C’est seulement quand se produit un changement dans l’enfance que les sociétés commencent à progresser dans des directions nouvelles imprévisibles et plus appropriées.

Lloyd de Mause, président de l'association internationale de Psychohistoire.

Une réfutation point par point de l’apologie “scientifique” de la fessée par deux pédiatres américains

Article de Tom Johnson The Fallacies of Pro-Spanking Science: A Point-by-Point Rebuttal to the Apologetics of Two Pediatricians, 1997.
Traduction et introduction : Catherine Barret.

Sommaire

- Introduction à la version française
- Argument n° 1 : De nombreuses recherches en psychologie montrent que la fessée est une méthode éducative inappropriée.
- Argument n° 2 : Le châtiment corporel pose les bases d’un droit moral à frapper ceux qui font quelque chose de « mal ».
- Argument n° 3 : Comme les parents se retiennent souvent de frapper tant qu’ils n’ont pas atteint un certain niveau de colère ou d’exaspération, l’enfant apprend que la colère et la frustration justifient le recours à la force physique.
- Argument n° 4 : Les châtiments corporels sont nocifs pour les enfants.
- Argument n° 5 : Le châtiment corporel met l’enfant en colère contre le parent.
- Argument n° 6 : La fessée enseigne à l’enfant la « raison du plus fort », qu’avoir le pouvoir et la force est essentiel, que le plus grand peut imposer sa volonté au plus petit.
- "Il faut distinguer fessée et maltraitance."
- Argument n° 7 : La fessée est une violence.
- Argument n° 8 : La fessée n’est pas une solution efficace pour empêcher un mauvais comportement.
- Argument n° 9 : Les adultes qui, enfants, ont reçu des fessées, ont davantage de risques de recourir à la violence pour résoudre les conflits.
- Argument n° 10 : La fessée conduit le parent à recourir à des formes de châtiment corporel plus dures qui mènent à la « maltraitance ».
- Argument n° 11 : La fessée n’est jamais nécessaire.
- Conclusion
- "Règles de la fessée disciplinaire"
-
Lexique


Introduction à la version française

Cet article « historique », publié en 1997 sur le site NoSpank (créé par Jordan Riak), reste d’actualité près de vingt ans après, comme en témoigne cette étude récente sur le lien entre recours aux « punitions corporelles » et « maltraitance ». Il permet aussi au lecteur francophone de se faire une idée de l’intensité des débats aux États-Unis et de mieux comprendre pourquoi toutes sortes de méthodes d’éducation et de discipline* s’y sont développées depuis des décennies, que ce soit dans la lignée de l’éducation violente (héritée en droite ligne de la pédagogie noire européenne des XVIIIe et XIXe siècles, avec ses traditions à la fois scientistes et religieuses) ou dans celle de la réaction « libérale » (au sens « progressiste ») et du « développement personnel », avant de revenir en Europe. Rappelons aussi que les États-Unis restent le seul pays industrialisé où une partie notable (19 sur 50) des États fédérés autorisent encore les châtiments corporels dans les établissements scolaires – aucune loi ne les interdisant bien sûr dans les familles.


Une réfutation point par point de l’apologie “scientifique” de la fessée par deux pédiatres américains

Koninklijke Bibliotheek, KB 74 G 37, detail of f. 83r. Book of Hours of Simon de Varie. Paris, 1455.

Si la majorité des Américains restent convaincus, à des degrés divers, de la nécessité du châtiment corporel des enfants, cette pratique longtemps jugée honorable souffre aujourd’hui d’un problème d’image. Les spécialistes ont de plus en plus tendance à la considérer comme un moyen d’éducation rudimentaire, peu éclairé, oppressif, voire un peu barbare. Cette perception négative est renforcée par le nombre croissant d’études scientifiques montrant une relation entre le châtiment corporel et un certain nombre de pathologies individuelles ou sociales, dont la dépression, l’anxiété, les addictions, les violences familiales et la délinquance.

C’est là qu’entrent en scène Den A. Trumbull et S. DuBose Ravenel, deux pédiatres dissidents de l’American Medical Association qui ont décidé de mettre leur savoir-faire au service de la défense de la fessée parentale. Dans un essai intitulé "Spare the Rod?" 1 publié l’an dernier [1996] dans le magazine Family Policy du Family Research Council's, les Dr Trumbull et Ravenel tentent de discréditer, en les prenant un par un, les nombreux arguments contre la fessée. Je tente ici à mon tour de relever le défi en réfutant l’un après l’autre leurs contre-arguments.

Dans leur introduction, les auteurs citent un sondage FRC selon lequel « plus des 4/5 des Américains [sur plus de 1 000 interrogés] qui ont reçu des fessées de leurs parents déclarent que cette méthode éducative [form of discipline] a été efficace ». Les auteurs qualifient ce résultat d’« impressionnant », sans tenir compte de deux biais importants et en même temps tout à fait naturels : la réticence à accuser des parents qu’on aime, et le désir de se présenter comme un individu bien élevé [well-formed]. Le premier, bien qu’il puisse sembler touchant, a bien souvent conduit des enfants terriblement maltraités à s’accuser eux-mêmes pour les mauvais traitements subis et donc à dédouaner le coupable (même si ce pardon peut aussi s’interpréter, lorsque le risque d’être maltraité existe toujours, comme le refoulement d’une colère qui pourrait provoquer le parent). Le second biais est couramment formulé par la phrase « J’ai reçu des fessées et je m’en suis bien sorti » – comme s’il était facile de reconnaître qu’on ne s’en est peut-être pas si bien sorti que cela.

La principale critique formulée par les deux auteurs contre toutes les études qui expriment un point de vue négatif sur la fessée est qu’elles « ne font pas la distinction nécessaire entre la fessée justifiée et […] les punitions physiques maltraitantes [abusive] telles que coups de pied, coups de poing et “raclée” [beating], généralement regroupées avec la petite fessée ». Cela pourrait certes apparaître comme un échec criant, si tous ces scientifiques avaient effectivement affirmé que donner des coups de pied ou de poing ne faisait psychologiquement pas plus de mal aux enfants qu’une petite fessée. Cependant, j’ai tendance à penser que, dans la plupart des cas, le « regroupement » critiqué par nos deux auteurs traduit le fait essentiel que le châtiment corporel est reconnu comme une variable quantitative. Autrement dit, qu’il existe des degrés dans la gravité 2 et la fréquence des châtiments corporels, avec un éventail qui va des plus légers (par exemple des tapes isolées) aux plus extrêmes (par exemple une correction très brutale).

Au lieu de tronçonner cet éventail en plusieurs sections mal définies, il est donc plus logique de l’exprimer par une seule variable, représentée sur un graphique par une ligne continue permettant de tester la corrélation entre châtiments corporels et effets négatifs. Dans leurs données, la plupart des scientifiques, plutôt que de qualifier certains niveaux de punition physique d’« appropriés » et d’autres d’« abusifs » ou « maltraitants », évitent de faire intervenir leur opinion personnelle sur la limite entre ces deux catégories 3, ce qui est tout à leur honneur. Si la science peut aider à formuler ce type de jugement, le soin en est généralement laissé aux citoyens.

Les auteurs s’insurgent également contre les études sur les châtiments corporels dont les données portent non seulement sur les enfants d’âge préscolaire, pour qui ils considèrent que la fessée est une punition efficace, mais aussi sur les adolescents. Cet argument n’a de sens que si ces études n’incluent aucune distinction par groupe d’âge. Dans le cas contraire, prendre en compte des données sur les adolescents – qui subissent eux aussi des châtiments corporels – ne fait qu’augmenter la valeur de l’étude.

J’accorde volontiers aux auteurs que la plupart (ou en tout cas beaucoup) des arguments contre la fessée s’appliquent aussi aux punitions non physiques, qui peuvent être utilisées de façon très préjudiciable au développement de l’enfant. Cependant, le châtiment corporel a des caractéristiques particulières dont ces comparaisons superficielles ne tiennent pas compte.

Parce qu’il utilise directement le corps pour communiquer la réprobation, le châtiment corporel est un moyen de conditionner le comportement qui met fondamentalement en cause l’individu et pose donc par définition un problème. De plus, contrairement à beaucoup de punitions non physiques, la fessée est par nature impossible à annuler et difficilement réparable dans le cas où on donnerait ensuite raison à l’enfant, et surtout, elle conduit facilement à une escalade dangereuse. Même si les auteurs nous assurent que « la fessée punitive entre dans le cadre de la discipline affectueuse et n’a pas à être étiquetée comme une violence abusive », le fait est que la fessée va souvent bien au-delà de ce qu’ils qualifient de « discipline affectueuse » sans pour autant être étiquetée comme « violence abusive ».


Argument n° 1 : De nombreuses recherches en psychologie montrent que la fessée est une méthode éducative inappropriée [an improper form of discipline].

Contre-argument : Les chercheurs John Lyons, Rachel Anderson et David Larson, du National Institute of Healthcare Research, ont récemment passé en revue systématiquement les études existantes sur le châtiment corporel (6). Sur les 132 articles publiés dans des revues cliniques et de psycho-sociologie qu’ils ont identifiés, 83 % n’étaient que des éditoriaux, critiques de livres ou commentaires exprimant un point de vue personnel, sans aucun recueil de nouvelles données empiriques. Quant aux recherches empiriques, la majorité comportaient un défaut méthodologique, puisqu’elles regroupaient l’impact de la maltraitance et celui de la fessée. Les meilleures études montraient des effets bénéfiques et non nocifs [detrimental] de la fessée dans certaines situations. Il est donc clair qu’il n’existe pas assez de preuve pour condamner la fessée parentale, et des preuves suffisantes pour justifier son usage adéquat.

6. Lyons, Dr John S., Anderson, Rachel L., and Larson, Dr David B. "The Use and Effects of Physical Punishment in the Home: A Systematic Review." Presentation to the Section on Bio-Ethics of the American Academy of Pediatrics at annual meeting, Nov. 2, 1993.

Contre-contre-argument : Tout d’abord, la formulation de l’argument n° 1 pose problème, même s’il est difficile de savoir si ce problème vient des auteurs ou d’un certain groupe d’opposants à la fessée que les auteurs ne nomment pas, mais qu’ils paraphrasent peut-être.

Quoi qu’il en soit, dire que quelque chose n’est pas « bon » ou est « inapproprié » [improper] n’est pas un concept scientifique, mais un jugement moral qui dépasse le cadre d’une étude psychologique réellement expérimentale.

Cette objection pourrait sembler triviale si les auteurs ne concluaient pas en affirmant « qu’il n’existe pas assez de preuves » pour dénoncer la fessée, et « des preuves suffisantes » pour la justifier. De fait, la condamnation de la fessée ne repose pas seulement, ni même essentiellement sur des preuves scientifiques, mais bien sur une exigence morale très simple – que certains pourraient qualifier de simpliste. Même sans savoir s’il existe des « preuves suffisantes » pour condamner le vol à la tire, j’affirmerai que ce n’est « pas bien ».

