Quand on a rencontré la violence pendant l'enfance, c'est comme une langue maternelle qu'on nous a apprise.

Marie-France Hirigoyen.

Les hommes et la violence (5/5)

Les hommes sont-ils violents par nature ?

Par Gert Svensson
Publié par le quotidien suédois Dagens Nyheter le 26/11/2008

C'est le sentiment d'impuissance qui est producteur de violence, affirme le psychologue Per Isdal, avec le soutien du psychosociologue James Garbarino et de l'écrivain Susan Faludi. A l'inverse Martin Ingvar, chercheur en neurobiologie, considère que c'est la biologie qui rend les hommes plus brutaux que les femmes.

La violence est une réaction à un fort sentiment d'impuissance. C'est l'opinion de Per Isdal, psychologue norvégien et thérapeute à Alternativ till vold (Alternatives à la violence), un centre d'accueil pour hommes ayant maltraité des femmes.

Il s'appuie entre autres sur les théories du sentiment d'impuissance comme source des problèmes psychologiques, de la psychologue norvégienne Eva Axelsen. Elle relève le fait que, durant le processus de socialisation, les garçons et les filles apprennent à gérer de manière complètement différente le douloureux sentiment d'impuissance.

On apprend aux filles à essayer de se protéger soit en s'enfuyant, soit en se soumettant. C'est ce qui amène de nombreuses femmes soumises et battues à tomber dans la dépression ou dans des comportements autodestructeurs.

Les garçons, au contraire, apprennent à attaquer. Ils font face au sentiment d'impuissance en essayant de prendre le contrôle et en utilisant la violence.

Chez presque tous les violeurs qu'il a rencontrés - et ils sont plusieurs centaines -, Per Isdal a retrouvé ce sentiment très fort d'impuissance, principalement face à l'incapacité de ressentir ou de contrôler ses émotions.

« La masculinité dans le monde occidental est pour ainsi dire définie par le fait que tout sentiment humain est considéré comme un signe de faiblesse, et qu'on préconise le mépris face à des sentiments tels que la peur, l'insécurité ou le chagrin. Le seul sentiment qui soit acceptable chez un homme est l'agressivité. Et je crois que les hommes, du fait de leur registre émotionnel limité, ont beaucoup plus de mal que les femmes à faire face à ce sentiment d'impuissance. »

L'expérience ou le vécu de l'impuissance peut aussi être lié à des conditions de vie parfois difficiles. Les abus de pouvoir et la maltraitance vécus durant l'enfance sont, selon Per Isdal, la cause principale du fait que certains hommes recourent à la violence.

Il a constaté chez les adolescents violents avec lesquels il travaille une énorme angoisse. « Tout le monde a peur de moi, et moi j'ai peur de tout », dit l'un d'entre eux.

« Les enfants maltraités se retrouvent face au monde avec une énorme angoisse intérieure. Ils sont hypersensibles et se considèrent très facilement menacés ou attaqués. Et les êtres humains peureux sont plus agressifs que ceux qui se sentent en sécurité. Les hommes les plus dangereux sont les plus peureux. »

Le sentiment d'impuissance peut aussi aller de pair avec l'impression persistante et justifiée de faire partie des perdants de la société.

« Les sociétés où les différences entre riches et pauvres sont grandes sont les plus violentes. Les disparités économiques accroissent le sentiment d'impuissance chez ceux qui sont au plus bas de l'échelle, de même qu'elles font grandir la peur des riches de perdre leur pouvoir et leurs privilèges », dit Per Isdal.

Mais la violence des hommes est tout aussi souvent l'expression d'un sentiment d'impuissance face à la découverte des limites de leur pouvoir, explique-t-il.

« De nombreux hommes s'attendent par exemple à ce que les femmes se soumettent à eux. Si elles ne le font pas, ils ne se sentent pas vraiment hommes, et ce sentiment vécu d'impuissance les pousse facilement à les maltraiter. »

Le pire, c'est que la brutalité marche, souligne Per Isdal, en tout cas à court terme. Le sentiment d'impuissance s'atténue, on ressent une détente physique et on obtient de fait le contrôle de la situation, on a le dernier mot, on prend sa revanche et on se sent réhabilité. En plus de cela, on atteint une sorte de paix intérieure en réprimant les émotions fortes qui ont amené le ressenti d'impuissance - la peur, le doute ou la tristesse par exemple.

