Il ne peut y avoir plus vive révélation de l'âme d'une société que la manière dont elle traite ses enfants.

Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté.

Colloque 2012 : un espoir pour l’autisme et pour la prise en compte des souffrances de l’enfance

Une douzaine de membres de l’OVEO ont assisté les 12 et 13 octobre derniers au colloque 2012 de la Fédération française de psychothérapie et psychanalyse (FF2P), sur le thème De Socrate aux neurosciences. Contrairement aux colloques 2010 et 2011, le sujet principal n’était pas la violence éducative ordinaire, mais une bonne partie des interventions nous ont donné l’impression encourageante que les souffrances de l’enfance et leurs conséquences sur toute la vie étaient de plus en plus prises au sérieux, d’une part grâce à l’apport théorique des neurosciences sur les effets du stress et des traumatismes (la violence éducative en étant la cause la plus fréquente, et de façon répétée et durable), d’autre part grâce à une réflexion de plus en plus cohérente sur le rôle que peuvent jouer les différentes thérapies.

Mentionnons ici, avant d’y revenir à la fin de ce compte-rendu, l’intervention du Dr Leila Masson, qui nous a communiqué des informations essentielles concernant les nouvelles recherches sur l’autisme, informations très peu diffusées en France***, où l’approche psychologique (ou psychanalytique) et l’approche médicale sur une origine génétique continuent de s’affronter, au détriment du soulagement de la souffrance. Raison pour laquelle nous donnons des détails sur cette communication, bien que la violence éducative et l’histoire familiale n’y soient pas évoquées (si ce n’est que comme un élément parmi des causes multifactorielles1). La violence “éducative” peut également résider dans le traitement infligé (dans les familles, dans les institutions, dans le milieu médical) aux personnes autistes, faute de savoir soulager leurs souffrances. Cela seul serait une raison suffisante pour donner cette information.

Nous avons apprécié le fait que les diverses techniques évoquées (EMDR, IFS – voir notre article –, Lifespan Integration, neurofeedback) se présentent comme des éléments d’une « boîte à outils » qui peut évoluer au cours du temps et s’adapter aux besoins de chaque patient. Cependant, il n’a pas toujours été dit clairement que ces outils ne pouvaient en aucun cas se suffire à eux-mêmes lorsqu’il s’agit de soigner les conséquences non pas d’un traumatisme isolé (voire de plusieurs traumatismes clairement identifiés), mais bien de toute l’histoire d’un patient. Le risque subsiste que le soulagement apporté (dans le meilleur des cas) par ces techniques sur des traumatismes ou des souvenirs particuliers – y compris ceux que la technique elle-même permettrait de retrouver – ne recouvre et n’enfouisse plus profondément d’autres éléments (souvenirs, émotions) qui pourraient un jour ressurgir en force ou de façon plus insidieuse (dépression, maladie). Cela dit sans catastrophisme (c’est à chacun de juger selon son histoire quel est le risque pour lui et ce qu’il recherche) et sans prétendre que tout le monde a besoin d’une thérapie (ce qui supposerait d’ailleurs un nombre de thérapeutes compétents et des moyens qui sont bien loin d’exister2 !).

Ce colloque a été marqué par plusieurs temps forts :

* La présence de Jeffrey Moussaieff Masson, auteur du livre Enquête aux archives Freud (des abus réels aux pseudo-fantasmes), nouvelle édition revue et augmentée de la traduction parue en 1987 sous le titre Le Réel escamoté – où la préface de l’auteur avait elle-même été “escamotée” ! A noter que ce livre est passé inaperçu dans les médias français, contrairement à la correspondance (1904-1938) entre Freud et sa fille Anna, récemment publiée… Le film L’Affaire Freud, déjà vu au colloque 2011, a été projeté le vendredi soir, suivi d’un débat en présence d’Olivier Maurel et de Marc-André Cotton.

* Tout le débat du vendredi après-midi sur la psychanalyse (parmi les intervenants : Michel Cazenave, Brigitte Oriol, Pierre Sabourin sur Ferenczi...).

Brigitte Oriol a raconté pour la première fois (dans le cadre d’un colloque de la FF2P) son parcours, sa rencontre et sa formation avec Alice Miller. Elle a conclu son intervention en insistant sur la question du pardon, obstacle à la guérison. Le pardon n’est pas thérapeutique. Cette idée est difficile à accepter pour beaucoup de gens (dont les thérapeutes eux-mêmes) et souvent mal comprise3.

