Il est urgent de promouvoir la culture du respect de l’enfant comme “ultime révolution possible” et comme élément fondamental de transformation sociale, culturelle, politique et humaine de la collectivité.

Maria Rita Parsi, psychologue italienne.

Analyse juridique : les critères que doivent contenir la loi pour que la France soit abolitionniste, et les enfants protégés en tous lieux

Six critères nécessaires pour que la France soit considérée comme abolitionniste

Critère 1 – Loi civile et non pénale : le but est de poser un interdit explicite, un repère clair

Il est souhaitable, au vu de la pratique quantitativement importante des châtiments corporels en France, d’inclure cette interdiction dans le Code civil, comme d’autres pays l’ont fait, et non dans le code pénal.  L’objectif de cette loi n’est pas de punir, mais de marquer clairement l’interdit du recours à toute forme de violence contre les enfants, y compris à des fins éducatives. Les études montrent que cette prise de conscience fera baisser la violence.

Le code pénal, en particulier l’article 222-13, prévoit déjà des sanctions en cas de violences exercées à l’encontre de l’enfant, même légères (sans ITT : interruption temporaire de travail). Il n’est donc pas nécessaire de prévoir de nouvelles sanctions.

Suite au vote de la loi, si des cas étaient portés en justice, il pourrait majoritairement en ressortir des rappels à la loi, des amendes, des versements de dommages et intérêts ou des obligations de suivre un stage de responsabilité parentale. Il faudra privilégier les interventions de prévention centrées sur l’enfant : l’accent doit être mis sur l’accompagnement et le soutien de la famille. L’idée est de faire du cas par cas dans le meilleur intérêt de l’enfant et dans le but d’aider la famille. Cela va de pair avec la formation des professionnels.

À noter : Comme élément de langage, comme nous venons de le voir, nous ne pouvons pas dire que c’est une loi uniquement “symbolique”. Par contre, on peut dire qu’elle est éthique.

À noter : Nous avons interrogé le ministère de la Famille à Stockholm : dans les 2 ans qui ont suivi le vote de la loi en 1979, il n’a pas été constaté une augmentation massive des signalements, comme certains pourraient le craindre. Une augmentation du nombre de signalements n’est pas forcément négatif – tous les cas de violences ne sont pas aujourd’hui signalés du fait que la loi ne les interdit pas clairement dans tous contextes. Les individus hésitent donc à signaler des situations qui sont quand même problématiques.
Il faut voir cette interdiction comme une opportunité de protéger plus d’enfants de comportements problématiques, mais cela doit aller de concert avec un renforcement des services sociaux, qui doivent suivre une formation sur le but de la loi (positive et non pénalisante) et avoir des mécanismes clairs en place.

À noter : Contrairement aux 5 autres critères qui vont suivre et qui seront étudiés par l’ONU et Global Initiative to End All Corporal Punishment of Children pour considérer la France comme pays abolitionniste, celui-ci n’est pas obligatoire : l’association internationale précise que la loi peut indifféremment être votée au civil ou au pénal, du moment que le texte soit  suffisamment contraignant et précis sur les autres critères. Ce critère est donc ajouté pour la France au vue de la situation française précitée.

Comme l’a parfaitement expliqué Michel Huyette, magistrat, ancien président de la cour d’assises de Haute-Garonne 1., l'interdiction par principe de tous les châtiments corporels présente plusieurs avantages :

  • Il n'existe qu'un seul message, clair et sans aucune ambiguïté.
  • Le message n'est pas diffusé que certaines violences sont permises sur les enfants.
  • La question de la limite des violences autorisées et interdites ne se pose pas.

Critère 2 – Mention explicite des châtiments corporels ou des punitions corporelles et pas uniquement des violences physiques

...car souvent, les punitions corporelles et humiliations ne sont pas perçues comme de de la violence...

Au sens commun, la violence physique ou corporelle est plutôt assimilée à la notion de “maltraitance”, déjà condamnée par le juge. Selon Global Initiative, il n’est pas utile de faire une différenciation entre les châtiments corporels et la maltraitance – la majorité des actes considérés comme maltraitance sont à caractère disciplinaire et donc des châtiments corporels. En France, aujourd’hui, les adultes  qui recourent à des punitions physiques (fessée, claque, pousser, tirer…), ne reconnaissent pas ces actes comme de la violence. Ainsi, l’usage de l’expression “violence physique” dans la loi, si elle était employée seule, ne permettrait pas au juge d’avoir un texte suffisamment explicite donnant une garantie juridique suffisante, ni à la France d’être considérée comme pays abolitionniste. L’amendement à la loi Egalité et citoyenneté, voté en dernière lecture en décembre 2016, comportait cet écueil.

