Quand on a rencontré la violence pendant l'enfance, c'est comme une langue maternelle qu'on nous a apprise.

Marie-France Hirigoyen.

Le martinet des voisins…

Il y avait, dans le quartier pavillonnaire de mon enfance, un martinet dans le placard de la cuisine des voisins.

Quand j'ai demandé pourquoi à ma mère; elle m'a répondu "Oh tu sais, leurs enfants sont terribles."

Le martinet pour obliger à manger, à se laver les mains.

Pour faire taire, pour faire plier, pour menacer.

Je connaissais très bien ces enfants, c'est avec eux que je jouais.

Dans d'autres maisons, il y avait du silence, un silence assourdissant, celui des enfants que l'on n'écoute pas.

Celui des enfants ignorés dans leurs chagrins, moqués dans leurs colères.

Des maisons sans fantaisies, sans poésies, sans salissures.

Depuis l'entrée de chez nous, j'observais le garçon d'en face, assis dans une cuisine silencieuse, devant une assiette pleine et froide. Souvent. Des après-midis entiers.

Aux heures où le soleil chauffe le bitume, ces heures faites pour être dehors.

J'ai vécu 15 ans dans ce quartier pavillonnaire, le temps de voir ce martinet accroché dans un placard blanc, le temps de regarder mon voisin d'en face pleurer quotidiennement devant son assiette.

Mon enfance est si proche, je peux convoquer tous ces souvenirs si facilement.

Ma fille dort.

Quand elle se réveillera, je lui dirai que c'est elle la cheffe.

La cheffe de sa tête, et que ses idées valent bien les miennes.

La cheffe de son corps, qu'elle sait mieux que quiconque si elle a faim, soif et que son corps est à elle toute seule.

La cheffe de son cœur, de ses émotions, qu'elles ont toutes une raison d'être, et que toutes les peines peuvent être écoutées.

Et à moi, je me dis de faire bien attention, à mon conditionnement, à ce langage de la violence que je connais, que je dois tenir à distance à force de bienveillance, d'écoute, et d'apprentissage.

Je regarde encore ma fille dormir, dans la douceur de son enfance.

Marie, 33 ans , maman d'Anouk, 2 ans et 5 mois

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