Il est urgent de promouvoir la culture du respect de l’enfant comme “ultime révolution possible” et comme élément fondamental de transformation sociale, culturelle, politique et humaine de la collectivité.

Maria Rita Parsi, psychologue italienne.

La violence éducative ordinaire, bombe à retardement

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site.

- Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?
J'ai subi une violence éducative ordinaire de la part de ma mère : sous forme physique, par de nombreuses gifles et fessées ; et sous forme psychologique, par l'instillation en moi du sentiment que dès que je faisais quelque chose qui ne plaisais pas à ma mère, elle me méprisait, me rejetait, ne m'aimait plus.

 

Sur le plan physique, je recevais des baffes et fessées environ une fois par semaine. J'ai été particulièrement marquée par celles reçues en CM2. Toutes les semaines, je devais apprendre des leçons d'histoire par cœur, et comme je n'y arrivais pas, le ton montait, la situation s'envenimait, et elle explosait : elle me frappait sans s'arrêter pendant que j'étais au sol, elle devenait complètement folle. Plusieurs fois, je me suis barricadée dans ma chambre, terrorisée, pendant qu'elle essayait d'ouvrir la porte pour me frapper. J'en fais encore des cauchemars aujourd'hui.La violence éducative restait du domaine de l'« ordinaire » dans la mesure où je n'avais aucune trace physique vérifiable après coup par un médecin. Dans le pire des cas, j'ai saigné du nez.

 

Sur le plan psychologique, je pense que ma mère n'a jamais été très maternante. Elle a même « orchestré » (probablement involontairement) un véritable manque affectif. Je déduis cela de la façon dont elle traitait mon petit frère quand il était bébé et souffrait d'eczéma : alors que mon père voulait le consoler, elle disait « Laisse le pleurer », « Il va faire de toi son esclave », « Il faut qu'il comprenne »… Je le déduis aussi de ses conseils lorsque mon propre bébé est né, les mêmes que pour mon frère. Je le déduis enfin de mes difficultés relationnelles, mon besoin de reconnaissance, mon sentiment d'angoisse et de culpabilité, aussi longtemps que je me souvienne.Ma mère a tout fait pour me complexer sur mon physique et ma féminité. Par exemple, en me voyant le matin, elle prenant souvent un air dégouté : « qu'est-ce que tu es négligée ! », sans que je sache ce que voulait dire « négligée ». « Tes cheveux, c'est de la filasse ». « Tes oreilles, elles sont décollées, plus tard il faudra faire de la chirurgie esthétique ». Elle m'avait incitée à prendre des cours de danse classique, pour au final se moquer de moi tous les samedi : « Qu'est-ce que tu es raide ! Aucune grâce ». A la maison comme à l'école, elle nous (mon frère et moi) forçait à mettre des vieux pantalons moches, dont tout le monde se moquaient. Ce n'est qu'à 14 ans que j'ai eu enfin le courage de réclamer le droit de m'habiller un peu plus normalement !

Elle diabolisait les relations amoureuses et tout ce qui pouvaient y être lié de près ou de loin. Par exemple, elle faisait un « oooh » de mépris et de dégout quand les héros s'embrassaient à la fin des dessins animés de Walt Disney. Elle critiquait Arielle la Petite Sirène pour vouloir séduire le prince charmant et être trop « maniérée ». Quand elle racontait le soir ses journées de travail en tant qu'enseignante, elle critiquaient toujours les « midinettes » qui étaient trop coquettes à son gout. Les garçons étaient soient des « racailles », soit des « minets ». Quand une fois mon père nous a annoncé le mariage d'une cousine, elle s'est mise en colère : «Et tu trouves que c'est une bonne nouvelle ? Elle n'a même pas fini ses études ». En conséquence, j'ai longtemps eu une peur panique des garçons et une grande culpabilité dans les relations amoureuses.

L'emprise psychologique de ma mère était telle que je n'osais rien faire ou dire qui puisse lui déplaire. J'essayais d'être une fille parfaite à ses yeux, c'est-à-dire très sérieuse dans les études et intéressée à rien d'autre qu'aux études. Par exemple, en 3e, j'écoutais en cachette dans ma chambre 3 chansons à la mode que m'avait prêtées une amie sur une cassette. Jamais je n'aurais osé avouer à ma mère que je pouvais aimer des chansons à la mode.

