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« Veux-tu une fessée déculottée devant tout le monde ? »

Nous remercions tout spécialement l'autrice de ce témoignage très détaillé, écrit après lecture du livre d'Olivier Maurel La Fessée avec l'aide du questionnaire du site. En raison de la longueur du témoignage, son annexe est publiée sur une page séparée.


Avez-vous subi vous-même la violence éducative ordinaire  au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?

Je n’en étais pas forcément consciente, et puis au fil des années avec notamment l’interdiction de donner la fessée, je me suis intéressée à la question, et je me suis aperçue que j’avais certains comportements, voire des traumatismes liés à mon éducation.

Mon enfance me semblait ordinaire pour l’époque, certes plus sévère que la moyenne. Il y avait un martinet à la maison, mais j’ai toujours eu la chance de réussir à y échapper.

À propos du martinet, à noter, et c’est fort heureux, contrairement à bon nombre de familles qui en possédaient à mon époque (j'ai 58 ans), chez nous il servait plus de décoration qu’à punir réellement. Il n’officiait que dans les "grandes" occasions. Je crois bien qu’une fois que ma sœur et mon frère aîné avaient dépassé les 10-11 ans, voire 12 ans, le martinet n’est plus jamais ressorti du tiroir. Je suis d’ailleurs heureuse de ne l'avoir jamais reçu.

Pour être tout à fait juste, je dois dire que sans être aisés, nous ne manquions de rien, hormis d’amour et d’affection, ce qui constitue tout de même l'essentiel. Mon père s’intéressait peu à nos études, ne s’assurant même pas que les notes étaient bonnes, laissant cette responsabilité à ma mère, qui prenait ce rôle très au sérieux. Gare au mauvais bulletin, aux mauvaises appréciations, il valait mieux éviter les heures de colle, toute faiblesse ou écart relevé par ma mère entraînait au minimum une bonne engueulade. Maman était relativement tolérante et ne punissait pas à la moindre mauvaise note. Heureusement, elles étaient rares me concernant, et je prenais garde à ce qu’elles le restent, mais gare à la récidive, et au mauvais bulletin en fin de trimestre. J’avais en tête la raclée reçue par ma sœur et mon frère le soir de leur redoublement, le jour où je me suis risquée à intercepter le bulletin scolaire dans la boîte aux lettres, avant que ma mère ne tombe dessus.

Au-delà de la violence éducative ordinaire, dans laquelle on inclut principalement le châtiment corporel, je voudrais aussi mettre l’accent sur le sentiment d’injustice que peut ressentir un enfant constatant la différence de traitement entre les enfants, et plutôt que le terme "différence", je préfère parler de "préférence".

Je préfère ne pas rentrer dans les détails, mais pour diverses raisons, je n’étais pas la bienvenue au sein de la fratrie, ma mère ne me voulait pas, et mon père encore moins. Allez, je vais le dire : je suis le fruit d'un adultère...

Ils ne se sont jamais cachés d’exprimer leur préférence pour le reste de ma fratrie, parfois même devant d’autres membres de la famille.

Je peux dire que j’ai été éduquée plus sévèrement, tout au moins pendant l’adolescence.

Pendant l’enfance c’était un petit peu différent, j’étais très sage, je me tenais à carreau, j’avais tellement peur de m’en prendre une, et je pense que je ressentais déjà, entre 4 et 11 ans, que le seuil de tolérance à mon sujet serait plus rapidement atteint que pour les autres.

Mon père surtout utilisait plus fréquemment à mon égard la menace de la "branlée". Il sévissait très rarement, mais il pouvait être extrêmement sévère, je l’avais vu un jour flanquer une dérouillée à ma sœur, et une autre à mon frère, me faisant passer l’envie de prendre leur place.

Plus petite, je me souviens de la menace relativement fréquente de ma mère : "Est-ce que tu veux une fessée déculottée devant tout le monde ?"

