C’est seulement quand se produit un changement dans l’enfance que les sociétés commencent à progresser dans des directions nouvelles imprévisibles et plus appropriées.

Lloyd de Mause, président de l'association internationale de Psychohistoire.

J’avais l’habitude de penser qu’il fallait souffrir pour aimer et être aimée…

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du livre La Fessée.

 
Avez-vous vous-même été frappé ? A partir de et jusqu'à quel âge ?
- Oui, j’ai été frappée par ma mère dans mon enfance. Je n’ai pas le souvenir d’avoir été frappée dans ma petite enfance. Mais je me souviens très bien d’avoir été frappée et ma sœur aussi pendant notre enfance. Parfois, pires que les coups, les engueulades étaient terribles. J’avais l’impression qu’elles n’en finissaient jamais ! Cela ressemblait à du harcèlement. Ma mère avait le don de me fusiller du regard aussi et de me faire comprendre que telle ou telle attitude ne lui plaisait pas. Je ne me souviens pas de câlins avec ma mère. Mon père ne me frappait pas (sauf une fois, après avoir subi les assauts de ma mère il m’a donné une claque… j’ai eu l’impression de voler ce jour-là jusqu’au bout de la pièce. Je ne l’oublierai jamais. Mais je n’oublierai sûrement pas non plus que c’est à cause de ma mère que mon père a eu ce geste, il ne m’aurait pas frappé si on avait vécu seuls, j’en suis persuadée) mais il savait que ma mère nous frappait et je ne pense pas qu’il lui en ait parlé un jour.

J’ai été frappée par ma mère jusqu’à l’âge où je me suis permise de la repousser physiquement et donc à l’âge où j’étais devenue aussi forte qu’elle. Ca devait être vers la fin de mon adolescence, vers 18 ans. Je me souviens très bien aussi de cette fois-là ! Je l’ai déjà vue donner une claque à mes enfants lors d’une situation qui ne nécessitait pas du tout ce geste ; cela m’a paru vraiment inopportun ! Cette scène m’a fait très mal car cela m’a renvoyé à ma propre enfance. Et j’ai pu me rendre compte que ses gestes violents n’avaient aucune excuse et qu’ils n’étaient pas valables. Le fait d’être extérieure à la scène, de pouvoir prendre du recul, de connaître mes enfants m’ont permis ce jour-là de juger ma mère. J’en ai parlé avec mon mari qui connaît ma situation. Mais je n’ai pas pu en parler avec ma propre mère. Je n’en suis pas encore à ce stade-là.

Par qui ? (père, mère, grands-parents, frère, oncle, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...).

Celui ou celle qui vous a frappé avait-il (ou elle) subi des châtiments corporels ?
- Je ne sais pas du tout si ma mère a subi des châtiments corporels. Elle s’est déjà plaint de l’éducation stricte qu’elle avait reçue (ne pas parler à table, l’avis des enfants importait peu…) et je peux vous dire que mon oncle est parti et n’a plus donné de signes de vie vers 20 ans (il était artiste et a priori homosexuel, situation qu’auraient mal supportée mes grands-parents). Par contre mes grands-parents ne m’ont jamais frappée alors que je passais tous mes mercredis chez eux ainsi que certains w-ends et une partie des vacances scolaires.

Viviez-vous dans une société où les enfants sont couramment frappés ?
- Non… et oui ! Les enfants ne sont pas frappés ouvertement, en public ; mais quand nous connaissons le nombre d’enfants ayant subi des châtiments corporels en France, on peut dire que je vis dans une société où les enfants sont frappés. Enfant, je ne me souviens pas avoir eu connaissance d’enfants qui se plaignaient d’être frappés chez eux mais je ne sais pas si cela m’aurait choqué : je pense que je trouvais ça normal ! Adulte, j’ai vu ou su que des enfants se faisaient frapper par leur père, leur mère ou leur instit. Cela m’a choqué de voir ces scènes de violence mais je ne suis jamais intervenue : je pensais « ce sont leurs affaires ». Il est vrai qu’on ne sait pas comment vont réagir des personnes qui apparemment sont déjà violents avec leurs propres enfants et ne le cachent pas !

Cette manière de vous faire obéir vous a-t-elle été profitable ?
- Je ne pense pas que m’avoir frappé m’ait été profitable. Bien sûr, j’ai été une fille très sage, très obéissante mais cela m’a détruite moralement (les coups n’étant pas forcément la principale cause : les mots peuvent faire mal aussi). J’ai assez bien réussi dans la vie de tout point de vue mais je suis persuadée que si ma mère avait été moins violente et m’avait éduquée autrement les résultats auraient été les mêmes et j’aurais peut-être fait moins d’erreurs dans ma vie (cf réponse à la question 5)

