Vos enfants ne sont pas vos enfants, ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même. Ils viennent à travers vous et non pas de vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Khalil Gibran, extrait du recueil Le Prophète.

Uniforme scolaire, violence éducative et violence en milieu scolaire

Témoignage en forme de billet d’humeur reçu le 13 janvier 2023.


Récemment, le ministre de l'Éducation français (Gabriel Attal, qui a récemment été "muté" au poste de Premier ministre) a annoncé "expérimenter" l'uniforme dans plusieurs écoles du pays, et d'ores et déjà plusieurs municipalités s'y sont mises. Comme c'est parti là, la France cherche à implanter l'uniforme scolaire obligatoire, et ce au niveau national. Et ce, après avoir tenté d'implanter un service national universel obligatoire pour les adolescents (comprenez une version "lite" du service militaire), et avoir fait la chasse aux tenues connotées trop "musulmanes" dans plusieurs lycées. Tout ceci pour, selon eux, lutter contre le "communautarisme", l'extrémisme religieux et le harcèlement scolaire.

Mais quand je comprends leur démarche, je constate qu'il s'agit pour le gouvernement de Macron d'une part, faire une sorte de "nettoyage ethnique" qui ne dit pas son nom envers les jeunes issu(e)s de communautés noires ou de confession musulmane, sur base de clichés peu flatteurs à leur encontre. D'autre part, et c'est là que je rentre dans le vif des violences éducatives ordinaires, ce gouvernement souhaite soumettre sa jeunesse et faire des institutions les accueillant des lieux où l'on doit obéir et se taire, où les jeunes ne seraient que de simples exécutants. Par "école de la confiance", je comprends une école élitiste, où l'on est soumis au maître, où seuls les "nantis" réussissent, et où l'autorité des adultes est absolue. Et s'il s'agit d'une autorité brutale et punitive, c'est "encore mieux" pour eux.

Donc, on en est là en 2023. Alors que des progrès massifs en neurosciences ont été faits depuis plusieurs années en ce qui concerne la psychologie de l'enfant et de l'adolescent, voilà qu'on songe à rétablir une "autorité" dans le milieu scolaire absolument rétrograde, mais surtout psychologiquement dégradant pour l'enfant et l'adolescent, dignes des écoles privées britanniques de l'après-guerre. Apparemment, ce serait même soutenu par beaucoup de Français, si j'en crois plusieurs sondages.

Pour moi, le simple fait d'obliger à porter une même tenue, tout le temps, est une forme de violence éducative au même titre que les gifles ou la fessée. Un jeune qui porte un uniforme scolaire est un jeune bridé dans son individualité par une institution censée l'accueillir pour ce qu'il est. Je pense même que, dans le cadre du milieu scolaire, ça forme une sorte de tout en matière de soumission de l'élève. Parce que quand je me renseigne, une part non négligeable des pays où l'uniforme scolaire est répandu (ou bien obligatoire) est aussi connue pour son système scolaire violent et éprouvant. 

Les exemples de certains pays d'Asie de l'Est sont les premiers qui me viennent en tête; la Corée du Sud et le Japon en particulier. Les défenseurs de l'uniforme scolaire les citent comme exemple de réussite où les élèves ont d'excellentes notes, sous-entendu grâce à la tenue unique. Sauf que... non. Déjà, le harcèlement scolaire y est accepté, voire encouragé. Que ce soit de la part des élèves ou des professeurs. Rien que ça, ça démolit l'argument de l'uniforme comme moyen "magique" de supprimer le harcèlement scolaire. Les élèves sont sous constante pression en matière de résultats, on leur fait comprendre que s'ils n'ont pas les meilleures notes, ils n'auront pas de vie (à quoi bon, étant donné que le Japon se fait régulièrement épingler pour falsification de notes des élèves féminines), et la moindre petite erreur. Les élèves qui "réussissent" sont généralement toujours de la même classe sociale, et ceux qui sont un peu différents de la "norme" ou fragiles sont tout de suite ciblés comme boucs émissaires. Et les professeurs ? ... Bah, de vrais dictateurs en puissance pour la plupart, adeptes des coups de journal, de règle, des humiliations verbales (parfois devant toute la classe), et autres formes de VEO. 

