Vos enfants ne sont pas vos enfants, ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même. Ils viennent à travers vous et non pas de vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Khalil Gibran, extrait du recueil Le Prophète.

Pays pionniers en matière d’abolition des châtiments corporels, où en sont les pays nordiques aujourd’hui ?

Par David Dutarte

« Il est interdit par la loi de frapper un enfant. Il n'est pas autorisé non plus que des adultes se frappent. Il est inacceptable que l'on puisse humilier un enfant en faisant usage sur lui de châtiments corporels », dit Lena Nyberg, Défenseure des enfants en Suède(1).

Protégés par une loi datant de 1979, les enfants suédois ont droit à l'assistance, à la sécurité et à une bonne éducation. Plus que cela, explique encore Lena Nyberg, le texte de loi stipule que les enfants « doivent être traités dans le respect de leur personne et de leur individualité et ne peuvent être soumis à un châtiment corporel ou à tout autre traitement humiliant ».

A l'heure où l'on prône, en France, le retour à l'autoritarisme et une discipline plus dure envers les enfants et adolescents, il semble intéressant de se tourner vers la Suède et les pays nordiques en général, et de regarder de plus près les résultats obtenus dans ces pays, durant les trente dernières années, en matière de diminution de la violence envers les enfants.

L'exemple suédois : des résultats significatifs et riches d'enseignements

Tous les trois ans, depuis 1995, des enquêtes sont menées auprès des enfants et publiés par la Défenseure des enfants. D'autres enquêtes sont menées, régulièrement aussi, auprès des parents, à l'échelle nationale, pour évaluer la place de la violence envers les enfants. Les plus récentes furent menées indépendamment l'une de l'autre, auprès des parents(2) et des enfants(3), en 2006. Les rapports montrent des résultats tout à fait concordants. De manière générale, on retiendra que la diminution de l'usage des châtiments corporels sur les enfants en Suède est significative, puisqu'on est passé de plus de 9 enfants frappés sur 10 dans les années 1960 à un niveau d'à peine 1 sur 10 en ce début de XXIe siècle. Il est pourtant intéressant de se pencher un peu plus sur ces rapports d'enquêtes, afin de prendre conscience de l'ampleur des résultats et des difficultés ou problèmes ayant émergé.

Que pensent les Suédois de l'usage des châtiments corporels ?

L'attitude des enfants scolarisés envers l'usage des châtiments corporels a évolué de manière spectaculaire dans la deuxième moitié des années 1990, passant de plus de 50 % de favorables en 1995 à environ 20 % en 2000(5). En 2006, un élève sur dix se déclare en faveur de l'usage des châtiments corporels(3). De l'enquête(2) réalisée auprès des parents en 2006, il ressort que seuls 7 % des parents sont favorables aux châtiments corporels. Depuis le milieu des années 1960, là aussi, de plus en plus de parents sont contre l'utilisation de châtiments corporels comme méthode d'éducation.

L'analyse des deux enquêtes réalisées à l'automne 2006 indique clairement qui sont les personnes les plus favorables aux châtiments corporels. Les hommes et les garçons le sont nettement plus que les femmes et les filles. Les parents et les enfants nés à l'étranger sont plus favorables que les parents suédois et les enfants nés en Suède. Enfin, les parents et enfants qui ont eux-mêmes été frappés sont significativement plus favorables aux châtiments corporels que les parents et enfants qui ne l'ont pas été.

L'usage de la violence éducative aujourd'hui

De l'enquête(3) sur la violence envers les enfants menée auprès d'élèves de CM1, 6ème et 3ème à la fin de l'automne 2006, il ressort que 13 % de l'ensemble des élèves déclarent avoir été frappés au moins une fois par un parent ou un autre adulte du domicile familial. 3 % des interrogés indiquent avoir été frappés fortement avec la main ou frappés à l'aide d'un accessoire. A peine 1 % déclarent avoir été frappés de nombreuses fois. Ces résultats sont similaires à ceux de l'enquête menée en 2000(5). Interrogés pour la première fois en 1995, 30 % des élèves de collèges indiquaient alors avoir été punis physiquement(6). Ces résultats montrent une évolution générale positive durant les 15 dernières années.