* Les interventions du samedi matin sur les “psychothérapies humanistes et nouvelles approches”, avec en particulier Pascale Haag sur l’hypnose eriksonnienne, François Le Doze sur l’IFS (voir ci-dessous le point de vue de Françoise Charrasse), Jacques Roques sur l’EMDR.

* Les interventions du samedi après-midi sur les découvertes des neurosciences, en particulier celles de Fabienne Cazalis sur la dépression et de Leila Masson sur l’autisme, sur lesquelles nous revenons plus loin.

Nous avons également apprécié la présentation de Pierre Bohn (auteur avec Corinne Fournier du livre Le Neurofeedback dynamique) sur le “fonctionnement normal du cerveau”, mesuré par son activité électrique. Il en ressort un constat intéressant du point de vue de la violence éducative. En effet, les mesures faites par Pierre Bohn semblent montrer que la relation entre la fréquence et l’intensité des variations de l’activité cérébrale (l'intensité mesurant en quelque sorte la taille de l’événement) n’est pas, comme on aurait pu s’y attendre, une courbe de Gauss (avec aux deux extrémités de la courbe un petit nombre d’événements soit insignifiants, soit énormes, et une fréquence maximale au centre pour les événements de taille moyenne), mais une droite – comme dans le cas des tremblements de terre, des feux de forêts, des orages et d’autres phénomènes “naturels” : les plus petites variations (d’activité du cerveau) sont le plus grand nombre, et ce nombre décroît régulièrement à mesure que l’intensité de l’événement augmente (de façon exponentielle et non directement proportionnelle), avec un très petit nombre de très grandes variations. Et donc, entre les deux, un nombre “moyen” d’événements de taille “moyenne”.

Ce résultat, non encore validé par d’autres études scientifiques portant sur de plus grands nombres, paraît séduisant et finalement logique : comme la nature et comme la société, le cerveau (et le corps en général) semble pouvoir s’adapter rapidement et sans dommages permanents à un grand nombre d’événements de faible intensité, mais il supporterait difficilement un très grand nombre de variations (ou d’événements) d’intensité “moyenne”, donc malgré tout relativement intenses, s’agissant d’une échelle logarithmique4. Cela concorde avec les résultats des études sur les effets du stress et la capacité à le surmonter déjà évoquées sur ce site (voir les interventions de Muriel Salmona et de Françoise Charrasse au colloque 2010 de la FF2P, et l’article d’Adah Maurer Châtiments corporels et réaction d’alarme). Lorsque le stress est à la fois élevé, de longue durée et/ou répété sur une longue période, comme c’est le cas avec la violence éducative physique et psychologique, non seulement la “résilience”, la capacité de résistance et d’accoutumance au stress, décroît (et on pourrait aussi imaginer qu’elle décroît de façon exponentielle et non linéaire), mais les réactions de défense ou de fuite cessent de fonctionner et se transforment en stress traumatique, avec apathie (dépression) et/ou violence destructrice ou autodestructrice.

L’apport des neurosciences aux psychothérapies de la dépression nerveuse

A propos de la dépression, dont nous savons qu’elle est l’une des principales conséquences de la violence éducative, Fabienne Cazalis, membre de l’OVEO, neuroscientifique et éditrice, nous a expliqué les notions essentielles (d’ailleurs pas limitées à la dépression, voir l’intervention sur l’autisme) pour comprendre l’apport de la neurobiologie aux psychothérapies. Ci-dessous quelques éléments que nous avons retenus de son intervention, dont on peut lire un résumé sur le site du colloque.

Unité du corps et de l’esprit : les anciens modèles séparaient approche pharmacologique, basée sur les neurotransmetteurs (sérotonine, dopamine) et l’approche psychologique basée uniquement sur le traumatisme.

Le nouveau modèle est un modèle intégratif, basé sur trois systèmes interdépendants : le système nerveux, dont le rôle est évident (voir par exemple le ventre “deuxième cerveau” en médecine chinoise), le système hormonal (rôle de l’hormone de croissance dans la dépression), le système immunitaire (rôle des cytokines). La prédisposition génétique est un élément parmi d’autres. Le rythme circadien (qui n’est pas purement biologique, mais intègre des facteurs culturels) joue également un rôle dans l’équilibre (homéostasie) et dans les interactions de ces trois systèmes. Mais, au-delà de la variabilité individuelle, les facteurs “environnementaux” jouent un rôle essentiel en modifiant l’expression de certains gènes, en particulier à la naissance, et aussi tout au long de la vie : c’est ce qu’on appelle l’épigénétique.

