La violence n'est pas innée chez l'homme. Elle s'acquiert par l'éducation et la pratique sociale.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

Les membres de l’OVEO alertent sur l’impact délétère d’une loi dite « École de la confiance »

Les membres de l'OVEO alertent sur l'impact délétère d'une loi dite "École de la confiance" 1, proposée et validée en première lecture à l'Assemblée nationale le 19 février 2019 et qui doit être examinée prochainement au Sénat.

par Christelle L., membre de l'OVEO


La défense de la liberté d’instruction n’est pas en soi un objectif de l’OVEO, mais nous tenons à dénoncer la violence éducative ordinaire partout, au sein des familles comme au sein des institutions. Chose déjà faite sur ce sujet sur notre site .

Quelles que soient les motivations de cette proposition de loi, nous trouvons regrettable et inquiétant d'y inscrire les rapports de soumission des individus, de non-prise en compte des enfants, d'uniformisation des modes d'apprentissage.

Nul ne peut être empêché de pratiquer sa liberté d'instruction, sa liberté de choix pédagogique. Mais une liberté qui n'a pas les moyens de s'exercer n'est pas une liberté fondamentale !

Le souhait de faire de l'école la référence, des programmes et du socle commun le seul et unique biais d'apprentissage 2, nuit gravement aux droits les plus fondamentaux de tout individu, inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 3.
Elle induit, de fait, une violence dure envers les enfants, qui subissent déjà de plein fouet les incapacités d'adaptation du système scolaire actuel 4 et qui, avec leurs familles, tentent de trouver des solutions là où, justement, l'école n'en propose pas.
Cette loi se veut égalitaire pour tous les enfants de France, sans distinction aucune... égalité ne veut pas dire équité ! Traiter tous les enfants comme un seul et unique objet d'apprentissage, les réduire à un cerveau cognitif n'est pas un traitement humain et équitable pour tous les enfants, bien au contraire !

Pourquoi ne pas faire passer dans les actes la diversité des outils éducatifs, ou encore les avancées en termes de neurosciences affectives et sociales 5 plutôt que du seul point de vue des neurosciences cognitives 6 ?

Quel que soit son âge, l'individu ne peut être réduit, même en matière d'éducation et d'instruction, à un niveau de compétences acquises ou non acquises. Il ne peut être réduit à ses difficultés, fussent-elles très importantes. Il ne peut être réduit à la réussite d'un test, d'une évaluation.

C'est un être complet, complexe, vivant, en mouvement, en évolution permanente. Il est influencé par de multiples biais, qui ne peuvent être écartés puisqu'ils font partie de sa construction. Son cerveau, en plein développement, a besoin pour se développer de façon harmonieuse et optimale de collaboration, de soutien, de plaisir à apprendre. "La compétitivité, la comparaison, le stress devraient être bannis de l’Éducation nationale 7."

Avec cette loi, l'enfant ne peut plus apprendre selon ses particularités, différemment, avec une instruction adaptée à lui. Il devra apprendre selon les critères définis par l’Éducation nationale, et ce quelle que soit sa situation, ce qui est contraire à la Convention internationale des droits de l'enfant 8.

Bien que l'école pense apporter parfois une ascension sociale, bien qu'elle pense être un lieu d'épanouissement, nous n'avons plus à démontrer combien elle peut être un lieu de violence et d'injustice, de nombreux témoignages et articles existent sur ce sujet 9.

Nous pensons à la violence engendrée par l'obligation de scolarisation d'un enfant en instruction en famille qui aura échoué aux tests, tant par l'injonction sans préalable que par le fait, pour certains, de revenir dans le lieu de leur phobie scolaire, ou de leur harcèlement, ou encore, pour d'autres, de revenir dans un lieu totalement inadapté à leurs spécificités 10.

Nous pensons à la peur de l'échec engendrée par les nombreux tests, faits par des personnes totalement inconnues, dès le plus jeune âge, puisque les contrôles pour les enfants en instruction en famille débuteront dans l'année de leurs trois ans 11.