On peut cependant passer sur cette objection en admettant qu’est « bon » ou « approprié » ce qui a « des effets bénéfiques et non nocifs », pour reprendre la formule employée ensuite par les auteurs. La revue critique qu’ils citent concluait que « 83 % [des 132 articles identifiés dans des revues scientifiques sur le châtiment corporel] n’étaient que des éditoriaux, critiques de livres ou commentaires exprimant un point de vue personnel, sans aucune donnée expérimentale nouvelle » et que « les meilleures études [celles qui distinguaient fessée et maltraitance] montraient des effets bénéfiques et non nocifs de la fessée dans certaines situations ».

D’après ce résumé, on peut se demander si les auteurs n’expriment pas là eux aussi un « point de vue personnel ». Mais, même si nous leur accordons le bénéfice du doute, nous devons examiner aussi bien la méthodologie des études favorables à la fessée que de celles qui lui sont défavorables. Or, il apparaît que certaines des études citées par ces auteurs dans leurs contre-arguments suivants comportent des biais importants [are themselves inherently flawed].

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Argument n° 2 : Le châtiment corporel pose les bases d’un droit moral à frapper ceux qui font quelque chose de « mal ».

Contre-argument : L’idée que « la fessée apprend à frapper », bien que devenue de plus en plus populaire dans la dernière décennie, n’est basée sur aucune preuve objective. Il faut faire une distinction entre maltraitance physique et fessée non maltraitante [nonabusive]. La capacité d’un enfant à distinguer une volée de coups [hitting] d’une fessée éducative [disciplinary] dépend en grande partie de l’attitude des parents et de la procédure qu’ils suivent pour donner une fessée. Rien dans la littérature médicale ne montre qu’une petite fessée administrée par un parent affectueux enseigne à l’enfant un comportement agressif.

La question essentielle n’est donc pas tant de savoir si on utilise ou non la fessée (ou d’ailleurs n’importe quelle punition) que la façon dont on l’utilise. Être maltraité [physical abuse] par un parent en colère qui ne se contrôle pas laissera à l’enfant des blessures émotionnelles durables et cultivera en lui l’amertume et le ressentiment. À l’inverse, avec certains enfants, un usage équilibré et prudent de la fessée éducative découragera efficacement les comportements agressifs. Des chercheurs du Center for Family Research de l’Iowa ont étudié chez 332 familles l’impact du châtiment corporel et de la qualité de l’implication parentale sur trois effets à l’adolescence : agressivité, délinquance, santé psychique. Ces chercheurs ont trouvée une forte corrélation entre chacun de ces trois effets et la qualité de l’implication parentale.

Or, le châtiment corporel n’était corrélé négativement à aucun de ces effets. Cette étude prouve donc que la qualité de l'éducation parentale [parenting] est le principal déterminant d’un résultat favorable ou défavorable (7). Il est à remarquer que l’agressivité de l’enfant était davantage reliée à la permissivité maternelle et aux critiques négatives qu’à la discipline corporelle même abusive (8).

Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’il suffise que les parents suppriment la fessée de leurs choix éducatifs [discipline options] pour qu’un enfant ne frappe jamais les autres. La plupart des enfants en bas âge (bien avant qu’ils aient reçu leur première fessée) ont naturellement tendance à frapper les autres en cas de conflit ou de frustration. Que ce comportement se poursuive ou non dépend en grande partie de la réaction du parent ou de la personne en charge. Si l’enfant est correctement puni [disciplined], il frappera de moins en moins souvent. Si le comportement est ignoré ou puni de façon inefficace, il est probable qu’il persistera et même s’aggravera. Ainsi, loin de contribuer à plus de violence, la fessée peut être un élément utile dans un projet d’ensemble pour apprendre à un enfant à cesser ses coups agressifs [agressive hitting, voir N.d.T. plus bas].

N’importe quelle punition [discipline] (mise à l’écart*, restriction*, etc.), lorsqu’elle est utilisée mal à propos et avec colère, peut déformer la perception que l’enfant a de la justice et nuire à son développement émotionnel.

7. Simons, Ronald L., Johnson, Christine, and Conger, Rand D. "Harsh Corporal Punishment versus Quality of Parental Involvement as an Explanation of Adolescent Maladjustment." Journal of Marriage and Family. 1994; 56:591-607.
8. Olweus, Dan. "Familial and Tempermental Determinants of Aggressive Behavior in Adolescent Boys: A Causal Analysis." Developmental Psychology. 1980; 16:644-660.

Contre-contre-argument : Les auteurs prennent avec la langue une liberté considérable, courante dans ce type d’apologie du châtiment corporel qui présente la fessée comme n’entrant pas dans la définition du mot « frapper » [hitting]. En réalité, la fessée est une façon particulière de frapper. Même lorsqu’elle est administrée savamment sur les fesses du plat de la main, et par des parents aimants pleins de bonnes intentions, ce sont des coups. (Les règlements scolaires contre la violence cessent-ils de s’appliquer si un enfant donne une fessée à un camarade ?) Quoi qu’il en soit, ce type de coups ne causant généralement pas de dommages assez graves pour qu’ils soient reconnus comme maltraitance [abuse] dans le langage courant, nous pouvons passer à la discussion de ce que les auteurs appellent la « fessée non abusive » ou « non maltraitante » [nonabusive spanking].

« Rien dans la littérature médicale ne montre qu’une petite fessée administrée par un parent affectueux enseigne à l’enfant un comportement agressif », affirment les auteurs. Il est possible en effet qu’il n’y ait rien de tel – même si on peut s’étonner que les auteurs se limitent à la « littérature médicale », car la grande majorité des études scientifiques sur le châtiment corporel ne seraient pas considérées comme « médicales ». Mais la question est plutôt de savoir s’il existe en médecine des études incluant les variables « désobéissant » et « affectueux ».

Etant donné que les auteurs ne mentionnent aucun facteur inhérent à la fessée qui pourrait déclencher un comportement agressif, on pourrait conclure plus simplement « qu’une petite fessée administrée par un parent n’enseignera pas à l’enfant un comportement agressif ». Existe-t-il dans la littérature médicale des preuves réfutant cette affirmation plus générale ? Même s’il n’en existe pas, sans ces qualificatifs moraux lénifiants (mais peu scientifiques), je ne suis pas sûr que les auteurs seraient à l’aise pour vendre la fessée – fût-elle « légère » – comme dépourvue de tout inconvénient.

Bien sûr, les auteurs tiennent à préciser que, pour comprendre les effets de la fessée comme de toute autre punition, il faut la considérer dans son contexte (savoir comment on l’utilise). Néanmoins, pour en avoir une idée exhaustive, il faut aussi envisager la fessée pour elle-même, y compris hors contexte punitif. Le contexte est toujours important, mais pas nécessairement décisif. De plus, c’est un élément plus ou moins subjectif, donc sujet à des distorsions, des ambiguïtés, voire une perversion complète (le contexte devenant le prétexte). Ce n’est donc pas l’indicateur le plus fiable de l’importance psychologique d’un facteur.

Plus gênante encore est la façon dont les auteurs qualifient de façon tout à fait gratuite la maltraitance [child abuse] d’acte commis « par un parent en colère qui ne se contrôle pas ». Si c’est effectivement très souvent le cas, c’est aussi un peu un cliché. La réalité est moins rassurante : beaucoup d’actes de maltraitance [dite « caractérisée »] sont commis de façon plutôt calme et délibérée, et généralement dans un but éducatif [disciplinary purpose].

L’image de l’adulte qui maltraite sous le coup de la colère, par incapacité de se contrôler, est peut-être celle que préfèrent les partisans de la fessée parce qu’il est plus facile de lui opposer clairement le côté « raisonnable » souvent attribué au châtiment corporel dit « non maltraitant » [nonabusive] que lorsqu’on a affaire à des adultes maltraitants qui agissent froidement tout en affirmant se soucier de la rectitude morale des enfants 4. Quand le contraste est moins évident, il apparaît clairement qu’il n’est pas aussi facile que le suggèrent les auteurs de distinguer l’« abus » de la punition « appropriée », et que cela peut nécessiter un examen un peu plus approfondi – donc plus sujet à controverse – des méthodes éducatives [disciplinary] des parents. Quoi qu’il en soit, ce qui est aujourd’hui qualifié de « maltraitance » est passé pendant très longtemps pour de la « discipline raisonnable » aux yeux non seulement des abuseurs, mais de la société tout entière. Il importe donc de souligner que ce crime contre les enfants relève essentiellement de la cruauté et non de la colère ou du manque de contrôle.

La conclusion des auteurs selon laquelle « la qualité de l'éducation parentale est le principal déterminant d’un résultat favorable ou défavorable » est difficilement contestable, et validée par les recherches. Cependant, cela revient à peu près à dire que le principal déterminant d’une bonne ou d’une mauvaise nutrition n’est pas les barres chocolatées, mais la qualité des aliments. Ce n’est pas faux, mais cela ne nous dit pas si les barres chocolatées sont un facteur positif, négatif ou neutre parmi tous ceux qui constituent l’alimentation. De la même façon, cette « découverte » citée par les auteurs ne nous dit absolument pas si le châtiment corporel affecte la qualité de l'éducation parentale en bien, en mal ou pas du tout. Après tout, le châtiment corporel et la qualité de l'éducation sont loin d’être des variables discrètes [indépendantes l’une de l’autre].

Par ailleurs, les auteurs relèvent bien que « le châtiment corporel n’était corrélé négativement à aucun » de ces « trois effets à l’adolescence : agressivité, délinquance, santé psychique ».

Cependant, selon les notes de bas de page, l’étude citée portait spécifiquement sur « le châtiment corporel sévère ». Donc, si on accepte ses conclusions, même des fessées très sévères seraient acceptables. Il est surprenant que les auteurs ne manifestent aucune méfiance envers cette étude, après avoir affirmé au tout premier paragraphe de leur article qu’« une discipline aimante et efficace ne doit surtout pas être trop dure » ["loving and effective discipline is quite definitely not harsh and abusive"] et souligné l’importance de ne donner que des fessées « légères ».

Etant donné qu’un certain degré d’agressivité semble être une réaction innée au stress chez les humains comme chez la plupart des autres animaux, la conviction des auteurs que la suppression de la fessée ne suffirait pas à mettre fin à tout comportement agressifs des enfants peut paraître raisonnable. Mais la vraie question est de savoir si frapper les enfants ne revient pas à jeter de l’huile sur le feu. Lorsque des adultes détenteurs de l’autorité frappent un enfant ou le font assister au spectacle du châtiment d’un autre, ils présentent ce modèle de résolution des conflits à un public particulièrement impressionnable. La différence supposée essentielle entre être frappé par un adulte et être frappé par un autre enfant a de fortes chances de ne pas sauter aux yeux d’un jeune enfant – et d’être contestée par un enfant plus âgé. Et même si l’enfant ne suit pas l’exemple de ses parents, les auteurs devraient admettre que la violente colère naturellement provoquée par les coups (« mérités » ou pas) risque tout autant d’aggraver les tendances agressives que la douleur physique pourrait les dissuader. Si le côté positif de l’amour parental compense une bonne partie de cette négativité, le fait d’être frappé par une personne aimée pose en soi un problème d’ambivalence négligé par nos auteurs comme par la plupart des partisans de la fessée.