Extrait du manga de Syoichi Tanazono Sans aller à l'école, je suis devenu mangaka. (Illustration choisie par l'OVEO)

Et encore, on parle de pays où la ligne entre VEO et maltraitance est délibérément floue, voire inexistante, dans le sens où la vision de l'éducation dans ces pays-là est alarmante dans sa violence brute. Il n'est pas rare de trouver des adultes qui ne voient pas de problème à ce qu'un enfant soit battu pour avoir fait une petite bêtise. Du coup, certains professeurs ne se contentent pas seulement d'être "sévères", mais vont jusqu'à employer des méthodes dignes des pires brutes d'école envers parfois de très jeunes enfants, dans le but de les "pousser à être le meilleur d'eux-mêmes". Sans compter les abus sexuels presque ritualisés et rarement dénoncés par effet d'emprise ; je pense sincèrement qu'une personne qui a accepté d'être éduquée de manière "violente" est plus à risque de subir des violences sexuelles ou de l'inceste, je pense même que de plus en plus d'études arrivent à le prouver.

Personnellement, quand je vois un personnage de professeur dans un anime se montrer autoritaire, je suis très souvent choqué de la malveillance dont ils font preuve. Et très souvent, ça finit ainsi : "Mon professeur est très sévère, mais il a quand même un bon fond, il est venu chez moi me demander si j'allais bien et il m'a donné des conseils de vie." Quand je dis ça, je pense surtout au personnage d'Aizawa dans My Hero Academia. Un professeur adepte des menaces de renvoi général si ses élèves ne sont pas à la hauteur de ses exigences. Il admet lui-même que c'est une ruse pour pousser ses élèves à bout, et il me semble l'avoir vu une fois mettre un gnon à un autre personnage pour le crime impardonnable d'avoir échoué à un exercice (à moins que ce soit un effet Mandela de ma part avec un autre anime). Mais les élèves continuent de le défendre malgré tout, parce qu'il a eu deux-trois moments de "sagesse" et parce qu’"il doit être comme ça parce que la situation l'exige". Vous voyez bien le problème : on encourage les professeurs à être sadiques et violents. A contrario, A Silent Voice avait parfaitement abordé le harcèlement scolaire. C'était mentalement éprouvant pour moi de voir cette jeune fille sourde être harcelée de manière banale et continuelle avec la complicité de ses professeurs.

Tout ce mode de fonctionnement, la tenue unique, le harcèlement par les élèves, la pression sociale, la violence des professeurs... ça mène à des retraits de la vie sociale (les fameux "hikkikomori" au Japon), ou à tentatives de suicide, voire des suicides tout court. Mais tout ce système est considéré comme normal dans ces pays-là, et ceux qui osent le remettre en question ont très souvent de gros problèmes. Ça a été le cas aussi en Angleterre, par exemple, à l'époque des fameuses écoles privées pour garçons. Mais même si l'uniforme est toujours la norme là-bas, je trouve qu'il y a quand même une certaine prise de conscience par rapport aux violences graves subies par les élèves, en attestent les quelques documentaires sortis sur le sujet. Notamment en ce qui concerne les viols de la part de professeurs restés impunis pendant tant d'années. Quand bien même certains n'auraient pas eu le temps de mourir avant d'être accusés formellement.

J'ai sincèrement l'impression que le gouvernement français se dirige vers ce genre de système scolaire. Je dois vous avouer qu'en tant que jeune adulte belge, j'ai extrêmement peur. Je n'ai pas d'enfant moi-même, mais certains membres de ma famille un peu plus âgés que moi viennent d'en avoir. En Belgique, il n'est pour le moment pas question d'instaurer une tenue unique obligatoire dans toutes les écoles, et c'est tant mieux. Mais les écoles ont individuellement le choix d'en imposer une ou non ; il y a une école à Huy (Wallonie), par exemple, où les élèves portent l'uniforme. Enfin, il y a beaucoup de gens en Belgique qui soutiennent l'uniforme obligatoire. C'est pour moi impensable, pas seulement par rapport au fait de vouloir "contrôler" l'enfant, mais surtout parce qu'il y a un contexte de tensions entre Wallons et Flamands assez palpable dans le pays, exacerbées par certains partis à tendance nationaliste flamande (la NVA et le Vlaams Belang, notamment) qui ont de plus en plus de soutiens. Croyez-moi, l'élève wallon qui porte un uniforme obligatoire dans une école flamande, il sera vite repéré malgré ça et pris pour cible par les élèves et les professeurs. D'autant plus que certaines écoles en Belgique fliquent déjà les élèves sur leur tenue vestimentaire. 

Ce qui me permet de faire une transition à un autre sujet qui est celui de ma remise en question par rapport au système scolaire belge. Et ça me désole de l'admettre, mais ce n'est pas un système scolaire particulièrement sain pour l'enfant ; il y a encore beaucoup de progrès à faire en Belgique.