Le modèle intégratif prend en compte (sans les opposer) à la fois la prédisposition génétique, les facteurs de l’environnement (au sens large), l’exposition au stress précoce (en particulier à la naissance et peu après) et la maladaptation au stress chronique.

Il est important de prendre l’expression “facteurs environnementaux” au sens large : 1/ événements stressants, 2/ toxicité environnementale (pesticides, métaux lourds, dioxine etc.), 3/ déséquilibre alimentaire (rôle direct par la nature de l’alimentation, indirect par la nature de la flore intestinale). Ces facteurs jouent un rôle majeur dans la dépression comme dans l’autisme.

Un nouveau paradigme pour l’autisme

Le Dr Leila Masson, pédiatre à Auckland (Nouvelle-Zélande) (et accessoirement épouse de Jeffrey Masson), s’est spécialisée dans le traitement biomédical des symptômes associés à ce qu’on appelle les “troubles du spectre autistique”. Sa communication était particulièrement importante dans une période où la controverse sur l’intérêt de la psychanalyse pour soigner les autistes fait rage. A noter que, la veille, le psychanalyste Bernard Golse a affirmé qu’aujourd’hui encore, l’autisme ne concernait pas “une personne sur 85”, mais “une sur 10 000”. D’entrée, Leila Masson a réfuté cette affirmation en expliquant que les troubles autistiques (quelle que soit la définition qu’on leur donne et au-delà de toute explication causale) étaient bel et bien en augmentation constante depuis les années 1950 dans les pays industrialisés, tout particulièrement depuis deux décennies, et que cela n’était pas dû à un simple changement de définition (des phénomènes mesurés).

Le “nouveau paradigme pour l’autisme” qu’elle nous a présenté est une approche multifactorielle qui n’exclut ni les causes psychologiques et familiales, ni les facteurs génétiques de prédisposition, mais dont l’apport capital est la prise en compte des facteurs environnementaux (voir ci-dessus intervention de Fabienne Cazalis) dans le déclenchement de l’autisme et/ou des troubles physiques qui lui sont le plus souvent associés (voir son intervention et, pour plus de détails, son site, malheureusement uniquement en anglais).

Selon certaines études récentes, la prédisposition génétique interviendrait dans 38 % des cas.

Les facteurs environnementaux sont multiples. Dans la plupart des cas, une incapacité de l’organisme à se désintoxiquer et des intolérances alimentaires sont associées aux troubles autistiques :

- Pollution de l’environnement en général (de l’air, de l’eau, de la terre, des aliments, de l’habitat) : pesticides, métaux lourds… Le traitement biomédical consiste ici, après analyses appropriées, à apporter des suppléments (vitamines B12, D, zinc, fer…) aidant à la détoxication de l’organisme et à la chélation des métaux lourds…).

- Intolérances alimentaires, en particulier maladie cœliaque (intolérance au gluten) et intolérance aux produits laitiers, dues à une flore intestinale inadaptée, celle-ci ayant elle-même pour origine deux facteurs principaux : les césariennes (qui empêchent la transmission de la flore intestinale de la mère au nouveau-né au moment de l’accouchement), l’absence d’allaitement (le lait dit “maternisé” est stérile, il ne contient ni bactéries, ni anticorps).

Ajoutons (du point de vue de l’OVEO) qu’il s’agit bien de considérations scientifiques n’ayant rien à voir avec la “morale” : si un accouchement ou un allaitement naturels n’ont pas été possibles ou n’ont pas eu lieu, quelle qu’en soit la cause, justifiée ou pas, c’est une raison supplémentaire de chercher à traiter les conséquences physiologiques par un traitement biomédical approprié, ici régime sans gluten avec suppression des produits laitiers (la réintroduction éventuelle de ces produits restant à voir selon les cas). D’autre part, ces intolérances alimentaires jouent un rôle dans d’autres troubles, en particulier l’hyperactivité (actuellement soignée essentiellement par des prescriptions de Ritaline…).