[N.d.T. : Tom Johnson ne commente pas ici – mais la question sera abordée entre autres dans la conclusion – la parenthèse édifiante que nous mettons en italique dans cette phrase : « La plupart des enfants en bas âge (bien avant qu’ils aient reçu leur première fessée) ont naturellement tendance à frapper les autres en cas de conflit ou de frustration. » Les auteurs se contredisent, puisqu’ils affirment eux-mêmes qu’on peut donner des tapes sur les fesses dès 15 mois. Notons aussi l’avant-dernière phrase de ce contre-argument n° 2 : « Ainsi, loin de contribuer à plus de violence, la fessée peut être un élément utile dans un projet d’ensemble pour apprendre à un enfant à cesser ses coups agressifs [to stop aggressive hitting, c’est nous qui soulignons]. » Faut-il comprendre là encore que, selon ces auteurs, les coups « non agressifs » – c’est-à-dire « défensifs » ou même « punitifs », comme ceux des parents – sont permis, voire recommandés ?]

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Argument n° 3 : Comme les parents se retiennent souvent de frapper tant qu’ils n’ont pas atteint un certain niveau de colère ou d’exaspération [frustration], l’enfant apprend que la colère et la frustration justifient le recours à la force physique.

Contre-argument : Une étude publiée dans Pediatrics indique que la plupart des parents qui donnent des fessées ne le font pas de façon impulsive, mais par choix, parce qu’ils croient à leur efficacité (9). De plus, cette étude n’a pas révélé de corrélation significative entre la fréquence des fessées et la colère telle qu’exprimée par les mères. De fait, les mères qui disaient se mettre en colère n’étaient pas celles qui donnaient des fessées.

Frapper impulsivement, par réaction, après que la colère a fait perdre le contrôle de soi, est sans conteste un mauvais usage du châtiment corporel. Cependant, supprimer toute punition corporelle dans les familles ne serait pas une solution pour les scénarios explosifs de ce genre.

Cela pourrait même aggraver le problème. Si on enlève la fessée efficace du répertoire éducatif [disciplinary*] d’un parent, lorsque les principales mesures disciplinaires – telles que mise à l’écart et conséquences logiques* [logical consequences] – ont échoué, il ne lui reste que les remarques continuelles, la supplication, les humiliations et les cris. Inversement, lorsqu’une « bonne » fessée [une fessée « appropriée », proper spanking] est utilisée de façon préventive en association avec d’autres mesures disciplinaires, il est possible de mieux contrôler un enfant particulièrement provocant, et il y a moins de risques que l’exaspération survienne.
Il est significatif qu’on ait découvert une plus grande corrélation de l’agressivité des enfants avec la permissivité maternelle et les critiques qu’avec les châtiments corporels [physical discipline], même abusifs.

9. Socolar, Rebecca R. S., M.D. and Stein, Ruth E.K., M.D. "Spanking Infants and Toddlers: Maternal Belief and Practice." Pediatrics. 1995; 95:105-111.

Contre-contre-argument : L’argument n° 3 part du principe que le châtiment corporel est souvent donné impulsivement après une escalade de la colère et de la frustration. Tout en désapprouvant les coups donnés par réaction et de façon émotionnelle, les auteurs contredisent leur propre principe en citant une étude selon laquelle ce type de fessée n’est pas une généralité [typical], du moins selon les déclarations des parents. De plus, les auteurs nous avertissent que les parents qui se retiennent de recourir à la fessée seront peut-être d’autant plus sujets à ces « scénarios explosifs » après l’échec des punitions non corporelles [non-physical discipline].

Cette rationalisation de la fessée renvoie d’une certaine façon à la faillibilité des parents, qui, comme tout un chacun, perdent parfois patience et peuvent être pris au dépourvu par l’épreuve que constitue l’éducation d’un enfant. Dans ces conditions, permettre la fessée préventive peut sembler réaliste et prudent, et même sympathique pour les parents. Mais on commence à comprendre où est le problème lorsqu’on applique ce raisonnement à d’autres relations que celle entre parent et enfant. Si on rendait aux maris le droit de donner de temps en temps une fessée à leur femme, on pourrait arguer que cela désamorcerait les conflits et les tensions entre époux qui finissent souvent par des bleus (ou débordent sous forme d’insultes), et pourtant, ce n’est pas une façon acceptable de réduire la violence domestique. Le conseil des auteurs est donc davantage une concession au lecteur convaincu de la légitimité morale de la fessée parentale qu’une solution pratique.

Les auteurs ont certes raison d’affirmer qu’une fessée donnée avec calme ne transmet pas aux enfants le message selon lequel « la colère et la frustration justifient le recours à la force physique ».

Malheureusement, leurs recommandations nous enseignent surtout que colère et frustration ne sont pas nécessaires pour justifier le recours à la force physique. On aimerait donc qu’ils nous disent plus clairement ce qui, selon eux, est nécessaire pour cela.

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Argument n° 4 : Les châtiments corporels sont nocifs pour les enfants.

Contre-argument : Toute mesure disciplinaire, qu’elle soit physique, verbale ou émotionnelle, peut nuire à un enfant lorsqu’elle est poussée à l’extrême. L’excès de réprimandes par le parent est nocif émotionnellement. Un trop grand recours à la mise à l’écart (time-out*) pour des durées déraisonnables peut humilier l’enfant et détruire l’efficacité de cette mesure. De toute évidence, des châtiments corporels excessifs ou appliqués sans discernement sont nocifs et abusifs [maltraitants]. Mais une fessée administrée à bon escient à un enfant désobéissant après un avertissement n’est pas nocive, si elle est administrée avec amour et de façon contrôlée.

Un parent qui ne fait pas un usage prudent de la fessée avec un enfant particulièrement provocant [defiant] risque d’être inconséquent et de justifier le comportement de l’enfant. Cette attitude inconséquente du parent est source de confusion pour l’enfant et néfaste pour lui comme pour la relation parent-enfant. Il n’existe aucune preuve que la fessée éducative [disciplinary] correctement appliquée nuise à l’enfant.

Contre-contre-argument : Dans leur réponse à cette question de savoir si le châtiment corporel est nocif [harmful] pour l’enfant, les auteurs ne font que reformuler celle qu’ils ont donnée à l’argument n° 1 : la fessée peut être « bénéfique et non nocive » [beneficial, not detrimental], la recherche le prouve. Ils reprennent aussi le dernier point de leur introduction : n’importe quelle punition, physique ou autre, peut être poussée à des extrémités néfastes 5. Ma réponse à ces deux points est, en résumé, d’une part que la recherche ne peut pas résoudre la question morale du châtiment corporel, d’autre part que le châtiment corporel constitue une catégorie en soi, parce qu’il concerne l’intimité de la personne.

Les auteurs déclarent que ne pas donner de fessées fait courir le « risque d’être inconséquent et de justifier le comportement de l’enfant [qui provoque] ». C’est proposer un faux choix entre punir et cautionner. En réalité, il est tout à fait possible d’être ferme et même strict sans infliger de douleur physique. Le simple fait que beaucoup de lieux de garde des enfants fonctionnent très bien en ayant pour règle de ne pas frapper les enfants montre que la fessée n’a rien d’obligatoire pour « gérer leur comportement » [les guillemets sont de nous].

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Argument n° 5 : Le châtiment corporel met l’enfant en colère contre le parent.

Contre-argument : Toutes les sortes of punition suscitent au départ chez l’enfant une réaction de frustration et de colère. L’évolution de cette colère dépend essentiellement de l’attitude du parent pendant et après la punition [« l’événement disciplinaire », disciplinary event], et de la façon dont elle est appliquée. Toute punition administrée avec colère et dans un but de vengeance plutôt que calmement, dans le but de corriger [le comportement], peut susciter chez l’enfant colère et ressentiment. De fait, une fessée peut empêcher l’escalade de la rage chez un enfant rebelle et restaurer plus rapidement la relation parent-enfant.

L’utilisation du mot « violence » dans le débat sur la fessée ne sert qu’à aggraver la confusion.

Contre-contre-argument : Les auteurs relient l’essentiel de la colère et du ressentiment d’un enfant qui reçoit une fessée à l’attitude, aux manières et au but du parent qui frappe. Bien que significatifs, ces facteurs sont marginaux dans le déclenchement de la colère que provoque naturellement, chez les enfants comme chez les adultes, le fait d’être frappé.

Même lorsqu’elle n’est pas infligée délibérément, une sensation de douleur physique peut générer une colère intense, et même irrationnelle. Savoir que l’autre vous a infligé cette douleur volontairement ne fait qu’ajouter l’insulte à l’injure (même si un jeune enfant cherchera ensuite très vite à se réconcilier avec le parent, afin de rétablir le lien si important pour lui).

Les auteurs affirment certes que même les punitions non physiques causent d’abord chez un enfant colère et frustration 6, mais ils ne reconnaissent pas les caractéristiques particulières du châtiment corporel. À titre d’illustration, il suffit d’observer la différence entre les pleurs d’un enfant qui a reçu une fessée à ceux d’un enfant puni non physiquement. Sont-ils également volontaires ou involontaires dans les deux cas ? Plus faciles à calmer dans l’un des deux ? La réponse devrait donner un indice fort de la différence fondamentale entre la fessée et d’autres formes de punition [discipline].

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Argument n° 6 : La fessée enseigne à l’enfant la « raison du plus fort », qu’avoir le pouvoir et la force est essentiel, que le plus grand peut imposer sa volonté au plus petit.

Contre-argument : Le pouvoir parental s’exerce quotidiennement dans l’éducation des enfants, et la fessée n’en est qu’un exemple. Parmi les autres situations où le parent ordinaire impose la force et la contrainte, citons :

  • le jeune enfant qui persiste à s’échapper lorsqu’il est avec son parent dans un centre commercial ou sur un parking,
  • le petit qui refuse de s’asseoir sur son siège dans la voiture,
  • le jeune patient qui refuse de se tenir tranquille pendant qu’on le vaccine ou qu’on lui soigne une écorchure.

Il est parfois nécessaire de contrôler l’enfant de force pour assurer sa sécurité, sa santé et un comportement correct. Des études classiques sur l’éducation ont montré qu’un certain degré de contrainte, d’autorité (10) et de contrôle ferme (11) sont indispensables pour élever les enfants au mieux.

Lorsque la contrainte s’exerce dans un contexte d’amour et pour le bien de l’enfant, il ne la percevra pas comme brutale ni humiliante.

10. Hoffman, Martin. "Parental Discipline and Child's Moral Development." Journal of Personal Social Psychology. 1967; 5:45-57.
11. Baumrind, Diana, Ph.D. "Rearing Competent Children." Damon, W. (Ed.) Child Development Today and Tomorrow. 1989; pp.349-378. San Francisco, Calif.: Jossey-Bass.

Contre-contre-argument : Les auteurs n’ont pas tort lorsqu’ils affirment que ceux qui détiennent le pouvoir feront inévitablement usage de la force, y compris la force physique, et souvent de façon justifiée (bien que la leçon enseignée ici soit plutôt « le plus fort fixe les règles » que « le plus fort a raison »). Puisque c’est vrai avec ou sans les châtiments corporels, l’argument n° 6 pourrait aussi bien sortir du débat sur la fessée.

