Il est urgent de promouvoir la culture du respect de l’enfant comme “ultime révolution possible” et comme élément fondamental de transformation sociale, culturelle, politique et humaine de la collectivité.

Maria Rita Parsi, psychologue italienne.

Un dossier consternant sur les punitions corporelles

A propos du dossier du Nouvel Observateur sur les punitions corporelles (juin 2008)

Par Olivier Maurel, Président de l'Observatoire de la Violence Educative Ordinaire (OVEO).

A l’occasion du procès du professeur de Berlaimont qui a giflé un de ses élèves, Le Nouvel Observateur a consacré tout un dossier aux punitions corporelles : « Nos enfants sont-ils des têtes à claques ? » (N° 2277, jeudi 26 juin 2008.)

Dossier consternant, à la fois par ce qu’il rappelle de l’état de l’opinion publique en France dans ce domaine et par la manière dont il caresse cette opinion dans le sens du poil.

Ce dossier, en effet, ne donne pratiquement la parole qu’aux partisans des punitions corporelles. Comme association opposée à ces punitions, il ne mentionne que “Ni claques ni fessées”, mais la journaliste (Claire Fleury) la connaît si mal qu’elle ignore qu’“Eduquer sans frapper” n'est pas une autre association, mais l’ancien nom de “Ni claques ni fessées”. Pas un mot sur la pétition signée par 138 associations qui ont demandé que soient interdites les punitions corporelles. En revanche, longue interview de l’inénarrable Aldo Naouri qui, du haut de sa notoriété, tout en se disant opposé aux fessées et même aux tapes sur la main, condamne la campagne du Conseil de l’Europe en faveur de l’interdiction des punitions corporelles.

Mais ce que ce dossier met particulièrement en lumière, c’est l’incroyable achar­ne­ment que mettent à défendre la fessée et la gifle aussi bien les responsables politiques que des enseignants, des magistrats ou des professionnels de l’enfance. Acharnement qui ne s’appuie sur aucune connaissance réelle du phénomène de la violence éducative, de ses effets et, bien sûr, des autres possibilités d’accom­pa­gne­ment sans violence des enfants. Ajoutons à cela que, dans le cas présent, ceux qui ont pris le parti du professeur n'ont tenu aucun compte de son comportement brutal (il avait jeté par terre les affaires de l'élève) avant que celui-ci ne l'ait insulté.

Ecoutons d’abord quelques responsables politiques :

Nadine Morano, secrétaire d'Etat à la Famille (UMP) : « J'ai donné des fessées à mes propres enfants. On commence par expliquer gentiment, une fois, deux fois... Et au bout d'un moment... Je n'ai pas l'impression qu'ils soient spécialement traumatisés. Je ne milite évidemment pas pour les châtiments corporels. Tout est une question de mesure. Pour moi, la fessée, c'est un non-sujet. »

De l’autre bord, Harlem Désir, responsable socialiste et député européen qui, en d’autres temps, clamait « Touche pas à mon pote ». La main censée protéger le « pote » n'hésite pas aujourd'hui à s'abattre sur les fesses d’un enfant : « Le gamin qui traverse la rue et manque de se faire écraser, il faut bien lui montrer qu'il a fait quelque chose de grave ! Lui coller une fessée, ce n'est pas la panacée, mais on l'a tous fait ! Le modèle suédois, je veux bien, mais il a des limites : la prohibition des châtiments corporels, ça ne fait pas partie de la flexisécurité ! J'en tiens pour le vieux bon sens français. »

On appréciera particulièrement ce « vieux bon sens français » qui, en d’autres temps, justifiait tout aussi bien la bastonnade ou les coups de ceinturon.

François Bayrou, qui avait vu sa cote monter dans les sondages après la gifle qu’il avait donnée à un enfant qui lui faisait les poches, est tout aussi sûr de lui : « J'ai simplement fait mon boulot d'adulte. »

Ajoutons le Premier ministre, François Fillon, qui a dit « comprendre le geste » du professeur de Berlaimont. Quant à Luc Ferry, philosophe et ancien ministre de l'Education nationale, il « en aurait bien collé deux à l’élève ».

Une exception toutefois : Marylise Lebranchu (PS), ex-garde des Sceaux, qui affirme clairement : « La gifle fait seulement du bien à celui qui la donne. La violence n'amène que la violence. »

Pas étonnant, donc, que la France n’ait envoyé aucun représentant le 15 juin dernier à la conférence de Zagreb qui lançait la campagne du Conseil de l’Europe, si ce n'est un ambassadeur qui n’avait rien à dire... puisqu’il n’existe aucune position officielle de la France sur cette question. Comme l’a dit très clairement Madame Morano : la fessée est un non-sujet. Reconnaissons que Le Nouvel Observateur semble un peu choqué de cette absence : « Comment expliquer cet étrange silence ? Est-ce parce qu’ils [les Français] se croient par essence le pays des droits de l'homme ? Ou plutôt parce qu'en matière d'autorité à l'égard des enfants ils sont en pleine “révolution” (ou régression ?) culturelle ? » Les 80 000 enseignants qui ont signé la pétition en faveur du professeur gifleur témoignent de l’opinion du corps enseignant, illustrée dans le dossier par les propos sans ambiguïté d’un professeur de français parisien : « C'est très important que les profs ne frappent pas leurs élèves, mais c'est très important aussi... que le prof puisse claquer un élève. » Comme on le voit : claquer n’est pas frapper !