- Un autre facteur d’intoxication est la vaccination. Leila Masson signale dans sa communication au moins un cas de régression autistique constaté dans son entourage à la suite du vaccin ROR. Elle-même ne se dit pas contre la vaccination en général, mais précise qu’elle ne doit pas être pratiquée sur des nouveau-nés (pas avant 15 mois, voire 2 ans, à cause de l’immaturité du système immunitaire), ni en associant plusieurs vaccins5).

Selon Leila Masson qui a pu le vérifier dans sa pratique, le traitement biomédical (régime et supplémentation) améliore remarquablement l’état de souffrance physique des enfants autistes dans 70 à 75 % des cas, avec pour conséquence un changement très rapide de leur comportement et de leurs relations.

Le traitement biomédical avec modification du régime alimentaire et supplémentation est donc une priorité, avant même (ou au plus tard en même temps que) toute mesure “éducative” et/ou psychothérapeutique. Espérons que cette intervention du Dr Leila Masson aura des conséquences pratiques sur la prise en charge de l’autisme en France. Nous avons essayé ici d’y contribuer.

Le changement de paradigme signifie, pour l’autisme comme pour d’autres maladies, qu’il est temps de passer de l’opposition à la coopération entre les différentes approches, corps et esprit, génétique et épigénétique, psychologie et médecine, sans compter les multiples “outils thérapeutiques” qui ne cessent d’évoluer sans que pour autant un seul les remplace tous ou ne soit adapté à tous les cas, et sans que ces outils ne remplacent la parole et la relation de confiance entre patient et thérapeute.

En conclusion de cette intervention de Leila Masson et de l’ensemble du colloque, on pourrait dire, en reprenant l’expression d’Alice Miller, que ce qui compte est la “réalité des faits” : il existe un espoir de soulager (par la thérapie ou, mieux, par la prévention !) les souffrances des êtres humains, mais cela nécessite une écologie sociale prenant en compte à la fois la violence éducative dans les familles, la violence sociale et politique des idéologies et des institutions, et la violence écologique rendue possible par ces deux formes de violence (qui causent perte d’empathie et de sensibilité, goût du pouvoir, sadisme et folie des grandeurs, et à l’inverse soumission à une autorité absurde et violente). Il n’y a pas lieu d’opposer entre elles les différentes formes de souffrance ni les moyens d’y remédier : il y a toujours des interactions, des causes concomitantes (histoire familiale et personnelle ; prédisposition et variation individuelle, d’ailleurs elles-mêmes évidemment héritées d’une histoire ; facteurs “environnementaux”). Même si la démarche scientifique consiste à démêler les relations de cause à effet sans prendre l’effet pour la cause – comme c’est trop souvent le cas lorsqu’on se contente de résultats statistiques, qu’il s’agisse de psychothérapie ou d’études sur la violence (voir sur ce sujet le livre d’Olivier Maurel).

Catherine Barret, membre de l’OVEO.

(Merci à Fabienne Cazalis, à Françoise Charrasse et à Sandrine Morin pour leurs remarques.)


*** Une nouvelle information diffusée le 11 décembre 2012 dans les médias fait état d'une étude clinique de l'Inserm menée au CHU de Brest sur l'utilisation d'un diurétique pour réduire la concentration trop élevée de chlore intracellulaire dans le cerveau, qui interviendrait dans les symptômes de l'autisme, avec les résultats suivant : « Pour 90 % des enfants, des améliorations ont été observées. Mieux. Sur 20 à 30 %, notamment sur les Asperger (autisme dit de haut niveau) les résultats ont été "magnifiques", selon le docteur Lemonnier. "Les troubles autistiques avaient quasiment disparu." Cependant, à l’arrêt du traitement, les symptômes reviennent. » (Source : Ouest-France).
Cette étude confirme amplement l'intérêt des analyses biomédicales. Les auteurs de l'essai clinique affirment malheureusement que « c’est la première fois qu’un traitement agit directement sur les symptômes de l’autisme ». De plus, il faut noter que les effets positifs du traitement biomédical proposé par le Dr Masson (sans exclure d'autres traitements) sont durables, et que ce traitement peut se prolonger sans aucun effet secondaire. A l'inverse, on peut s'inquiéter des effets secondaires, surtout à long terme, d'un traitement par un diurétique...
Une autre piste évoquée récemment dans les médias : le traitement par l'ocytocine. Là encore, notons que cela rejoint les conclusions du Dr Leila Masson, qui, parmi les facteurs environnementaux, cite l'accouchement par césarienne et/ou l'absence d'allaitement (source naturelle d'ocytocine). De plus, l'administration d'ocytocine extérieure entre en conflit avec la production de cette hormone par le cerveau, au lieu de le stimuler pour qu'il la produise lui-même. Il est donc difficile d'y voir une solution à long terme, et surtout un remède autre que symptomatique.