Cependant, dans leur réponse, les auteurs ne font malheureusement pas la différence entre un châtiment corporel et une contrainte ou un contrôle physique. Les officiers de police, par exemple, ont le droit de recourir à la force physique lorsque c’est nécessaire pour appréhender et maîtriser un suspect potentiellement dangereux. Cela peut nécessiter un traitement un peu rude et douloureux. Mais, une fois le suspect maîtrisé et la menace écartée, l’agent n’a pas le droit de le frapper pour le punir de sa résistance, sous peine d’être accusé de brutalités policières.

Lorsqu’on soigne un enfant ou qu’on veille sur lui, il peut arrive qu’on lui occasionne une douleur physique ou un inconfort, mais c’est alors un effet accessoire. Avec la fessée, au contraire, la douleur est en soi l’effet recherché.

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"Il faut distinguer fessée et maltraitance"

On définit souvent le châtiment (ou punition) corporel(le) au sens large comme toute forme de punition physique. Cette définition incluant aussi bien la fessée que des actes de maltraitance évidente tels que coups de pied ou de poing, raclée, gifles [face slapping] et même privation de nourriture, il convient de donner des définitions plus restrictives afin de distinguer entre punition corporelle appropriée et inappropriée.

La fessée est l’une des nombreuses possibilités disciplinaires dont les parents disposent pour développer un comportement approprié chez un jeune enfant. C’est une mesure de correction supplémentaire, qui doit être utilisée en combinaison avec des mesures essentielles principales [prioritaires, primary] telles que contenir l’enfant [restraint], conséquences naturelles ou logiques*, mise à l’écart, limitation des privilèges*.

Les spécialistes du développement de l’enfant estiment que la fessée doit être utilisée essentiellement pour soutenir [as a back-up] les mesures principales, et ensuite, de façon indépendante, pour corriger un comportement problématique délibéré et persistant auquel ces mesures plus douces n’ont pas pu remédier. Elle est particulièrement utile avec les enfants très jeunes ou d’âge préscolaire, entre 18 mois et 6 ans, qu’il est plus difficile de persuader par la raison.

De plus, les spécialistes du développement expliquent que la fessée doit toujours être une action planifiée par les parents et non une réaction impulsive à un mauvais comportement. L’enfant doit être averti qu’il recevra une fessée en conséquence de chacun des problèmes de comportement précisés. La fessée doit toujours être administrée en privé. Elle doit consister en un ou deux coups sur les fesses de l’enfant, suivis d’un exposé calme de l’infraction [offense] et du comportement désiré.

  • Action :
    Fessée : Donner un ou deux coups sur les fesses
    Maltraitance : Battre = frapper de façon répétée (aussi : donner des coups de pied ou de poing, étouffer)
  • Intention :
    Fessée : Éduquer = corriger un comportement
    Maltraitance : Violence = force physique destinée à blesser ou à maltraiter
  • Attitude :
    Fessée : Avec amour, avec le souci de l’enfant
    Maltraitance : Avec colère, méchamment
  • Effets :
    Fessée : Correction du comportement
    Maltraitance : Blessure physique et émotionnelle

Commentaire :

Au lieu de se contenter de déclarer que « la fessée » n’est par définition pas de la maltraitance, les auteurs cherchent à restreindre le sens littéral du mot « fessée ». En prenant cette liberté, ils accréditent l’idée fausse selon laquelle, par définition, « la fessée » n’est pas de la maltraitance.

Si la pratique courante de la fessée en Amérique ne consistait réellement qu’en « un ou deux coups sur les fesses », cette généralisation pourrait paraître excusable. Mais, dans la réalité, la « fessée » socialement acceptée (et légalement approuvée) va bien au-delà de ce que les auteurs désignent sous ce terme 7. Ce qu’ils appellent « battre : frapper de façon répétée » peut certainement prendre la forme de la fessée.

Le tableau dans lequel les auteurs distinguent fessée et maltraitance selon « l’action, l’intention, l’attitude, les effets » suggère une vision terriblement simpliste de la maltraitance. En particulier, il faudrait attirer l’attention des auteurs sur le fait que la maltraitance a souvent pour intention de corriger un problème de comportement, et pas de blesser ni de maltraiter [injure or abuse]. On peut commettre une maltraitance physique par amour et souci de l’enfant, sans colère ni intention malveillante. De plus, une intention et une attitude « adéquates » ne diminuent pas nécessairement la blessure émotionnelle causée, et peuvent même ajouter de la confusion à la douleur – même si la « correction du comportement » peut avoir fonctionné.

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Argument n° 7 : La fessée est une violence 8.

Contre-argument : La fessée telle que la recommandent la plupart des médecins généralistes (12) n’est pas une violence selon la définition du dictionnaire Webster (exertion of physical force so as to injure or abuse, « usage de la force physique consistant à blesser ou à malmener ») (13). Les parents qui donnent correctement la fessée ne blessent pas et ne malmènent pas leur enfant.

L’usage du terme « violence » dans le débat sur la fessée ne sert qu’à aggraver la confusion. Pourquoi les auteurs anti-fessée persistent-ils à négliger la distinction entre violence maltraitante [abusive violence] et fessée légère [mild spanking] ? Cette distinction est si fondamentale et si évidente que son omission donne à penser que ces auteurs utilisent une telle terminologie non pour éclairer la question, mais pour sa valeur de propagande.

Lorsqu’on enlève la fessée efficace du répertoire punitif des parents, une fois que les principales mesures éducatives [disciplinary measures] ont échoué, il ne lui reste que les remarques continuelles, la supplication, les humiliations et les cris [phrase reprise de l’argument n° 3].

12. McCormick, Kenelm F., M.D. "Attitudes of Primary Care Physicians Toward Corporal Punishment." Journal of the American Medical Association. 1992; 267:3161-3165.
13. Webster's Ninth New Collegiate Dictionary. 1987; p. 1316. Massachusetts: Merriam-Webster, Inc. [N.d.T. : Dans cette traduction nous n’avons pas cherché à à adapter les définitions des dictionnaires, les sens des mots injure et abuse ne se recouvrant pas exactement entre le français et l’anglais – raison pour laquelle nous citons parfois le terme anglais entre crochets. Cela permet en outre de se rendre compte à quel point les traductions françaises d’articles ou de livres anglophones sur l’éducation sont sujettes à interprétation. Se reporter à l’article original pour plus de détails.]

Contre-contre-argument : Au regard des libertés qu’ils ont déjà prises avec la langue, il est frappant que les auteurs recourent ici au dictionnaire Webster pour définir le mot « violence » (« usage de la force physique consistant à blesser [injure], malmener ou maltraiter [abuse] »). Étant donné l’ampleur du consensus aux Etats-Unis pour ne pas considérer comme maltraitante la fessée « légère », et que l’inflammation temporaire (rougeur) de la peau n’est pas considérée en soi comme une « blessure 9) », il peut sembler parfaitement logique et conforme à la lettre que ce genre de fessée ne soit pas une violence pour les auteurs. Mais, si on regarde la définition des mots « blesser », « maltraiter » ou « abuser », même en s’en tenant strictement aux acceptions en rapport avec la violence (« infliger un dommage physique », « faire un mauvais usage [de sa force] »…), leur signification est bien plus large que ce que veulent bien suggérer les auteurs – et la plupart des partisans de la fessée. Personne n’a jamais prétendu que la fessée était le pire des crimes, mais, dans la mesure où elle fait mal physiquement et peut être injuste ou inapropriée, d’un simple point de vue linguistique, il est correct de dire que la fessée est une violence, même minime. (On peut supposer que les auteurs ne trouvent rien à redire aux lois selon lesquels un homme qui donne une fessée à une femme non consentante peut être accusé de coups et blessures, ou de violences conjugales.)

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Argument n° 8 : La fessée n’est pas une solution efficace pour empêcher un mauvais comportement.

Contre-argument : Bien que l’usage approprié de la fessée n’ait jamais été étudié de manière spécifique, il existe des preuves de son efficacité à court et à long terme. Lorsqu’il est combiné avec le fait de raisonner l’enfant, le recours aux conséquences négatives* (fessée comprise) diminue de fait efficacement, chez les enfants d’âge préscolaire, la fréquence de retour du mauvais comportement (14). Dans les essais cliniques de terrain où la fessée parentale était étudiée, il est apparu régulièrement qu’elle réduisait la fréquence par la suite du refus de la mise à l’écart [time-out] (15). En tant que moyen efficace pour faire appliquer la mise à l’écart, la fessée fait partie d’un certain nombre de programmes de formation à la parentalité bien documentés (16) et de textes populaires sur la parentalité (17).
Le Dr Diana Baumrind, de l’Institut pour le développement humain de l’université de Berkeley en Californie, a mené pendant dix ans une étude sur des familles avec enfants de 3 à 9 ans (18). L’étude de Baumrind montre que les résultats les plus favorables ont été obtenus par les parents recourant à un style équilibré de contrôle ferme (incluant la fessée) et l’encouragement positif. Les parents qui avaient des attitudes extrêmes envers la discipline (parents autoritaires recourant à des punitions excessives avec peu d’encouragement, parents permissifs punissant peu et sans fessées) avaient de moins bons résultats.

Baumrind concluait que les données de son étude « n’indiquaient pas que le renforcement négatif ou le châtiment corporel étaient en soi des procédés nocifs ou inefficaces, mais que c’était plutôt le schéma d’ensemble du contrôle parental qui déterminait les effets sur l’enfant de ces procédés ».

Cette approche d'une éducation parentale équilibrée avec recours occasionnel à la fessée est défendue par plusieurs spécialistes de l’éducation (19). Une fessée donnée dans un cadre approprié à un jeune enfant récalcitrant [defiant] est un puissant motivateur pour corriger un comportement et décourage efficacement la désobéissance.

14. Larzelere, Dr Robert E. and Merenda, Dr J.A. "The Effectiveness of Parental Discipline for Toddler Misbehavior at Different Levels of Child Distress" (« Efficacité de la discipline parentale sur le mauvais comportement du jeune enfant selon les niveaux de détresse de l’enfant »). Family Relations. 1994; 43 (4).
15. Roberts, Mark W. and Powers, Scott W. "Adjusting Chair Time-out Enforcement Procedures for Oppositional Children" (« Adapter l’obligation de mise à l’écart sur une chaise dans les cas d’enfants rebelles »). Behavioral Therapy. 1990; 21:257-271, and Bean, Arthur W. and Roberts, Mark W. "The Effect of Time-out Release Contingencies on Changes in Child Noncompliance" (« Effets de l’interruption imprévue de la mise à l’écart sur les variations dans l’obéissance de l’enfant »). Journal of Abnormal Child Psychology. 1981; 9:95-105.
16. Forehand, R.L. and McMahon, R.J. Helping the Noncompliant Child. 1981; pp. 79-80. New York: Guilford Press.
17. Clark, Lynn C. SOS! Help for Parents. 1985; pp. 181-185. Kentucky: Parents Press.
18. Baumrind, Dr Diana. "The Development of Instrumental Competence Through Socialization. Minnesota Symposia on Child Psychology. 1973; 7:3-46.
19. Austin, Glenn. Love and Power: How to Raise Competent, Confident Children. 1988. California: Robert Erdmann Publishing. Also, Dobson, Dr James. The Strong-Willed Child. 1985. Illinois: Tyndale House Publishers, and Coopersmith, Stanley. The Antecedents of Self-Esteem. 1967. New York: W.H. Freeman & Co. Reprinted 1981. California: Consulting Psychologists Press, Inc.