De l'enquête menée auprès des parents(2), il ressort que près d'un quart des parents admettent avoir bousculé, empoigné ou secoué leur enfant lors de conflits avec lui. Un nombre beaucoup plus faible (3 %) reconnaissent qu'ils résolvent systématiquement les conflits en frappant l'enfant. Les coups de poing, les coups avec un objet ou le fait de donner à l'enfant une vraie bonne correction ne sont que très rarement cités comme méthode utilisée pour faire face à un conflit (0,2-0,4 %). Aucun parent, parmi les interrogés, n'indique avoir frappé son enfant plus de dix fois durant la dernière année écoulée.

Tableau : Pourcentage d'enfants punis physiquement durant la dernière année écoulée(2)
Age de l'enfant Bousculé, empoigné, secoué Bousculé, empoigné, secoué Frappé Frappé
1-10 fois + 10 fois 1-10 fois + 10 fois
0-1 an 17 1 4 0
2-5 ans 33 5 3 0
6-12 ans 25 0,5 2 0
13-18 ans 18 0,2 2 0

A partir du tableau ci-dessus, on peut voir que les enfants en âge d'aller en jardin d'enfants (2-5 ans) sont les plus exposés aux violences physiques. Ces enfants sont, en effet, ceux que les parents secouent, empoignent et bousculent le plus souvent. Ce sont, par contre, les nourrissons qui sont le plus souvent frappés, chiffre qui diminue avec l'âge.

Le nombre de parents qui indiquent avoir bousculé, empoigné ou secoué leur enfant a presque doublé entre 2000 et 2006. Pour ce qui est des enfants entre 0 et 1 an, le chiffre est multiplié par 5(2). L'enquête regroupant tous ces traitements sous une seule et même question, il est difficile d'en tirer des conclusions claires. On peut faire l'hypothèse qu'une part seulement de l'augmentation serait due au fait de bousculer ou de secouer, ce qui resterait cependant alarmant, d'autant que l'augmentation la plus forte a eu lieu pour les nourrissons. Le rapport indique que cette augmentation n'est toutefois pas généralisée chez les parents, mais qu'elle est caractéristique des parents nés en Suède. Cette nuance peut être interprétée comme étant le signe d'une transparence croissante, d'une plus grande facilité de ces parents à reconnaître leurs actes et à en parler.

Parallèlement, de plus en plus de cas de maltraitance d'enfants entre 0 et 6 ans sont déclarés à la police. Durant l'année 2006, c'est un total de 1 351 cas de maltraitance d'enfant de moins de six ans qui a été enregistré(2). A titre indicatif, le nombre d'enfants mineurs en Suède se situe aux alentours de 1 900 000, dont un tiers environ, soit près de 650 000, ont moins de six ans. Le nombre de cas de maltraitance enregistrés en 2006 représente donc environ 0,2 % du nombre d'enfants de moins de six ans. Le rapport(2) indique que seuls 81 cas parmi les 1351 (soit 6 %) ont abouti à un procès. Un autre rapport(4) indique un total de 1 526 cas enregistrés en 2007, dont 138 (soit 9 %) menant à un procès. Ces chiffres faibles reflètent la difficulté de prouver la maltraitance des enfants devant un tribunal. Ils semblent aussi signifier que davantage de personnes portent plainte et que la tolérance envers la maltraitance des enfants diminue, ce qui, là aussi est une évolution positive.

Il est évidemment très difficile de connaître le nombre exact de nourrissons et d'enfants en bas âge maltraités, puisqu'il est impossible d'interroger le nourrisson et que, plus tard, les souvenirs chez l'enfant auront disparu. Les récentes enquêtes montrent cependant que les connaissances en matière de maltraitance à enfant sont de plus en plus grandes. Des exemples de projets sont cités, comme celui mis en place récemment au sein de l'hôpital pour enfants Astrid-Lindgren, afin d'améliorer les méthodes de détection de maltraitance chez les nourrissons, notamment en ce qui concerne le syndrome dit du bébé secoué(4). Les rapports incitent aussi à mettre en place des moyens pour protéger et soutenir les enfants maltraités les plus jeunes, puisqu'il n'est pas toujours fait recours à la justice suite aux plaintes déposées(2), ou encore à améliorer l'information auprès des parents dans les maternités et centres de soins pour femmes enceintes en ce qui concerne la violence sur les nourrissons et ses conséquences(4).

Une question de classe ?

