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La présence de l’article 222 dans la loi « Egalité et Citoyenneté » est-elle justifiée ?

Par Olivier Maurel, fondateur de l’OVEO

Des critiques ont été formulées dans la presse contre la présence, dans la loi Egalité et Citoyenneté, de l'article 222, voté le 22 décembre 2016. D'après cet article, l'autorité parentale exclut désormais « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles », c'est-à-dire à toute punition physique impliquant l’usage de la force et visant à infliger un certain degré de douleur ou de désagrément, aussi léger soit-il, dans le but de modifier ou d’arrêter un comportement estimé incorrect ou indésirable. Certains y ont vu un « cavalier législatif », c'est-à-dire un article sans véritable rapport avec l'objet général de la loi.

Il nous paraît donc important de mettre en lumière le lien entre interdiction de toute forme de punition corporelle, égalité et citoyenneté.

Pour ce qui est de l'égalité, il faut se rappeler qu'au cours des XIXe et XXe siècles, on a successivement cessé d'admettre que l'on batte les domestiques, les hommes d'équipage, les prisonniers et, beaucoup plus récemment, les femmes. Mais on continue à considérer qu'il est normal de frapper les enfants. Cela établit entre eux et les adultes une inégalité flagrante, d'autant moins justifiée que les enfants sont sans défense.

On justifie habituellement cette inégalité de traitement par leur âge et l'immaturité de leur cerveau, qui ne permettraient pas de les convaincre par la seule parole de bien se comporter. Mais on ne justifie pas pour autant le fait de frapper les adultes malades mentaux ou les personnes âgées atteintes d'Alzheimer. Pourtant, c'est aussi en raison de leur âge et de leur état mental qu'il est difficile de les convaincre par la parole. L'exception inégalitaire que l'on fait encore pour les enfants ne se justifie donc pas.

La pratique des punitions corporelles provoque une autre sorte d'inégalité, cette fois entre les enfants, selon qu'ils sont frappés ou ne le sont pas. Cette inégalité concerne à la fois la santé, les capacités d'apprentissage et les capacités de s'intégrer convenablement dans la société.

Il est aujourd'hui prouvé par de nombreuses études que les punitions corporelles ont des effets nocifs sur la santé physique et mentale des enfants.

Concernant la santé physique, les punitions corporelles, même si elles restent de faible intensité comme les tapes et (parfois) les gifles et les fessées, ont deux actions principales. Les hormones du stress qui se répandent dans l'organisme de l'enfant sous l'effet de toute agression deviennent toxiques quand la défense et la fuite sont impossibles, ce qui est le cas de l'enfant quand il est frappé. Elles détruisent alors des cellules, notamment au niveau du système digestif (ulcération de l'estomac) et des zones du cerveau liées à la mémoire et à l'apprentissage.

Cet effet direct s'accompagne d'un effet indirect beaucoup plus durable lorsque les punitions corporelles sont répétitives, ce qui est assez fréquent. Un organisme soumis à une agression et donc au stress désactive automatiquement un certain nombre de fonctions pour consacrer toute son énergie à la fuite ou à la défense.

Parmi ces fonctions se trouve le système immunitaire. Lorsque l'agression est ponctuelle et ne se reproduit pas, l'organisme retrouve son équilibre une fois le danger passé. Mais lorsque l'agression se répète, le système immunitaire, à force d'être désactivé et réactivé, se dérègle. Il devient moins performant et défend moins bien l'organisme. C'est la porte ouverte aux maladies. On a souvent constaté que les enfants souvent frappés avaient une santé plus fragile et étaient plus souvent malades. Tout récemment, en 2013, on a mis en lumière un effet inverse dû à ce dérèglement : le système immunitaire reste actif même en l'absence d'agent infectieux et met l'organisme en état d'inflammation permanente. Il attaque littéralement l'organisme au lieu de le défendre. C'est la porte ouverte à de graves maladies comme le cancer.