Contre-contre-argument : Si la fessée est réellement l’objet de l’étude du Dr Baumrind, alors, son approche telle que la restituent les auteurs comporte un certain nombre de failles élémentaires. Baumrind classe les parents en trois catégories plutôt larges et selon un jugement de valeur : 1/ très permissifs, 2/ très autoritaires, 3/ autoritaires « recourant à un style équilibré de contrôle ferme (incluant la fessée [notons que ce facteur a été réduit à une parenthèse]) et l’encouragement positif » 10 (11). En omettant d’isoler clairement la fessée comme une variable, cette étude se contente d’affirmer une évidence concernant les styles parentaux en général, sans nous dire grand-chose sur la fessée en particulier. Les autres variables ne sont bien sûr pas négligeables, mais une étude spécialisée nécessite parfois de les mettre de côté.

Peut-être sommes-nous censés en conclure au moins que, dans le « schéma d’ensemble » des pratiques parentales, quelques fessées ont peu de chances de changer grand-chose. Cette vision globale peut sembler assez raisonnable, mais, s’agissant de la défense des châtiments corporels, elle est à double tranchant. Si la fessée n’a pas de conséquences, il peut être plus difficile d’argumenter contre elle, mais tout autant de justifier son usage.

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Argument n° 9 : Les adultes qui, enfants, ont reçu des fessées, ont davantage de risques de recourir à la violence pour résoudre les conflits.

Contre-argument : Cette théorie est issue des travaux de Murray Straus, du Family Research Lab de l’université du New Hampshire. Les conclusions de Straus se basent sur des modèles théoriques et des résultats d’enquêtes portant sur des adultes qui se souviennent d’avoir reçu des fessées à l’adolescence. Il ne s’agit pas d’une recherche clinique. Comme dans la plupart des recherches de Straus, l’objet est la fessée chez les adolescents et non l’usage sélectif de la fessée sur de jeunes enfants par des parents raisonnables. Les preuves à l’appui de ses conclusions disparaissent lorsqu’on mesure l’usage de la fessée parentale entre 2 et 8 ans et l’agressivité de l’enfant à un âge ultérieur.

Les parents qui ont obtenu les résultats les plus favorables avec leurs enfants sont ceux qui recouraient à un style éducatif équilibré entre contrôle ferme (incluant la fessée) et d’encouragement positif.

Dans un article de 1994 sur le châtiment corporel, le Dr Robert E. Larzelere, directeur de recherche à Boys Town, Nebraska, présente des preuves en faveur de l’usage sélectif de la fessée par les parents, particulièrement sur les enfants de 2 à 6 ans (20). Après avoir étudié en détail la littérature existante, Larzelere conclut que toute association entre fessée et agressivité antisociale chez les enfants est non significative et artificielle.

Après une étude longitudinale de dix ans portant sur des enfants à partir de la 3ème année d’école élémentaire, le Dr Leonard Eron, psychologue clinicien à l’institude de recherche en sciences sociales de l’université du Michigan, n’a trouvé aucune relation entre punitions (y compris fessées) et agressivité ultérieure. Il conclut : « Dix ans après la première collecte de données, l’étude montre que la punition d’actes d’agressivité à l’âge initial n’est plus reliée au niveau d’agressivité actuel, et, à l’inverse, que d’autres variables telles que le degré de présence parentale [parental nurturance] et l’identification des enfants aux parents étaient des prédicateurs plus importants de l’agressivité ultérieure (21). »

Larzelere conclut que toute association entre fessée et agressivité antisociale chez les enfants est non significative et artificielle. Encore une fois, c’est le schéma parental global qui détermine l’issue des efforts parentaux.

20. Larzelere, Dr Robert E. "Should the Use of Corporal Punishment by Parents be Considered Child Abuse?" (« L’usage du châtiment corporel par les parents doit-il être considéré comme de la maltraitance ? »), Mason, M., Gambrill, E. (Eds.) Debating Children's Lives. 1994; pp. 204-209. California: SAGE Publications.
21. Eron, Dr Leonard D. "Theories of Aggression: From Drives to Cognitions." Huesmann, L.R. (Ed.) Aggressive Behavior, Current Perspectives. 1994; pp. 3-11. New York: Plenum Press.

Contre-contre-argument : Bien que les auteurs affirment que « cette théorie est issue des travaux de Murray Straus », le Dr Straus n’est ni le premier ni le seul chercheur à avoir relié les comportements violents de l’adulte aux châtiments corporels subis dans l’enfance. D’autres universitaires distingués tels que Philip Greven, Irwin Hyman, Adah Maurer et Ralph Welsh, parmi bien d’autres, ont établi ce lien. Ces recherches variées et de grande ampleur remontent au moins aux années 1940, avec les travaux de Sheldon et d’Eleanor Glueck 11.

De plus, le Dr Straus a récemment publié un livre entier consacré aux châtiments corporels, Beating the Devil out of Them: Corporal Punishment in American Families (New York: Free Press, 1994), qui présente une argumentation contre la fessée bien plus complète et bien plus stimulante que n’avait pu l’être celle de l’article cité par les auteurs. (D’autres défenseurs de la fessée qui critiquent l’œuvre de Straus semblent également ne connaître de lui que ce court article 12.)

Quant à la conclusion du Dr Larzelere selon laquelle « toute association entre fessée et agressivité antisociale chez les enfants 13 est non significative et artificielle » : toute association, vraiment ? C’est beaucoup affirmer, et sans preuves. Etant donné le haut niveau de châtiment corporel – pas nécessairement considéré comme « maltraitance » selon la loi – subi par le criminel violent moyen (adulte ou jeune adulte), l’affirmation du Dr Larzelere est pour le moins audacieuse.

Avec l’étude du Dr Eron, les auteurs font une fois de plus le constat gênant que le schéma parental d’ensemble est supérieur à tout élément de ce schéma pris isolément (ce qui revient un peu à dire qu’une somme est plus grande que n’importe lequel des nombres qui entrent dans le calcul). Or, en présentant la variable punition (incluant la fessée, toujours entre parenthèses) comme entrant simplement en concurrence avec « d’autres variables telles que le degré de présence parentale et l’identification des enfants aux parents », le Dr Eron omet de prendre en compte la relation réciproque entre la punition et ces autres facteurs. Si, par exemple, on comparait les données sur la qualité de la présence parentale selon que les enfants n’ont pas reçu de fessées ou qu’ils en ont reçu à des degrés divers, les résultats pourraient conduire à une appréciation de la fessée bien différente de celle que les auteurs cherchent à produire.

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Argument n° 10 :

La fessée conduit le parent à recourir à des formes de châtiment corporel plus dures [littéralement : nocives, harmful] qui mènent à la « maltraitance » [physical child abuse] 14).

Contre-argument : La possibilité d’abus [maltraitance] lorsque des parents aimants recourent à la fessée éducative [disciplinary] appropriée est très réduite. Les parents ayant une affection naturelle pour leurs enfants, ils ont davantage tendance à sous-utiliser la fessée qu’à la surutiliser. Tans les données empiriques que l’avis des professionnels contredisent l’idée d’une relation de cause à effet entre fessée et maltraitance.

Selon les enquêtes, 70 à 90 % des parents d’enfants d’âge préscolaire recourent à la fessée (22), or, le taux de maltraitance aux Etats-Unis n’est que de 5 % environ. Les deux pratiques sont donc statistiquement très éloignées. De plus, les cas de maltraitance signalée ont régulièrement augmenté au cours de la dernière décennie, alors que, dans le même temps, l’approbation de la fessée parentale décroissait constamment (23).

Plus de 70 % des pédiatres généralistes rejettent l’idée que la fessée prépare le terrain pour que les parents recourent à des formes de maltraitance physique (24).

De fait, enseigner aux parents la fessée appropriée pourrait même réduire la maltraitance, selon l’article de 1994 de Larzelere sur le châtiment corporel (25). Les parents mal équipés pour contrôler le comportement de leur enfant, ou qui adoptent une attitude plus permissive (refusent d’utiliser la fessée) sont plus enclins à la colère (26) et à des attaques explosives contre leur enfant (27).

La maltraitance des enfants est un processus interactif dans lequel entrent en jeu la compétence du parent, les tempéraments du parent et de l’enfant, et des exigences dictées par la situation [situational demands] (28). Les parents maltraitants [abusive] sont davantage en colère, déprimés et impulsifs, et la punition est pour eux le principal moyen disciplinaire. Les enfants maltraités sont plus agressifs et moins obéissantes que ceux des familles non maltraitantes. Il y a moins d’interactions entre les membres d’une famille maltraitante, et les mères maltraitantes ont un comportement plus négatif que positif. L’étiologie de la maltraitance parentale est multifactorielle, avec une importance particulière de la personnalité des individus. Elle ne peut s’expliquer simplement par l’usage parental de la fessée.

Dans une lettre de 1995 à la rédaction de la revue Pediatrics, les Drs Lawrence S. Wissow et Debra Roter, du département de pédiatrie de l’université Johns-Hopkins, admettent qu’un lien sérieux entre fessée et maltraitance reste à établir (29).
Enfin, l’expérience suédoise de réduction de la maltraitance par l’interdiction de la fessée semble être un échec. En 1980, un an après l’adoption de la loi, le pourcentage d’enfants battus était le double de celui des Etats-Unis (30). Selon un rapport de 1995 de l’organisation gouvernementale Statistics Sweden, les cas de maltraitance d’enfant par des membres de la famille signalés à la police ont été multipliés par quatre, tandis que, dans la même période, les violences d’adolescents étaient multipliées par six (31).

La plupart des spécialistes s’accordent pour dire que fessée et maltraitance sont des entités entièrement différentes, sans continuité entre elles. Dans l’éducation parentale, ce qui détermine le résultat de l’effort éducatif [disciplinary effort] est bien moins la mesure utilisée que l’« utilisateur » et la façon dont il utilise cette mesure. À l’évidence, la fessée peut être utilisée en toute sécurité pour discipliner les jeunes enfants, et avec un excellent résultat. De fait, le bon usage [proper use] de la fessée pourrait réduire le risque de maltraitance de l’enfant par le parent.

22. Straus, Murray A. "Discipline and Deviance: Physical Punishment of Children and Violence and Other Crime in Adulthood." Social Problems. 1991; 38:133-152.
23. National Committee to Prevent Child Abuse. Memorandum. May 1995; 2(5).
24.White, Kristin. "Where Pediatricians Stand on Spanking." Pediatric Management. September 1993: 11-15.
25. Larzelere, Dr Robert E., op. cit. [voir note 20].
26. Socolar, Rebecca R.S., M.D. and Stein, Ruth E.K., M.D., op. cit.
27. Baumrind, Dr Diana, op. cit.
28. Wolfe, David A. "Child-Abusive Parents: An Empirical Review and Analysis." Psychological Bulletin. 1985; 97(3): 462-482.
29. Wissow, Dr Lawrence S. and Roter, Dr Debra. Letter to the editor, in reply to corporal punishment letter. Pediatrics. 1995; 96(4): 794-795.
30. Larzelere, Dr Robert E., op. cit.
31. Statistics Sweden. K R Info. May 1995; pp. 1-6. Stockholm, Sweden.