Où sont abordés, dans cette proposition de loi, le droit à l'échec, à être plus lent, à prendre le temps, à être différent, à apprendre autrement 12 ?
La peur, le stress empêchent de penser et d'apprendre, ils diminuent les capacités cognitives.
Ce n'est qu'une source de blessure, de stress permanent, d'anxiété de performance, totalement contreproductive. Les neurosciences nous le démontrent aujourd'hui. Lorsqu'il est régulier, voire permanent, le stress peut atteindre profondément la maturation du cerveau et laisser des traces à vie.

Nous dénonçons les propositions faites dans cette loi de "l'école de la confiance", qui ne fait pas confiance aux enfants pour choisir leurs apprentissages, leur rythme, leurs besoins. Elle ne fait pas plus confiance aux parents, qu'elle ne veut pas intégrer comme premiers instructeurs de l'enfant, ni entendre leur choix de mode d'instruction ou pédagogique.
Elle ne fait pas confiance aux écoles différentes de l'école publique, de la méthode de l’Éducation nationale, ni aux enseignants, quel que soit leur lieu d'exercice, qui souhaitent innover, s'adapter, inventer (cf. Bernard Collot, Céline Alvarez...).

Nos enfants ne sont pas là pour rejouer nos blessures, nos difficultés, nos peurs.
Cette loi n'est pas une loi pour l'école de la confiance, c'est une loi pour une école de la méfiance.

Enfermer les enfants dans des situations subies, sans prendre en compte leurs besoins, leur parole, ni celle de leurs parents ou encore de leurs enseignants va créer plus d'incompréhension, de douleur, de désespoir, mais pas plus d'épanouissement à l'école ou hors école, ni de justice sociale.

Cette proposition de loi sur l'école de la confiance n'aborde aucunement la coopération, l'empathie, l'entraide, les relations privilégiées, l'enthousiasme, la liberté d'être soi, différent, unique.
Elle renvoie l'enfant à la violence de l'évaluation, du jugement et de la non-prise en compte de ce qu'il est, à un âge où il apprend par imitation ! Elle n'observe pas les réalités de terrain, elle les mesure.
Elle lui enseigne la domination par la force, le non-respect de sa parole, de ses besoins en tant qu'individu libre 13 !

Nous trouvons dommageable que les enfants non scolarisés aient sur leurs épaules la responsabilité de réussir ou non les tests effectués par les inspecteurs, pour poursuivre leur instruction en famille, sans aucun recours pour les familles qui contesteraient les modalités du contrôle ou encore le résultat. C'est une double peine infligée à l'enfant et à sa famille. Double peine par l'obligation d'être scolarisé alors que, clairement, l'enfant et sa famille avait fait un autre choix, et de par la non-prise en compte de son développement propre, spécifique, individuel.

C'est ce que dénonce le mouvement Enfance libre, qui rappelle que "le droit fondamental de tout enfant d’accéder à une instruction est logiquement associé à une obligation des parents d’offrir cet accès, et à l’État de les soutenir dans cette mission."

Emmanuelle Aurojo Calçada résume bien l'enjeu de notre société : "Si nous ne transformons pas les conditions de vie des humains depuis leur plus jeune âge, nous ne transformerons pas la société. Car chaque nouvelle génération reproduira ce dont elle a été pétrie : compétition ou coopération, répression ou dialogue, domination ou équité, enfermement ou connexion à la nature. Si les enfants ne vivent pas dans la confiance, la justice et l’amour, il est peu probable qu’ils construisent une société de confiance, de justice et d’amour 14."

Nous ne pouvons pas aller vers plus de justice sociale en contraignant et en refusant la coopération et l'entraide.

Nous ne pouvons pas compter éradiquer la violence en obligeant et en soumettant.