Avez-vous l'impression d'en subir encore les conséquences ?
- J’en ai subi et j’en subis encore malheureusement les conséquences. Je pense que je ne suis actuellement pas encore tout à fait moi-même (mais de plus en plus tout de même… j’y travaille !) car je reproduis l’éducation que j’ai connue. Il est très difficile de s’en défaire même si on le souhaite vraiment : c’est inscrit dans notre chair et je n’ai connu que cette forme-là d’éducation. Je dois tout construire ce qui demande de l’énergie et du temps.
Mis à part l’éducation que je donne à mes enfants, c’est ma personnalité propre qui en a souffert. J’ai dû réapprendre à prendre confiance, à être plus sûre de moi, à découvrir mes qualités, à connaître mes propres priorités dans la vie… J’ai aussi eu des expériences malheureuses que je n’aurais jamais dû supporter mais je l’ai fait parce que j’avais l’habitude de penser qu’il fallait souffrir pour aimer et être aimée. Je ne m’en rendais pas compte à l’époque (j’avais 18 ans) mais avec le recul, je me dis que si je n’avais pas été rabaissée étant petite, je ne me serais jamais laissée faire et j’aurais évité beaucoup de souffrance.

Avez-vous subi cette épreuve dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
- J’ai une sœur qui a moins de 4 ans de moins que moi. Elle a subi les mêmes choses que moi (peut-être en moins pire… mais je n’arrive pas à me souvenir exactement) et, en tout cas, elle était tout le temps présente à mes côtés. Cette atmosphère à la maison nous a permis d’être très proches.
Mon père ne m’a pas défendue vis-à-vis de ma mère mais il ne me frappait pas et il m’a toujours soutenue. Il me donnait l’impression d’être impuissant devant ma mère ; imaginez ce que peut penser une petite fille quand elle voit que son père lui-même ne peut pas la défendre… qu’il en est ainsi et que rien ne peut changer cela !

Voyez-vous un rapport entre votre éducation et votre opinion actuelle sur les châtiments corporels ?
- Oui, si je n’avais pas subi les assauts de ma mère, je ne pourrais pas imaginer ce que c’est. C’est pour l’avoir vécu que je> ne veux pas copier cette façon d’agir.

Avez-vous des objections aux idées développées sur ce livre ? Lesquelles ?
- non, a priori je ne vois pas d’objections à faire sur ce livre. Quelques remarques seulement. La deuxième partie est moins lisible que la première partie mais je pense qu’elle est nécessaire pour en faire un ouvrage complet sur la fessée. J’aurais aimé que les moyens d’éduquer autrement les enfants soient développées mais je crois que ce n’est pas le but du livre et que vos références et la bibliographie sont suffisantes pour approfondir le sujet pour ceux qui le veulent. Donc, je n’ai aucune critique à faire.
- Je viens de penser à quelque chose dont vous ne parlez pas dans ce livre. Comme cause d’exaspération, vous citez les pleurs, le bruit… Vous expliquez par exemple qu’il vaut mieux une grande maison (ce qui a été votre choix de vie avec votre famille) mais je pense qu’on peut aussi parler de la fatigue. Je crois qu’il est bon pour l’ambiance générale au sein d’une maison que chacun ait son quota de sommeil car la fatigue engendre souvent de l’énervement et des incompréhensions que ce soit du côté des parents comme celui des enfants. Des enfants fatigués ne savent plus très bien ce qu’ils veulent, ne s’expriment plus très bien, pleurent pour des choses qui leur seraient anodines à un autre moment… et les parents sont plus facilement exaspérés et enclins à s’énerver quand ils sont fatigués.

Ce livre a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur les châtiments corporels ?
- Il a renforcé mon opinion sur les châtiments corporels. J’en étais arrivée au point de me dire : moi-même, chez moi, dans ma maison, il faut que je change l’éducation que je donne à mes enfants. Mais je n’avais pas réfléchi à l’intérêt de les interdire au niveau légal. Je me souviens même d’avoir trouvé bizarre qu’un état interdise la fessée (l’Angleterre il y a quelques années(1)). Je ne comprenais pas le but de la démarche : je me demandais comment ils allaient faire pour surveiller les parents chez eux et leur faire appliquer cette loi. Je me disais même que les parents peuvent élever leurs enfants comme ils l’entendent ; ce n’est pas à l’état de décider pour eux. Après avoir lu votre livre, je comprends maintenant la nécessité d’interdire légalement la fessée : non pas pour punir ceux qui la donnent mais pour leur donner matière à réflexion et mettre en place des actions pour aider les futurs et jeunes parents à élever leurs enfants sans fessée.

Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de châtiments corporels sur les enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quelles punitions ? infligées par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
- non, je n’ai pas assez voyagé pour être en mesure de vous donner un témoignage sur la place des châtiments corporels dans les pays visités.

Si vous acceptez de répondre, merci de préciser sexe, âge et milieu social.
sexe : féminin ; date de naissance : 32 ans ; milieu social : je suis professeur des écoles en congé parental ; mes parents étaient fonctionnaires


(1) : En réalité, il y a seulement eu des propositions de loi, la dernière datant
de 2008
, mais l'Angleterre reste au contraire l'un des pays européens les plus
réticents à voter une loi d'interdiction. (Note de l'OVEO.)


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