Ces dernières années, on a émis l'hypothèse que les enfants de parents nés hors du territoire suédois seraient davantage châtiés que ceux dont les parents sont Suédois. L'enquête(3) semble montrer que cela se vérifie et que les garçons nés à l'étranger forment le groupe le plus exposé. Mais si l'on prend en compte par exemple le mode de logement la différence entre nés à l'étranger et nés en Suède disparaît quasiment. Il semble que cette variable ait une plus grande influence sur ce résultat que le pays d'origine. Cela reflète assurément le niveau d'intégration à la société suédoise des parents nés à l'étranger, le mode de logement étant considéré comme un indicateur d'intégration.

La situation économique familiale semble avoir également un lien étroit avec le recours aux châtiments corporels, selon les résultats obtenus auprès des enfants(3). Un facteur de risque important également cité en ce qui concerne les châtiments corporels est la violence entre adultes au sein du foyer. Les filles indiquent, plus souvent que les garçons, avoir été témoin de violence entre adultes. Pour finir, ce même rapport(3) rappelle qu'il semble exister un lien significatif entre l'usage de l'alcool et celui des châtiments corporels.

Evolution similaire dans d'autres pays nordiques

Depuis 1979, 23 pays au monde ont imité la Suède et aboli l'usage des châtiments corporels sur les enfants, y compris tous les pays nordiques : la Finlande (1983), la Norvège (1987), le Danemark (1997) et récemment l'Islande (2003). Nous allons maintenant nous intéresser à quelques résultats concernant ces pays.

En Finlande, la loi a été votée en 1983. Une enquête citée dans le rapport danois(12) présenté plus bas, menée en 1988, indiquait alors que 72 % des enfants subissaient des violences légères. 8 % indiquaient des violences graves (coups, menaces au couteau). L'évolution en Finlande a été plus lente qu'en Suède. Des campagnes d'information(7) au sujet des châtiments corporels envers les enfants sont menées à nouveau depuis 2004 à l'échelle nationale. Des enquêtes auprès des parents ont aussi été faites récemment(8)(9) par le Centre national pour la protection de l'enfance, montrant une évolution positive quant à l'usage de la violence envers les enfants. En 2004, 45 % des hommes interrogés et 23 % des femmes se déclaraient encore en faveur de l'usage des châtiments corporels. Suite aux campagnes d'information, ces chiffres ont été ramenés à 36 % en 2006, puis 32 % en 2007 pour les hommes. La diminution est moindre chez les femmes qui restent moins nombreuses, mais sont encore 19 %, en 2007, à juger positivement l'usage des châtiments corporels. Dans l'ensemble, cela signifie qu'environ un adulte sur quatre se déclare encore en faveur des châtiments corporels sur les enfants. Il ressort toutefois clairement que les personnes âgées, plus généralement les hommes, restent favorables. Il est intéressant de voir aussi que l'évolution a été beaucoup plus rapide dans les grandes villes que dans des régions plus isolées, comme par exemple la Laponie du Nord. Interrogées en 2007 sur l'éventualité d'un enfant à venir et l'usage des châtiments corporels, 75 % (contre 62 % en 2004) des personnes de moins de 45 ans indiquent qu'elles ne croient pas qu'elles en feront usage. 3 % (contre 19 % en 2004) pensent qu'elles l'utiliseront sûrement. 13 % pensent y avoir recours occasionnellement. Interrogés sur l'usage des châtiments corporels sur leurs enfants actuels, une majorité déclarent ne jamais faire usage de violence envers les enfants. Les parents indiquent toutefois avoir occasionnellement recours à des moyens tels que tirer les cheveux (45 %), frapper sur les doigts (30 %), gifler (17 %), pincer (12 %) ou fouetter (7 %) l'enfant. Moins de 1 % déclarent avoir souvent recours à ces méthodes. Lorsqu'on questionne les parents sur leur définition des châtiments corporels, il apparaît que tirer les cheveux ou taper sur les mains semblent pour une majorité être considérés comme un comportement de type agressif, mais qu'ils ne classent pas dans la catégorie « châtiments corporels », ce qui pourrait expliquer leur utilisation. Il ressort enfin de ces enquêtes que 65 % des personnes interrogées ont subi des violences physiques elles-mêmes durant leur enfance. 43 %, majoritairement les femmes de moins de 50 ans et les jeunes parents, disent que les campagnes récentes leur ont ouvert les yeux et les ont amenés à débattre du sujet.

