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Une étude confirme le lien entre recours à la fessée et risque accru de « maltraitance caractérisée »

Introduction de l'OVEO

Cette étude particulièrement intéressante (Quel est le lien entre châtiment corporel et « maltraitance » des enfants ?, voir plus bas résumé et extraits traduits) nous donne l’occasion de revenir sur les concepts et la terminologie employés dans la plupart des études statistiques sur les châtiments corporels et leurs conséquences.

L’OVEO, à la suite des travaux d’Alice Miller, d’Olivier Maurel et de tout le mouvement contre la violence éducative ordinaire né à partir des années 1960-70, attache une importance particulière au fait de ne pas établir une différence de nature, mais « seulement » de degré, entre la violence éducative ordinaire (VEO), qui est par définition le degré de violence éducative considéré comme normal et même nécessaire, et ce qu’une société donnée qualifie de « maltraitance » – autrement dit, les formes de violence supposées inacceptables par la plus grande partie de cette société.

Il est significatif que l’étude ci-dessous montre une corrélation forte entre le « châtiment corporel » (corporal punishment) – supposé acceptable, voire recommandable, par la plus grande partie de l’opinion publique – et la « maltraitance physique » (physical abuse) : on pourrait d’ores et déjà en conclure que la maltraitance, même dite « caractérisée », est bel et bien de la violence éducative… ordinaire ! Inversement, ce que nous appelons « violence éducative ordinaire » recouvre en réalité des façons de traiter les enfants dont la plupart devraient en toute rigueur être qualifiées de « maltraitance ». « Mal traiter » un enfant, c’est bel et bien le « maltraiter », même lorsque la société persiste à faire cette « distinction subtile »1.

Lorsque Alice Miller parlait de « maltraitance » ou d’enfant « battu », elle entendait par là toute forme de mauvais traitement, quel que soit son degré de « gravité »2. Tout en parvenant à la conclusion qu’aucune forme de violence physique n’est acceptable, l’étude semble admettre comme un fait établi, par exemple, que « battre » (beating) un enfant n’est pas un « châtiment corporel »3.

L’ambiguïté existe aussi bien en français qu’en anglais et dans d’autres langues. En français, le terme « éducation » peut désigner tant le simple fait d’élever un enfant (dans une relation de parentage) que les méthodes diverses employées pour cela, voire l’instruction et les méthodes d’enseignement.

Par ailleurs, si l’OVEO se prononce contre la VEO sous toutes ses formes, même les moins reconnues, ce n’est pas seulement – loin de là – parce que le fait qu’un enfant reçoive ou ait reçu des fessées est statistiquement corrélé avec un risque important qu’il subisse ou ait subi non seulement des fessées, mais d’autres violences physiques plus « graves ». Sans quoi cela pourrait laisser supposer que, s’il était possible (comme le soutiennent certains) de recourir aux châtiments corporels supposés « peu graves » sans que cela s’accompagne d’autres violences physiques dites « graves », ces châtiments corporels seraient souhaitables, étant donné leur « efficacité » (fût-elle toute relative) pour obtenir les résultats désirés par les parents qui y recourent : obéissance immédiate, mettre fin à des comportements non souhaitables ou jugés tels.

Même si une telle « efficacité » était réelle et prouvée indiscutablement, et même si cela ne s’accompagnait pas d’autres effets indésirables à court ou à long terme, les châtiments corporels n’en resteraient pas moins une façon d’élever les enfants dépourvue de tout respect, destructrice des relations et peu prometteuse pour la façon de penser des adultes que deviendront les enfants ainsi traités.

Que dirait-on si quelqu’un suggérait qu’il est acceptable de gifler son conjoint ou son partenaire adulte, dans la mesure où il n’y a pas risque de violences plus « graves » ni de violences psychiques particulièrement dégradantes, mais seulement quelques petits manques de respect bien compréhensibles et anodins entre gens qui s’aiment, et y compris lorsque cela est à sens unique ? Pourtant, c’est ce que nous faisons aux enfants, et qui est jugé acceptable et souhaitable par la plupart des adultes : des violences physiques « peu graves » et un manque de respect permanent, tout cela à sens unique (de l’adulte vers l’enfant), sous le seul prétexte d’éduquer.

Éduquer, c’est-à-dire, dans ces conditions : faire obéir, contrôler, obtenir que l’enfant fasse ce que nous voulons. Tous objectifs considérés comme louables, et le but même de l’éducation.


A lire entre autres à ce sujet, sur notre site :


Quel est le lien entre châtiment corporel et « maltraitance » des enfants ?

Sabrina Fréchette, Michael Zoratti, Élisa Romano. Étude originale : What Is the Link Between Corporal Punishment and Child Physical Abuse?, in Journal of Family Violence, volume 30, n°2, p. 135-148, février 2015. (Etude réalisée sur un échantillon de 370 étudiants en première année de psychologie d'une université canadienne.)

