Les enfants n'ont pas besoin d'être éduqués, mais d'être accompagnés avec empathie.

Jesper Juul.

Le corps de l’enfant est un objet et l’adulte se sert : le baiser forcé du Dalaï-lama et la culture de la domination adulte

Par Gabriel, membre de l’OVEO

Le lundi 10 avril 2023, le Dalaï-lama s’est excusé d’avoir demandé à un petit garçon de lui « sucer la langue ».

Lors de cet événement public organisé à Dharamsala (une ville du nord de l’Inde), un jeune garçon s'approche du lauréat du prix Nobel de la paix et lui demande : « Puis-je vous serrer dans mes bras ? » Le Dalaï-lama commence par lui présenter sa joue pour profiter d’une bise lors d’un câlin en lui disant : « D'abord ici. » Puis il prend la main du garçon qui s’apprête à partir et renchérit en montrant ses propres lèvres. Devant l’absence de réaction du garçon (qui ne serait pas pétrifié d'être ainsi sollicité en public par l’une des personnalités religieuses les plus importantes du monde ?), l’octogénaire décide de l’embrasser sans lui demander son consentement. Enfin, le Dalaï-lama tire sa langue et demande au garçon : « Suce ma langue. »

Ce n’est pas qu’un « bad buzz », un « dérapage » ou un « incident » : cette scène révèle le caractère systémique de la domination adulte et de la culture de la violence éducative ordinaire

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Réflexions sur la pertinence de la formule « violence éducative ordinaire »

Par Daliborka Milovanovic, membre et actuelle présidente de l'OVEO.
Texte publié sur le site enfantillage-larevue.fr

Régulièrement, la formule « violence éducative ordinaire » est remise en cause, aussi bien par les nostalgiques de la libre fessée et de la mise au coin que par des alliés authentiques des enfants. Pourtant, cette formule concise permet de résumer en trois mots la nature des rapports que les adultes entretiennent avec les enfants. Le sigle VEO fonctionne comme aide-mémoire pour retenir le syllogisme de l’oppression des jeunes : 

  • L’éducation est le cadre indépassable de toute interaction avec un enfant.
  • La violence est inhérente à tout geste éducatif.
  • Les jeunes, ordinairement éduqués, sont donc ordinairement violentés.
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Une pratique soigneusement ritualisée

Témoignage reçu par Olivier Maurel

Ce qui va suivre n'emprunte rien ni à la littérature, ni à la psychanalyse. Il est vrai, dans chacun de ses détails, que j'ai voulu d'une extrême précision. Rien d'inventé, rien de romancé. Relation froide, presque clinique, de ce qui m'est arrivé il y a exactement soixante-dix ans (j'en ai aujourd'hui 84). Blessures mal soignées, cicatrices encore douloureuses si longtemps après, ce témoignage (que je voulais écrire depuis très longtemps sans jamais m'y résoudre) s'inscrit dans le combat que mène depuis des années Olivier Maurel pour dénoncer des pratiques destructrices des personnes et des familles. Parfois, on le verra, jusqu'à la mort.

Aucune considération « morale ». Je n'excuse rien. Je n'explique rien. Je ne pardonne rien. Je me borne à raconter ce que j'ai vécu. Les faits, rien que les faits, pour ne pas enfouir dans l'oubli ce qui m'a obsédé pendant toute ma vie d'adulte ; pour me libérer enfin d'un très lourd secret avant qu'il ne soit trop tard.

Il ne s'agit pas seulement ici de ces pratiques, certes, certes inadmissibles, mais malheureusement trop banales, que sont les fessées dénoncées par Olivier Maurel, mais de très perverses « corrections » où le martinet devient l'instrument d'un délire presque obsessionnel, monstrueux, sadique, mal dissimulé sous le vocable inoffensif de « châtiment corporel ». Nous ne sommes pas dans la partie émergée de l'iceberg, pour reprendre le mot qu'utilise Olivier Maurel, mais dans les profondeurs glauques du non-dit, du jamais-dit, de l'inavoué.

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L’Histoire de la fille d’une mère qui devient la mère d’une fille qui ne sera pas mère

L’Histoire de la fille d’une mère qui devient la mère d’une fille qui ne sera pas mère se jouera à Paris du 25 mai au 17 juin au théâtre Les Déchargeurs. Un bord de scène avec rencontre-débat sera animé par Daliborka Milovanovic (OVEO) à la suite de la représentation du samedi 27 mai.

Réservations sur le site du théâtre Les Déchargeurs


L’Histoire de la fille d’une mère qui devient la mère d’une fille qui ne sera pas mère est un seule-en-scène, traitant de la transmission de traumatismes et de relations parent-enfant ordinairement violentes. Émilie Alfieri y campe tour à tour le rôle de chaque femme de cette lignée sur trois générations.

La performance d’Émilie Alfieri a impressionné plusieurs de nos membres qui ont pu assister à une représentation captée en 2018. Son jeu est précis et parfaitement nuancé. Les dialogues – dont on n’entend qu’une voix mais qui permettent de deviner tout le contexte – sont percutants et justes. La mise en scène sobre et astucieuse est particulièrement efficace. 

