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Lettre ouverte à Claude Halmos

Lettre ouverte à Claude Halmos sur sa prise de position dans Elle

Par Olivier Maurel

Madame,

J’apprécie fort votre réaction contre l’actuel retour à l’autoritarisme qui se manifeste à travers les ouvrages d’Aldo Naouri ou de Didier Pleux.

Mais à la lecture de votre intervention dans le magazine Elle du 27 novembre 2009, j’ai l’impression que vous avez des punitions corporelles une vision mythique qui m’étonne de la part de quelqu’un qui, par ailleurs, a des positions si louables.

Vous opposez, d’un côté la maltraitance qui serait le fait des parents sadiques qui prennent plaisir à frapper leur enfant ou qui ne connaissent que ce moyen pour faire obéir leurs enfants, et de l’autre, les parents tendres, affectueux, respectueux, qui parlent à leurs enfants, et à qui, exceptionnellement, un jour, échappe une fessée quand l’enfant qui est allé trop loin les a excédés.

Cette vision est irréaliste. Le parent qui arrive à ne donner qu’une seule fessée « un jour » est un mythe. Un enfant qu’on a commencé à frapper a toutes les chances d’être frappé régulièrement, voire souvent. Un enfant qui commence à être frappé, à moins qu’il ne soit très docile, devient assez vite indifférent aux coups, et il en faut plus d’un pour qu’il obéisse. Ce qui a toutes les chances d’engager les parents sur la voie d’une escalade où l’enfant va passer de l’unique fessée mythique à une fessée par an, par mois, par semaine, ou par jour, avec tous les dégâts que cela peut causer à sa santé physique et mentale.

Vous semblez ne pas voir qu’il y a une continuité entre les formes de violence tolérées à l’égard des enfants et celles que nous appelons maltraitances, mais qui sont très souvent le simple résultat d’une escalade tout à fait semblable à celle que l’on constate dans la violence conjugale. Si la femme menacée par son mari ou son compagnon n’a pas su dire fermement “Non !” dès la première menace, son compagnon risque fort de passer des menaces aux actes et de s’engager dans des violences de plus en plus fortes. Or, pour des enfants qui n’ont pas le pouvoir de dire non ni de menacer de quitter leurs parents, c’est la société qui doit poser un interdit très clair avant même la première violence, si faible soit-elle.

Et, en admettant même que l’enfant obéisse à la première, à la deuxième ou à la troisième fessée, que lui aura-t-on appris, sinon la soumission à la violence dès le plus jeune âge, soumission à une intrusion extérieure qui est le contraire de l’apprentissage de l’obéissance à sa conscience ou à son intelligence, c’est-à-dire de l’autonomie ? Cette même soumission produira plus tard, par exemple, des automobilistes qui obéissent non pas au code de la route, mais à la menace du gendarme.

L’exemple des pays qui ont interdit cette violence, comme la Suède qui est celui où l’interdiction est la plus ancienne, et qui ont su l’accompagner des mesures nécessaires (information, soutien aux parents) montre bien que le nombre de décès d’enfants par maltraitance diminue après le vote de la loi d’interdiction. C’est donc une contre-information que vous donnez lorsque vous dites qu’« une loi ne changera rien pour les enfants maltraités ». Bien au contraire, la tolérance de la société envers les punitions corporelles infligées aux enfants est le terreau de la maltraitance, de même qu’elle est le terreau de la violence par l’exemple qu’elle donne aux enfants, et de l’incivisme par l’habitude qu’elle donne de n’obéir qu’à la violence.

Légiférer, ce n’est pas faire du mal aux enfants en leur donnant une mauvaise image de leurs parents, c’est aider les parents à ne pas faire une chose qu’ils savent (parce que c’est interdit) anormale et inutile, c’est les conforter dans la certitude qu’il ne faut pas le faire ! C’est donc aider les parents à donner une meilleure image d’eux à leurs enfants !

Olivier Maurel
Président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire