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Les bases de la paix existent déjà chez l’enfant

Par Olivier Maurel, président de l'Observatoire de la Violence éducative ordinaire (OVEO).

A l'occasion de la Journée internationale de la Paix du 21 septembre 2008, il est bon de réfléchir à l'une des phrases du préambule constitutif de l'UNESCO : "Les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix."

Belle formule apparemment, mais qui dissimule deux réalités fondamentales.

La première, c'est que les "défenses de la paix" n'ont pas à être "élevées" dans l'esprit des hommes, parce qu'elles s'y trouvent déjà dès leur naissance - tout simplement parce que nous sommes des animaux sociaux programmés en quelque sorte pour vivre ensemble.

La première de ces défenses s'appelle l'attachement. L'enfant naît avec, en place dans son cerveau, tout un système inné qui le porte à chercher à s'attacher à sa mère, puis à tous les êtres humains qui lui manifestent de l'intérêt et qui le protègent. Ce système, vital pour lui, répond au fait que l'organisme de l'enfant, qui naît prématuré, "sait" en quelque sorte qu'il ne peut survivre s'il n'est pas pris en charge par des adultes. Par tout un ensemble de comportements - pleurs, regards, bras tendus, sourires -, le bébé cherche à s'attacher des adultes. Cet attachement initial, quand il se passe bien, est une solide base, un prototype pour les relations futures de l'enfant, qui acquiert ainsi confiance en lui, puisqu'il a réussi à ce qu'on s'occupe de lui, et confiance dans les autres, puisqu'il voit qu'ils s'intéressent à lui et le protègent. Or, ces relations de confiance sont les bases de la paix.

Le nouveau-né porte également en lui un autre système, tout aussi vital, qui lui permet de partager les émotions des autres. A son stade le plus élémentaire, c'est ce système qui fait que, quand un bébé pleure dans une maternité, tous les autres bébés se mettent à pleurer. C'est le même système qui, dans le monde animal, fait qu'au cri d'alarme et à l'envol d'un oiseau pouvant faire supposer un danger, tous les autres oiseaux s'envolent. A un stade plus élaboré, ce système permet d'interpréter les émotions des autres à partir de leurs mimiques ou de leur comportement, et donc de déceler une menace ou une invite à la relation. Ce système est enfin et surtout la base de la compassion et de l'humanité en tant que valeur morale. Il nous fait partager les émotions des autres, comprendre leur souffrance et donc, s'il a pu se développer normalement, éviter de les faire souffrir, parce qu'en les faisant souffrir nous souffrons avec eux. Des êtres humains chez qui l'empathie a pu se développer sont incapables de blesser, de tuer, et à plus forte raison de torturer un de leurs semblables. Inversement, leur empathie les pousse à aider, à secourir les autres.

Troisième système et troisième base potentielle de la paix : l'imitation. Les enfants sont des imitateurs-nés. Ils portent, nous portons tous dans nos cerveaux des neurones qu'on a appelés "neurones-miroirs", qui enregistrent tous les comportements que nous voyons et nous préparent à les reproduire. Cette imitation n'est pas volontaire, elle est automatique. Pour l'enfant, tous les comportements auxquels il assiste sont des incitations à l'imitation. S'il a la chance d'avoir autour de lui des adultes qui vivent en harmonie et qui, lorsque des conflits se produisent entre eux, savent les résoudre sans violence, il va lui aussi porter ce savoir inscrit dans son système nerveux et être capable spontanément de relations harmonieuses et de réconciliation.

Ainsi, lorsque ces trois bases de la paix pourront s'ancrer solidement, dès leur enfance, dans les esprits de la majorité des adultes d'une société, la société deviendra capable de résoudre intelligemment les conflits quand il s'en présentera, parce que ces adultes connaîtront la valeur du lien entre les personnes, qu'ils éprouveront de la compassion à l'égard des autres, et qu'ils auront acquis les comportements nécessaires à la résolution des conflits.

Mais la belle formule de l'UNESCO dissimule une deuxième réalité : si l'on se croit obligé d'"élever" dans l'esprit des hommes les "défenses de la paix", c'est que les défenses innées de la paix qui s'y trouvaient ont été altérées, voire détruites, par le mode d'éducation le plus universellement répandu, à savoir la violence, les punitions corporelles et les humiliations.

Quand on frappe un enfant, on pervertit sa volonté d'attachement en y introduisant la violence. On lui apprend qu'il est normal de frapper ceux qu'on aime. Et à plus forte raison, bien sûr, ceux qu'on n'aime pas. Et voilà détruite non seulement l'une des plus solides défenses de la paix, mais aussi le principe le plus basique de la morale : "Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'on te fasse", principe qu'on devra ensuite réinculquer laborieusement à l'enfant et dont on se désolera qu'il ne le pratique pas comme il devrait.

Quand on frappe un enfant ou qu'on lui inflige d'autres punitions douloureuses, on l'oblige à se blinder contre la souffrance pour arriver à "tenir le coup". C'est ce qu'a réussi à faire l'enfant qui répond à une claque ou à une fessée par un "Même pas mal !" Mais le malheur, c'est qu'en se blindant ainsi contre ses propres sensations, ses propres émotions, on devient également insensible aux émotions des autres et capable de leur faire subir n'importe quel traitement sans plus rien éprouver, d'où la capacité de torturer l'un de ses semblables. Et voilà détruite l'empathie, la seconde des plus solides défenses de la paix.

Enfin, quand on frappe un enfant, la première chose qu'on lui apprend, ce n'est pas à être sage ou à bien faire ses devoirs, mais à frapper, parce que ses neurones-miroirs ont enregistré automatiquement le geste de l'adulte modèle. Et voilà non seulement détruite l'une des défenses de la paix, l'imitation de comportements de réconciliation, mais installés dans les comportements de l'enfant les gestes mêmes de la violence, dotés en plus du prestige du comportement de l'adulte. Être adulte, c'est être du côté du manche.

Autrement dit, avant de songer à "élever les défenses de la paix dans l'esprit des hommes", il est urgent de renoncer à des pratiques éducatives qui détruisent les capacités innées des enfants à devenir des hommes de paix. Je propose donc une correction de la formule du préambule de l'UNESCO : "Les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes quand ils n'ont pas été respectés dans leur enfance, c'est par le respect des enfants et des bases de la paix dont ils sont porteurs qu'on rendra la paix possible."


Cet article est disponible en italien (traduction par Chiara Pagliarini pour Non togliermi il sorriso).