Concernant la santé mentale, les punitions corporelles lui portent atteinte par le biais de l'humiliation que produit le fait d'être frappé, mais aussi d'être jugé défavorablement. L'enfant n'a aucun moyen de contester le jugement implicite à toute punition corporelle. Si on le frappe, c'est qu'il est nul, méchant, désobéissant. Ces auto-accusations font perdre à l'enfant sa confiance en soi et son estime de soi. Répétées au long de l'enfance et de l'adolescence, ces auto-accusations ouvrent la voie à la dépression.

Ainsi, les punitions corporelles et les humiliations introduisent dès le début de leur vie une inégalité statistique entre les enfants qui en subissent et ceux qui n'en subissent pas. Inégalité statistique, car il est évident qu'il y a des exceptions, mais, globalement, cette inégalité existe bel et bien.

Cette inégalité dans le domaine de la santé s'accompagne d'une inégalité face à l'apprentissage. De nombreuses études ont prouvé que le fait d'être soumis à la menace de punitions ou à des humiliations entrave, voire paralyse les capacités d'apprentissage. Comme l'explique le Dr Jacqueline Cornet, « les apprentissages se font par des successions d'essais-erreurs-corrections. Si la correction des erreurs ne se fait pas par un réajustement en rapport avec l'erreur, mais par des ‟corrections” physiques qui n'ont rien à voir et qui provoquent stress et angoisse, l'auteur des erreurs abandonnera peu à peu tout essai et sera inhibé devant les apprentissages. La scolarité, entre autres, risque d'en pâtir lourdement. »

Enfin, et ce dernier point concerne la citoyenneté autant que l'égalité, les punitions corporelles, parce qu'elles sont des violences, agissent de multiples façons sur le comportement des futurs adultes que sont les enfants et risquent de les empêcher de s'intégrer harmonieusement à la société, notamment à une société démocratique.

En effet, les enfants s'éduquent en très grande partie par l'exemple. On sait aujourd'hui que les neurones miroirs présents dans le cerveau enregistrent tous les comportements que nous voyons et nous poussent à les reproduire. C'est particulièrement vrai des enfants, qui sont à un stade où ils apprennent les codes de la société dans laquelle ils vont vivre.

Quand on introduit la violence dans la relation avec un enfant, on apprend à son corps, à son système nerveux, que la violence fait partie des relations normales entre les personnes. De plus, on lui apprend le schéma d'une violence du fort sur le faible. Schéma que l'enfant, devenu adolescent et adulte, risque d'être porté à reproduire, au minimum sur ses propres enfants, à un degré supérieur sur sa conjointe ou, plus rarement, son conjoint, et, à un degré de violence subie encore supérieur, sur n'importe quelle personne qu'il estime avoir des raisons de considérer comme un adversaire.

Un adulte qui porte en lui une telle charge d'agressivité due à son passé aura du mal à s'intégrer normalement à la société, risquera de tomber dans la délinquance, voire dans la criminalité, plutôt que d'accéder à une citoyenneté apaisée. Un enfant dont tous les petits conflits de la vie quotidienne auront été réglés par des rapports de force et par des coups, risque d'avoir acquis le réflexe de passer directement de la tension du conflit à la violence, alors que, dans une société démocratique régie par des lois, la prise de conscience d'un conflit doit amener à le résoudre par des moyens pacifiques.

Les punitions corporelles ont bien d'autres effets. Si elles poussent certains à la violence, elles poussent d'autres, selon leur tempérament, à la soumission à la violence, à l'acceptation passive des injustices. D'autre part, frapper un enfant pour lui interdire un comportement peut le porter à reproduire ce comportement, mais en cachette de ses parents, et à leur mentir ou au contraire à les provoquer : « Même pas mal ! » De tels plis pris pendant l'enfance peuvent favoriser la corruption qui est le cancer de nombre de pays.

Ainsi, la pratique des punitions corporelles introduit dans la société de graves inégalités qui peuvent aller jusqu'à perturber le fonctionnement de la démocratie et donc porter atteinte à la citoyenneté. L'article 222 de la loi Egalité et Citoyenneté est sans doute celui qui a le plus de chances d'agir en profondeur, dès le plus jeune âge des futurs citoyens, pour donner plus de réalité au deuxième terme de la devise de la République française et pour favoriser son fonctionnement démocratique.