Une dernière forme de violence éducative ordinaire était le

mensonge. Elle utilisait cette arme en permanence pour assoir son pouvoir, nous convaincre de lui obéir, nous faire peur… Assez rapidement, j'ai perdu confiance en elle. Quand vers 6 ans je me suis rendue compte que le Père Noël n'existait pas, j'étais révoltée. C'était une preuve de plus de son absence d'honnêteté, de crédibilité. A l'adolescence, le fait que je n'avais aucune confiance en elle a contribué aux conflits.A sa décharge, ma mère était très instable psychologiquement. Elle était dépressive, faisait des crises de tétanie et d'hystérie. Maintenant, elle suit un traitement anti-dépressif et elle va beaucoup mieux, ce qui me confirme qu'elle avait un vrai problème qui relevait du cadre de la psychiatrie. Mais les racines de sa violence éducative sont aussi plus profonde, dans la mesure où aujourd'hui encore, elle essaye de justifier de manière théorique cette violence.

 

- A partir de et jusqu'à quel âge ?

Sur le plan physique, d'après ma mère elle-même, elle m'a donné sa 1ère baffe quand j'avais 1 an ! J'avais essayé de l'assommer avec un biberon, paraît-il… Elle a toujours été très fière de me raconter cette histoire, comme si elle se vantait d'avoir été une « bonne mère » en m'inculquant une discipline de fer très tôt ! « Qui aime bien châtie bien », répétait-elle. Aujourd'hui, j'ai un bébé de 1 an, je suis scandalisée à l'idée qu'on puisse frapper un bébé de cet âge.

Je me rappelle très bien de la dernière baffe que ma mère a voulu me donner. J'avais 14 ans. C'était le jour de l'an, elle était très en colère car j'avais oublié que c'était le jour de l'an et donc j'avais oublié de lui souhaiter la bonne année. Elle a boudé toute la journée et attendait la moindre étincelle pour exploser. C'est dans le garage que l'étincelle est arrivée, la baffe est partie mais j'ai eu le réflexe de baisser la tête. La main de ma mère a atterrit contre la portière de la voiture et elle a eu mal. Mon frère aussi avait le même âge quand plus tard, elle a essayé de lui donner la dernière baffe. Il s'est rebiffé et du haut de son mètre 80, lui a fait une prise de judo et l'a jetée par terre.

Sur le plan psychologique, le manque affectif qui a permis à ma mère d'avoir autant de pouvoir sur mon frère et moi a probablement été « orchestré » dès notre naissance.

 

- Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)

Principalement ma mère.

 

- Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?

Ma mère a très probablement subi la même violence éducative que moi dans son enfance. Elle a reproduit exactement le même schéma, les même méthodes.

Je sais qu'elle en a souffert. Elle nous parlait parfois d'une histoire où son père lui avait donné une grosse baffe devant ses copines et elle n'avait pas compris pourquoi, avait trouvé ça injuste. Elle disait souvent, quand on se plaignait : « Et encore, moi c'était pire ! ». Elle raconte aussi qu'aussi longtemps qu'elle se souvienne, elle s'est toujours sentie triste. Sans doute le résultat d'un manque affectif.

Je pense qu'elle a conscience des souffrances associées à ces méthodes d'éducation très dures et rigides, mais qu'elle considère qu'elles ont l'avantage d'être efficaces. Elle a surement essayé d'adoucir un peu les choses par rapport à ce qu'elle a connu, mais son instabilité psychologique l'en a empêchée.

 

- Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir "bien mérité"...) ?

Face à la violence physique, je ressentais d'abord de la peur, puis de la révolte, liée au sentiment d'humiliation et d'injustice. Je ne comprenais pas pourquoi les parents avaient de tels droits sur leurs enfants. En plus, ça me semblait en désaccord avec les discours théoriques non violents de mon père. Je me disais que je me vengerai.

La « vengeance rapide » était que je « boudais », je prenais mes distances avec ma mère. Quand elle se calmait après ses déchainements de violence, elle venait parfois dans ma chambre en pleurant pour s'excuser. Je n'acceptais aucune excuse. Je refusais les bisous, les câlins. Aussi longtemps que je me souvienne, ma mère se plaignait que je n'étais pas câline, que j'étais distante, froide, elle me traitait de « cœur de pierre ». J'ai longtemps cru que c'était vrai. En réalité, j'ai découvert une fois adulte combien j'étais naturellement câline, sensible. Mon « cœur de pierre » était ma réaction face à la violence éducative ordinaire.