Quoique datant de 1983, la loi finlandaise semble avoir mis beaucoup plus de temps à avoir des effets positifs quant à la diminution de l'usage des châtiments corporels que la loi suédoise. On peut sans doute trouver des explications dans l'histoire même du peuple finlandais. Longtemps sous domination suédoise, puis Russes, les Finlandais n'ont obtenus leur indépendance qu'en 1917, à la fin de la Première Guerre Mondiale. Terrain de combats également durant la Seconde Guerre Mondiale, la Finlande a longtemps fait figure de pays pauvre, l'émigration de jeunes vers la Suède étant courante jusqu'au début des années 1990. Ce n'est que depuis l'entrée dans l'Union européenne, en 1995, que le niveau de vie en Finlande a commencé à s'améliorer nettement, que les Finlandais ont commencé à prendre conscience des problèmes essentiels que sont l'usage de la violence et de l'alcool, le plus souvent par les hommes, dans leur société. La population finlandaise, et notamment les jeunes adultes, s'engage aujourd'hui dans de nombreux projets visant à améliorer sensiblement la place des femmes et des enfants, ceci ne pouvant avoir lieu que simultanément à une lente évolution de la masculinité. Les derniers résultats rapportés ici concernant l'usage des châtiments corporels sont donc à lire en ayant présente à l'esprit cette histoire du peuple finlandais. Les récents spots vidéo(10) réalisés pour la campagne d'information Alä lyö lasta, où l'on peut voir des hommes adultes exprimer leur mal-être et leur douleur d'avoir été frappés et battus lorsqu'ils étaient petits garçons, sont très touchants et montrent là encore une volonté claire de mettre fin à l'usage de la violence envers les enfants.

En Norvège, la loi a été votée en 1987. Des études récentes menées auprès d'adolescents montrent des résultats(11) similaires à ceux rapportés en Suède. 80 % des enfants interrogés indiquent n'avoir jamais été frappés délibérément par leurs parents. 25 % des enfants indiquent toutefois au moins une situation où l'adulte a fait usage de violence physique au cours de l'enfance. La majorité de ceux qui indiquent avoir été frappés délibérément rapportent l'avoir été une ou quelques rares fois seulement. Seuls 2 % rapportent avoir été frappés plus de dix fois par un adulte au domicile familial. Un sur 10 affirme avoir été témoin de violences ou avoir été au courant de l'usage de la violence entre les parents durant son enfance. Les spécialistes de l'institut de recherche norvégien tirent deux conclusions générales: le nombre d'enfants ayant vécu une situation d'abus avec violence « légère » au cours de l'enfance est relativement important, le nombre d'enfants ayant vécu des abus avec violences graves est relativement faible. Le rapport(11) met aussi en avant le besoin d'étendre les recherches et d'améliorer la prévention. Il indique aussi que la situation économique familiale, la consommation d'alcool chez les adultes et l'origine ethnique sont des facteurs à risques en ce qui concerne la maltraitance des enfants. Il semble clair aussi que les filles sont plus souvent victimes de violence que les garçons(13), ce qui montre là encore la nécessité du débat sur l'égalité homme-femme.

Au Danemark, l'interdiction des châtiments corporels date de 1997. Une enquête a été menée en 2006 auprès de 6 000 élèves de 3ème. Des enquêtes ont été menées auprès des parents en 1999, puis 2003 et 2006, et sont citées à titre de comparaison dans le rapport(12) de l'enquête menée auprès des jeunes. Dix ans après la loi d'interdiction, 15 % des parents interrogés avouent utiliser encore les châtiments corporels. 90 % des parents d'enfants de moins de 15 ans sont clairement opposés à leur utilisation. 86 % des enfants se disent formellement contre l'usage de la violence. 60 % des enfants indiquent n'avoir jamais été violentés physiquement (secoué/empoigné). 31 % indiquent l'être occasionnellement, 8 % régulièrement, 2 % de manière systématique. Ces chiffres correspondent à ceux donnés par les parents en 2003, et montrent une évolution positive par rapport à 1999, où 37 % des parents seulement affirmaient ne jamais avoir recours à la violence physique. Le rapport montre aussi que les menaces de violences (rapportées par 13 % des enfants) et les violences ou menaces de violences entre les parents constituent un problème à ne pas négliger, étant donné que l'enfant témoin de ces agressions subit alors des violences d'ordre psychique qui portent atteinte à son développement. Des résultats positifs sont enregistrés, en ce qui concerne la manière dont les parents résolvent les conflits. La majorité des enfants (84 %) indiquent que leurs parents utilisent ou essaient d'utiliser le dialogue. La colère, les cris et les réprimandes restent toutefois courants selon une majorité d'enfants. Les punitions (mise au lit, mise à l'écart, suppression de l'argent de poche, effectuer des tâches ménagères supplémentaires, interdiction de sortie, etc.) sont utilisées de manière régulière par un faible nombre de parents (1 à 5 % selon le type de punition). La majorité des enfants rapportent ne jamais avoir été soumis à de telles punitions (45 à 90 % selon le type décrit). Le rapport souligne l'évolution positive globale, mais veut rester prudent et continue d'affirmer la nécessité de campagnes d'information auprès des jeunes (3 % ignorent l'existence de la loi, 17 % ne sont pas sûrs de la connaître).