Bien que je n'aie jamais porté l'uniforme, j'ai été dans une école catholique pendant au moins 70 % de mes années en secondaire (je précise qu'il y a 6 ans d'études secondaires en Belgique, une de moins qu'en France). J'avais les cheveux très longs à l'époque et j'avais tendance à porter des vêtements à l'effigie de mes groupes de musique favoris... Un jour, j'ai été sommé par un éducateur (à la demande de la directrice qui ne m'a JAMAIS directement parlé de ça) d'attacher mes cheveux et de changer de tenue. Motif : ma coupe de cheveux et ma tenue n'étaient pas réglementaire, il fallait que j'ai un look plus "classique". Ça voulait dire quoi, "classique" ? Le terme était tellement vague selon moi. Mais je n'ai pas eu le choix, c'était ça, ou je ne pouvais plus mettre les pieds dans l'école. C'est du moins ce qui a été dit auprès de mes parents qui sont montés au créneau quand ils ont appris la nouvelle. 

De toute façon, je ne suis pas resté dans cette école suite à un redoublement, et j'ai fini ma secondaire à l'IATA. C'est une école technique à vocation un peu artistique, et le règlement sur la tenue y était bien plus laxiste. La seule chose qui était interdite, c'était les tenues à caractère politique douteux. Mais j'avais le droit de venir les cheveux détachés et avec certains t-shirts de groupes de musique. Les professeurs y étaient incroyablement bienveillants et encourageants, et il y avait cet aspect d'aider individuellement les élèves qui avaient des difficultés. Evidemment, les cours en eux-mêmes étaient collectifs, c'est normal. Mais j'avoue que cette manière finalement assez proche de l'éducation positive de voir l'enseignement apportait quelque chose de frais dans mon parcours scolaire très chaotique.

Dans l'école catholique où j'étais avant, les professeurs étaient je-m’en-foutistes, ou alors prompts à juger et mettre dans une case ceux qui ne réussissent pas du premier coup. Ceux en difficultés étaient peu aidés, voire stigmatisés. Je précise que j'ai une forme d'autisme légère, qui fait que j'ai parfois des difficultés pour saisir certains sujets de manière "neurotypique". Mais voilà, aux yeux des professeurs, j'étais juste un élève moyen, voire médiocre, qui se complaisait dans son trouble. Je précise que je ne me faisais jamais remarquer, mais que certains professeurs aimaient bien me tanner malgré tout (coucou ma professeure de néerlandais qui m'humiliait souvent devant les autres élèves ou la prof de religion qui faisait recopier des chapitres entiers de son cours quand tu ratais ses contrôles...). Une de mes amies a fait une tentative de suicide suite à du harcèlement par plusieurs élèves. Aucune structure d'aide mise en place, aucun soutien, rien, nada. Pire, mon amie a eu droit à une convocation chez la directrice, qui apparemment, l'aurait grondée en disant qu'elle avait "nui à l'image de l'école", et que si elle recommençait, elle serait renvoyée définitivement. 

Cependant, je n'ai pas le souvenir d'avoir vu de forme de violence physique de la part de professeurs dans cette école. Pour le coup, c'est interdit dans les écoles depuis 2004 en Belgique. Mais ça ne l'est toujours pas à un niveau global malgré les nombreux projets de loi. Et pour l'école, à mon sens, la violence verbale est toujours présente, et j'estime que même une simple remarque comme : "Tu n'iras pas bien loin avec des notes pareilles" peut être interprétée comme telle.

D'autre part, je pense sincèrement que l'aspect "dominateur" de l'instituteur.trice est plus présent en primaire. Il y a toujours cette volonté de contrôler les enfants dont j'ai fait les frais. Entre les cris des professeurs, les punitions, les remarques dans le journal de classe, et les systèmes de bons points... Une école de quartier où j'ai été était particulièrement virulente à ce niveau-là. Me concernant, j'ai plusieurs souvenirs de m'être fait gronder, voire hurler dessus pour de petites erreurs. Je pleurais très souvent quand cela m'arrivait, et les professeurs ne comprenaient pas. Une fois, j'ai même été jeté de l'étude à cause d'un coup fourré de la part d'un élève qui me harcelait, j'avais beau protester et dire que je n'avais rien fait, c'était pas grave. La surveillante a jugé bon de me traîner par le bras jusque dans le couloir et de hurler devant plusieurs enfants : "MAINTENANT TU VAS ARRÊTER TON PETIT JEU, HEIN ? SINON CA VA MAL FINIR POUR TOI!" Sans compter que j'étais continuellement harcelé dans cette école, et ce par plusieurs autres enfants. Ils étaient d'une cruauté sans borne. J'ai eu droit à des moqueries, des insultes, et parfois même, des coups.