Contre-contre-argument : Les auteurs font ici ce qui pourrait être la déclaration la plus remarquable de leur article, à savoir que les parents « ont davantage tendance à sous-utiliser la fessée qu’à la surutiliser ». Les auteurs pensent-ils que la plupart des enfants ne reçoivent pas suffisamment de fessées ? Et sinon, quelles preuves ont-ils de cette tendance à sous-utiliser la fessée ?

Il se peut que l’affirmation selon laquelle les parents « ont une affection naturelle pour leurs enfants » n’ait pas besoin en soi d’être prouvée. Après tout, que la tendresse des parents soit inhérente au fait d’avoir donné le jour à une descendance est un plaisant axiome. Néanmoins, l’histoire montre que ces sentiments sont tragiquement insuffisants pour garantir l’absence de cruauté envers les enfants. (Chez les Puritains du XVIIIe siècle, les enfants étaient régulièrement battus ou fouettés, parfois dès la petite enfance. Les Puritains étaient-ils dépourvus d’« affection naturelle » envers leur progéniture ?) Aujourd’hui encore, le fait que plus d’un million d’enfants soient maltraités dans les seuls États-Unis inflige un démenti cruel à cette confiance des auteurs dans une bonté parentale instinctive qui ne règne visiblement pas toujours en maîtresse – quelles que soient par ailleurs son importance et sa valeur.

Les auteurs indiquent à juste titre que l’étiologie de la maltraitance comporte de multiples facteurs, et seul un scientifique à très courte vue pourrait affirmer contre eux que la maltraitance « peut s’expliquer simplement par l’usage parental de la fessée ». (Les auteurs peuvent-ils citer un seul auteur qui prétende cela ?) Il est bien rare qu’une seule cause suffise à produire un effet. Mais ce qui semble avoir échappé aux auteurs, c’est que la simple fessée peut avoir et a souvent les mêmes facteurs déclenchants qui conduisent aussi potentiellement à la maltraitance, tels que variations d’humeur, stress, attitude globalement punitive.

De toute évidence, une petite fessée n’exprime pas ces facteurs au même degré qu’une grêle de coups violents. Mais ces facteurs peuvent être tout aussi présents chez des parents qui ne frappent pas, la différence étant qu’ils sont capables de se contrôler. Cette capacité de se contrôler, si grande et si louable soit-elle, est sujette à des défaillances, ce que les auteurs semblent prendre en compte lorsqu’ils argumentent que le refus des parents de recourir à la fessée peut déclencher des « attaques explosives contre leur enfant 15 ». Mais ils prennent un pari risqué en encourageant les parents à frapper légèrement leurs enfants maintenant pour ne pas avoir à les frapper vraiment fort plus tard, alors qu’il n’est pas facile de mesurer l’effet d’une fessée donnée à un enfant sur la production d’adrénaline du parent. Même si la plupart des parents qui donnent des fessées ne finissent pas par donner des raclées, peu d’enfants battus n’ont pas commencé par recevoir des fessées 16.

Quoi qu’en disent « la plupart des spécialistes », fessée et maltraitance ne sont pas des entités totalement distinctes. Pour paraphraser les auteurs, « une séparation sérieuse entre fessée et maltraitance reste à établir ». Même si la fessée en soi n’est pas de la « maltraitance », il est faux de croire qu’elle est par définition « non abusive ». De plus, le fait de souligner l’importance de « la façon dont une mesure est utilisée » serait plus intéressant si les auteurs prenaient la peine de préciser jusqu’à quel point. Mais, bien sûr, reconnaître qu’on peut distinguer des degrés de gravité de la fessée ferait entrer dans des complications absentes de la taxonomie des auteurs, selon laquelle fessée et maltraitance sont de nature totalement différente. En tout cas, le lien persistant entre fessée et maltraitance demanderait une réflexion beaucoup plus poussée, à laquelle la plupart des partisans du châtiment corporel ne semblent pas prêts à se livrer.

Enfin, l’interprétation par les auteurs des données sur la maltraitance en Suède est sérieusement biaisée. Citant le Dr Larzelere, ils nous disent que le taux de maltraitance en Suède en 1980 était le double de celui des États-Unis. Or, en même temps, les cas de maltraitance signalés à la police ont quadruplé 1984 à1994 selon les statistiques gouvernementales. Devons-nous réellement croire que la Suède a aujourd’hui un taux de maltraitance par habitant huit fois supérieur à celui des États-Unis (en supposant qu’il n’a pas décliné fortement entre 1980 et 1984) ? Le taux d’hospitalisation des enfants en Suède reflète-t-il une telle crise ? Sinon, comment expliquer ces chiffres ? D’abord, une augmentation des cas de maltraitance signalés ne signifie pas une augmentation des cas réels de maltraitance. Elle peut simplement signifier que la population est davantage prête à signaler ces cas. Il ne serait certes pas étonnant que l’abolition des châtiments corporels crée un climat encourageant pour des citoyens qui n’auraient pas pris la peine de signaler un cas d’enfant maltraité sous l’ancien système moins bienveillant. De plus, une politique de tolérance zéro envers le châtiment corporel fait croître énormément l’éventail et donc le nombre de cas susceptibles d’être signalés 17. Là où, par le passé, seuls des coups très violents auraient été considérés comme un délit, il existe maintent un recours légal même contre la fessée ordinaire.

Ces changements dans la loi suédoise semblent s’accompagner de changements réels dans l’attitude de la population. Le même rapport gouvernemental cité par les auteurs révèle que 56 % des résidents concernés par l’étude (dans un échantillon aléatoire comprenant un certain nombre d’immigrés de cultures à tradition nettement autoritaire) se prononçaient pour une discipline sans aucun châtiment corporel ; 22 % déclaraient le désapprouver mais se sentir parfois forcés d’y recourir ; 11 % disaient être en faveur du châtiment corporel au moins sous ses formes légères.
Quant à l’augmentation inquiétante de la violence des adolescents en Suède (que les auteurs ne relient pas clairement à leur argumentation), elle peut s’expliquer par des évolutions récentes sans rapport avec l’interdiction du châtiment corporel. L’entrée de la Suède dans l’Union européenne au début des années 1990 a causé un grand développement des échanges internationaux. Malheureusement, la libéralisation des échanges a aussi provoqué une augmentation sans précédent du trafic des narcotiques et de la délinquance, avec la violence qui va de pair avec le trafic de drogue dans le monde entier. (L’addiction à la drogue peut elle aussi être en soi un facteur d’incivilités, spécialement chez les jeunes.)

En conclusion, la Suède n’est que l’un des sept pays 18 qui ont interdit la fessée. Quels que soient les tendances négatives qui coïncident avec cette réforme dans ce pays en particulier, on peut difficilement en conclure qu’il existe une corrélation, encore moins une relation de cause à effet, avec l’interdiction.

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Argument n° 11 : La fessée n’est jamais nécessaire.

Contre-argument : Pour devenir des individus socialement responsables, tous les enfants ont besoin d’une éducation [discipline] combinant encouragement et correction. Pour que la correction dissuade les comportements de désobéissance [disobedient behavior], les conséquences* imposées à l’enfant doivent dépasser le plaisir de l’acte de désobéissance. Avec les enfants très dociles [compliant], des formes douces de correction devraient suffire et la fessée ne sera peut-être jamais nécessaire. Avec les enfants plus récalcitrants [defiant], qui refusent d’obtempérer [comply with] ou ne se laissent pas persuader par des conséquences douces telles que la mise à l’écart*, la fessée est utile, efficace et appropriée.

Contre-contre-argument : Les auteurs utilisent ici un argument comportementaliste en faveur de la fessée, ce qui est d’autant plus intéressant que le psychologue B.F. Skinner, fondateur du behaviorisme, a dénoncé les châtiments corporels (et d’ailleurs le concept même de punition). Si l’effet psychologique du plaisir ou de la douleur sur les humains se limitait au renforcement immédiat de certains comportements souhaités, le raisonnement aseptique des auteurs pourrait paraître très commode. Mais, comme chacun le sait sans doute, c’est un peu plus compliqué que cela.

De plus, affirmer que la fessée dissuade efficacement ne répond pas à la question de savoir si la fessée est juste [c’est nous qui soulignons, N.d.T.]. Il suffit de penser à l’argument courant selon lequel les très jeunes enfants ont besoin de recevoir des fessées parce qu’ils ne peuvent pas encore comprendre intellectuellement la valeur de sanctions non physiques, ce dont les enfants plus âgés et les adultes sont généralement capables. Dans une société civilisée, c’est un raisonnement qui s’autodétruit, car comment un enfant ayant une capacité de compréhension ainsi limitée pourrait-il « mériter » un quelconque châtiment ?

Les auteurs devraient mettre un peu plus de circonspection dans leur apologie de la fessée. Il existe malheureusement beaucoup trop de gens qui ne voient aucune raison de prendre le risque de se contenter d’une « petite » fessée qui pourrait se révéler insuffisante pour décourager en permanence l’hédonisme de leurs enfants.

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Conclusion

La fessée éducative [disciplinary spanking] doit être évaluée d’un point de vue à la fois factuel et philosophique. Elle doit être distinguée des formes abusives et nocives de châtiment corporel. La fessée éducative appropriée peut jouer un rôle important dans le développement optimal de l’enfant, et les études prospectives ont montré qu’elle faisait partie du style de parentalité associé aux meilleurs résultats. Il n’existe aucune preuve de la nocivité de la fessée légère [mild spanking]. De fait, l’histoire, la recherche et la majorité des médecins généralistes justifient l’intérêt de la fessée.

Commentaire : Les auteurs ont parfaitement raison, « la fessée éducative doit être évaluée d’un point de vue à la fois factuel et philosophique ». Mais, si on admet leur hypothèse de départ selon laquelle la fessée est totalement disctincte des « formes abusives et nocices de punition corporelle », pourquoi prendre seulement la peine de faire cette évaluation ? Si la fessée est par définition inoffensive et non maltraitante, il n’y a aucune raison d’étudier ses liens avec quelque résultat fâcheux que ce soit.

Comme l’illustre le raisonnement circulaire de nos auteurs, la défense de la fessée repose généralement beaucoup trop sur une sémantique élémentaire pour avoir une grande valeur scientifique (bien que ce soit loin d’être le seul argument qui la discrédite). Le mot « fessée » à lui seul évoque pour beaucoup de gens des vertus particulières (comme la douceur, le caractère justifié, l’intention affectueuse) qui ne sont pas incluses dans son sens littéral – et assurément pas inhérentes à l’acte de frapper quelqu’un sur les fesses.