1. Mais comment identifier clairement le rôle réel de la violence éducative et de l’histoire familiale (les “causes psychologiques”) dans l’étiologie d’une maladie quelle qu’elle soit, sans identifier et écarter les autres causes possibles et d’ailleurs associées ? Il s’agit donc bien ici d’informer sur ces autres causes, et non de mettre en concurrence les différents facteurs, “psychologiques”, “environnementaux” et autres.
2. Rappelons à ce sujet que l’OVEO en tant que tel ne préconise ni ne recommande aucune thérapie en particulier, et ne dispose pas de liste de thérapeutes, même si les adhérents peuvent contacter à titre personnel des membres de l’OVEO eux-mêmes thérapeutes – voir sur le site d’Alice Miller l’article Comment trouver le/la thérapeute qui me conviendra ?
3. Je souhaitais intervenir à titre personnel (et il est significatif que je n’aie pas pu le faire) pour préciser cette question du pardon, qui avait suscité une réaction indignée dans la salle. Il ne s’agit pas de dire que l’on doit rester toute sa vie dans le conflit avec ses parents, ce qui serait une façon d’entretenir la dépendance affective (et le conflit obligatoire serait aussi peu thérapeutique que le pardon obligatoire !). Le mot “pardon” est ambigu, car il a au moins deux significations dont les implications sont contradictoires. Non seulement il n’est pas nécessaire de “pardonner” pour être en paix avec soi-même, sortir de la culpabilité, s’aimer soi-même et être capable d’aimer les autres, mais “pardonner” dans une démarche thérapeutique, sans s’être réellement libéré des émotions refoulées de colère et de tristesse de l’enfance, c’est s’exposer presque immanquablement à leur retour sous forme de maladie, de dépression et/ou de violence.
C’est bien évidemment en ce sens, et non au sens où il faudrait rester en conflit toute sa vie, qu’Alice Miller rejette la notion de pardon et la considère comme dangereuse (tout comme est dangereuse l’obligation moralisatrice de conserver des relations lorsqu’on ressent la nécessité d’une rupture, provisoire ou définitive, pour se retrouver soi-même). Le mot “pardon” devrait donc être soigneusement banni de toute démarche thérapeutique, et on constate d’ailleurs que ce sont souvent les thérapeutes qui le soufflent à leurs patients qui n’y songeaient pas eux-mêmes spontanément, ou qui les encouragent dans cette voie (y compris les psychanalystes adeptes du parent “suffisamment bon”). Le but de la thérapie (éventuellement de l'autothérapie) n'est pas le pardon, mais bien la guérison. Voir dans notre article sur le film Amour et châtiments la note 1 à propos du pardon.

4. Voir par exemple l’échelle de Richter qui mesure les tremblements de terre : l’intensité d’un tremblement de terre de force 3 par rapport à la force 1 n’est pas multipliée par 3, mais par 103 = 1 000, de force 6 par 106, etc.
5. Sans nous prononcer sur le principe même de la vaccination, ce qui n’est pas le rôle de l’OVEO, ajoutons simplement que les adjuvants impliqués (aluminium) sont également mis en cause dans des maladies dégénératives ou auto-immunes (Alzheimer, sclérose en plaques…), même si ces maladies ont elles aussi des causes multifactorielles, comme l’autisme et à plus forte raison la dépression, où le rôle de la violence éducative est évident, comme l’a montré Alice Miller (voir par exemple son article La dépression ou l’art de se leurrer).


Système familial intérieur (IFS)

Par Françoise Charrasse, thérapeute, membre de l’OVEO

Le modèle de psychothérapie présenté par le Dr Le Doze au colloque de la FF2P me semble particulièrement intéressant. Il s’agit de l’IFS (Internal Family Systems) qui a été élaboré par le psychothérapeute américain Richard C. Schwartz7) et introduit en France par François Le Doze, neurologue et psychothérapeute au CHU de Caen.

