La violence n'est pas innée chez l'homme. Elle s'acquiert par l'éducation et la pratique sociale.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

Parents efficaces : la méthode Gordon

Nous ouvrons ici une page de commentaires sur le célèbre livre de Thomas Gordon, Parents efficaces - une autre écoute de l'enfant, paru en français chez Marabout et constamment réédité depuis 30 ans. (Occasion d'ailleurs de déplorer que, pour un livre vendu à tant d'exemplaires, l'éditeur n'ait jamais pris la peine de faire réviser la traduction - outre les prénoms datés, on y trouve beaucoup de maladresses et d'inexactitudes.)

Si vous souhaitez nous envoyer vos témoignages et vos critiques (positives ou négatives) à propos de ce livre et d'autres concernant des méthodes d'éducation et/ou la violence éducative ordinaire, écrivez-nous. Votre texte pourra éventuellement être publié, avec votre accord.

N.B. : Les commentaires de livres sur la parentalité sont publiés provisoirement dans cette rubrique en attendant l'ouverture d'une nouvelle rubrique "De la VEO à un regard bienveillant sur les enfants" encore en construction. Nous sommes bien conscients qu'aucun livre, aucun auteur
n'est parfait, et qu'il n'y a pas de façon unique et parfaite d'élever les enfants. De nombreux auteurs au cours des siècles ont contribué à une prise de conscience progressive sur la violence éducative. Si aucun livre ni auteur n'est parfait, cela n'empêche pas d'y trouver des ressources pour comprendre les mécanismes de la VEO ou pour éduquer les enfants avec respect.


Parents efficaces - une autre écoute de l'enfant

Cet ouvrage décrit une méthode de communication que Gordon appelle la « méthode sans perdant », utilisée entre autres dans la résolution des conflits et basée sur quelques principes et outils :

Lorsqu'il y a conflit de besoins entre un parent et un enfant , il faut déterminer à qui appartient le problème, trouver une solution en commun, qui convienne à tout le monde.

Délaisser les "messages-tu" accusateurs et généralisateurs ("tu m'énerves", "tu es insupportable") au profit des "messages-je" qui sont ni plus ni moins que l'expression de notre ressenti sur l'instant ( "je n'ai pas envie de jouer maintenant" "je suis fatigué, je n'ai pas envie d'entendre crier").

Lorsqu'un enfant a besoin de parler, utiliser l'écoute active, qui est une forme d'écoute non intrusive, débarrassée de ce que Gordon appelle les douze obstacles à la communication (donner des ordres, mettre en garde, moraliser, conseiller, expliquer, juger, complimenter, ridiculiser, interpréter, rassurer, interroger, distraire).
L'écoute active consiste à s'intéresser aux sentiments de l'enfant plutôt qu'aux faits qu'il évoque, et à reformuler ses propos en évoquant ses sentiments pour s'assurer qu'on a bien compris.
Par exemple : "Je déteste Martin, je ne veux plus jouer avec lui ! - Tu sembles fâché contre ton ami !"
Et en résumé, voici quelques attitudes requises pour employer l'écoute active : on doit vouloir écouter ce que l'enfant veut dire ; on doit vouloir sincèrement aider l'autre à résoudre son problème ; on doit sincèrement être capable d'accepter les sentiments de l'autre ; on doit avoir un profond sentiment de confiance dans la capacité de l'enfant à s'occuper de ses propres sentiments ; on doit se rendre compte que ses sentiments évoluent (ne pas s'effrayer si de la haine est exprimée par exemple) ; on doit être capable de voir son enfant comme une personne différente de soi.

Avec l'utilisation de schémas, de termes techniques, cette approche peut paraître très mécanique et donc la manière de communiquer peu naturelle. C'est oublier que lorsque nous adressons critiques et jugements à nos enfants, ce ne sont pas des paroles spontanées, mais bien apprises. Il s'agit souvent de mots blessants, expressions, sobriquets qui nous ont été adressés dans notre enfance, et qui ressurgissent automatiquement, parfois sans aucun contrôle. Par exemple, lorsque le comportement d'un enfant suscite l'envie de crier après lui, prendre le temps de choisir ses mots peut permettre d'une part de laisser retomber la colère et l'envie de hurler, d'autre part d'apprendre à écouter et comprendre ses propres émotions (est-ce vraiment de la colère que j'ai ressenti ou plutôt de la peur ? Était-elle vraiment dirigée contre mon enfant ? Pourquoi avais-je envie de prononcer ces mots, d'où viennent-ils ? Etc.). C'est oublier aussi qu'il est important de s'interrompre et de ne pas prononcer ces jugements, toujours violents et douloureux pour l'enfant.