Les défenseurs de la fessée, surtout lorsqu’ils écrivent en tant que professionnels, devraient chercher à éclaircir ces questions de définition plutôt que de se servir de leur ambiguïté pour appâter le client. Sans une reconnaissance minimale du fait que donner une fessée, c’est frapper, que frapper, c’est battre, et que battre de quelque manière que ce soit est à tout le moins potentiellement maltraiter, les arguments en faveur du châtiment corporel resteront un exercice intellectuel creux, et surtout une tromperie tragique pour d’innombrables enfants.

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Règles de la fessée disciplinaire

Les règles qui suivent sont celles que le Dr Den Trumbull conseille aux parents qu’il aide à éduquer [discipline] leurs enfants. Elles sont censées aider les décideurs politiques à apprécier la légitimité de la fessée éducative.

  • 1. La fessée doit être utilisée de façon ciblée pour les mauvais comportements clairs et délibérés, spécialement ceux qui résultent d’une résistance persistante de l’enfant à une instruction du parent. On ne doit y recourir que si l’enfant est au moins autant encouragé et félicité pour son bon comportement que corrigé pour ses comportements problématiques.
  • 2. Il faut d’abord recourir à des moyens éducatifs plus doux [milder forms of discipline] tels que correction verbale, mise à l’écart [time-out*] et « conséquences logiques* », suivis de la fessée seulement si la désobéissance persiste. La fessée s’est révélée un moyen efficace pour obliger un enfant qui refuse d’obtempérer à se retirer dans sa chambre [time-out].
  • 3. La fessée ne doit être administrée que par l’un des parents (ou, dans des cas exceptionnels, une autre personne en situation d’autorité étroitement liée à l’enfant).
  • 4. La fessée ne doit pas être administrée de manière impulsive ou lorsque le parent ne se contrôle pas. Elle doit toujours être donnée par amour, dans un but d’enseignement et de correction du comportement, jamais par vengeance.
  • 5. La fessée est inappropriée avant l’âge de 15 mois et généralement inutile avant 18 mois. Elle devrait être devenue moins nécessaire après 6 ans, et ne plus être utilisée, ou très rarement, après l’âge de 10 ans.
  • 6. Après l’âge de 10 mois, une tape sur la main d’un petit peut être nécessaire pour stopper un mauvais comportement obstiné, lorsqu’on n’a pas pu l’interrompre en distrayant l’enfant ou en lui retirant l’objet interdit. C’est le cas en particulier lorsque l’objet en question est dangereux ou impossible à déplacer, comme un four chaud ou une prise électrique.
  • 7. La fessée doit toujours être une action prévue par le parent et non une réaction, et elle doit suivre une procédure délibérée.
    L’enfant doit être averti que des problèmes de comportement bien précis auront pour conséquence une fessée.
    La fessée doit toujours être administrée en privé (chambre ou toilettes), afin d’éviter une humiliation ou une gêne en public.
    Administrer seulement un ou deux coups sur les fesses avant de prendre l’enfant dans ses bras et de passer en revue avec lui l’infraction commise et le comportement souhaité, afin de s’efforcer de rétablir une relation affectueuse.
  • 8. La fessée ne doit laisser sur la peau qu’une rougeur passagère, jamais de blessure corporelle.
  • 9. Si les fessées administrées de la manière qui convient ne sont pas efficaces, il faut essayer d’autres moyens de discipline adaptés, ou bien le parent doit demander l’aide d’un professionnel. Les parents ne doivent en aucun cas augmenter l’intensité des fessées.

Commentaire : Les règles de conduite du Dr Trumbull sont certes modérées en comparaison des niveaux intenses de châtiment corporel des enfants autorisés par les lois de beaucoup d’Etats des Etats-Unis (et que le droit canonique n’a pas cherché à limiter). Ce « mode d’emploi » souffre néanmoins de graves lacunes.

Tout d’abord, le Dr Trumbull omet dans sa présentation de la « bonne » façon de fesser deux facteurs essentiels pour apprécier le degré de douleur physique, même lorsqu’il s’agit seulement de « un ou deux coups sur les fesses ». Le premier point est de savoir si l’enfant est frappé avec un instrument.

Bien sûr, le Dr Trumbull ne fait jamais mention d’un quelconque instrument, ce qui laisse supposer qu’il n’envisage que la version simple et la plus courante de la fessée, à savoir du plat de la main. Cependant, le Dr James Dobson, de loin le plus lu et le plus fréquemment cité des défenseurs de la fessée, recommande explicitement aux parents de ne pas se servir de leurs mains, mais d’utiliser un « objet neutre » tel qu’une ceinture ou un martinet 19. Et il est important de noter que le Dr Dobson est un ami fidèle du Family Research Council (FRC), précisément l’association pour laquelle les Drs Trumbull et Ravenel ont écrit leur article, et qu’il est même le coauteur avec le président du FRC Gary Bauer d’un livre intitulé « La politique familiale en danger : la bataille pour les cœurs et les esprits de nos enfants » (Children at Risk: The battle for the hearts and minds of our kids. Dallas: Word Publishers, 1990). Il n’est donc pas absurde de s’attendre à ce que de nombreux lecteurs de Family Policy soient d’accord avec les propositions du Dr Dobson et trouvent par conséquent normal d’administrer les coups sur les fesses avec une ceinture ou un fouet, même si cela n’a rien à voir avec de la discipline « douce ».

Le Dr Trumbull se refuse aussi à indiquer s’il faut frapper les enfants sur les vêtements ou sur les fesses nues. La « fessée déculottée » n’est peut-être plus la norme sociale, mais elle est loin d’être rare pour autant, et certains parents la pratiquent de manière habituelle, parfois en affirmant qu’enlever les vêtements est à la fois plus « sûr » et plus efficace 20.

De fait, le conseil du Dr Trumbull selon lequel « la fessée ne doit laisser sur la peau qu’une rougeur passagère » donne à penser que fesses de l’enfant doivent être dénudées pour que le parent puisse y observer cette rougeur, et peut-être même la causer en adaptant la violence de chaque coup. (Au fait, comment la « rougeur passagère » se manifeste-t-elle sur un enfant noir ? La palette de couleurs du Dr Trumbull n’est-elle valable que pour les enfants d’origine européenne ?). Le Dr Trumbull trouverait peut-être à redire sur l’usage de la palette [paddle, voir photo dans l’article de Tom Johnson Les dangers sexuels de la fessée], de la ceinture ou du fouet sur la peau nue, mais ses lecteurs tentés par cette forme de fessée ne trouveront rien dans ses règles pour les en dissuader.

Plus troublant encore, le Dr Trumbull suggère qu’on peut donner des fessées dès l’âge de 15 mois. Les parents ont beau vouloir attribuer à leurs enfants un développement cognitif précoce, qualifier les actes d’un petit de 15 mois de « mauvais comportements clairs et délibérés » qui méritent une punition est une projection absurde de la pensée adulte. Il n’existe assurément aucune donnée scientifique à l’appui de l’idée qu’il serait raisonnablement possible d’« avertir » de façon compréhensible un enfant aussi jeune que « des problèmes de comportement précis auront pour conséquence une fessée ». Quelle que soit la position du Dr Trumbull contre la maltraitance, elle paraît bien timide lorsqu’il se contente de qualifier de simplement « inappropriée » la fessée administrée à des bébés plus jeunes.

Le Dr Trumbull est sans doute un médecin qui sait parler aux malades, ce qui le rend plus conciliant et l’empêche d’être trop exigeant avec les parents qu’il conseille. Il se peut aussi que le FRC, pour des raisons diplomatiques, préfère rester vague dans sa définition des différents degrés et méthodes de fessée. Car même les parents qui « croient à la fessée » ne sont pas tous d’accord entre eux pour dire quelles fessées sont raisonnables, relèvent de la maltraitance ou sont à la limite.

Plus la discussion sur la « bonne fessée » devient précise et franche, plus les divergences apparaissent sur cette ligne de partage et moins le parti pro-fessée pourra se prévaloir d’une communauté de pensée entre ses innombrables membres. Il n’est peut-être pas trop cynique de se demander si ce n’est pas parce qu’ils représentent leur principal soutien que certains porte-parole de ce parti hésitent à pointer du doigt les plus durs de leurs partisans.

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LEXIQUE

Conséquences, conséquences logiques, conséquences naturelles, conséquences négatives (logical, natural, negative consequences) : cette technique, arrivée en France il y a quelques années avec les méthodes éducatives basées sur la « discipline positive* », est issue d’une longue tradition.

Sans remonter à l’Antiquité, il en existe de nombreux exemples dans l’Emile de Jean-Jacques Rousseau : voir l’article d’Alexandra Barral Rousseau et la violence éducative (2010), en particulier le chapitre « Les châtiments préconisés par Rousseau dans l'Emile ». Dans la note 52, nous citions le travail d’Alfie Kohn sur « cette forme de punition par les ″conséquences logiques” […] récemment remise à la mode comme alternative aux punitions ».

La méthode des « conséquences » a été remise au goût du jour aux États-Unis dans les années 1960-70, en particulier par Rudolf Dreikurs, auteur de Conséquences logiques - Une nouvelle approche de la discipline (1ère édition anglaise 1968, sans cesse réédité depuis). Voir le livre d’Alfie Kohn Punished by Rewards (non traduit en français) et ses articles en anglais sur le sujet, en particulier Beyond Discipline, où il cite entre autres le livre de Dreikurs ; et The Risk of Rewards, sur les risques du système récompense-punition, même lorsque les punitions sont nommées par euphémisme « conséquences ». Et en général tous ses articles sur la discipline et le contrôle.

Discipline (discipline), disciplinaire (disciplinary) : nous avons traduit ces mots tantôt par « éducation », « éducatif », tantôt par « punition » et « disciplinaire » ou « punitif ». Dans sa traduction de La Fessée (Spanking - Questions and answers about disciplinary violence), Tom Johnson a traduit l’expression « violence éducative ordinaire » par ordinary disciplinary violence. Le mot « discipline » semble plus largement utilisé en anglais qu’en français (bien que ses divers sens soient sensiblement les mêmes), ce qui ne manque pas d’entraîner certaines conséquences lorsque les méthodes éducatives anglo-saxonnes sont importées dans un pays francophone. On retrouve dans la terminologie française toute l’ambiguïté de ce mot, tantôt positif – une discipline qu’on pourrait dire « choisie » par l’individu ou au minimum « librement consentie » et non imposée (ce qui est évidemment toujours le cas avec les jeunes enfants, et bien souvent avec les enfants plus grands, les adolescents et même les adultes), tantôt négatif, au moins du point de vue de la violence éducative ordinaire – car il devient alors synonyme de « punition », avec des méthodes allant des châtiments corporels de toute sorte et intensité, à un système récompense-punition plus ou moins doux, considéré comme « sans violence » puisque sans châtiments corporels et en principe « non humiliant ».

La « Discipline Positive » a été introduite en France sous plusieurs formes pas toujours faciles à distinguer. Voir par exemple cet article de Bruno Robbes sur le site de Philippe Meirieu, en particulier les premières pages sur les origines « humanistes » et « comportementalistes » de cette (ou de ces) méthode(s).

