratique de la violence sur les enfants démolit par l'exemple dans leur esprit deux des principes les plus élémentaires de la morale : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse », et : « Il est indigne de la part d'un être grand et fort de s'attaquer à un être plus faible et plus petit que lui ». La leçon contradictoire qu'on donne ainsi aux enfants fausse leur intelligence en leur faisant admettre une chose et son contraire. Elle les rend vulnérables aux discours les plus aberrants des démagogues et des leaders violents.

En temps ordinaire, les effets de cette violence ne se manifestent que sous des formes qui relèvent du fait divers : violence conjugale, violences sur les enfants, délinquance, criminalité... Mais en période de crise politique ou sociale, pour peu que des croyances religieuses ou des idéologies donnent une justification supplémentaire à la violence, tout et surtout le pire devient possible : massacres, tortures, génocides. Partout où se sont produits des génocides, que ce soit dans l'Allemagne prénazie, au Cambodge, au Rwanda, l'éducation était extrêmement autoritaire et répressive.

Bien sûr, les effets de la violence éducative ne sont pas automatiques. Il suffit parfois qu'un enfant rencontre quelqu'un qui lui fasse comprendre que ce qu'il a subi n'est pas normal et la résilience peut se produire. Bien sûr, la majorité des hommes qui ont été battus ne deviennent heureusement pas des tueurs. Mais statistiquement, quand la quasi-totalité de la société considère qu'il est normal, nécessaire et éducatif de battre les enfants, il est inévitable que cette société produise des hommes prêts à tout dès que les circonstances politiques et sociales s'y prêtent.

Voilà pourquoi, en regardant le reportage sur votre action, j'étais désolé de penser qu'au moment même où vous sauvez tant de femmes, la machine à produire la violence qui les a mutilées, c'est-à-dire la violence éducative sur les enfants, tournait toujours à plein régime et continuait à produire des bourreaux. Je sais bien qu'au Congo une des causes de la violence et de son extension est le recrutement d'enfants que l'on force à commettre des crimes qui n'ont donc pas pour cause directe la violence subie dans l'enfance.  Mais si l'on remonte à la cruauté et à l'absence totale d'empathie de ceux qui ont recruté ces enfants et qui les ont forcés à commettre ces crimes, on retrouve, je le crois, l'implication de la violence éducative. Même si la cupidité qui, apparemment, est une des grandes causes des guerres intestines au Congo en raison de la richesse du Congo en diamants, est une des motivations des milices armées, pour que la cupidité provoque un tel degré de cruauté, il faut que celle-ci ait une autre cause profonde pour aboutir aux horreurs auxquelles vous essayez de remédier.

Il y a en Afrique des associations qui luttent contre la violence éducative. Plusieurs m'ont contacté. Mais elles sont encore très peu nombreuses et leur voix a beaucoup de mal à se faire entendre. Peut-être l'avez-vous déjà fait, mais si vous pouviez les soutenir ne serait-ce qu'en parlant de ces associations et du danger de la violence éducative, votre prestige pourrait faire qu'elles soient davantage entendues. Et cela contribuerait certainement à la prise de conscience que les enfants, qui portent en eux, de nombreuses études récentes l'ont montré, d'extraordinaires capacités relationnelles, puissent les développer et les mettre en pratique dans la société.

Avec toute mon admiration pour votre action.

Olivier Maurel

CIIVISE : l’inquiétude des associations et collectifs de l’enfance

Publié Par Sophie Sur Dans Accueil,Nos articles sur la domination adulte,Point de vue de l'OVEO sur l'actualité | Commentaires désactivés

Nous publions ici la tribune rédigée et coordonnée par l'OVEO, Le Collectif Enfantiste et Claf’Outils pour critiquer les conditions de mise en place de la nouvelle CIIVISE et la remise en cause de sa doctrine « Je te crois je te protège ».
Ce texte, paru sur L'Humanite.fr, a recueilli les signatures de nombreuses autres associations que la nôtre : Ancrage, Cap d’agir, Claf’Outils, Collectif enfantiste, Eveil et Sens: Grandir Ensemble, Impact, JUFAM (Justice des Familles), Collective des mères isolées, Lamevit (l'association mille et une victimes d'inceste) Martinique, Association Le Monde à Travers un Regard, Mouv'Enfants, Protéger l'enfant, Tangram, Vers une autre relation adulte enfant.