Menace que maman a rarement eu l’occasion d’exécuter sur moi tellement j’étais devenu obéissante et froussarde de m’en ramasser une. J’avais vu quelques fois comment maman savait à la perfection manier le martinet sur les jambes de mes aînés, et j’en avais une peur bleue.

Puis mes parents ont divorcé, et à partir de 12-13 ans, ma mère nous a "dotés" d’un beau-père que j’ai dû supporter pendant 5-6 ans, jusqu’à mon départ de la maison. J’étais en pleine révolte, probablement insupportable par moments, la situation s’est dégradée. Entre un beau-père qui incitait ma mère à m’en mettre une à la moindre incartade, et ma mère qui se sentait parfois dépassée, à tel point qu’un jour, elle a autorisé mon beau-père à m’en mettre une si je le méritais. Heureusement pour moi il s’est toujours retenu, jusqu’au jour où j’ai dépassé les limites, et il m’a flanqué une danse dont je me rappelle encore. Sous le regard de ma mère, qui a assisté à la scène, et qui, plutôt que de me protéger, n’a rien trouvé de mieux à dire que : "Ah, tu ne l’as pas volée, celle-là."

Il y a une fessée dont je garde un souvenir absolument terrible, à l’approche de mes 15 ans, et surtout, donnée cul nu…  Fessée quelque peu surprise car ça faisait un bon moment que je n’en avais plus reçu, j'avais fait l'erreur de croire que j'avais passé l'âge. Je me croyais bien trop grande pour recevoir une volée pareille, et je n’aurais jamais imaginé que maman irait au bout de son idée de me dénuder le bas du corps. Humiliation suprême, la punition s’est déroulée devant mon beau-père, qui se tenait certes à l’écart mais il a assisté à la punition, alors que la pudeur, la gêne auraient dû l’inciter à sortir de ma chambre.

C’est une autre forme de violence, l'atteinte à la pudeur, surtout que dans les jours qui ont suivi ma mère prenait presque un malin plaisir à raconter et à décrire sans gêne la bonne fessée cul nu qu’elle m’avait administrée. Je me souviens que cette punition m’avait été donnée un vendredi soir et le lendemain j’étais chez mon père, je me souviens encore de sa surprise quand il a appris, de la bouche de ma mère, l’épisode de la veille. J’avais très peur que mon père m’en colle une autre. Heureusement les détails que ma mère avait communiqués à mon père, même s'ils me furent pénibles, me furent finalement bénéfiques, mon père estimant sûrement qu’une fessée cul nu à mon âge était déjà bien suffisante et qu’il était nullement nécessaire d’en rajouter.

Il y a une autre forme de violence plus latente que j’aimerais évoquer. Par exemple, lorsque maman recevait le bulletin de notes, je me souviens que le regard était automatiquement porté sur les plus mauvaises notes et les remarques étaient dirigées sur ces notes-là. Les éventuelles félicitations sur les bonnes notes duraient une seconde, alors que les réprimandes sur la mauvaise note duraient une minute, et j’en ressentais une profonde injustice. Je le vivais très mal, réprimant parfois intérieurement une pensée néfaste, j’avais envie de dire à ma mère : "Ben tu sais quoi, comme j’ai osé avoir une mauvaise note, une seule sur un tout bulletin, eh ben vas-y, colle-moi une gifle…" Et un jour, excédée, la phrase est partie, je me suis lâchée, et effectivement paf c’est tombé, j’ai pris une bonne claque sur la cuisse, ma mère évitait le visage quand elle pouvait. Autre scène de violence qui m'avait marquée, je me souviens d’une fois où ma mère, pour calmer ma petite sœur, l'avait traînée et collée sous une douche glacée. Elle avait laissé la porte de la salle de bain ouverte, nous entendions les bruits de suffocation et la sensation d’étouffement de ma sœur au contact de l’eau froide. Nous avions ensuite entendu les bruits caractéristiques des claques arrivant sur un épiderme nu et mouillé. Je commençais du haut de mes 16 ans à prendre de l'assurance, j'avais attendu le lendemain que mon beau-père soit absent pour dire à ma mère ses quatre vérités : "Tu n'es vraiment qu'une malade..."

