La violence n'est pas innée chez l'homme. Elle s'acquiert par l'éducation et la pratique sociale.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

L’Histoire de la fille d’une mère qui devient la mère d’une fille qui ne sera pas mère

L’Histoire de la fille d’une mère qui devient la mère d’une fille qui ne sera pas mère est un seule-en-scène, traitant de la transmission de traumatismes et de relations parent-enfant ordinairement violentes. Émilie Alfieri y campe tour à tour le rôle de chaque femme de cette lignée sur trois générations.

La performance d’Émilie Alfieri a impressionné plusieurs de nos membres qui ont pu assister à une représentation captée en 2018. Son jeu est précis et parfaitement nuancé. Les dialogues – dont on n’entend qu’une voix mais qui permettent de deviner tout le contexte – sont percutants et justes. La mise en scène sobre et astucieuse est particulièrement efficace. 

L’Histoire de la fille d’une mère qui devient la mère d’une fille qui ne sera pas mère est une pièce qui ne peut qu’émouvoir, voire bouleverser le/la spectateur·rice selon la résonance avec sa propre histoire familiale. 

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À propos des méthodes et autres solutions

Par Amandine C., membre de l'OVEO 1

Photo de Takacs Alexandra sur Unsplash

Il en va de l’éducation comme de la santé, des régimes alimentaires ou encore du jardinage : si l’on rencontre une difficulté et que l’on cherche à la résoudre, les conseils des « spécialistes » pleuvent et il n’y a souvent qu’un pas à faire pour croire que ce serait LA réponse à appliquer pour voir s’estomper cette difficulté à coup sûr. Du coup, lorsque les résultats restent décevants, on se dit que la méthode n’est pas « la bonne », ou qu’on ne la maîtrise décidément pas etc. On reste alors dans cet épuisant et incessant questionnement : que puis-je/dois-je FAIRE de plus ?!

Si l’on peut s’amuser (et souvent s’horrifier!) des « recettes » éducatives (ou sanitaires) et de leurs foisonnements plus ou moins farfelus au fil du temps, des époques et des cultures (cf. par exemple L’Art d’accommoder les bébés, de Delaisi-Perceval et Lallemand), il n’en reste pas moins que le besoin de réponse reste toujours très prégnant, à croire que « LA » clé d’une meilleure harmonie générale se dérobe sans cesse, ou que nous ne maîtrisons toujours pas assez bien telle ou telle méthode/technique, qu’il faut encore ajouter des formations, trouver toujours de nouveaux maîtres…

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  1. Nous ne publions qu'aujourd'hui cet article écrit en 2017 par cette adhérente que son état de santé (EHS/MCS) empêche depuis 4 ans de participer à nos discussions connectées... Article toujours d'actualité dans une période où les médias relancent le débat sur les méthodes dites alternatives, la "parentalité positive" etc., vs. le bon vieux "time-out" et la punition.

    Lire d'autres articles d'Amandine : La violence obstétricale ordinaire, séquelles et prémisses de la violence éducative ordinaire (2017) ; Est-il juste de restreindre la liberté d'instruction ? (2016) ; A propos du « nouvel » enseignement civique et moral destiné aux élèves et Communiquer avec les nouveaux-nés, un moyen de prévenir la maltraitance (2015).[]


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Lettre ouverte à Caroline Goldman à propos de son interview dans Le Monde

Par Olivier Maurel, février 2023

« Voici la lettre que j'aurais voulu envoyer à Caroline Goldman en réponse à son interview dans Le Monde. Mais je ne trouve ni son adresse d'e-mail ni son adresse postale. Donc je la jette comme une bouteille à la mer. Peut-être qu'elle lui parviendra. »


Madame,

Quelques réflexions me sont venues à l'esprit en lisant votre interview dans Le Monde et je me permets de vous en faire part.

Je ne jetterai certainement pas la pierre à un parent qui, fatigué, excédé, exaspéré, envoie son enfant dans sa chambre parce qu’il ne sait pas que faire d’autre et qu’il ne veut pas lui donner une gifle ou une fessée.

Mais qu’une psychologue réputée comme vous recommande aux parents comme « idéale » une méthode de règlement de conflit qu’il lui serait impossible d’appliquer sans risque à un adulte qu’elle supporterait mal, il y a de quoi être étonné.