La « Discipline positive » de Joan Durrant, expliquée dans le manuel La Discipline positive au quotidien et à la maison (relayé par Save The Children Suède), aurait peut-être dû s’appeler « Éducation positive »… si le terme n’était lui aussi déjà largement employé, voir cet article de 2015... qui lui-même paraphrase le titre d’un article de l’OVEO : Et si la parentalité positive n’était pas si positive que cela ?

On trouve également une version abrégée sur la page L’Éducation positive du site de l’association « Ni tapes ni fessées », où cette méthode est présentée explicitement comme reposant sur le « renforcement positif » pour « encourager les bons comportements ».

Limitation des privilèges (restriction of privileges) : on entend par « privilèges » les droits ou faveurs accordés « en temps normal » par les parents, tels que sorties, argent de poche, droit de regarder la télévision, etc., et qui peuvent donc faire l’objet de retrait dans les méthodes éducatives basées sur le contrôle du comportement.

Parenting : nous avions d'abord traduit ce terme par "parentage", vieux mot français tombé en désuétude qui désignait à l'origine la "parenté" (au sens de la famille d'une personne). Comme traduction de parenting, il signifie plus généralement "éducation des enfants" (par les parents), fonction ou rôle parental, voire "style parental" (parenting style) même sans intention spécifiquement "éducative", et sans les connotations positives actuelles du mot "maternage", d'où son ambiguïté... (Mise à jour du 20 mai 2020.)

Time-out : un autre terme dont la définition est très variable. Dans cet article, nous l’avons traduit par « mise à l’écart », mais, dans la « Discipline Positive » de Jane Nelsen, il est question de « temps de pause », euphémisme qui laisse le champ libre à toutes les interprétations. Voir par exemple cette présentation du livre Positive Discipline de Jane Nelsen : « Time-out is one of the most popular disciplinary techniques used in homes and schools today. But instead of being the positive, motivating, experience it should be for children, it is often punitive, counterproductive, and damaging to their gentle psyches. In this book, bestselling parenting author Jane Nelsen shows you how to make time-out a positive learning experience for children. » Où l’on voit que, pour le time-out devienne une « expérience positive et motivante » (sic), il faudrait finalement le vider de toutes les possibilités négatives qu’il pourrait receler dans le langage courant – au point qu’on peut se demander s’il ne serait pas plus simple de ne pas y recourir du tout ! À ce sujet, voir l’article d’Alfie Kohn : Quand « Je t’aime » signifie « Fais ce que je te dis... », ou l’introduction à son livre Aimer nos enfants inconditionnellement.



  1. Le texte complet [en anglais] de "Spare the Rod?", par Den A. Trumbull, M.D. et S. DuBose Ravenel, M.D., est disponible sur www.geocities.com/mclane65/trumbull.html [N.d.T. : il ne l'est plus, mais on le trouve encore sur le blog d'un certain Dr Walt Larimore, qui déplore que "l'opposition à la fessée (se soit) accrue de façon importante ces dernières années"... L'article de Trumbull figurait encore en 2017 - mais ce n'est plus le cas en 2019 - sur le site de l'université d'Etat d'Oklahoma, qui compte le Pr Larzelere parmi les chercheurs de son département des sciences humaines... “Spare the Rod” est une expression biblique dont l’équivalent français est “épargner les verges” (ou la férule).][]
  2. Cela ne signifie pas qu’il soit possible de mesurer avec une précision scientifique la sévérité d’un châtiment corporel. Mais on peut au moins l’évaluer selon des critères objectifs tels que le nombre de coups, les caractéristiques physiques de l’instrument utilisé et des parties du corps frappées, et l’étendue des dommages corporels qui peuvent s’ensuivre sur les tissus ou les organes.[]
  3. Bien sûr, les scientifiques peuvent recourir au terme « maltraitance » ["child abuse"] de façon large sans compromettre leur objectivité comme ce serait le cas s’ils l’appliquaient à des traitements spécifiques, puisque la société en général accepte au moins le concept de « maltraitance ». Cependant, un vrai consensus sur le niveau de châtiment corporel qui peut être qualifié de « maltraitance » n’apparaît aux Etats-Unis que dans des cas extrêmes, impliquant des blessures graves, voire mortelles. Tout ce qui est moins grave (par exemple lorsqu’un coup cinglant écorche la peau) fait débat.[]
  4. De fait, le terme « raisonnable » figure dans la législation de certains Etats américains pour maintenir le châtiment corporel dans certaines limites. Mais c’est une formulation curieuse, puisqu’il n’existe aucune loi interdisant explicitement le châtiment corporel « déraisonnable », le seul critère reconnu étant généralement la « blessure » [injury], dans certains Etats uniquement la blessure physique stricto sensu. [L’anglais injury peut désigner aussi le préjudice moral, N.d.T.][]
  5. Dans cette partie, les auteurs déclarent « maltraitante » [abusive] la « punition corporelle excessive ». Cette formulation mérite d’être relevée, parce que, dans le n° de juillet [1997] de Family Policy (pp. 3-4), le responsable de la politique juridique du FRC reproche aux services de protection de l’enfance d’intervenir trop facilement en cas de simple « châtiment corporel excessif », expliquant que ce système n’a été créé que pour les enfants gravement battus (“only to get at the whip-and-burn cases”). On ignore si les Drs Trumbull et Ravenel partagent la position implicite dans cette critique, à savoir que seule la maltraitance extrême justifie qu’on intervienne.[]
  6. Plus précisément, les auteurs parlent de « progression de la colère », mais on ne sait pas très bien s’ils font allusion à une évolution à court ou à long terme. À court terme au moins, cette progression ne sera probablement guère différente selon les modalités, le but etc. de la fessée.[]
  7. Il est remarquable aussi que les auteurs incluent la gifle parmi leurs exemples d’« actes de maltraitance évidente ». Le Dr James Dobson, président de Focus on the Family, une association très proche du FRC (et dont les écrits sur la fessée sont cités dans la bibliographie de nos auteurs), s’est empressé de défendre une femme de Géorgie qui, ayant violemment giflé son fils de 9 ans dans une épicerie, avait été dénoncée à la police par un employé du magasin et mise en examen pour coups et blessures. Dans un article où il regrettait les ingérences de la loi, le Dr Dobson avait qualifié l’acte de cette femme d’« usage judicieux du châtiment corporel par les parents » (lettre d’information de Focus on the Family, janvier 1995).[]
  8. Les auteurs développent l’idée selon laquelle la fessée est une violence en tenant le raisonnement suivant : la fessée est une violence ; la violence n’est jamais justifiable ; donc, la fessée n’est jamais justifiable. Il est cependant possible de condamner certains usages de la violence sans la condamner en toute circonstance. La plupart des opposants à la fessée admettraient probablement, par exemple, qu’il est légitime de blesser ou même de tuer pour défendre sa vie.[]
  9. L’« inflammation temporaire de la peau » semble avoir davantage de chances d’être considérée comme une « blessure » lorsqu’elle est provoquée par autre chose que des tapes du plat de la main, comme recevoir de l’eau bouillante, ou lorsqu’elle concerne d’autres parties du corps que les fesses, comme le visage. (En tout cas, les auteurs ont précédemment classé la gifle comme une forme de maltraitance, qu’elle cause ou non une blessure.[]
  10. Beaucoup de parents seraient difficilement classables dans l’une ou l’autre de ces catégories. Par exemple, certains parents partisans d’une discipline sévère vont beaucoup féliciter et encourager leurs enfants, d’autres seront laxistes sur la discipline mais manifesteront de l’animosité et du mépris à leurs enfants. Il serait bon aussi de savoir si le Dr Baumrind a rencontré beaucoup de cas de « contrôle parental ferme » sans fessée, ou si ses données montrent au contraire que les seuls parents à ne pas donner de fessées sont des parents permissifs.[]
  11. Sheldon and Eleanor Glueck, Unraveling Juvenile Delinquency (New York: The Commonwealth Fund, 1950); Sheldon Glueck, "Ten Years of 'Unraveling Juvenile Delinquency': An Examination of Criticisms," in Sheldon and Eleanor's Ventures in Criminology: Selected Recent Papers (London: Travistock Publications, 1964).[]
  12. Par exemple le psychologue John Rosemond, dans To Spank or Not to Spank, pp. 18-25 (Kansas City, Mo.: Andrews and McMeel, 1994).[]
  13. Ces données concernant les enfants ne semblent pas très pertinentes pour répondre à la question posée ici, qui est celle du recours à la violence pour résoudre les conflits entre adultes.[]
  14. La formulation de cet argument par les auteurs établi une distinction curieuse entre « formes nocives de punition corporelle » [harmful forms of corporal punishment] et « maltraitance physique » [physical child abuse]. Selon la plupart des définitions, les « formes nocives de punition corporelle » seraient une sous-catégorie de la « maltraitance physique » et non une catégorie en soi située quelque part entre fessée et maltraitance. (Mais, sans cela, il faudrait admettre une continuité entre fessée et maltraitance que les auteurs réfutent.[]
  15. Dans le même genre, on pourrait argumenter qu’un mari qui refuse de donner des fessées est plus susceptible d’agressions explosives contre sa femme.[]
  16. La déclaration des auteurs selon laquelle fessée et maltraitance sont « statistiquement très éloignées » fait ressortir leur refus de prendre en compte le recouvrement statistique indéniable, quelle que soit son importance, entre enfants qui subissent la fessée et enfants victimes de maltraitance.[]
  17. De fait, la statistique citée par les auteurs pourrait inclure d’autres facteurs que la maltraitance. Dans son article "Swedish Parents Don't Spank" (“Les parents suédois ne donnent pas de fessées”, magazine Mothering, printemps 1992), le Pr Adrienne A. Haeuser explique : « Il est impossible de savoir précisément quel effet la loi de 1979 a eu sur la maltraitance, parce que la Suède recueille les données sur les “conditions inadaptées” et pas seulement sur la maltraitance. »[]
  18. Avec l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Norvège, le Danemark et Chypre. [N.d.T. : chiffres de 1997, mais l’Italie et l’Allemagne sont citées ici par erreur, voir Liste des pays abolitionnistes.][]
  19. James Dobson, Questions Parents Ask about Discipline, p. 9 (brochure éditée par Focus on the Family, Colorado Springs, 1991).[]
  20. Si le Dr Dobson n’exprime aucune préférence entre fessée habillée ou déculottée, d’autres auteurs pro-fessée l’ont fait. Par exemple, Roy Lessin écrit : « Lorsqu’on donne la fessée à un enfant, il est important qu’il y ait contact direct avec son postérieur. La fessée [ici avec un fouet ou une baguette, switch] à travers les couches un un jean épais n’apporte pas les résultats souhaités. » (How to Raise Happy and Obedient Children [“Comment élever des enfants heureux et obéissants”], Medford, Oregon: Omega Publications, 1978, p. 106). Inversement, John Rosemond averti qu’« ôter les vêtements d’un enfant avant une fessée introduit dans le processus un facteur d’humiliation inapproprié » (To Spank or Not to Spank [“Fesser ou ne pas fesser”], Kansas City, Missouri: Andrews and McMeel, 1994, p. 57).[]

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