Résumé – Cette étude s'est donné pour objectif de contribuer à la littérature sur les châtiments corporels en examinant le lien entre recours à la fessée et maltraitance physique envers les enfants*. Premièrement, nous avons examiné dans quelle mesure les personnes qui ont reçu des fessées dans leur enfance présentaient un risque plus élevé d'avoir également subi des maltraitances physiques de la part de leurs parents. Deuxièmement, nous avons examiné divers facteurs relatifs à la famille et au type de parentage qui pouvaient permettre de distinguer si la fessée était ou non utilisée dans un contexte de maltraitance physique. Un échantillon de 370 étudiants d'université ont rempli un questionnaire sur leur vécu disciplinaire à l'âge de 10 ans. Les résultats suggèrent que les personnes qui ont indiqué avoir reçu la fessée pendant l'enfance présentaient aussi un risque accru d'avoir également subi des maltraitances physiques. Parmi les personnes qui ont indiqué avoir reçu des fessées, une plus grande fréquence des fessées, la perception d'une discipline parentale impulsive et le témoignage de violences physiques entre les parents étaient corrélés de façon [statistiquement] significative avec un accroissement du risque de maltraitance physique. Cette recherche contribue au corpus croissant de preuves attestant des risques associés aux châtiments corporels envers les enfants.

* L'étude définit ainsi (p. 137 de l’article) les maltraitances physiques : « D'après le ministère canadien de la Justice (2012), la maltraitance physique à l'encontre d'un enfant implique un recours délibéré à la force tel qu'il blesse l’enfant ou l'expose au risque d'être blessé. Cette force peut se traduire par des actes comme battre, taper, secouer, pousser, étouffer, mordre, brûler, frapper ou attaquer l’enfant avec une arme. »

Extraits traduits

P. 135 :

Il existe plusieurs approches de l'usage des châtiments corporels (CC). La première, globalement favorable au recours à ces châtiments, très peu présente dans la littérature scientifique et que l'on trouve principalement dans l'opinion publique, affirme que les CC enseignent le respect de l'autorité et sont essentiels pour maintenir le contrôle sur l'enfant (Benjet et Kazdin 2003).

Une autre approche, celle des CC conditionnels, affirme que le recours à la force physique dans un but disciplinaire pourrait être bénéfique sous certaines conditions. En particulier, Larzelere (1996 ; 2000 ; Larzelere et Kuhn 2005) conclut de son examen de la littérature scientifique et des méta-analyses que le recours modéré et occasionnel à la fessée, utilisée en certaines circonstances, a des effets positifs sur l'obéissance immédiate de l'enfant ainsi que sur ses comportements oppositionnels et antisociaux. Selon ses conclusions, le recours modéré et occasionnel à la fessée améliorerait également l'efficacité d'autres stratégies disciplinaires telles que l'explication et la mise à l'écart [time-out]. Larzelere (2000) a suggéré que les conditions suivantes caractérisent des CP efficaces et appropriés :

(a) ils ne sont pas excessivement sévères
(b) ils sont motivés par le souci de l'enfant
(c) ils sont administrés entre les âges de 2 et 6 ans
(d) ils sont administrés de façon maîtrisée [c'est-à-dire pas sous l'emprise de la colère ou de l'impulsivité]
(e) ils sont administrés en privé
(f) ils sont utilisés de façon souple
(g) ils sont administrés après un seul avertissement
(h) ils sont combinés avec l'approche consistant à raisonner l'enfant ou d'autres stratégies disciplinaires

P. 139 (Objectifs de l’étude) :

Les études précédentes visant à établir des distinctions entre CC et maltraitance se basaient généralement sur les caractéristiques d’âge, sexe, et comportement tant de l’enfant que du parent, sans résultats probants. Elles ont aussi étudié l’influence du mode de parentage et des caractéristiques familiales (par ex. violence familiale) sur l’usage des CC et/ou le risque de maltraitance. Mais ces variables n’ont que rarement été examinées dans un cadre conceptuel qui prenne en compte leur rôle possible dans la compréhension du lien entre CC et maltraitance physique.