À partir de quand et jusqu’à quel âge ?

On m'a maintes fois raconté que j’ai apparemment reçu une bonne rouste à six ans, dont je ne garde strictement aucun souvenir, ce que j’ai d’ailleurs toujours trouvé bizarre. Apparemment c'était une sacrée fessée, maman m'avait sortie de table parce que je ne voulais pas manger, elle m'avait positionnée à l'horizontale, elle m'avait relevé la jupe, baissé la culotte, et flanqué une bonne fessée devant tout le monde... Je n'en ai aucun souvenir, soit j’étais bien plus jeune que 6 ans, soit j’ai fait un reset total. 

J’ai pris une gifle par ma mère à l’âge, j’ai honte de l’avouer, de 26 ans ! Pour avoir osé donner mon avis, qui ne lui plaisait pas, ma mère n’a pas hésité à me gifler devant son futur gendre, et elle a même osé me menacer d’aller terminer l’explication à l’écart dans une chambre, autrement dit de me foutre une raclée à 26 ans ! Incroyable quand j’y repense avec le recul.

Par qui ?

Ma mère, surtout, elle était très stricte. Mon père, une seule fois, et mon beau-père deux fois.

Ces personnes avaient elle-même subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?

Oui, autant mon grand-père maternel était très gentil avec moi, et ses autres petits-enfants, pour autant, il avait élevé ma mère et mes tantes à coups de martinet. Ma mère et mes tantes ont apparemment reçu des raclées monumentales, jusqu’à leur majorité, qui à l’époque était à 21 ans. Ma mère étant l’aînée, elle avait la primeur de devoir donner l’exemple, et si ce n’était pas le bon exemple, elle prenait pour tout le monde. J'ai plusieurs fois entendu parler d’une sacrée trempe que ma mère a reçue vers ses 20 ans.

Mon père aussi a été élevé à la dure, martinet, ceinture, mais il en parlait très peu, la pudeur sûrement, et la honte. Ma mère en parlait beaucoup plus facilement avec ses sœurs devant nous lors des repas familiaux. Au sujet de mon père, je sais aussi qu'un jour il s’est aventuré à couper les lanières du martinet qu'il en avait marre de recevoir. Peine perdue, quand mon grand-père paternel s'en est aperçu, il s’est servi de sa ceinture pour le punir. 

Quant à mon beau-père, combien de fois n'ai-je pas entendu raconter les raclées (apparemment hebdomadaires et parfois quotidiennes) qu'il avait reçues de son père, et la "chance" que nous avions de n'en recevoir qu'une de temps en temps, et trop rarement à son goût..

Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d’alors ?

Je dirais qu’on passe tôt ou tard par tous ces sentiments de colère, de tristesse, de résignation, d’injustice, mais je n’ai jamais ressenti d’indifférence envers ce qui m’arrivait et l’éducation que je recevais. J’éprouvais parfois un sentiment de regret, le regret d’avoir commis la bêtise de trop, ou de ne pas avoir été suffisamment maligne pour ne pas me faire prendre.

Bien évidemment, avant une très probable fessée, j’étais terrorisée, j’avais un sentiment d’impuissance, je voulais m’échapper mais c’était impossible. Après la fessée, il y avait le sentiment d’humiliation, la colère et le sentiment d’abandon. J’avais le sentiment d’être seule au monde et que personne ne m’aimait. Je me souviens de ma peur et de ma tristesse quand un de mes frères ou sœurs ou une copine se faisaient punir. Je priais pour que ça ne m’arrive pas, je ressentais aussi parfois de la colère de ne pas pouvoir venir en aide à celui ou celle qui était puni. 