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De l’enfant protégé à l’enfant corrigé, ou comment l’humanité est devenue maltraitante

Le nouveau livre d'Olivier Maurel, De l’enfant protégé à l’enfant corrigé, ou comment l’humanité est devenue maltraitante, est paru en novembre 2022 aux éditions de L’Harmattan.

Lire ci-dessous le compte-rendu de ce livre par Gabriel, membre de l'OVEO (d'autres commentaires pourront être publiés par la suite), suivi d'un extrait de l'avant-propos et de la table des matières du livre.

Voir aussi notre revue de presse de novembre 2022.


Toutes les nations sauvages de ces quartiers (c’est-à-dire du Québec), et du Brésil, à ce qu’on nous témoigne, ne sauraient châtier ni voir châtier un enfant. [...] Que cela nous donnera de peine dans le dessein que nous avons d’instruire la jeunesse !” 

C’est par ces mots de Paul Le Jeune, prêtre jésuite et missionnaire français au Canada qu’Olivier Maurel décrit cette tâche qui semble encore impossible à de nombreux adultes aujourd’hui : instruire sans punir.

Après des millénaires de violences infligées aux enfants, l’humanité semble avoir oublié que faire subir aux enfants des traitements parfois proches de la torture n’est pas dans sa nature.

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Autorité adulte, conséquences vécues

Je suis né français en 1957 d'un père espagnol rescapé des camps de la mort nazis en 1945. Il m'a infligé une éducation très violente, semblable à la cruauté de ses anciens bourreaux. Interdiction de pleurer, de parler, de courir, de lire, de jouer en sa présence et aussi d'uriner et de déféquer sauf en dehors de la maison. Bien sûr, pour "m'apprendre à obéir" j'avais droit à une punition préventive quotidienne : il me jetait nu sur le lit et me frappait à coup de ceinture. A l’extérieur il bénéficiait d’une haute considération : travailleur courageux et consciencieux, père de famille qui montre le droit chemin à ses enfants.

À l'âge de six ans je suis entré à l'école et j'ai eu le malheur d'être reçu par une institutrice pédocriminelle 1. Je n'ai rien dit car j'avais ordre de mon père d'obéir à la maîtresse et aussi interdiction d'adresser la parole à un adulte.  Elle a pu continuer...

Un étau de honte, de douleur et de terreur est la totalité de mon enfance. À l’âge de sept ans j’ai tenté de me suicider par noyade. Malheureusement, par hasard, un jeune homme a aperçu le petit corps inerte et a cru bon de le repêcher. Par miracle et à mon grand désespoir je suis revenu à la vie, c’est-à-dire face à l’horreur totale.

Petit de taille et d'âge (j'ai eu un an d'avance jusqu'en terminale), extrêmement timide et peureux, j'ai constamment été torturé physiquement par des garçons et moralement par des professeurs de collège de la sixième à la troisième. Ce sadisme s'est arrêté en classe de première au lycée mais mon père a maintenu la terreur jusqu'au jour de mes dix-huit ans, jour où je me suis enfui pour résider dans une autre ville.

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  1. Pédosexuelle-criminelle-garçon dans ma terminologie psychologique.[]

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Des enfants « victimes » d’une parentalité « exclusivement empathique »… ou comment faire passer la domination des adultes pour un droit fondamental des enfants

Un débat incomplet

Le 28 octobre 2022, deux tribunes quasiment similaires ont été publiées, l’une dans Le Figaro (La dérive de la parentalité “exclusivement” positive doit être dénoncée), l’autre dans La Libre Belgique : La parentalité exclusivement positive ne respecte pas le développement psychologique de l’enfant.

Caroline Suchard @caroline_suchard

Avec bien peu de nuances, les textes opposent de manière caricaturale le « bon sens » d’une éducation que nous pourrions qualifier de traditionnelle au pseudo-laxisme d’une éducation « exclusivement » « positive » ou « bienveillante », accusant même cette dernière de contrevenir aux droits de l’enfant.

Les signataires s’indignent :

Quand va-t-on se rendre compte que cette parentalité qui veut faire l’économie de l’éducation est un manquement grave aux droits des enfants ? Quand va-t-on accepter que les bonnes intentions de cette parentalité-là ne sont pas suffisantes pour la valider ?