La présente étude s’est basée sur le modèle processus-contexte de Gershoff (2002a, b) pour examiner en quoi le mode de parentage et les caractéristiques familiales permettaient de différencier les individus ayant subi à la fois CC et maltraitance [caractérisée] de ceux qui déclaraient avoir « seulement » [les guillemets sont de l’OVEO] subi des CC. En particulier, nous avons pris en compte : la fréquence des CC, la cooccurrence d’autres « stratégies disciplinaires » (agression psychologique ou discipline positive), le degré d’impulsivité et de colère du parent lors des punitions, le style de parentage (niveau de cohérence, d’affection/soutien), l’exposition à la violence conjugale. En outre, nous avons pris en considération l'une des limitations des recherches passées citées par les défenseurs de l'approche des CP conditionnels, à savoir que ces recherches ont tendu à regrouper différents types de CP (c'est-à-dire graves ou non graves) et qu'il est par conséquent difficile de tirer des conclusions définitives à propos de leurs effets (les effets négatifs étant alors associés aux formes graves de CP plutôt qu'aux formes non graves).

P. 142-143 (Résultats) :

Les résultats révèlent que la fréquence des fessées reçues est positivement associée avec d'autres stratégies disciplinaires (agression psychologique ou discipline positive). De fait, les différentes stratégies disciplinaires apparaissent toutes corrélées positivement, ce qui reflète leur cooccurrence en tant que pratiques parentales pour contrôler les comportements de leurs enfants. Cependant, la plus forte corrélation observée est celle entre fréquence des fessées et agression psychologique, ce qui suggère que les formes négatives de discipline tendent à se produire ensemble. Pour ce qui est des autres variables liées au type de parentage, les résultats révèlent que la fréquence des fessées est corrélée à une discipline parentale plus impulsive et à une moindre chaleur et un moindre soutien parental. De fait, le parentage chaleureux et soutenant apparaît corrélé positivement à une discipline faisant preuve de constance, et, à l’inverse, corrélé négativement à l'impulsivité et à la colère, deux caractéristiques parentales qui semblent se produire ensemble d'après les résultats de corrélation. Enfin, la fréquence de la fessée est associée avec des violences verbales et physiques accrues entre partenaires intimes, deux formes de violence familiale qui paraissent également se produire ensemble, d'après nos résultats.

[…] Nos résultats indiquent que, après pondération par la prise en compte du sexe et de l'ethnicité, la fréquence des fessées déclarée par les participants est un prédicteur statistiquement significatif de la déclaration de maltraitances physiques. Le premier modèle de régression révèle que 24 % du risque de subir des comportements maltraitants de la part d'un parent est expliqué par la fréquence des fessées reçues. Cette relation demeure significative même lorsqu'un certain nombre de variables additionnelles relatives au type de parentage et à l'environnement familial sont incluses. En particulier, chez les participants qui ont déclaré avoir été fessés vers l'âge de 10 ans, l'odds-ratio obtenu dans le modèle de régression final indique que lorsque la fréquence de fessée augmente de 1 %, le risque de subir des maltraitances physiques augmente de 23 %. De plus, les résultats indiquent que, chez les participants qui déclarent avoir été fessés pendant l'enfance, la perception d'une impulsivité parentale dans la discipline et la violence physique entre parents sont des prédicteurs significatifs de maltraitance physique. En particulier, selon les odds-ratios, le risque de subir des maltraitances physiques augmente de 29 % pour chaque point de pourcentage supplémentaire sur l'échelle d'impulsivité parentale. De même, pour chaque point de pourcentage supplémentaire sur l'échelle de violence physique entre les conjoints, le risque pour l’enfant de subir des maltraitances physiques augmente de 32 %. Considérées ensemble, la fréquence des fessées reçues, l'impulsivité parentale et la violence physique entre les conjoints expliquent 50 % du risque que les participants déclarent avoir également subi des maltraitances physiques durant l'enfance.

P. 143-144 (Discussion) :

[…] l’un des objectifs de la présente étude était de mieux comprendre le risque de maltraitance associé au fait d'avoir reçu des fessées dans l'enfance, notamment parce que les maltraitances physiques ont été identifiées comme un facteur de risque pour le développement de l'enfant. Comme nous en avions fait l'hypothèse, nos résultats indiquent que les personnes qui déclarent avoir reçu des fessées dans l'enfance présentent une probabilité presque 60 fois supérieure, par rapport à celles qui déclarent n'avoir pas reçu de fessées, de déclarer également avoir subi des comportements de maltraitance physique dans leur enfance. Ces résultats, cohérents avec ceux de recherches antérieures (Durrant et al. 2009 ; Gonzalez et al. 2008 ; Straus et Stewart 1999 ; Zolotor et al. 2008), mettent en question l'approche des CP conditionnels, qui affirme que des formes modérées de CP (comme la fessée) pourraient être bénéfiques plutôt que délétères pour l'enfant (Larzelere 2000).