L’Histoire de la fille d’une mère qui devient la mère d’une fille qui ne sera pas mère est une pièce qui ne peut qu’émouvoir, voire bouleverser le/la spectateur·rice selon la résonance avec sa propre histoire familiale. 

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À propos des méthodes et autres solutions

Par Amandine C., membre de l'OVEO 1

Photo de Takacs Alexandra sur Unsplash

Il en va de l’éducation comme de la santé, des régimes alimentaires ou encore du jardinage : si l’on rencontre une difficulté et que l’on cherche à la résoudre, les conseils des « spécialistes » pleuvent et il n’y a souvent qu’un pas à faire pour croire que ce serait LA réponse à appliquer pour voir s’estomper cette difficulté à coup sûr. Du coup, lorsque les résultats restent décevants, on se dit que la méthode n’est pas « la bonne », ou qu’on ne la maîtrise décidément pas etc. On reste alors dans cet épuisant et incessant questionnement : que puis-je/dois-je FAIRE de plus ?!

Si l’on peut s’amuser (et souvent s’horrifier!) des « recettes » éducatives (ou sanitaires) et de leurs foisonnements plus ou moins farfelus au fil du temps, des époques et des cultures (cf. par exemple L’Art d’accommoder les bébés, de Delaisi-Perceval et Lallemand), il n’en reste pas moins que le besoin de réponse reste toujours très prégnant, à croire que « LA » clé d’une meilleure harmonie générale se dérobe sans cesse, ou que nous ne maîtrisons toujours pas assez bien telle ou telle méthode/technique, qu’il faut encore ajouter des formations, trouver toujours de nouveaux maîtres…

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  1. Nous ne publions qu'aujourd'hui cet article écrit en 2017 par cette adhérente que son état de santé (EHS/MCS) empêche depuis 4 ans de participer à nos discussions connectées... Article toujours d'actualité dans une période où les médias relancent le débat sur les méthodes dites alternatives, la "parentalité positive" etc., vs. le bon vieux "time-out" et la punition.

    Lire d'autres articles d'Amandine : La violence obstétricale ordinaire, séquelles et prémisses de la violence éducative ordinaire (2017) ; Est-il juste de restreindre la liberté d'instruction ? (2016) ; A propos du « nouvel » enseignement civique et moral destiné aux élèves et Communiquer avec les nouveaux-nés, un moyen de prévenir la maltraitance (2015).[]


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Lettre ouverte à Caroline Goldman à propos de son interview dans Le Monde

Par Olivier Maurel, février 2023

« Voici la lettre que j'aurais voulu envoyer à Caroline Goldman en réponse à son interview dans Le Monde. Mais je ne trouve ni son adresse d'e-mail ni son adresse postale. Donc je la jette comme une bouteille à la mer. Peut-être qu'elle lui parviendra. »


Madame,

Quelques réflexions me sont venues à l'esprit en lisant votre interview dans Le Monde et je me permets de vous en faire part.

Je ne jetterai certainement pas la pierre à un parent qui, fatigué, excédé, exaspéré, envoie son enfant dans sa chambre parce qu’il ne sait pas que faire d’autre et qu’il ne veut pas lui donner une gifle ou une fessée.

Mais qu’une psychologue réputée comme vous recommande aux parents comme « idéale » une méthode de règlement de conflit qu’il lui serait impossible d’appliquer sans risque à un adulte qu’elle supporterait mal, il y a de quoi être étonné.

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De l’enfant protégé à l’enfant corrigé, ou comment l’humanité est devenue maltraitante

Le nouveau livre d'Olivier Maurel, De l’enfant protégé à l’enfant corrigé, ou comment l’humanité est devenue maltraitante, est paru en novembre 2022 aux éditions de L’Harmattan.

Lire ci-dessous le compte-rendu de ce livre par Gabriel, membre de l'OVEO (d'autres commentaires pourront être publiés par la suite), suivi d'un extrait de l'avant-propos et de la table des matières du livre.

Voir aussi notre revue de presse de novembre 2022.


Toutes les nations sauvages de ces quartiers (c’est-à-dire du Québec), et du Brésil, à ce qu’on nous témoigne, ne sauraient châtier ni voir châtier un enfant. [...] Que cela nous donnera de peine dans le dessein que nous avons d’instruire la jeunesse !” 

C’est par ces mots de Paul Le Jeune, prêtre jésuite et missionnaire français au Canada qu’Olivier Maurel décrit cette tâche qui semble encore impossible à de nombreux adultes aujourd’hui : instruire sans punir.

Après des millénaires de violences infligées aux enfants, l’humanité semble avoir oublié que faire subir aux enfants des traitements parfois proches de la torture n’est pas dans sa nature.