À ce sujet, on pourrait donc ajouter le sentiment d’impuissance, voire de traumatisme, au sujet de l’enfant témoin, qui peut parfois être plus traumatisé que l’enfant battu. J’ai été très marquée par une raclée reçue par mon frère, j’ai vécu des scènes de violence chez ma tante à l’égard de mes cousines, et inversement, je sais que ma petite sœur a été très marquée, presque traumatisée, par une punition que j’avais reçue, parce que j’avais osé me mettre en jupe (une jupe un peu courte, à mi-cuisse, mais classique, rien d'extravagant), alors que j’avais 17 ans. Ma petite sœur est restée toute son adolescence et même au-delà sans oser mettre de jupe, même jeune adulte, elle hésitait à s’habiller en jupe lorsqu’elle allait chez mes parents !!

Avez-vous subi cette épreuve dans l’isolement ? Avez-vous eu le soutien de quelqu’un ?

À l’intérieur de la famille, je dirais qu’il y avait les deux sentiments, à la fois l’isolement et le soutien. On se soutenait mutuellement avec mes sœurs et mon frère, cependant, après une bonne correction, la plupart du temps le ou la puni(e) était consigné(e) dans sa chambre, donc isolé(e). Je partageais ma chambre avec ma grande sœur, puis quelques années plus tard avec ma petite sœur. Le fait de partager sa chambre était parfois un souci, car j’ai vu un jour ma sœur recevoir une fessée devant moi, et inversement cela m’est arrivé devant ma petite sœur.

À l’extérieur de la maison, je ressentais plutôt l’isolement, j’avais tellement honte que je n’en parlais jamais, je passais mon temps à mentir à mes copines, je ressentais comme une honte suprême de devoir leur avouer la fessée que j’avais reçue la veille. Il pouvait m’arriver de supplier sœurs et frère de ne rien révéler à mes camarades, qu’ils connaissaient. La première fois que j’ai osé en parler et me confier à une amie, j’avais 17 ans. Et encore, je me suis confiée un peu obligée par les circonstances, car je n’aurais pas été crédible à essayer de faire croire le contraire, et que je n’avais pas été punie. En effet, nous avions commis en commun une très grosse bêtise, et c’était ma mère qui avait dû venir nous chercher et nous ramener à la maison. Maman m’avait prévenue devant la copine : "Dès que ta copine repart chez ses parents, je te garantis que tu vas avoir affaire à moi… Tu vas voir, ça va être ta fête… !"

Quand on s’est revues au lycée le lendemain avec la copine, inévitablement, elle m’a demandé comment ça s’était passé après son départ. J’ai essayé de garder le "masque" habituel, mais au bout de 2 minutes, j’ai fondu en larmes, et j’ai fini par lui avouer la soirée que j’avais passée, en lui donnant des détails sur la raclée que j’avais reçue, peut-être méritée, mais tout de même ! j’avais 17 ans ! Je me suis confiée à ma copine, je lui ai dit que je n’en pouvais plus, que je craquais, que je venais de passer un sale moment à prendre des claques, à n’entendre que des cris et d'avoir toujours peur que ça reprenne.

C’est la seule personne extérieure à qui j’en ai parlé avant de quitter le foyer parental. Aujourd’hui encore, j’éprouve une certaine honte à évoquer, je dirais même avouer, les punitions reçues, et une gêne à avoir grandi dans un tel environnement familial.

Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?

Ce genre d’éducation déclenche très souvent une timidité chez les enfants qui ont été éduqués comme je l’ai été. Fort heureusement je ne pense pas être timide, au contraire.

Je me suis globalement tenue à carreau, pas parce que j’étais sage, mais surtout obéissante avec la peur d’en prendre une. Comme on dit parfois, "je n’avais pas intérêt..." à sortir du cadre, donc je n’en sortais pas, du moins j’évitais, au moins jusqu’à 12-13 ans, puis la rébellion est arrivée, et ça s’est gâté.

Lorsque je sentais que ça allait barder, je me souviens que je ressentais un stress énorme, une angoisse, une grosse boule au ventre avec la peur que ça finisse par arriver, je me souviens que j’avais très peu confiance en moi, j’avais certaines difficultés à appréhender les relations avec les autres.

