Il est urgent de promouvoir la culture du respect de l’enfant comme “ultime révolution possible” et comme élément fondamental de transformation sociale, culturelle, politique et humaine de la collectivité.

Maria Rita Parsi, psychologue italienne.

Le roman Sa Majesté des mouches, de Samuel Golding, une nouvelle fois démenti

Par Olivier Maurel

Image extraite du film Sa Majesté des mouches de Peter Brook (1963)

Le roman de Samuel Golding, Sa Majesté des mouches (Lord of the Flies), publié en 1954, est une des grandes références littéraires du XXe siècle. Il a été plusieurs fois classé parmi les meilleurs romans du XXe siècle, et adapté au théâtre, au cinéma et dans des séries télévisées. 

Ce roman raconte l’histoire fictive d’un groupe d’enfants de la haute société britannique qui ont survécu à la chute de leur avion sur une île déserte du Pacifique. Ils tentent d’organiser une société selon les principes qu’ils ont appris, mais bien vite des relations de domination et de violence s’installent et les enfants en arrivent à s’entredétruire.

Ce roman est fréquemment cité dans les débats sur la nature humaine ou sur la nature des enfants, notamment par les auteurs sous influence psychanalytique. Certains croient même que ce roman est le récit d’un fait qui s’est réellement produit. Ou du moins qu’il est une fable qui exprimerait une vérité profonde sur la nature humaine et en particulier sur la nature des enfants. La morale, la civilisation seraient un vernis qui dissimule à grand-peine la cruauté et la violence de la bête féroce que nous sommes dès l’enfance. Pour faire réfléchir les enfants à cette vérité supposée profonde, on recommande la lecture de Sa Majesté des mouches dès la classe de 5ème. Un commentateur de ce livre le présente comme « un classique à découvrir, pour son influence sur la littérature et le cinéma, et pour sa vision très sombre de l'enfance et de sa tendance à la violence et au sadisme lorsqu'elle n'est pas cadrée par les adultes et par la Loi ».

Or, dans des circonstances semblables, la réalité a démenti au moins deux fois la portée philosophique de cette fiction romanesque.

En 1965, des adolescents des îles Tonga, pris dans une tempête, ont dérivé plusieurs jours sur un voilier avant de s’échouer sur une île déserte. Ils y sont restés quinze mois avant d’être secourus. Or, contrairement aux héros de Samuel Golding, ils se sont organisés intelligemment, ont construit un abri, cultivé un jardin, veillé à économiser l’eau et ont même imaginé un moyen pour que les quelques dissensions qu’ils ont connues ne portent pas atteinte à leur unité.

Le deuxième démenti à la philosophie du roman de Golding, nous venons de l’avoir sous les yeux avec l’incroyable histoire vraie de ces quatre enfants colombiens de 13, 9, 4 et un an auxquels il est arrivé exactement la même chose, en pire, qu’aux héros de Golding. L’avion dans lequel ils se trouvaient s’est écrasé dans la jungle. Tous les adultes, dont leur mère, ont péri. Leur avion n’a été retrouvé que deux semaines après l’accident et l’on s’est aperçu, à certains indices, qu’ils avaient survécu. Cent vingt militaires et des dizaines d’indigènes se sont lancés à leur recherche et ils n’ont été retrouvés que quarante jours après la chute de leur avion. Ils étaient épuisés, à bout de forces, mais vivants, et ils avaient survécu, y compris le bébé de moins d’un an qu’ils avaient dû porter tout au long de leur errance à travers la jungle, grâce au courage, au sang-froid et à l’intelligence de Lesly, l’adolescente de treize ans.

Ainsi, une fois de plus, le roman de Samuel Golding révèle sa véritable nature : non pas une fable qui nous confronterait à une vérité dure et profonde sur l’humanité, mais le produit de toute une culture qui, depuis saint Augustin jusqu’à Freud en passant par Hobbes et bien d’autres, fantasme une vision pessimiste et trompeuse de l’enfance.

Dans son livre Humanité. Une histoire optimiste (Points, 2022), Rutger Bregman, qui raconte en détail l’histoire des naufragés des îles Tonga, écrit du cynisme que nourrit le roman de Golding que c’est « un autre mot pour désigner la paresse ». Et il cite une phrase tirée des Carnets de notes de Tchekhov : « L’être humain deviendra meilleur lorsque vous lui aurez montré qui il est. »

Il ne suffit pas de dénoncer la violence éducative ordinaire, il faut aussi montrer que les enfants viennent au monde dotés de capacités sociales qui, si elles sont respectées et cultivées par les adultes, peuvent nous aider à sortir de l’impasse où nous a enfermés le pessimisme sur notre propre nature.

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