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Autorité adulte, conséquences vécues

Je suis né français en 1957 d'un père espagnol rescapé des camps de la mort nazis en 1945. Il m'a infligé une éducation très violente, semblable à la cruauté de ses anciens bourreaux. Interdiction de pleurer, de parler, de courir, de lire, de jouer en sa présence et aussi d'uriner et de déféquer sauf en dehors de la maison. Bien sûr, pour "m'apprendre à obéir" j'avais droit à une punition préventive quotidienne : il me jetait nu sur le lit et me frappait à coup de ceinture. A l’extérieur il bénéficiait d’une haute considération : travailleur courageux et consciencieux, père de famille qui montre le droit chemin à ses enfants.

À l'âge de six ans je suis entré à l'école et j'ai eu le malheur d'être reçu par une institutrice pédocriminelle 1. Je n'ai rien dit car j'avais ordre de mon père d'obéir à la maîtresse et aussi interdiction d'adresser la parole à un adulte.  Elle a pu continuer...

Un étau de honte, de douleur et de terreur est la totalité de mon enfance. À l’âge de sept ans j’ai tenté de me suicider par noyade. Malheureusement, par hasard, un jeune homme a aperçu le petit corps inerte et a cru bon de le repêcher. Par miracle et à mon grand désespoir je suis revenu à la vie, c’est-à-dire face à l’horreur totale.

Petit de taille et d'âge (j'ai eu un an d'avance jusqu'en terminale), extrêmement timide et peureux, j'ai constamment été torturé physiquement par des garçons et moralement par des professeurs de collège de la sixième à la troisième. Ce sadisme s'est arrêté en classe de première au lycée mais mon père a maintenu la terreur jusqu'au jour de mes dix-huit ans, jour où je me suis enfui pour résider dans une autre ville.

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  1. Pédosexuelle-criminelle-garçon dans ma terminologie psychologique.[]

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Des enfants « victimes » d’une parentalité « exclusivement empathique »… ou comment faire passer la domination des adultes pour un droit fondamental des enfants

Un débat incomplet

Le 28 octobre 2022, deux tribunes quasiment similaires ont été publiées, l’une dans Le Figaro (La dérive de la parentalité “exclusivement” positive doit être dénoncée), l’autre dans La Libre Belgique : La parentalité exclusivement positive ne respecte pas le développement psychologique de l’enfant.

Caroline Suchard @caroline_suchard

Avec bien peu de nuances, les textes opposent de manière caricaturale le « bon sens » d’une éducation que nous pourrions qualifier de traditionnelle au pseudo-laxisme d’une éducation « exclusivement » « positive » ou « bienveillante », accusant même cette dernière de contrevenir aux droits de l’enfant.

Les signataires s’indignent :

Quand va-t-on se rendre compte que cette parentalité qui veut faire l’économie de l’éducation est un manquement grave aux droits des enfants ? Quand va-t-on accepter que les bonnes intentions de cette parentalité-là ne sont pas suffisantes pour la valider ?

Dans un contexte de remise en cause potentielle par le Conseil de l’Europe du « time-out » comme méthode éducative 1, il nous semble que ces levées de bouclier sont symptomatiques d’une difficulté – voire d’une impossibilité – à concevoir le rapport parents-enfants autrement que comme un rapport de domination, autorisant de fait toutes les manipulations jugées utiles à l’obtention d’un résultat souhaité.

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  1. Dans une brochure de 2008 sur la « parentalité positive », le Conseil de l’Europe préconise entre autres la mise à l’écart temporaire (« time-out ») comme alternative aux châtiments corporels. L’éventualité de cette suppression fait débat (voir ces articles du 12 octobre 2022 dans Le Parisien et du 14 octobre dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace).[]

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Comment accepter, supporter d’avoir des parents fous ?

Je rencontrais pour la première fois un témoin lucide, j’avais trente-cinq ans ! Jusque-là je ne parlais pas de ma vie. D’un côté je n’allais pas me plaindre, je n’avais pas été enfermée dans un placard ni attachée à des chaînes, je n’avais pas été violée, je n’avais pas été frappée tous les jours. Somme toute, mon enfance me semblait assez ordinaire, peut-être une sorte de malédiction, une mauvaise fée ayant dû se pencher sur mon berceau : c’est la vie quoi ! D’un autre côté, je n’en parlais pas non plus car les maigres tentatives pour l’évoquer faisaient surgir devant moi un regard fuyant, un silence encombré, une pirouette de mots légitimant le fait que, ma foi, c’est comme ça qu’on « dresse » les enfants. Alors je me suis tue. Il semble que par là je me suis tuée, aussi. 

Il fallut une femme, médecin de campagne, devant laquelle mon débit de parole ne sut s’arrêter. Les images souvenirs dans la tête, j’osais quelques mots et là, pour une fois, j’eus face à moi une écoute, une porte qui s’ouvrait, sans autre forme de « jugement » qu’un regard horrifié. Je vis dans son regard le reflet pur d’un réel : ce que fut mon enfance. Premier éclair de lucidité, ce que j’avais vécu et ce que je vivais par ricochet était purement et simplement de la maltraitance, de la violence, une sorte de folie admise et tue tout autant que mon être flottant jusque-là dans le silence.

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