Quelles sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ? En particulier, vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d’enfants (les vôtres ou professionnellement).  Merci de préciser le contexte.

Je n’ai pas reproduit le même schéma éducatif avec mes enfants, sur lesquels je n’ai jamais levé la main, sauf deux petites tapes sur les fesses de ma fille, des fois où elle me manquait de respect.

Sur le plan professionnel, c’est une tout autre histoire, je pense que mon éducation m’a joué de vilains tours. En quittant le foyer parental, relativement tôt, j’ai dû arrêter mes études, ce qui m’a pénalisée plus tard. Parallèlement, pour avoir subi l’autorité pendant toute ma jeunesse, du jour où j’ai pris mon indépendance, je ne supportais pas qu’un adulte me dise ce qui était bien ou mal, ou me dicte ma conduite. Je me disais, j’ai subi cette dictature toute ma jeunesse, je n’ai pas quitté mes parents pour que ça continue une fois adulte.

Je ne me suis donc jamais laissé faire et tant que l’autorité me paraît juste, j’accepte mais dès que l’autorité me paraît injuste, je monte facilement dans les tours.

Cela m’a valu des déboires professionnels, j’en suis déjà à quatre licenciements dans ma carrière, qui n’est pas terminée. Des licenciements non pas pour faute, mais juste pour avoir dit ce que je pense, pour avoir contesté le bien-fondé de certaines décisions ou mesures qui me paraissaient injustes ou inappropriées. Globalement, depuis que j’ai 13-14 ans, j’ai un rapport difficile et compliqué à l’autorité.

Dès lors que je considère que ce que l’on veut m’imposer ou me demander n’a pas de sens, je conteste ou je m'oppose. Adolescente, j’ai donc ramassé quelques raclées.

Toute ma jeunesse, j’ai dû subir et m’écraser même quand je pensais avoir raison, depuis l’âge de raison, je n’arrive donc pas à m’écraser.

Devenue adulte, c’est donc plus compliqué, le manager ou le patron ne peut pas donner la fessée, donc il sanctionne.

J’ai un mal fou à bien vouloir abdiquer, même lorsque je risque une sanction.

Parfois, je ne sais pas m’arrêter à temps avant que la sanction ne tombe, à tel point que je me suis déjà demandé si finalement, je ne cherchais pas inconsciemment à me faire punir… Je me suis posé la question de nombreuses fois, je n’ai toujours pas trouvé la réponse.

Je me souviens particulièrement d’un épisode, il y a quelques années, où j’avais été convoquée par mon manager, qui m’a dit en résumé : "Tu sais que si tu continues, tu vas te faire virer… ?" "Je ne vois pas pourquoi, je n’ai fait que dire ce que je pense, ce n’est pas une dictature, j’ai quand même le droit de m’exprimer."

Il m’a répondu : "Pas de problème… Tu as le droit…" Et je me suis fait virer quelques semaines plus tard… 

Cette manière de vous faire obéir vous a-t-elle été profitable ?

Je dirais bien évidemment que non, en apportant tout de même une nuance, je pense que les punitions méritées m’ont sûrement empêchée de récidiver, et ça, on pourrait considérer que ce fut profitable, cela m'a peut-être évité des ennuis plus graves. A contrario, celles qui étaient disproportionnées, ne sont que néfastes. En fait je pense qu’il y avait une carence éducative, car au final, je n’obéissais pas parce que je trouvais que ce que l’on me demandait était logique, mais plutôt par peur que ça me tombe dessus. Je me souviens d’une fois où j’avais reçu une bonne fessée, et je trouvais intérieurement que je l’avais mérité, je me souviens de mes sentiments à l’époque, il était très perturbant, et glaçant, pour moi, de commencer à adhérer à l’idée que je l’avais mérité.