[…]

L'association observée entre la fréquence des fessées et le risque de maltraitance physique dans l'enfance est cohérent avec le modèle processus-contexte de Gershoff (2002a, b), qui suggérait que plus la fréquence (et la sévérité) des CP était grande, plus l'était également la probabilité que les parents utiliseraient des châtiments approchant les définitions de la maltraitance physique sur enfant. Ces résultats sont également cohérents avec la thèse du « continuum de violence », selon laquelle le châtiment corporel et la maltraitance physique [ne] diffèrent [que] quantitativement, et varient seulement en termes de gravité et de fréquence (Gonzalez et al. 2008). Il est intéressant de noter que cette relation est [statistiquement] significative alors même que la fréquence des fessées déclarée par les participants à notre étude est plutôt faible. Ce point est important, car il suggère que le fait de déclarer avoir reçu des fessées, même à une fréquence relativement faible, augmente tout de même le risque de subir des maltraitances physiques. Une fois encore, ce résultat contredit l'approche des CP conditionnels, selon laquelle un recours occasionnel et modéré à la fessée ne présente aucun risque notable pour les enfants (Larzelere et Kuhn 2005).

P. 146 (Conclusions) :

Nos résultats suggèrent que la fessée est associée avec un risque accru de maltraitance physique. De plus, lorsque la fréquence des fessées augmente, il en va de même du risque que les enfants subissent des maltraitances physiques. Quoi qu'il en soit, il est essentiel de noter que les résultats de notre étude suggèrent que quelle qu'en soit la fréquence, même faible, tout recours à la fessée comporte un risque, dans la mesure où la fréquence des fessées reçues était plutôt faible dans notre échantillon. Enfin, il apparaît que l'impulsivité parentale (telle que perçue par les enfants) au cours des moments disciplinaires et la violence au sein de la famille (violences conjugales) exposent les enfants recevant des fessées à un risque encore plus grand de subir également des maltraitances physiques. Ces résultats accroissent le corpus de preuves attestant des effets négatifs, nombreux et variés, des châtiments corporels envers les enfants, même lorsqu'il s'agit de formes prétendument modérées et communes comme la fessée. […]

Résumé et extraits traduits pour l'OVEO par Xavier Rabilloud.
Révision, notes et introduction : Catherine Barret.


  1. Dans le genre « distinction subtile », voir ce résumé d’un article scientifique de 1997 qui devrait pouvoir se passer de commentaire : Crossing the line from physical discipline to child abuse: How much is too much? – dont le but avoué est « de différencier la discipline corporelle, les punitions corporelles et les mauvais traitements » et qui conclut que « les parents abusifs donnent la fessée plus souvent que les parents non abusifs » (sic) ! Au-delà des questions de terminologie et de traduction (l’emploi du mot « abus » comme s’il pouvait exister un « bon usage » des châtiments corporels, l’introduction d’une nouvelle distinction subtile véritablement stupéfiante entre « discipline corporelle » [physical discipline] et « punitions corporelles »…), ce sont tous les préjugés sur l’éducation qui sont relayés, malgré la bonne volonté des auteurs pour fournir des arguments scientifiques contre « la fessée », clairement indiquée dans leurs conclusions : « Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour mieux comprendre la sévérité, l'intensité et le contexte de la discipline corporelle, les résultats de la recherche suggèrent qu'un recours relatif à la fessée serait un facteur de risque additionnel parmi les indices ou facteurs connus de la maltraitance. » (Voir également note 3 ci-après.) []
  2. Voir par exemple : Résoudre les séquelles causées par la maltraitance infantile. []
  3. Un long article (en cours de traduction) a été publié en 1997 sur le site Nospank par Tom Johnson pour réfuter point par point les arguments des partisans des châtiments corporels « sous certaines conditions » évoqués dans l’étude ci-dessous, partisans dont le principal représentant « médiatique » est le Pr Larzelere. Si des études scientifiques doivent démontrer les effets néfastes des châtiments corporels et reprendre à leur compte cette distinction artificielle avec la « maltraitance », c’est bien moins pour répondre aux arguments d’autres études scientifiques qu’à des idéologues attachés à une tradition culturelle ancienne. Tom Johnson écrit par exemple dans sa réfutation du « contre-argument n° 2 » :
    « Les auteurs prennent avec la langue une liberté considérable, courante dans ce type d’apologie du châtiment corporel qui présente la fessée comme n’entrant pas dans la définition du mot “frapper” [hitting]. En réalité, la fessée est une façon particulière de frapper. Même lorsqu’elle est administrée savamment sur les fesses du plat de la main, et par des parents aimants pleins de bonnes intentions, ce sont des coups. (Les règlements scolaires contre la violence cessent-ils de s’appliquer si un enfant donne une fessée à un camarade ?)
    « Quoi qu’il en soit, ce type de coups ne causant généralement pas de dommages assez graves pour qu’ils soient reconnus comme maltraitance [abuse] dans le langage courant, nous pouvons passer à la discussion de ce que les auteurs appellent la “fessée non abusive” [nonabusive spanking]. » []