Même distinction chez un juge d’Avignon : « Non au châtiment corporel, répond évidemment le juge, mais oui à la gifle ou à la fessée dite “pédagogique”. Celle qui part lorsque l'adulte se retrouve dans l'obligation de dire non à tout prix. »

Quant aux professionnels de l’enfance, Le Nouvel Observateur donne à entendre deux des plus médiatiques :

Marcel Rufo d’abord, qui se range lui aussi du côté de l'enseignant. Et surtout Aldo Naouri, pour qui « il faut élever les enfants sur un mode dictatorial, “fasciste” même, pour en faire plus tard des démocrates. Car, si on les élève de façon démocratique, on en fera assurément plus tard les pires fascistes qui soient. » Propos aberrants totalement démentis, d’une part par l’existence de la « pédagogie noire », effectivement dictatoriale et « fasciste » avant la lettre, qui régnait en Allemagne à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, et qui a donné non pas la démocratie, mais le nazisme ; d’autre part, par l’éducation non autoritaire et non répressive reçue par la majorité des « Justes » (voir sur notre site l’article : Réponse à un journal suisse sur l'enfant-roi).

Paradoxalement, Aldo Naouri se dit totalement opposé aux punitions physiques : « Je suis résolument contre tout châtiment corporel, qu'il s'agisse d'une fessée ou même d'une tape sur la main, même si cela n'a jamais tué personne. » Mais il « trouve néanmoins aberrante cette campagne européenne contre la fessée. En quoi les Etats devraient-ils se mêler de ce qui se passe à l'intérieur des familles ? »

On aimerait savoir ce qu’il pense de la loi votée le 23 mars 2006 qui renforce la prévention et la répression des violences au sein du couple. S’il trouve normal que l’Etat intervienne lorsqu’un homme frappe sa femme, pourquoi trouve-t-il anormal qu’il intervienne pour interdire de frapper un enfant ?

De plus, la méthode que suggère Naouri est clairement d'habituer les enfants à se soumettre à l'autorité sans qu’on ait besoin de les frapper, mais par la menace permanente et insidieuse de ce qui se passerait s'ils n'obéissaient pas, ce qui est aussi destructeur que de les frapper. Il ne dit d'ailleurs pas ce que doivent faire les parents dans le cas où l'enfant, malgré l'attitude autoritaire des parents, désobéirait malgré tout. Quel autre recours les parents auraient-ils alors que de frapper ? On peut avoir la tentation du découragement devant cette quasi-unanimité en faveur des punitions corporelles, même dans le cas où, comme à l’école, elles sont interdites depuis longtemps.

Mais, paradoxalement, cette apparente unanimité témoigne peut-être d'un autre phénomène. Gandhi écrivait en 1921 : « Toute lutte pour la justice passe par l'épreuve de cinq étapes : l'indifférence, le ridicule, la calomnie, la répression et le respect. »

La campagne pour l’interdiction des punitions corporelles traverse, si l'on peut dire, simultanément les trois premières étapes. La première est presque dépassée. Les médias abordent fréquemment la question des punitions corporelles. Et la campagne du Conseil de l'Europe va sans doute encore renforcer cette tendance. Toutefois, en traitant de cette question, ils réduisent le plus souvent les punitions corporelles à la fessée, ce qui leur permet des plaisanteries caractéristiques de la deuxième étape. Les parents qui refusent de frapper leurs enfants savent combien on peut être jugé défavorablement, voire calomnié, quand on a fait ce choix. On peut espérer que la répression nous sera épargnée. Mais l'acharnement à défendre la fessée et à protester contre son éventuelle interdiction est peut-être le signe qu'on pressent l'approche d'un changement. Et le respect est peut-être moins éloigné qu'on ne croit. Ce que je peux constater pour ma part, c'est que si, il y a quelques années, je n'étais invité à donner des conférences que par des associations militantes, depuis l'an dernier ce n'est plus le cas. De plus en plus, ce sont des organismes officiels qui m'invitent : CCAS, REAAP, conseils généraux, et souvent pour parler à des publics très réceptifs de centaines de professionnels de l'enfance. Autrement dit, les choses bougent à la base, mais nos « élites », qui ne se sont jamais intéressées à cette question, n'ont pour le moment de ce changement qu'une vague crainte qui ne fait que durcir leur position.

A nous de les obliger à prendre conscience qu'il n'est pas normal que les enfants soient moins bien protégés que les adultes.


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