Cet ouvrage m'a aussi rappelé à quel point nous ne savions pas écouter les enfants. Que bien souvent, ils n'ont pas besoin que nous trouvions une solution à leur problème, ils ont juste besoin d'être entendus et compris. Et prendre le temps de les écouter de manière empathique et non intrusive permet de conserver un climat de respect et de confiance mutuels nécessaire à toute relation d'amour.

Concernant la résolution de conflits, j'apprécie beaucoup cette approche qui prend en considération les besoins des parents ET ceux des enfants, qui n'impose pas la volonté du parent à l'enfant. D'autre part, cela oblige le parent à ne pas s'installer dans une confortable position de domination, à oublier le « c'est comme ça, c'est tout ! » et à définir ses propres besoins : de quoi ai-je réellement besoin ? Pourquoi en ai-je besoin ? En quoi est-ce incompatible avec les besoins de mon enfant ? Etc.

De plus, cette méthode de résolution de conflits est totalement adaptative à chaque situation, elle ne propose pas de solution toute faite, mais propose une sorte de fil conducteur pour aider parents et enfants à trouver ensemble une solution, en fonction de la situation présente, des besoins et souhaits de chacun.

Sonia, membre de l'OVEO.

Sonia a aussi publié sur son blog un billet où elle cite, entre autres, un extrait de Parents efficaces : Sortir des jugements


Utilité et limites de la méthode Gordon

Pour ma part, j'ai tout d'abord trouvé ces livres très intéressants. J'ai lu les trois et j'ai vite essayé de mettre en pratique avec mes trois enfants. J'ai même suivi avec mon conjoint une journée "découverte" de ces méthodes.

Au début, j'ai trouvé tout cela vraiment positif et je me suis appliquée à le mettre en pratique avec mes enfants.

Puis, dans un deuxième temps, j'ai touché les limites de ces "méthodes" : si j'avais besoin de méthodes éducatives, c'est que je n'étais pas encore "guérie" de mon enfance. Après les règles éducatives imposées par mes parents, les méthodes Gordon ont pris le relais : je recherchais un cadre, je n'étais toujours pas moi-même et mon attitude était parfois assez artificielle avec mes enfants. Je n'étais pas authentique dans mon rôle de mère.

En conclusion, je dirais que ces méthodes sont intéressantes parce qu'elles nous montrent une autre façon de faire avec nos enfants. Elles peuvent aussi permettre une véritable remise en question et un travail sur soi : "Mais pourquoi je n'arrive pas à écouter mon enfant ? Mais pourquoi ai-je du mal à accepter qu'il ne se soumette pas à mes injonctions ?"

Aujourd'hui, les livres/ateliers Gordon me servent toujours dans mon quotidien : mes trois enfants ont maintenant pris le réflexe de noter ce qui leur pose problème au quotidien et, régulièrement, au cours d'un dîner, nous prenons un temps en famille pour chercher ensemble des solutions. C'est riche. L'atelier que nous avons suivi en couple nous a aussi permis beaucoup d'échanges entre nous, une meilleur compréhension de l'autre.

Entre enfants, je trouve cela très efficace aussi : avant, je me positionais en juge dans leur conflits alors que maintenant, je fais le médiateur. Ça marche et je trouve que ça a vraiment contribué à limiter l'animosité entre eux. Ils sont aujourd'hui plus soudés.

Donc, pour conclure, je dirais : Gordon oui, mais à condition de prendre de la distance, de ne pas s'enfermer dans ces méthodes et de s'ouvrir au travail sur soi : si l'on a vraiment besoin de "techniques éducatives", cela traduit sans aucun doute une souffrance dans l'enfance !

Natacha, membre de l'OVEO.

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