La loi seule n'est pas suffisante, mais reste essentielle

Jusqu'en 1966, maltraiter un enfant était accepté en Suède, dans la mesure où cela avait un but éducatif. Après 1966, il n'y avait dans la loi rien qui autorisait l'usage des châtiments corporels par les parents. Il n'y avait rien non plus qui le leur interdisait. Les enfants n'étaient donc pas protégés contre la maltraitance. Le parlement a voté une loi d'interdiction en 1979. Aujourd'hui, 30 ans après l'abolition des châtiments corporels, l'usage de la violence contre les enfants est rare en Suède. La loi y est pour beaucoup, et il est intéressant de revenir sur le texte même de celle-ci.
Comme il est dit au début de cet article, la loi n'a pas uniquement interdit les châtiments corporels et tout autre type de traitement humiliant ; elle a aussi donné aux enfants le droit d'être traités dans le respect de leur personne et de leur individualité. Implicitement, la loi met l'enfant à égalité avec l'adulte. C'est sans doute ce qu'il y a d'essentiel dans cette loi. L'enfant y est considéré comme un être humain, qui doit être respecté en tant que tel, et que l'on ne saurait humilier ni par la violence physique, ni par la violence psychique, l'une et l'autre ayant des conséquences désastreuses sur son développement. Il est clair que ces modifications des textes de loi ont donné une place à l'enfant dans la société. On peut aussi souligner que la loi a tout simplement mis des mots sur le phénomène. Des alinéas de la loi suédoise, par exemple, décrivent de manière claire ce qu'est le châtiment corporel : « Un acte qui a pour conséquence que l'enfant soit blessé physiquement ou ressente une douleur. Cela est valable même s'il s'agit d'un coup léger ou si la douleur disparaît rapidement. » Plus clair encore, « la violence ne peut être envisagée dans le but de punir ou d'éduquer. La maltraitance physique est toujours interdite. Un adulte a par contre le droit, par exemple, de soulever ou de tirer un enfant pour l'empêcher de se faire mal ou de faire mal à quelqu'un d'autre(1). »

A la lecture des rapports des différents pays nordiques présentés ici, on pourrait croire à une augmentation de la maltraitance (cf. augmentation des cas enregistrés de maltraitance, augmentation du nombre de parents indiquant avoir secoué, bousculé, empoigné leur enfant). Il semble plus correct d'expliquer ces chiffres par l'acquisition d'un savoir plus grand en matière de maltraitance (par ex. : syndrome du bébé secoué), dans la prise de conscience collective et l'expression de l'intolérance face à la maltraitance des enfants. Comme l'explique justement Joan Durrant dans un article, la diminution de la fréquence et du degré de brutalité de la violence envers les enfants en Suède durant ces 50 dernières années est un fait. On ne saurait bien sûr se satisfaire de ces chiffres. La maltraitance reste inacceptable.

La loi d'interdiction des châtiments corporels ne peut cependant pas être considérée comme la seule explication de la forte diminution de leur utilisation dans les pays nordiques. L'opinion publique joue un rôle non négligeable dans la rapidité des résultats obtenus. En Suède, c'est l'opinion publique elle-même, qui avait déjà commencé d'évoluer dans les années 1960-70, qui a amené la législation. Comme on l'a vu, les avancées ont été plus lentes en Finlande, mais les dernières campagnes d'information montrent aussi qu'il est possible de faire évoluer les mentalités rapidement. La mise en place de congés parentaux d'éducation très avantageux, dès 1974 par exemple en Suède, a aussi encouragé cette évolution. Les débats récurrents sur l'égalité entre hommes et femmes, entre garçons et filles, et les avancées en la matière, ont participé et participent aujourd'hui encore à cette évolution positive dans les pays nordiques.