Cependant, il est nécessaire de conserver le terme de violence en plus de châtiment corporel, car en droit français, le concept de violence a été largement éclairé par la jurisprudence et figure, sous cette appellation, dans le code pénal.

La notion de “châtiment corporel” est ainsi définie par le Conseil de l’Europe :

« le châtiment corporel est la forme de violence la plus répandue employée à l’encontre des enfants. Ce terme recouvre tout châtiment impliquant l’usage de la force physique et visant à infliger un certain degré de douleur ou de désagrément, aussi léger soit-il. C’est là une violation des droits de l’enfant au respect de la dignité humaine et de l’intégrité physique. »

À noter : Cette définition est la même que celle du droit international (Comité des droits de l’enfant).

Juridiquement, les notions de châtiments et de punitions corporelles sont équivalentes. L’usage de l’un de ces deux termes sera reconnu par les instances internationales (ONU et Conseil de l’Europe). Cependant, la notion de punition corporelle sera sans doute mieux comprise du grand public français que la notion de châtiment corporel, qui semble renvoyer à des actes plus violents (avec objet par exemple).
Enfin, il est préférable de choisir un des deux termes entre “punition corporelle” et “châtiment corporel” : le doublon des deux termes juridiquement équivalents apporterait un flou.

À noter : L’amendement à la loi Egalité et citoyenneté votée en 2016 précisait l’exclusion du recours à “tout traitement cruel, humiliant et dégradant”. Ces termes font référence à l’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui impose aux États parties de veiller à ce que « nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Nous savons que toute punition corporelle est au minimum humiliante et dégradante. L’observation générale n°8 du Comité des droits de l’enfant fait référence à l’article 37 dans le titre. C’est également repris dans la définition :

« De l’avis du Comité, tout châtiment corporel ne peut être que dégradant. »

De notre point de vue, il est difficile pour chacun de faire le lien avec la violence éducative ordinaire..

Critère 3 – Mention des violences psychologiques

La violence faite aux enfants n’est pas seulement caractérisée par la violence physique, et les connaissances scientifiques actuelles permettent de démontrer les effets négatifs des violences psychologiques sur le développement de l’enfant, la santé, l’estime de soi.

Juridiquement, les violences psychologiques sont reconnues pénalement depuis 2010 (article 222-14-3 du code pénal).

À noter :  il est important que la loi ne crée pas de condition cumulative aux différentes formes de violences subies, par l’emploi de la conjonction “et” plutôt que “ou”. Il faut mentionner l’interdiction des violences physiques ou psychologiques. En effet, des violences psychologiques ne s’accompagnent pas systématiquement de violences physiques.

À noter : Il est préférable de parler de “violence psychologique” plutôt que de “souffrance morale” (terme utilisé dans le texte de la PPL de Maud Petit)  : la notion de  “souffrance morale” est juridiquement moins juste, car la souffrance morale est celle que l’on ressent ; on ne peut pas l’interdire, contrairement à la violence psychologique qui est exercée sur autrui. La notion de “violence psychologique” existe dans le code pénal.

Critère 4 –  Présence de l’interdiction à l’article 371-1 du code Civil qui définit la notion d’autorité parentale

Rappel du texte de cet article qui définit l’autorité parentale :

« L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant.
Elle appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.
Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »

Dans la mesure où le juge a considéré que le droit de correction découlait de l’exercice de l’autorité parentale, il apparaît indispensable que la loi précise expressément à l’article 371-1 du Code civil que l’autorité parentale exclut tout recours à une quelconque forme de violence exercée à l’endroit de l’enfant quel qu’en soit le motif, y compris éducatif.

Critère 5 –  Abolir expressément le droit de correction : les 7 raisons

Raison n°1/ Le droit de correction fait obstacle à l’application du code pénal pour certaines personnes et à certaines conditions. Prenons par exemple le cas particulier de la famille, qui constitue alors un espace hors du droit, où s’exerce une relation de propriété des parents sur l’enfant : un geste est toléré pour un parent sur son enfant alors que lorsqu’il s’agit du même geste exercé par un beau-parent, il est condamné parce qu’il frappe un enfant qui n’est pas le sien, empiétant alors sur la propriété de l’autre parent.

Raison n°2/ Il s’agit d’un principe coutumier, jurisprudentiel, sans base légale, ce qui est contraire au principe constitutionnel de légalité du droit pénal. La loi sur laquelle il se fondait a été supprimée en 1958.