Dans un contexte de remise en cause potentielle par le Conseil de l’Europe du « time-out » comme méthode éducative 1, il nous semble que ces levées de bouclier sont symptomatiques d’une difficulté – voire d’une impossibilité – à concevoir le rapport parents-enfants autrement que comme un rapport de domination, autorisant de fait toutes les manipulations jugées utiles à l’obtention d’un résultat souhaité.

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  1. Dans une brochure de 2008 sur la « parentalité positive », le Conseil de l’Europe préconise entre autres la mise à l’écart temporaire (« time-out ») comme alternative aux châtiments corporels. L’éventualité de cette suppression fait débat (voir ces articles du 12 octobre 2022 dans Le Parisien et du 14 octobre dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace).[]

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Comment accepter, supporter d’avoir des parents fous ?

Je rencontrais pour la première fois un témoin lucide, j’avais trente-cinq ans ! Jusque-là je ne parlais pas de ma vie. D’un côté je n’allais pas me plaindre, je n’avais pas été enfermée dans un placard ni attachée à des chaînes, je n’avais pas été violée, je n’avais pas été frappée tous les jours. Somme toute, mon enfance me semblait assez ordinaire, peut-être une sorte de malédiction, une mauvaise fée ayant dû se pencher sur mon berceau : c’est la vie quoi ! D’un autre côté, je n’en parlais pas non plus car les maigres tentatives pour l’évoquer faisaient surgir devant moi un regard fuyant, un silence encombré, une pirouette de mots légitimant le fait que, ma foi, c’est comme ça qu’on « dresse » les enfants. Alors je me suis tue. Il semble que par là je me suis tuée, aussi. 

Il fallut une femme, médecin de campagne, devant laquelle mon débit de parole ne sut s’arrêter. Les images souvenirs dans la tête, j’osais quelques mots et là, pour une fois, j’eus face à moi une écoute, une porte qui s’ouvrait, sans autre forme de « jugement » qu’un regard horrifié. Je vis dans son regard le reflet pur d’un réel : ce que fut mon enfance. Premier éclair de lucidité, ce que j’avais vécu et ce que je vivais par ricochet était purement et simplement de la maltraitance, de la violence, une sorte de folie admise et tue tout autant que mon être flottant jusque-là dans le silence.

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9 « signes d’alerte » pour détecter un contexte violent ?

Campagne "Aimer sans abuser", Paris, octobre 2022.

La marque Yves Saint-Laurent Beauté a collaboré avec l’association En avant toute(s) pour concevoir une campagne nationale de sensibilisation contre les violences conjugales 1Aimer sans abuser 2. Les informations disponibles sur le site de l’association laissent penser que la campagne existe depuis 2020, mais force est de constater qu’elle a été très peu visible et identifiée : plusieurs déclinaisons de supports semblent exister, mais le spot vidéo publié en 2021 sur la chaine YouTube de l’association ne cumule à l’heure actuelle que 307 vues (!) et un autre, publié en février 2022 sur la chaine YSL Beauty, n’affiche à ce jour que 114 vues.

C’est dans les rues de Paris qu’une adhérente de l’OVEO a repéré une affiche assez minimaliste représentant un symbole de cœur qui se brise sur lequel ces « 9 signes d’alerte » sont listés 3 :

  • N°1 – IGNORER
  • N°2 – LE CHANTAGE
  • N°3 – L’HUMILIATION
  • N°4 – LA MANIPULATION
  • N°5 – LA JALOUSIE
  • N°6 – LE CONTRÔLE
  • N°7 – L’INTRUSION
  • N°8 – L’ISOLEMENT
  • N°9 – L’INTIMIDATION

Pour qui a identifié la violence éducative ordinaire et le concept de domination adulte, alerter sur ces 9 points pour définir un contexte violent prouve l’incroyable dissonance cognitive de la majeure partie de la population, tant chacun de ces concepts correspond à ce que l’éducation impose chaque jour aux enfants et adolescents.