Pour conclure je répondrai non à cette question, il y avait chez mes parents des principes de hiérarchie, les parents, au-dessus, savent et ont toujours raison (le principe des cheveux blancs), les enfants en dessous doivent obéir, nous devions "rester à notre place", et ce que nous pouvions exprimer n’avait aucune valeur. C’est une éducation qui soumet l’enfant plus qu’elle ne l’élève, or pour moi ça doit être complètement l’inverse.

J’ai longtemps eu l’impression d’avoir été moins punie que la moyenne de l’époque. Avec le recul, je pense que je faisais un déni, et que mon total de punition est plutôt dans la moyenne haute. Surtout à l’adolescence où je me suis révoltée, je voulais qu’on m’écoute et que l’on me respecte.

Avez-vous l’impression d’en subir encore les conséquences ?

Oui, clairement oui, mon rapport difficile à l’autorité vient indéniablement de mon éducation. Dans ma vie professionnelle, j’en subis les conséquences encore et toujours, je ne cède, quand je cède, que lorsque je sens que la sanction va me tomber dessus, et parfois elle est tombée avant que je m’arrête. Régulièrement, je suis agressive, c’est souvent non justifié, et au niveau professionnel, milieu où mon entourage me connaît moins bien que dans la vie privée, je suis souvent perçue comme agressive, rugueuse, parfois rude et trop sèche. Dans mes propos, voire mes écrits. Mon attitude physique laisse aussi parfois à désirer. Avec des soupirs lorsque l’on me demande quelque chose qui ne me convient pas. Mes entretiens annuels d’évaluation se sont parfois très mal passés. Bon, le tableau n’est pas si noir, car a contrario, quand le manager ou le patron est parfaitement réglo, je suis dévouée sans limite et là ce n’est que du bonheur, et ça m’est arrivé quelques fois dans ma carrière. Je supporte l’autorité sur moi, à condition qu’elle soit respectueuse, dès qu’elle ne l’est pas ou qu’elle est injuste, ça se complique.

En fait jusqu’à l’adolescence on n’a pas appris à pouvoir dire "non", seul le "oui" était envisageable. Les conséquences semblent évidentes, puisqu’à partir de l’adolescence, j’ai commencé à dire non, et j’ai continué toute ma vie durant. Dans la vie privée ça m'arrive aussi d'être agressive, mon mari me reprend souvent, en me demandant de lui parler sur un autre ton.

Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?

Assez néfaste, un manque total de confiance, mes parents étaient tellement menaçants que je mentais sans cesse de peur de m’en prendre une, mais quand le mensonge était découvert, j’avais intérêt à ce qu’il soit jugé insignifiant, sinon, c’était ma fête. J’ai donc développé une science du mensonge qui était malsaine, et que j’ai continué à développer à l’adolescence, et j’ai même continué à l’âge adulte. 

J’ai honte d’avouer qu’encore à mon âge, il peut m’arriver de mentir, encore récemment, mon mari a découvert un mensonge de ma part : "Mais tu as quel âge pour mentir comme ça ?"

A contrario, je trouve que j’ai été plutôt bien élevée, notamment sur les bonnes manières, la vie en société. Tant que je n’ai pas de rapport d’autorité avec les gens, tout se passe à merveille, j’ai beaucoup d’ami(e)s, beaucoup de relations sociales, je tisse facilement des liens avec des gens que je connais à peine, je ne suis donc pas timide.

Par contre, le gros point noir de mon éducation, c’est cet immense sentiment d’injustice que j’ai ressenti toute ma jeunesse, et qui perdure aujourd'hui. Je devais aider à tout, mettre la table, débarrasser, tâches ménagères, tâches jardinières, pendant que l’on ne demandait rien à ma petite sœur, la préférée, la chouchoute. Et je n’avais pas intérêt à me rebeller, j’ai exprimé une seule fois mon sentiment d’injustice, ma sœur de 13 ans avait le droit de sortir, pendant que moi je devais aider au jardin et aux tâches ménagères, privée de sortie sans véritable raison, alors que j’avais 17 ans. Ma mère m’a dit : "Vas-y, continue à rouspéter, et tu vas voir ce qui va t’arriver…" N’ayant pas envie de me ramasser une raclée, je me suis tue, et j’ai fait ce qu’on me demandait.

Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative était courante ?

Globalement, oui, élevée dans les années 1970, 1980, j’avais quand même beaucoup de camarades de classe qui prenaient des punitions physiques à la maison. Je me souviens particulièrement de ma tante et de mon oncle qui était encore plus sévères que mes parents.

Dans les années 70-80, c’était "normal" de donner des fessées, des claques, voire d'humilier, c’était la norme, on entendait parfois des parents qui disaient que "les enfants ça se dresse"…

J’arrive encore à peine à y croire, pourtant c’est exact, mon frère suite à un très mauvais bulletin scolaire avait dû sortir avec une étiquette attachée autour du cou : "je suis un cancre". Quelle honte de faire un truc pareil.

Si vous avez voyagé, et pu observer des pratiques coutumières de violence à l’égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel type de violence, par qui, à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? Circonstances ? Pour quelle raison ? En privé ? En public ?

En dehors de France, oui je me souviens d’un séjour linguistique dans l’Angleterre du début des années 80. À l’époque je ne savais pas que la fessée était une pratique on ne peut plus courante dans les foyers anglais. Ma correspondante anglaise avait volé de l’argent de poche dans la cachette de ses parents. Le soir de la découverte, le père a appelé tout le monde dans le salon, avec une sorte de cérémonial, il y avait là le frère, la petite sœur, les deux parents et moi-même. Verdict = fessée déculottée devant tout le monde, par le père, et pas qu’une petite fessée, une véritable raclée. À 16 ans ! La correspondante a dû elle-même baisser vêtements et culotte, elle a supplié que je quitte la pièce pour ne pas être punie devant moi, ce que je souhaitais aussi, mais le père a refusé, les deux parents voulaient sûrement l’humilier, et il tenait à ce que j’assiste à la punition. Et j’y ai assisté, du début à la fin. La pauvre, elle avait sûrement mérité une bonne punition, de là à recevoir ce qu’elle a reçu : une magistrale et monstrueuse fessée, cul nu, devant sa correspondante française, sa mère, sa sœur et son frère. Elle avait 16 ans, elle était déjà formée, c’était une petite femme, je pense qu’elle doit encore s’en souvenir… Je ne sais pas si ce fut la dernière, mais j’ai la certitude que ce n’était pas sa première correction, car elle tremblait à l'avance de ce qui allait lui arriver. Je me souviens que j’avais été particulièrement marquée par le côté "ritualisé" de cette fessée, voire "théâtralisé". Chez moi ça avait plutôt tendance à tomber sur le coup, il n'y avait pas de cérémonial.

J’ai longtemps été très marquée par cette fessée de ma correspondante anglaise. C’était nouveau pour moi, je n’avais jamais vécu une fessée en quelque sorte "théâtralisée", avec nudité, et en présence de "témoins".

Qu’est-ce qu’évoque pour vous l’expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et violence éducative ordinaire ?

Souvent l'expression violence éducative évoque les châtiments corporels, et uniquement ceux-ci. Pour moi c’est un tort de se limiter aux seuls châtiments [corporels]. Finalement, je me demande si la violence éducative ordinaire ne commence pas avec de simples brimades, moqueries, insultes, humiliations qui font perdre toute confiance à l’enfant, et plus tard à l’individu. Combien de fois n’ai-je pas entendu "Tu n’es qu’une bonne à rien. Qu’est-ce qu’on va faire de toi..." Une phrase que j’ai entendue au moins une fois par mois pendant au moins 10 ans, si on fait le calcul, j’ai dû l'entendre une bonne centaine de fois. Je vous assure qu’au bout d’un moment, ça finit par vous rentrer dans le crâne, et vous finissez par le croire vous-même. La pédagogie noire en guise de message marketing… 

Autre sujet de réflexion, je me demande si on ne pourrait pas dissocier le V du E. Autrement dit, comment peut-on considérer qu’une violence peut être éducative…

Dernier point, je rajouterai, pour l’avoir vivement connu, le sentiment d’injustice, de différence et de préférence que l’on peut ressentir, et qui est peut-être plus violent que les coups. Quand vous sentez, et vous apercevez, que vos parents préfèrent tel ou tel enfant à vous, c'est d'une violence...