Plus que d'abolir les châtiments corporels, ces lois expriment, chose très importante, une volonté de changer la société, de construire une société non violente, où chacun, homme comme femme, adulte comme enfant, puisse être respecté en tant qu'être humain unique. L'expérience des pays nordiques présentés dans cet article le montre : les lois d'abolition des châtiments corporels ont été un moyen efficace de faire évoluer les mentalités dans cette direction. Les rapports mettent aussi en avant l'aspect essentiel des campagnes d'information et de sensibilisation. Tout n'est pas parfait, loin de là, dans les pays nordiques. Il n'en reste pas moins que ces pays peuvent se vanter d'être parmi les plus avancés en matière de promotion des droits de l'enfant, de prévention et de protection de l'enfance. Et protéger les droits des enfants, c'est s'engager pour une société meilleure et plus humaine. En serait-on là, aujourd'hui, s'il n'y avait pas eu cette loi d'abolition des châtiments corporels en Suède, voilà 30 ans ? La question se pose évidemment. On ne peut qu'avoir les plus grands doutes.

Sources :
(1) : Article (2004) : Barnaga är förbudet i Sverige (Les châtiments corporels sont interdits en Suède) publié sur le site Internet de la Défenseure des enfants en Suède.
(2) : Rapport d'enquête (2007) : Akta barnen - Om våld mot småa barn (Prudence avec les enfants - Sur la violence envers les jeunes enfants) publié par Rädda Barnen (Save the Children Sweden) et Allmänna Barnhuset, chapitre 1 : "Barnmissandel idag" (La maltraitance aujourd'hui), p. 7-8.
(3) : Rapport d'enquête (2007) : Upp til 18 - Fakta om barn och ungdom (Jusqu'à 18 ans - Information sur les enfants et adolescents) publié par la Défenseure des enfants, chapitre "Barn i utsatta situationer" (Enfants en situation à risque), rubrique "Brott mot barn" (Crime sur enfants), p. 175-177.
(4) : Rapport d'enquête (2007) : Det ingen vill prata om - En rapport om att förebygga misshandel av spädbarn (Ce dont personne ne veut parler - Un rapport sur la prévention en matière de maltraitance des nourrissons) publié par Rädda Barnen (Save the Children Sweden).
(5) : Rapport d'enquête (2001) : Barn och misshandel (Enfants et maltraitance) publié par le Komitén mot Barnmisshandeln (Comité contre la maltraitance des enfants), cité dans le rapport d'enquête (2001) de la Défenseure des enfants. Voir note (6).
(6) : Rapport d'enquête (2001) : Upp til 18 - Fakta om barn och ungdom (Jusqu'à 18 ans - Information sur les enfants et adolescents) publié par la Défenseure des enfants, chapitre "Barn som far illa" (Les enfants qui tournent mal), rubrique "Barnaga" (Châtiments corporels), p. 81.
(7) : Site Internet de la campagne d'information Älä lyö lasta (Ne frappez pas les enfants)
(8) : Rapport d'enquête (2006) : Väkivaltaa ei mielletä väkivallaksi - jos uhri on lapsi (La violence n'est pas considérée comme telle - si elle est exercée sur les enfants) publié par Lastensuojelun Keskusliiton (Centre finlandais pour la protection de l'enfance).
(9) : Rapport d'enquête (2007) : Loppu kuritusväkivallalle! (Mettons fin à la violence des châtiments corporels !) publié par Lastensuojelun Keskusliiton (Centre finlandais pour la protection de l'enfance).
(10) : Spots vidéos : Site Internet de la campagne d'information Älä lyö lasta (Ne frappez pas les enfants)
(11) : Rapport d'enquête (2007) : Vold och overgrep mot barn o unge (Violence et maltraitance sur les enfants et les jeunes) publié par NOVA (Centre norvégien de recherche sociale).
(12) : Rapport d'enquête (2007) : Opdragelse (L'éducation des enfants) publié par Børnerådet, Défenseur des Enfants au Danemark.
(13) : Dans la mesure où cet article laisserait penser que les hommes sont plus violents que les femmes, à OVEO, nous restons sceptiques quant à la pertinence d'une telle affirmation et opposés à une prétendue « nature masculine » portée à la violence sous l'influence de ses hormones. OVEO s'intéresse notamment aux éventuelles différences dans les formes de violence éducative ordinaire infligées aux enfants selon leur sexe et aux éventuelles différences dans les formes de violence éducative ordinaire infligées par les parents selon leur sexe...

Note : Les sources utilisées dans cet article ont été traduites par l'auteur.