Raison n°3/ Le droit de correction a été aboli envers les femmes, les ouvriers, les prisonniers, les militaires. Les enfants sont la dernière catégorie de personnes envers laquelle ce droit de correction subsiste alors qu’ils sont vulnérables et dépendants. Ce droit est traditionnellement lié à l’usage de la force, du pouvoir disciplinaire.

En comparaison avec la violence faite aux conjoints dans le foyer :

  • La violence conjugale est considérée par le droit pénal comme une forme aggravée de violence, du fait, d’une part, de la situation de vulnérabilité de la personne qui en fait l’objet (moindre force physique dans le cas d’une femme violentée) et, d’autre part, de son cadre familial. Pourtant, dans la même situation, l’enfant n’est pas protégé par la loi.
  • La violence conjugale est caractérisée dès la première claque.

Raison n°4/ C’est majoritairement la persistance juridique du droit de correction qui a justifié une condamnation à plusieurs reprises de la France par les instances de l’ONU et du Conseil de l’Europe.

Raison n°5/ L’application du droit de correction est variable d’une juridiction à l’autre et    incertaine :
Un droit coutumier reconnu aux parents et instituteurs, issu du Code civil de 1804, est mis en application par le juge pénal pour la première fois en 1819 :

« si la nature et les lois civiles donnent aux pères sur leurs enfants une autorité de correction, elles ne leur confèrent pas le droit d'exercer sur eux des violences ou mauvais traitements qui mettent leur vie ou leur santé en péril ; que ce droit ne saurait être admis surtout contre les enfants qui, dans la faiblesse du premier âge, ne peuvent jamais être coupables de fautes graves. »
(Cour de cassation, C. Crim., 17/12/1819).

Le tribunal de police de Bordeaux a précisé en 1981 que

« si les châtiments corporels ou même le traditionnel droit de correction ne correspondent plus à l’état de nos mœurs, les parents et enseignants possèdent toujours, dans un but éducatif, un pouvoir disciplinaire pouvant éventuellement s’exercer sur de jeunes enfants sous forme de gifles ou de tapes inoffensives. »

Aujourd’hui, la Cour de Cassation retient le droit de correction en ces termes :

« le droit de correction reconnu aux parents par les conventions, la loi et la jurisprudence tant interne qu'européenne a pour limite l'absence de dommages causés à l'enfant, la correction devant rester proportionnée au manquement commis et ne pas avoir de caractère humiliant. » (Cass. Crim., 29/10/2014).

La jurisprudence retient 2 critères : la violence « légère » et le « but éducatif ». Alors que le droit doit être prévisible et clair et reposer sur des critères juridiques et objectifs, le droit de correction constitue une notion variable et incertaine, reposant sur des critères subjectifs et fluctuants, et ce à double titre :

1 - Quelle est la limite entre un droit de correction admettant des « violences légères » à « but éducatif », et la maltraitance ?
Il ne s’agit pas d’une différence de nature, mais de degré, que le juge arbitre au cas par cas, en fonction de l’idée communément admise dans la société : l’appréciation et la qualification des faits ne reposent pas sur des critères juridiques et objectifs, mais sont au contraire subjectifs et fluctuants.
> Quelques exemples du recours au "droit de correction" par la justice

2 - Qui dispose de l’exercice du droit de correction selon la Cour de cassation ?
Le droit de correction est reconnu pour :

  • Les parents (Cass. 2014)
  • Les enseignants (Cass. 2002)
  • Les baby-sitters (Cass. 2003)

Le droit de correction n’est pas reconnu pour :

  • Les voisins (Cass. 2004)
  • Les beaux-parents (Crim. 1984)

Raison n°6/ En autorisant les « violences légères », le droit de correction contredit les dispositions du code pénal qui sanctionnent « les violences », « les violences habituelles » et « les violences volontaires ».

Raison n°7/ Parmi les 53 pays abolitionnistes, 12 pays qui disposaient d’un droit de correction ont mentionné explicitement l’interdiction du droit de correction dans leur texte de loi (Pérou, Irlande, Nicaragua, Malte, Honduras, Tunisie, Costa Rica, Espagne, Uruguay, Nouvelle Zélande, Israël, Chypre).

L’abolition ne sera totale en France que lorsque le droit de correction envers l’enfant sera abrogé. Le juge ne pourra plus s’y référer.