Mais, après coup, la plupart commencent à éprouver de la honte et du mépris envers eux-mêmes, et l'alcool que beaucoup consomment n'est qu'un soutien momentané :

« La violence peut faire tellement de mal à l'estime de soi que le ressenti d'impuissance face à la vie devient encore plus fort. Le risque de nouvelles violences s'accentue, cela d'autant plus si l'alcool est aussi de la partie », dit Per Isdal.

La masculinité engendre la violence, affirme-t-il. Et dire que la violence se nourrit de la violence est malheureusement vrai, qu'il s'agisse du comportement d'un individu ou de la transmission de génération en génération.

Mais quel est le rôle de la biologie ? Les hommes ne sont-ils pas par nature plus violents que les femmes ?

« Non, répond Per Isdal, les variations de la violence d'une culture à l'autre sont bien trop grandes. Ce sont avant tout les facteurs socioculturels qui expliquent la violence des hommes. »
« Oui, répond Martin Ingvar, chercheur et professeur en neurophysiologie clinique. Bien sûr, les facteurs socioculturels jouent un rôle, tout comme l'alcool. Mais c'est dans les gènes et la testostérone que se trouvent les raisons principales du fait que les hommes recourent davantage à la violence que les femmes. »

Pour que les femmes deviennent violentes, il faut une pression de groupe et des tensions sociales plus fortes, souligne-t-il. « Le cerveau des femmes ne baigne pas dans la testostérone comme celui des hommes. »

Les mâles agressifs ont été favorisés au cours de l'évolution :

« L'être humain atteint son niveau de violence le plus élevé à l'âge de trois ou quatre ans. Dans toutes les cultures et de tout temps, on a su que les garçons avaient besoin d'une pression sociale plus forte que les filles pour cesser de se battre et commencer à fonctionner en groupe. »

Il conteste que les hommes occidentaux soient éduqués à devenir plus violents que les femmes : « C'est un mythe, dit-il. Sans la culture et le travail de socialisation, nous, les hommes, nous serions encore plus brutaux. Ce sont précisément ces éléments qui font décroître notre violence naturelle. »

Pour le psychosociologue américain James Garbarino, les hommes sont peut-être physiquement deux fois plus violents que les femmes, si on ne se réfère qu'à la biologie. « Mais, selon les statistiques de criminalité, l'homme est 5 à 10 fois plus violent. La culture est bien plus forte que les gènes pour ce qui est de rendre les hommes plus violents. La violence brutale est une histoire d'hommes et est étroitement liée au rôle masculin. »

Selon lui, l'aspect biologique est en fait totalement dépourvu d'intérêt :

« Ce sont les aspects socioculturels que nous pouvons changer. On apprend toujours aux garçons à extérioriser leurs sentiments par la colère, alors qu'on encourage les filles à contenir leurs impulsions agressives et retourner leur colère contre elles-mêmes. La violence des garçons est acceptée, pas celle des filles. »

« Ils ont eu une enfance socialement empoisonnée. Ils portent en eux un enfant perdu qui a mis sa vie émotionnelle et son empathie en veilleuse. Ils sont coupés à l'extrême de leurs profonds sentiments de tristesse, de peur, de manque et de honte - un homme ne doit ni être faible ni avoir peur, et la colère reste le seul sentiment qu'ils connaissent. »

C'est justement l'idée que les hommes ne peuvent pas se montrer ouvertement tristes, fragiles et dépendants qui les mène à la violence, argumente l'écrivain Susan Faludi. Dans son livre Stiffed. The Betrayal of the American Man, elle décrit le sentiment de honte extrême qu'éprouvent les hommes aux idées plutôt traditionnelles lorsqu'ils perdent travail, famille et estime de soi :

« Ils se sentent inférieurs et frustrés - et le rôle de l'homme leur interdit d'agir autrement que par la violence. C'est exactement comme ça qu'ont réagi les Etats-Unis après l'attaque du World Trade Center. Les généraux ont gonflé la poitrine, Bush était Superman - il importait alors de réhabiliter l'homme fort américain ! » dit Susan Faludi.


Traduit du suédois par David Dutarte.
Adapté par Catherine Barret.


<- Un homme aimable peut aussi être un bourreau

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