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  1. YSL Beauté a fait appel à l’agence BETC Étoile Rouge pour lancer une campagne internationale ; le programme s’associe à des associations locales dans chaque pays « afin de s’assurer de la pertinence du discours en fonction des différences culturelles ». Nous ne soulèverons pas ici l’énorme paradoxe qu’une marque de produits de beauté s’attaque à la violence conjugale, l’injonction à la beauté participant activement au continuum de la violence exercée sur les femmes. Détails de la campagne sur le site Yves Saint-Laurent Beauté. En avant toute(s) est une association née en 2013, travaillant à la prévention, au soutien et à la recherche autour de la violence au sein du couple et de la famille.[]
  2. Comme le fait remarquer Caroline de Haas dans la formation NousToutes sur les violences sexistes et sexuelles, le terme d’« abus », souvent employé en cas d’agression ou de viol d’enfant (« abus sexuel »), est problématique car il n’est pas qualifié juridiquement (de même qu’« attouchement » ou « frotteur ») et semble surtout laisser penser qu’un certain seuil reste acceptable. En effet, si l’on peut « abuser » du chocolat, considérer que l’on puisse « abuser » d’un enfant impliquerait qu’il serait légitime de l’utiliser « un peu » ou de manière raisonnable ; « abuser » de violence signifierait qu’un peu de violence reste acceptable. Ici, la formulation de la campagne, « Aimer sans abuser », interroge : faut-il comprendre qu’il ne faut pas abuser d’amour, ce qui serait semble-il dangereux uniquement si l’on persiste à croire que la violence est une composante de l’amour (spoiler alert : c’est faux !) ; ou faut-il aimer sans abuser des 9 points cités : n’user que d’un peu de jalousie, de manipulation et de contrôle ?… Il semble que la campagne vise les jeunes adultes, habitués à se « vanner », et peut évoquer l’image du « lourdaud » bourré en soirée, le gars dont on va dire le lendemain matin qu’il « abuse » parce qu’on n’ose pas qualifier plus fortement ses agissements. Pour être efficace, un titre de campagne doit « bien sonner » ; il aurait pourtant mieux convenu d’affirmer « Aimer sans agresser » ou « Aimer sans violence ».[]
  3. Le listing numéroté peut laisser penser qu’il y a une progression dans la violence des agissements (l’ordre semble le même sur chaque affiche). Bien entendu, il ne s’agit pas d’une aggravation mais bien d’un ensemble de comportements problématiques, les premiers autant que les derniers.[]

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Déclaration de philosophie de l’OVEO – Avril 2021

Illustration Gregory Nemec
Illustration : Gregory Nemec, Teachers College Reports, Columbia University, vol. 3, n° 1, hiver 2001 (www.nospank.net).

Violence éducative ordinaire : au-delà des gestes, des mots, un système de domination à déconstruire

À ce jour, la loi du 10 juillet 2019 d’interdiction des violences éducatives ordinaires n’a pas encore été suivie de mesures précises (non-prise en compte dans le plan de lutte contre les violences faites aux enfants, pas de campagne d’information de grande ampleur…). Il s’agit pourtant d’un enjeu central, dans un contexte sanitaire qui met à mal la situation des enfants (augmentation des violences intrafamiliales, difficultés psychologiques, violences institutionnelles…).

Cet enjeu de société est dans la plupart des cas envisagé sous l’angle d’une série de gestes ou d’attitudes qu’il s’agirait de bannir de l’éducation (« les » violences éducatives ordinaires). Bien souvent, le principe de l’obéissance aux adultes n’est pas remis en question, aboutissant parfois à des conseils éducatifs relevant de la manipulation. En cela, les neurosciences, aujourd’hui mises en avant, peuvent malheureusement être utilisées dans le but que les enfants se conforment plus facilement aux demandes des adultes.

Or, la notion de violence éducative ordinaire va plus loin : il s’agit bien d’une violence systémique, relevant d’une logique de domination des adultes vis-à-vis des enfants. Ce système de domination apparaît d’autant plus difficile à déconstruire qu’il est considéré par la société comme normal, voire naturel. Ce schéma de pensée influence notre rapport au monde, notre rapport aux autres, notre rapport à nous-même, entretenant les mécanismes de la violence. À noter qu'il est particulièrement à l’œuvre dans les affaires de pédocriminalité et d’inceste (soumission inconditionnelle à l’autorité de l’adulte, enfants qui ne sont pas écoutés, pas crus…).

À travers cette déclaration de philosophie, l’OVEO entend clarifier ce qui constitue son ADN – la dénonciation de toutes les formes de violences, et la déconstruction des principes de supériorité et de domination des adultes vis-à-vis des enfants – et mettre en lumière les ressorts de cette violence systémique, dont la prise de conscience sociétale reste encore à venir.

Notre déclaration de philosophie – Avril 2021 (pdf)

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