Depuis le 11 décembre, le gouvernement a annoncé le remaniement de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, allant à l’encontre des demandes des associations de l’enfance. La sortie du juge des enfants Edouard Durand marque un éloignement de la doctrine de l’accueil inconditionnel de la parole des enfants qu’il portait avec son équipe, si importante pour toutes les victimes d’hier et d’aujourd’hui. La remise en doute de la parole de l’enfant et de la compréhension des violences sexuelles elles-mêmes est un véritable recul.

La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), créée en 2021, après la parution des livres Le Consentement de Vanessa Springora et La familia grande de Camille Kouchner, a initié un travail d’écoute et de compréhension sans précédent auprès des survivants et survivantes de l’inceste et des violences sexuelles. À l’issue de ce premier mandat, le juge des enfants Édouard Durand a été remercié et la commission s’est vu attribuer une nouvelle feuille de route et une nouvelle organisation.

Nous, associations et collectifs de lutte contre les violences faites aux enfants, souhaitons ici exprimer notre opposition au maintien de la CIIVISE sous cette nouvelle forme, et contester le nouveau programme du gouvernement qui témoigne d’un manque patent de considération pour les victimes. Cette décision de l’État préfigure un recul grave de la lutte contre l’inceste et la massivité des crimes sexuels contre les enfants.

Plusieurs semaines avant que la nouvelle composition et la nouvelle forme de la CIIVISE soient annoncées le 10 novembre, diverses associations, collectifs et personnes concernées se sont mobilisés pour soutenir le maintien de la commission. Une pétition a recueilli plus de 10 000 signatures et une tribune cosignée par 60 personnalités a été publiée dans la presse.

Le 11 décembre, le gouvernement a annoncé la réorganisation de la CIIVISE et le remplacement d’Edouard Durand et de Nathalie Mathieu par Sébastien Boueilh et Caroline Rey Salmon, avec un élargissement de leurs missions à la pédopornographie et à la prise en charge des enfants victimes de prostitution.

Après trois années d’un travail remarquable et des avancées considérables dans la prise de conscience des violences sexuelles faites aux enfants comme structurant l’ordre social et comme enjeu de santé publique, cette réorientation marque un retour en arrière pour la justice, la cause des enfants et pour l’ensemble de la société.

L’inceste est au cœur de la mission et de l’engagement de la première CIIVISE. Au vu de l’ampleur de la question sociale de l’inceste, l’élargissement de ses missions vient remettre un voile de silence sur le sujet qui se retrouve noyé parmi d’autres problématiques. De plus, le gouvernement n’a pas eu un mot d’égard dans ses communications sur les 30 000 témoignages recueillis. La loi du silence sur l’inceste continue de régner depuis l’intime des familles jusqu’aux plus hautes sphères politiques.

La doctrine “je te crois, je te protège” résume toutes les valeurs et l’esprit d’accueil inconditionnel de la première CIIVISE et représente toute la problématique de la non protection des enfants victimes de violences sexuelles aujourd’hui : les enfants sont considérés comme de potentiels menteurs et l’adulte privilégie sa propre protection ou celle de l’agresseur présumé. Le rapport de la CIIVISE le montre : pour lutter contre les violences sexuelles imposées aux enfants, il faut prendre la parole des enfants au sérieux. Sa nouvelle co-présidente, Caroline Rey Salmon, peu après sa nomination a immédiatement émis un bémol sur cette doctrine/posture en invoquant l’affaire d’Outreau.

Nous dénonçons l’instrumentalisation de cette affaire pour défendre un système social adultiste qui met en doute la parole des enfants. Le véritable échec à long terme de l’affaire d’Outreau, c’est la remise en cause durable de la parole des enfants et la diminution drastique du nombre de condamnations pour viols dans les années suivantes, alors que le nombre de plaintes augmentait (moins 40 % de condamnations pour viols entre 2007 et 2016 selon les statistiques du Ministère de la justice) et que douze enfants ont bel et bien été reconnus victimes d’agressions sexuelles et de viols.