La « vengeance lente », c'était ma hâte de quitter la maison. Je me disais que tout irait mieux quand je serai « grande », et donc j'avais très hâte de grandir, partir, être indépendante. Quand j'entendais les autres enfants ou adolescents dire qu'il faut profiter quand on est jeune, je ne comprenais pas. Profiter de quoi ? L'enfance n'était pour moi qu'un mauvais moment à passer.

Face à la violence psychologique, bizarrement, j'absorbais tout, je croyais tout. Je perdais confiance en moi, je me dévalorisais. J'ai mis du temps avant d'être capable de remettre ces paroles en cause et d'avoir un autre regard sur moi-même.

 

- Avez-vous subi cette (ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?

Mon père, admirateur de Gandhi et du Dalai Lama, prêchait la non-violence, mais il n'avait aucune autorité dans la maison. Ma mère l'obligeait à se ranger de son côté, elle disait souvent : « tu es un lâche, j'en ai marre que ce soit toujours moi qui joue le mauvais rôle et passe pour le grand méchant loup ». Son rôle à mes côtés était d'autant plus restreint qu'il semblait indifférent vis-à-vis de moi, toujours distant. Il semblait préférer mon frère, qu'il protégeait beaucoup plus. J'avais l'impression qu'il considérait que moi j'étais forte, que je n'avais pas besoin d'aide, que j'allais bien.

Je lui doit tout de même beaucoup : lors des grosses crises de rage où ma mère perdait tout contrôle d'elle-même et me frappait sans s'arrêter alors que j'étais au sol, c'est lui qui venait me défendre. Plusieurs fois aussi, alors que ma mère me courait après pour me frapper, j'ai été me réfugier en haut d'un arbre dans le jardin, en attendant qu'il rentre du travail et calme ma mère.

Je pense que si je suis malgré tout assez normale aujourd'hui, c'est en partie grâce à mon père. J'ai été sensibilisée à son idéologie non violente.

 

- Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?

La « bonne » conséquence, c'est que j'étais très sage, obéissante, très sérieuse, très brillante dans mes études. J'étais la 1ère de ma classe tout au long de ma scolarité.

La « mauvaise » conséquence, c'est que j'étais très timide, craintive, j'avais peur de tout. Je n'avais confiance en personne. J'étais très mal intégrée dans toutes les classes où j'étais. De la maternelle à la fin du lycée, ma scolarité a été un enfer, tellement j'étais différente des autres, complexée et inapte aux relations humaines. Je ne comprenais pas mes camarades, et c'était réciproque. Longtemps, je me disais que j'étais mal intégrée car ils étaient jaloux ou n'acceptaient pas la différence. Mais avec du recul je pense que j'avais de vrais problèmes relationnels. Aussi, j'avais une peur panique des garçons.

 

- Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ?

La « bonne conséquence », c'est qu'après avoir réussi très brillamment mes études, j'ai un travail « de rêve », que j'adore. Mes parents nous disaient toujours de travailler comme une dingue, que c'est dure mais que plus tard on pourra enfin faire ce qu'on veut, avoir un bon travail… Pour mon frère, ça malheureusement a échoué lamentablement, mais pour moi, je dois avouer que ça a très bien marché.

J'ai fait un gros travail sur moi-même pour essayer de me dégager de son emprise et de me « rééduquer » à ma manière. Ce travail a commencé dès l'adolescence, et il continue encore aujourd'hui à 33 ans. Grâce à ça, depuis une bonne dizaine d'années déjà, on peut dire que je mène une vie « normale ». Malgré tout, j'ai encore quelques séquelles, comme des cauchemars fréquents et récurrents de ma mère, une gros besoin d'affection et de reconnaissance, des difficultés de communication parfois dans mon couple. Même encore maintenant, je ressens parfois son emprise. Par exemple, quand je lui ai fait part de mon intention de renoncer à un objectif professionnel, j'ai ressenti, plus que jamais (car avec toutes mes capacités d'analyses), son mépris et son amour uniquement conditionnel, et ça m'a fait mal.

Le conséquence la plus handicapante a été pour ma vie amoureuse, vu que ma mère diabolisait tout ce qui s'y rapportait. Ma vie amoureuse a été une longue série d'échecs et de déceptions. Quand je me suis rendu compte que le travail que je faisais sur moi-même ne suffisait pas, j'ai consulté une psychologue. Trois séances ont suffit pour débloquer la situation. C'est lors de ces séances que j'ai pris soudainement conscience de l'étendue de la violence éducative ordinaire dont j'ai été victime. Je me suis rappelé plein de souvenirs d'enfance, et je me suis rendu compte que j'étais en fait une fille très sensible qui se protégeait par un soi-disant « cœur de pierre ». Ces séances m'ont permis ensuite de continuer le travail d'analyse par moi-même. Hasard ou pas, c'est juste après la 2e séance que j'ai rencontré mon mari.