Critère 6 – Abolir la violence faite aux enfants dans tous les contextes de vie de l’enfant

  1. La violence éducative ordinaire est une pratique largement répandue dans tous les lieux de vie de l’enfant.
  2. À l’école, seules des circulaires, qui n’ont pas la même force juridique que la loi, rappellent qu’il est interdit de recourir aux châtiments corporels.
  3. Dans de nombreux contextes de vie de l’enfant, aucun texte ne mentionne l’interdiction des châtiments corporels et humiliations : dans les lieux de santé, d’accueil, de protection, de soin.
  4. L’analyse de la jurisprudence relative au droit de correction démontre que les parents ne sont pas les seules personnes pour lesquelles ce droit est reconnu : le droit de correction est reconnu pour les parents, les baby-sitters, les enseignants. (cf. Partie IV. C.)
  5. Par ailleurs, il a parfois été opposé aux précédentes propositions de loi et amendements des critiques quant à leur caractère culpabilisant en visant uniquement les parents alors que ce ne sont pas les seuls à la pratiquer.

Pour conclure,  afin d’ôter toute incertitude juridique d’une part, et de ne pas focaliser la portée symbolique de la loi sur les parents d’autre part, il est préférable que la loi établisse un principe général du droit de l’enfant à ne pas être soumis à toute forme de violence, dont les punitions corporelles et autres punitions humiliantes, quel que soit le contexte.

À noter : Global Initiative précise que les débats parlementaires doivent montrer que l’objectif du texte qui sera voté est l’interdiction dans tous les contextes de vie de l’enfant.

Deux éléments recommandés

Recommandation 1 – Référence à la définition des châtiments corporels définie par l’ONU

Si le texte de loi n’intègre pas la définition des châtiments corporels, Global Initiative préconise de faire référence dans l’exposé des motifs à la définition des châtiments corporels telle que l’a établie l’ONU dans son observation générale n° 8 de 2006 :

« Le Comité définit les châtiments “corporels” ou ”physiques” comme tous châtiments impliquant l’usage de la force physique et visant à infliger un certain degré de douleur ou de désagrément, aussi léger soit-il. La plupart de ces châtiments donnent lieu à l’administration d’un coup (“tape”, “gifle”, “fessée”) à un enfant, avec la main ou à l’aide d’un instrument − fouet, baguette, ceinture, chaussure, cuillère de bois, etc. Ce type de châtiment peut aussi consister à, par exemple, donner un coup de pied, secouer ou projeter un enfant, le griffer, le pincer, le mordre, lui tirer les cheveux, lui “tirer les oreilles” ou bien encore à forcer un enfant à demeurer dans une position inconfortable, à lui infliger une brûlure, à l’ébouillanter ou à le forcer à ingérer quelque chose (par exemple, laver la bouche d’un enfant avec du savon ou l’obliger à avaler des épices piquantes). De l’avis du Comité, tout châtiment corporel ne peut être que dégradant. En outre, certaines formes non physiques sont également cruelles et dégradantes et donc incompatibles avec la Convention. À leur nombre figurent, par exemple: les châtiments tendant à rabaisser, humilier, dénigrer, prendre pour bouc émissaire, menacer, effrayer ou ridiculiser l’enfant. »

Recommandation 2 – Mesures d’information et de formation

Il est fortement recommandé par toutes les institutions et associations d’évoquer dans le texte de loi la nécessité de mesures d’accompagnement , y compris des mesures de soutien à la parentalité et la formation des professionnels en lien avec les enfants, en quelques lignes, puis de renvoyer vers un décret d’application. Certains textes de loi d’autres pays sont très complets sur cette question.

Des ressources sont disponibles en anglais : http://www.endcorporalpunishment.org/implementation/from-prohibition-to-elimination.html et le site du partenaire de Global Initative sur le projet mentionné ci-dessus http://www.endcorporalpunishment.org/implementation/non-violent-childhoods-project.html
Nous avons par ailleurs publié une liste de nos suggestions de mesures d'accompagnement.

Le programme “Droits, égalité et citoyenneté” 2014-2020 du Conseil de l'Europe promouvant et protégeant l’égalité et les droits des personnes tels qu’ils sont consacrés dans le traité, la Charte et les conventions internationales sur les droits de l’homme, inclut, dans ses neuf objectifs spécifiques, le droit des enfants. Le vote de cette loi permettrait ainsi de bénéficier d'un fonds afin de financer notamment les activités de formation, de sensibilisation et d'analyses nécessaires à l'évolution sociétale attendue.



  1. http://www.huyette.net/2015/03/a-propos-de-la-fessee-des-chatiments-corporels-ou-plus-exactement-des-violences-sur-les-enfants.html[]

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