La CIIVISE a toujours assumé la portée politique de sa mission et de ses recommandations. Toutes les associations qui luttent contre les causes profondes des violences subies par les enfants savent que leur dénonciation est toujours politique. Face au système social qui consacre la soumission de l’enfant à la domination adulte et étouffe ainsi la parole des plus jeunes, être “neutre” revient à prendre le parti de l’agresseur. Écouter les enfants victimes et leur accorder autant de respect qu’aux adultes, c’est adopter une position enfantiste qui refuse de considérer les enfants comme des “sujets” de non-droit. C’est la seule façon de lutter efficacement contre l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.

La CIIVISE a été qualifiée de trop ”féministe” quand elle a eu le courage de ne pas nier la question du genre : 97% des auteurs de violences sexuelles sont des hommes et la grande majorité des victimes sont de genre féminin. Reconnaître la place du genre dans la compréhension des violences et de la stratégie des agresseurs (syndrome d’aliénation parentale non reconnu scientifiquement, contrôle coercitif, etc.) c’est faire preuve de lucidité sur des causes et des mécanismes communs qui permettent la violence et sa banalisation.

La culture de la pédocriminalité sur laquelle prolifère l’inceste et les crimes sexuels sur les plus jeunes est indissociable du système social de la domination adulte qui fait de l’enfant une propriété dont l’adulte dispose. La violence éducative ordinaire enseigne à l’enfant, dès le plus jeune âge, la soumission à la toute puissance de l’adulte et le prédispose à la prédation sexuelle en le vulnérabilisant.

Lutter contre la dimension systémique des violences sexuelles et de l’inceste, c’est promouvoir un changement de société et c’est bien la mission qui avait été donnée à la CIIVISE. Nous revendiquons la mise en place des 82 recommandations du rapport de fin de mission de la CIIVISE et la mise en place d’une réelle culture de protection et également d’empouvoirement des jeunes personnes.

Associations signataires (par ordre alphabétique):

Le pouvoir des adultes sur les enfants : une introduction pour les jeunes

Publié Par Sophie Sur Dans Accueil,Adultisme,Articles relayés sur la domination adulte,Outils & Ressources | Commentaires désactivés
Texte du dessin : L’adultisme – seulement pour les vieux ! © Natascha Welz

Manfred Liebel et Philip Meade proposent un résumé de leur ouvrage Adultismus. Die Macht der Erwachsenen über die Kinder. Eine kritische Einführung (« L’adultisme. Le pouvoir des adultes sur les enfants. Une introduction critique ») pour rendre leur propos plus accessible aux jeunes lecteur·ices. Le texte a été traduit par Manfred Liebel et Marnie Valentini en français et est disponible ici : Qu’est-ce que l’adultisme ? (« Was ist adultismus »)

Cette version en ligne est ponctuée de questions afin d’inciter le/la lecteur·ice à s’interroger sur sa propre expérience. Les idées des auteurs sont formulées de manière simple, avec de nombreux exemples, sans que la pertinence du propos n’en soit altérée.

La version imprimée en allemand est présentée ainsi :

Dans notre société, les enfants sont souvent méprisés, contrôlés et désavantagés. C’est ce que nous appelons l’adultisme. Ce livre explique le sujet avec un langage simple, des dessins et des photos. Nous montrons comment les jeunes sont touchés par l’adultisme. Dans la famille, à l’école, dans les transports, en politique. Par des règles et des interdictions dans la vie quotidienne.

Mais nous donnons aussi des exemples de ce que les jeunes peuvent faire contre l’adultisme. Et comment les adultes pourraient partager leur pouvoir avec les enfants. Nous pensons que les enfants devraient déjà pouvoir voter. Les droits de l’enfant doivent être connus et appliqués. Et la politique doit changer pour que les enfants la trouvent intéressante.

Cela contribuerait à un monde dans lequel tous sont pris au sérieux et participent à la vie commune. Quel que soit leur âge.