Nous ne pouvons pas parler de cette loi comme d'une "réponse fondamentale aux défis contemporains", comme la présente M. Blanquer, alors que nous constatons qu'elle ajoute des modèles de hiérarchisation des relations au lieu de la coopération, qu'elle ajoute des contraintes et des atteintes aux droits les plus fondamentaux des êtres humains : la liberté d'être soi !

La plus grande réponse qui puisse être faite aux enfants aujourd'hui est celle de l'éradication des violences, de toutes les formes de violence, y compris celles qui sont institutionnalisées.

Les libérer des chaînes parfois invisibles de la peur de la sanction, du non-respect de leurs particularités ou de leurs choix, de la peur d'échouer, de ne pas savoir, de ne pas vouloir, de ne pas comprendre... sera une grande avancée pour l'évolution de l'humanité.

La violence qui peut se cacher derrière un sourire peut nous glacer... et elle est parfois même cachée dans les bonnes intentions. Comme le disait si justement Alice Miller, nous constatons que, "pour son bien", l'enfant reste inaudible, invisible dans ce qu'il est, un être unique, expert de sa vie, confiant dans les adultes qui l'entourent. "Pour son bien", les parents devront se soumettre à l'autorité de l’Éducation nationale, seule décisionnaire du mode d'instruction de leur enfant 15.

Il est urgent de promouvoir la culture du respect de l’enfant comme “ultime révolution possible” et comme élément fondamental de transformation sociale, culturelle, politique et humaine de la collectivité. (Maria Rita Parsi, psychologue italienne.)



  1. Voir le projet de loi.[]
  2. Loi pour l'école de la confiance, art 5, alinéas 3 et 4 : "[...] Ce contrôle permet notamment de s'assurer de la maîtrise progressive par l'enfant de chacun des domaines du socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l'article L. 122-1-1 au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendus à la fin de chaque cycle d'enseignement de la scolarité obligatoire." Art. 5 alinéa 2 : "[...] Le contrôle est prescrit par l'autorité de l’État compétente en matière d'éducation selon les modalités qu'elle détermine."[]
  3. Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, art. 26-3 : « Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants », art. 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »[]
  4. Voir cet article[]
  5. Voir Catherine Gueguen dans cette conférence qui aborde le sujet très clairement, ou encore dans son livre Heureux d'apprendre à l'école.[]
  6. Les neurosciences affectives et sociales étudient les émotions, les sentiments et les capacités relationnelles, les neurosciences cognitives étudient les apprentissages, la mémoire et le langage.[]
  7. Intervention de Catherine Gueguen lors du séminaire national des inspecteurs de l’Éducation nationale chargés de mission pour l'école maternelle en 2014.[]
  8. Convention internationale des droits de l'enfant, 1989, art. 29. 1 : "Les États parties conviennent que l'éducation de l'enfant doit viser à : a) Favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités [...]"[]
  9. A Broken Social Elevator? How to Promote Social Mobility, étude de l'OCDE sur les mesures qui s'imposent pour s'attaquer aux blocages de l'ascenseur social.[]
  10. Voir ce témoignage sur le site Les Enfants d'abord[]
  11. Loi pour l'école de la confiance, art. 5 : "Si les résultats du second contrôle sont jugés insuffisants, l'autorité de l’État compétente en matière d'éducation met en demeure les personnes responsables de l'enfant de l'inscrire, dans les quinze jours suivant la notification de cette mise en demeure et au moins jusqu'à la fin de l'année scolaire en cours, dans un établissement d'enseignement scolaire public ou privé et de le faire aussitôt connaitre au maire [...]?" []
  12. Loi pour l'école de la confiance, art. 2 :
    "L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre trois et seize ans."[]
  13. Convention Internationale des Droits de l'Enfant, art. 12.1 : "Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité."[]
  14. Tribune d'Emmanuelle Aurojo Calçada, Face à l'urgence écologique et sociale, place aux gilets jeunes ![]
  15. Cf. Existe-t-il une pédagogie blanche ?, extrait du livre d'Alice Miller C'est pour ton bien[]

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