Les insultes aussi peuvent être très violentes, je me souviens d’une fois où le mari de ma mère m’a traitée de "pute" à 17 ans, je l’ai vécu comme une épreuve, une vraie violence. Le pire est que je ne pouvais même pas répondre. M'imaginer lui dire : "Non mais pour qui tu te prends pour m'insulter..." Je m'imagine déjà la volée que j'aurais ramassée.

Avez-vous des objections aux idées développées par l’OVEO ? Lesquelles ?

Oh non, bien, au contraire, continuez !

Comment nous avez-vous connus : site ? livre d’Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autre ?

Par une anecdote. Je parlais avec une collègue, et je lui donnais mon avis au sujet de la fessée sur un enfant. Elle ne conçoit la fessée qu'exclusivement "cul nu"… 

Une "conception" originale, estimant que la fessée se doit d'être rare et exceptionnelle, elle considérait qu’elle devait être particulièrement marquante et humiliante. Pour l’avoir moi-même connue, je me suis confiée à elle pour lui faire prendre conscience de la différence notable qu’il pouvait y avoir entre une fessée où l’enfant reste vêtu, et une autre ou l’enfant se retrouve mis à nu, au moins partiellement. Je peux témoigner que ça ne fait pas du tout le même effet, de surcroît passé un certain âge... Je lui faisais part de ma réprobation totale de cette "méthode" éducative, et encore moins la fessée déculottée. Cette collègue m’a répondu qu’elle en avait déjà parlé avec d'autres personnes de son entourage, et que l'une d'entre elles lui avait conseillé de lire le livre d’Olivier Maurel, avant de procéder de la sorte. J’ai donc effectué quelques recherches suite à cette discussion et je suis tombée sur votre site.

Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l’égard des enfants ?

Oui, cela a renforcé mon idée que corriger un enfant est un signe de faiblesse et de carences éducatives. Il est normal qu’un enfant teste, mais il devient anormal qu’un enfant passe son temps à faire perpétuellement ce qui lui est interdit. Si un parent en arrive à taper un enfant, c’est qu’il y a une carence éducative en amont. Avant d’être moi-même maman, je ne me posais pas beaucoup de questions, je faisais partie de ceux et celles qui pensaient qu'une bonne fessée ne fait pas de mal, bien au contraire, ça remet les idées en place.

Lorsque j’ai eu des enfants, je me suis rapidement aperçue que lorsque l’on se fait respecter, il n’y a pas besoin de corriger un enfant.

Je me souviens encore de la bouille déconfite de mes enfants lorsque je disais non, et que je ne cédais pas. Je m’imaginais alors la tête qu’ils auraient faite si je les avaient tapés, alors qu’ils étaient déjà très tristes et faisaient peine à voir lorsque je disais simplement : "Très bien, ta chambre n’est pas rangée, c’est le bordel, tu ne sortiras pas." Il y avait déjà dans leurs yeux une telle tristesse, que je me disais : "Mon Dieu, s’ils pouvaient s'imaginer la fessée que leur mère aurait reçue pour le même motif... au lieu de faire la tête, il seraient très heureux que je ne cède pas."

Et c'était efficace, dans les minutes qui suivaient, le rangement était effectué, et je n’ai jamais eu besoin de sévir, mon mari non plus. Ne pas donner la fessée ne doit pas empêcher d'éduquer.

 Si vous acceptez de répondre, merci de préciser, sexe, âge et milieu social

Femme, 58 ans, cadre, milieu modeste dans mon enfance, père fonctionnaire, mère secrétaire, milieu plutôt favorisé et aisé désormais.