C'était une école où il y avait une sorte de culture de la violence, élève à élève et professeur à élève. Et pour le coup, ça pouvait aller loin. Trop loin, même. J'ai été retiré de l'école à la demande de mes parents, car l'ambiance y était si mauvaise qu'elle avait fini par avoir des effets sur ma santé. J'ai même appris que certains autres enfants étaient partis pour les mêmes raisons, et que le sous-directeur avait déjà été visé par une enquête pour avoir frappé un élève. La directrice à l'époque a fini par être démise de ses fonctions, probablement suite à une accumulation de plaintes. Mais pour moi, il n'y a jamais eu de vraie réparation. Ces tortionnaires auraient dû être non seulement renvoyés, mais aussi poursuivis pour leur traitement des enfants. Regardez le site Internet de l'école, à ce jour, 80 % de l'équipe que j'ai connue quand j'étais là-bas y travaille toujours.

Et même dans ma première école il y avait ça. Cette institutrice de première primaire excessivement sévère et exigeante qui n'hésitait pas à vous hurler dessus devant toute la classe et à déchirer ta feuille si elle n'aimait pas ton écriture. La surveillante du réfectoire qui donnait des coups de seau sur les doigts et qui mettait du tape sur la bouche des enfants qui parlaient trop. L'enseignante de maternelle qui prévient l'ONE 1 sans l'accord des parents si l'élève est un peu trop turbulent...

Il y a aussi cette tendance des professeurs et des personnels enseignants à "séduire" les parents d'élèves en se disant "inquiets" pour leur enfant chez qui ils voient un potentiel qu'ils n'exploitent pas entièrement et qu'ils ne savent pas aider. Puis ensuite, une fois la porte de la classe close, vont s'en donner à cœur joie à tourmenter cette petite tête blonde en qui ils ne voient qu'une erreur de la vie. Ou les profs qui donnent des conseils d'éducation que la plupart des parents vont appliquer, vu que le professeur est considéré comme une figure d'autorité. Quant à ceux, plus futés, qui devinent la supercherie ? Eh bien, ils subissent le même sort que leur progéniture : la stigmatisation.

Il y a des gens qui disent avoir été heureux à l'école malgré tout. Et même, ils vous parleront des souvenirs de violence qu'ils ont subie comme des moments normaux, tout en disant que ceux qui se plaignent n'ont aucune raison de le faire. Pour moi, ce sont des raisons valables de se plaindre, et c'est plutôt ceux qui trouvent les violences subies à l'école "normales" qui devraient se poser des questions. Dans mon cas, je me demande si ce n'est pas en partie à cause de la violence à l'école que je n'ai pas réussi à faire d'études. J'en ai commencé deux fois avec le même résultat : arrêtées au bout d'un an. Dans le deuxième cas, j'ai fini par avoir des problèmes avec les professeurs car selon eux, j'aurais tenu des "propos agressifs envers des étudiants". Bien sûr, c'était faux, je m'étais en réalité plaint de certains problèmes d'organisation dans l'école et ce n'était pas bien passé. Aujourd'hui, cela fait deux ans que je cherche désespérément du travail, j'enchaîne les formations et les entretiens non fructifiants, et je n'ai aucun vrai diplôme hormis mon CESS (équivalent belge du bac). Par conséquent, j'ai des portes qui se ferment directement en matière d'emploi...

Donc voilà. Quand je vois un pays proche du mien vouloir utiliser l'école comme moyen de soumission, ça me fait peur. Je crains le jour où j'aurai des enfants et serai obligé de les envoyer dans leur école habillés en bagnards, tout en sachant que je les expose malgré moi à n'importe quelle forme de violence possible. Et voir des gens défendre ça me met en rage. Je vois même des gens de gauche comme moi soutenir l'uniforme scolaire alors que c'est à l'opposé total de leur valeurs ! Le comble ultime ! ... D'autant plus que la France a, encore une fois, des motivations particulièrement douteuses quant à l'instauration de l'uniforme.

Anonyme


  1. Office de la naissance et de l’enfance, équivalent de l’ASE française, note de l’OVEO.[]

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