Nous pensons que ce texte devrait être diffusé largement afin qu’un maximum de personnes (jeunes et moins jeunes) puissent être sensibilisées à la discrimination qu’est l’adultisme.
Dans ce but, nous vous proposons ici, avec l'accord des auteurs, deux versions en pdf :

Une dissolution qui ne dit pas son nom : celle de la CIIVISE

Publié Par Catherine Barret Sur Dans Accueil,Point de vue de l'OVEO sur l'actualité | Commentaires désactivés

Le gouvernement a décidé de substituer à la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) une structure associative (donc non institutionnelle), et d’écarter celui qui la présidait et était devenu l’incarnation de la dénonciation de ces violences sexuelles faites aux enfants : le juge Durand et son équipe.

Nous publions sa réaction, diffusée au journal de 7 h de France Culture le mardi 12 décembre 2023.

« Depuis plusieurs semaines déjà, on voyait des incertitudes sur le sort de la CIIVISE, on aurait bien voulu la fermer purement et simplement. Qu’est-ce qui gêne avec la CIIVISE ? Les préconisations? La parole des victimes ? Le messager ?
Nous parlons de violences sexuelles faites aux enfants. Nous parlons de ce dont il ne faut pas parler. Nous parlons de l’un des dénis les plus puissants de l’histoire humaine.
C’est toujours le messager qui paie. D’abord l’enfant victime lui-même. Et aujourd’hui, c’est à eux que je pense. Ce qui gêne, c’est l’émergence d’une parole.
La CIIVISE a été instituée le 23 janvier 2021 parce que le président de la République française s’est adressé aux victimes de violences sexuelles dans leur enfance.
Au moment où la CIIVISE restituait ces témoignages, il n’y avait, le 20 novembre, aucune représentation officielle pour respecter ces 30 000 témoignages.
Et dans la communication du gouvernement, aujourd’hui, il n’y a pas eu un seul mot à l’égard de ces personnes. Cette parole ne comptait pour rien, comme si elle n’avait pas existé. Et cet acte aujourd’hui, c’est un acte de déni. »

Dans son rapport final, la CIIVISE recommande 82 préconisations pour que les violences sexuelles faites aux enfants fassent dorénavant l’objet d’une politique publique et de pratiques professionnelles spécifiques. La sidération que provoque la massivité des violences sexuelles sur les plus jeune et le déni collectif ancien et durable dont elles font toujours l’objet nécessitent que la totalité de ces préconisations soient réellement mises en œuvre.

Ajoutons que le climat d'emprise qui « autorise » les violences sexuelles sur les plus jeunes est une conséquence logique de la culture de violence éducative ordinaire : croire et faire croire qu’un enfant doit obéir aux demandes d'un adulte, et finir par annihiler chez l'enfant toute tentative ou capacité de révolte, pour le confort des « grands », c'est construire la vulnérabilité des plus jeunes.

Un déni plus massif encore est celui de la domination adulte elle-même, puisqu’elle est toujours la norme sociale, et totalement invisibilisée, même dans les travaux de la CIIVISE. « Ce qui gêne », pour reprendre les termes du juge Durand, c'est que la question des enfants (leur statut, leurs droits, la critique de l'éducation) passe toujours au second plan des priorités, comme si elle pouvait n'être résolue qu'après toutes les autres, quand au contraire cette assignation culturelle des enfants à des stéréotypes, à la loi du plus « fort » et donc au silence fait que toute forme de violence subie se reproduit à chaque génération, dans une répétition et une vengeance sans fin –  à moins d'une prise de conscience par toute la société de la violence et de l'injustice faite aux enfants.

L’OVEO n'en salue pas moins le travail réalisé par la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. C’est par son indépendance et la liberté de sa parole que cette commission a gagné la confiance de plus de 30 000 victimes qui se sont exprimées. L’OVEO demande le maintien du président Edouard Durand à la tête de la CIIVISE et la poursuite de ses travaux.


Quelques articles sur ce sujet :

Reconnaissance de la domination adulte, et donc des femmes sur les enfants, par une sociologue féministe

Publié Par Catherine Barret Sur Dans Accueil,Articles relayés sur la domination adulte | Commentaires désactivés
Christine Delphy. Photo lmsi.