 

- En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?

Petite, je m'étais juré de ne jamais frapper mes enfants. Je m'étais aussi juré de ne jamais leur mentir. Ces promesses sont toujours d'actualité.

J'ai longtemps cru que, mis à part la violence physique et les mensonges, l'éducation que j'avais reçu était bonne, puisque ça m'avais permis de réussir professionnellement. De plus, je ne connaissais pas d'autres modèles. Juste avant la naissance de mon bébé, j'ai lu par hasard un livre offert en cadeau par une collègue,« Bébé dis-moi qui est tu » du Dr Grandsenne. Mon état d'esprit a commencé à changer. Dès la naissance, mon bébé a eu des gros problèmes de reflux qui ont fait que le maternage était épuisant, difficile. Il souffrait dès qu'on le posait, il fallait toujours le maintenir vertical, il tétait toutes les heures jour et nuit. L'allaitement était une épreuve. Je me suis tournée vers La Leche League où j'ai eu beaucoup de discussions qui m'ont inspirées. Plus je me documentais sur internet, plus je me sentais en phase avec les idées de maternage proximal, de parentalité positive, de communication non violente, de méthodes « sans perdant », etc... C'est à ce moment que j'ai définitivement « basculé » contre la violence éducative ordinaire.

Aujourd'hui, je suis une mère très maternante. Mon fils de 1 an est toujours allaité et dors avec moi. Je fais de mon mieux pour appliquer mes principes non violents. J'éprouve beaucoup d'empathie pour tous les enfants et je ressens souvent de la révolte quand j'en vois subir de la violence éducative ordinaire.

 

- Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?

Le point positif, c'est ma réussite professionnelle. Aurais-je autant réussi mes études avec une éducation sans violence ?

Le point négatif, ce sont les séquelles psychologiques que j'ai longtemps trainé comme des boulets, et dont je n'ai pu m'affranchir que récemment, partiellement, au prix d'un long travail sur moi-même. Mon frère, lui, n'a jamais su s'en affranchir, il est dépressif, associable, a une peur panique des autres.

Je considère mon enfance comme assez malheureuse. J'ai toujours eu du mal à comprendre ceux qui regrettaient leur enfance. Je me sens tellement mieux adulte. Pour moi, l'enfance n'était qu'un « tremplin », un mauvais moment à passer pour être un adulte « réussi ». Mais aujourd'hui, je pense que la quête du bonheur pendant l'enfance est une fin en soi. L'enfance doit être heureuse pour donner un adulte heureux.

 

- Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?

Oui, je pense que la violence éducative est profondément ancrée dans notre société.

 

- Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression "violence éducative ordinaire" ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et "violence éducative ordinaire" ?

La violence éducative ordinaire évoque une violence acceptée, quotidienne, tout comme le « racisme ordinaire » ou le « machisme ordinaire ». En fait partie tout ce qui blesse l'enfant psychologiquement ou physiquement.

La blessure peut être immédiate ou durable. Par exemple, face à des critiques ou humiliations, l'enfant peut d'abord croire que ce que disent les adultes est juste, puis, une fois adulte, se rendre compte que ces paroles l'ont blessé et handicapé de manière durable. La violence éducative ordinaire peut ainsi agir comme une « bombe à retardement ».

La différence entre maltraitance et «violence éducative ordinaire », c'est que la 1ère est illégale, alors que la 2e est légale, même acceptée socialement. Entre les deux, la différence est de degré.

 

- Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?

Non, je suis d'accord avec tout.

 

- Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?

J'ai connu votre site en faisant des recherches sur internet au sujet de l'éducation de mon enfant.

 

- Ce site/livre/salon/conférence a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l’égard des enfants ?

Ça a confirmé mon point de vue, déjà bien établi.

Le site m'a permis de découvrir les travaux d'Alice Miller, très intéressants.

J'ai aussi apprécié lire les témoignages, qui montrent combien la violence psychologique peut être aussi douloureuse et traumatisante que la violence physique, même si elle est tout à fait légale.

Camille, 33 ans.

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