Le modèle théorique repose sur l’idée que nous sommes composés de plusieurs instances psychiques, comme l’avait envisagé Freud avec le Ça, le Moi et le Surmoi et comme chacun de nous peut le ressentir. Nos sous-personnalités agiraient à l’intérieur de nous comme les membres d’une famille, chacune ayant une fonction au sein de notre système interne. Le « Self », notre moi conscient, est normalement le chef quand tout va bien. Quand un individu est blessé dans son jeune âge, l’expérience douloureuse va atteindre ses parties les plus fragiles. Si le Self n’a pas pu encore se développer suffisamment pour être maître de la situation et aider ses parties vulnérables à surmonter les blessures, des parties de lui-même que Schwartz nomme les « Managers » vont protéger le Self en l’écartant des instances blessées qui de ce fait, vont se trouver « exilées ». Les « Pompiers » interviennent promptement et sur une courte durée en cas de crise (situation qui ravive les blessures). Ils répriment les émotions des Exilés. Plus ceux-ci sont opprimés, rejetés dans l’inconscient, plus ils cherchent à se faire entendre et à se faire aider par d’autres. Pour se faire entendre, ils utilisent la voie des cauchemars, de l’angoisse, de différents symptômes…

Dans la situation thérapeutique, le travail consiste à identifier les différentes sous-personnalités du patient avec lui afin qu’il puisse parler avec ses Managers, (par exemple Le Contrôleur, le Juge, le Battant…) et que ceux-ci acceptent de changer de rôle quand la fonction actuelle est néfaste au rapprochement du Self et des Exilés. Pour que le Self puisse prendre le contrôle du système, les Managers et les Pompiers doivent relâcher leur emprise qui isole l’individu de ses parties blessées. Quand le Self aura pu reprendre contact avec les Exilés, il pourra veiller sur eux, panser leurs blessures, les rassurer et l’individu se sentira entier, confiant en lui-même.

L’IFS est compatible avec les connaissances actuelles en neurosciences. Quand les besoins fondamentaux d’un enfant ne sont pas satisfaits, quand les interactions avec son entourage sont insuffisantes ou nocives, les connexions entre les systèmes neuronaux impliqués dans les émotions et le cortex préfrontal ne s’effectuent pas correctement.

Le cortex préfrontal est responsable notamment de la prise de conscience des émotions et de leur gestion. Il est le substrat biologique du Self. Si les connexions entre ces deux zones cérébrales ne sont pas bien établies à cause de stress répétés et prolongés, particulièrement pendant l’enfance, le système émotionnel est isolé et fragilisé, il correspond aux Exilés de l’IFS.

Quand un individu est soumis à un stress intense qu’il subit sans possibilité de se protéger, des opioïdes sont sécrétés dans son cerveau. L’anesthésie qui en résulte contribue à la coupure entre le cortex préfrontal et le système émotionnel. La personne n’est plus en lien avec ses propres émotions.

Le modèle théorique de l’IFS est compatible également avec les découvertes d’Alice Miller. L’importance du « témoin lucide » en cas de traumatisme chez l’enfant est prise en compte. L’évènement douloureux nous blesse et devient un traumatisme quand personne n’est là pour exprimer son empathie à notre égard, nous aider à comprendre le sens de l’évènement. Si nous sommes réconfortés et rassurés quant à notre propre valeur, la souffrance ne se transformera pas en traumatisme, nous garderons la capacité à nous guérir nous-mêmes et l’estime de nous-mêmes. En termes d’IFS, notre Self gardera la direction du système psychique et il n’y aura plus d’Exilé. Les parties blessées seront immédiatement secourues par le Self.

Cette thérapie me semble avoir pour but ce que visait Alice Miller et qui est également l’orientation de ma pratique de « Reconnexion émotionnelle », à savoir, le rétablissement du contact avec l’enfant blessé, non par une recherche intellectuelle mais par une démarche qui implique toutes les dimensions de l’individu. N’ayant pas expérimenté moi-même cette thérapie, je ne peux pas encore savoir si elle permet de se libérer en profondeur des traumatismes subis dans l’enfance, ni s’il est possible, au cours des séances, d’exprimer, entre autres émotions, toute la colère étouffée à l’égard de ceux qui nous ont blessés. C’est une question que je compte aborder prochainement avec François Le Doze.

La profondeur de la recherche et l’approche empathique des deux thérapeutes chercheurs incitent à porter une attention particulière à cette méthode.


7. Ouvrage de Richard C. Schwartz avec la coordination scientifique de l’édition française de François Le Doze : Système Familial Intérieur : Blessures et guérison.


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