Nous souhaitons ici vous signaler deux articles écrits par Christine Delphy, sociologue féministe, sur la domination adulte.

La reconnaissance de la domination des adultes, et donc des femmes, sur les enfants est une question douloureuse. Christine Delphy l’aborde dans la préface de son article “L’état d’exception : La dérogation au droit commun comme fondement de la sphère privée″((Article publié dans L'Ennemi principal ; penser le genre, aux éd. Syllepse ; vous le trouverez ici sous forme de brochure A5 (à imprimer en recto-verso) ou ici au format A4 pour impression ou lecture en continu.)). L’article, paru pour la première fois en 1995 dans Nouvelles Questions féministes, vol. 16, n° 4, est publié actuellement dans Penser le genre.

La première fois que j’ai dit lors d’une réunion féministe informelle ce qui me semblait aller de soi : que les enfants sont un groupe opprimé, l’une de mes amies a fondu en larmes en protestant qu’elle n’opprimait pas ses enfants((Dans toutes les citations, c’est nous qui soulignons (note de l’OVEO).)). Cela me rappelait l’attitude des premiers hommes confrontés au mouvement féministe, qui se mettaient presque à pleurer en disant qu’ils n’avaient jamais fait de mal à personne. En prétendant être attaqués personnellement, ils mettaient un terme à la discussion. Je n’avais pas cédé à ce chantage-ci, mais je cédai à ce chantage-là. Après tout, c’étaient mes camarades de lutte. Il m’a fallu dix ans, et la circonstance d’être à l’étranger, pour oser écrire ce texte.

Cet aveu est important, et si nous sommes attentifs·ives aux luttes féministes, nous savons que la question est toujours d’actualité. Claire, ancienne membre du collectif #NousToutes, a créé le « Collectif Enfantiste » parce que ses actions pour les enfants au sein du public féministe étaient invisibilisées.

Une interorganisation féministe refusera même un cortège "enfance" dans une marche contre les violences sexistes et sexuelles avec cet argument : « On ne va pas parler des enfants, ça va invisibiliser les femmes ! »

Revenons à Christine Delphy. Elle conclut son article par cette phrase :

En revanche, cette exception met les femmes, dominées de façon homogène dans la sphère du “public”, dans une situation hétérogène dans le domaine “privé” : dans la catégorie des dominés en tant qu’elles sont épouses, mais en revanche dans la catégorie des dominants en tant qu’elles sont parents (quoique pas sur le même pied que les pères (Combes et Devereux 1994)).

Cet article, au titre complexe (“L’état d’exception : La dérogation au droit commun comme fondement de la sphère privée″ – nous pouvons nous demander dans quelle mesure la difficulté pour l’autrice à évoquer le sujet se manifeste), aborde la question de la propriété des enfants par leurs parents et en définitive l’absence de droits des plus jeunes, avec un questionnement sur le statut de minorité.

Le second article, écrit vingt ans plus tard, est une présentation du livre de 2015 d’Yves Bonnardel La Domination adulte.

Ici Christine Delphy reprend son questionnement et prend position pour nommer explicitement la domination adulte.

Elle reprend, concernant les mères :

Et en théorie, les enfants ont des droits dans nos sociétés. Mais qui va les faire appliquer quand l’agresseur est aussi le représentant légal de « son » enfant, celui qui pourrait porter plainte, alors que l’agressé, parce qu’il est mineur, ne le peut pas ? Le père incestueux, la mère violente, vont-ils, au nom de leur enfant, porter plainte contre eux-mêmes ?

L’absence de personnalité juridique des enfants, leur grande solitude, leur vulnérabilité légalement organisée, voilà aussi l’une des pierres de touche, sinon la pierre de touche, du statut de mineur – qui est un statut de non-personne.

Force est de constater que la protection de l’enfance dans notre société ne fonctionne pas, ne serait-ce qu’au vu de la massivité des violences sexuelles dont les plus jeunes sont victimes. Une réflexion est donc à engager entre protection des jeunes humains et construction de leurs vulnérabilités par l’absence de droits réels.