Il est urgent de promouvoir la culture du respect de l’enfant comme “ultime révolution possible” et comme élément fondamental de transformation sociale, culturelle, politique et humaine de la collectivité.

Maria Rita Parsi, psychologue italienne.

J’ai pris le chemin de la délinquance et de l’ignorance intellectuelle

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site,


Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?
Oui.
Violences physiques : gifles, coups de pied aux fesses, tirage de cheveux, verres d'eau dans la figure, coups de règle, coups de tisonnier, mise à genoux... juste ce qu'il faut pour que cela reste invisible à l'extérieur. Les gifles et les coups représentaient les seuls contacts physiques de ma mère sur moi. Les caresses, les baisers n'existaient pas.
Violences verbales : phrases blessantes, sobriquets dégradants, menace de la maison de correction, hurlements.

A partir de et jusqu'à quel âge ?
Mes souvenirs de maltraitance remontent vers l'âge de 6 ans, mais sans certitude, peut-être avant. Mon point de repère est mon entrée à l'école primaire (je ne suis pas allée à l'école maternelle). J'ai été maltraitée jusqu'à l'âge de 16 ans, âge auquel j'ai quitté ma mère qui devenait de plus en plus violente envers ses filles par réaction à leur opposition.

Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Apparemment non, d'après son frère. Leur père était très "dur". Il exigeait que ses enfants travaillent à la ferme. Ceux-ci se rebellaient, ils voulaient s'élever socialement.
Ma mère voulait exercer le métier d'institutrice. Elle avait passé le certificat d'études avant ses onze ans, première du canton. Ses parents ont refusé qu'elle poursuive ses études, ils n'avaient aucune ambition pour elle. Premier échec dans sa vie. Le second échec concerne sa vie de couple ratée par le départ de mon père lorsque j'ai eu 6 ans.

Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Par ma mère.

Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir “bien mérité”...) ?
Quand j'étais petite, je ne me posais pas de question. Sans doute que je méritais les coups et punitions parce que je ne faisais pas bien ce que ma mère me demandait. J'essayais de faire mieux, mais je n'y arrivais pas. Je m'habituais à recevoir des coups.
A 10/12 ans, au catéchisme, le prêtre nous expliquait ce qu'est le bien et le mal, la bonté, la méchanceté... Je commençais à me poser des questions sur le comportement de ma mère à mon égard et sur le mien aussi. Elle me demandait de faire des "vacheries" à mon père lors de ses rares droits de visite qu'elle acceptait et j'étais obligée de lui écrire des lettres insultantes. Je le faisais pour qu'elle soit contente après moi. J'étais donc mauvaise puisque mon père en souffrait.
Après, j'ai eu quelques années de grand vide, de culpabilité envers mon père malade, je vivais dans l'indifférence de tout ce qui se passait autour de moi, jusqu'à ce que je me réveille vers l'âge de 15 ans. Je décide alors de ne compter que sur moi pour que les choses changent. Je n'en voulais pas à ma mère, elle était malheureuse, abandonnée par son conjoint. Je lisais énormément, les livres m'apprenaient "la vie". Il me fallait attendre que l'enfance passe pour faire ensuite ce que je voudrais de ma vie. Dans mon enfermement, j'avais le temps de réfléchir sur l'orientation qu'elle prendrait. La solitude de l'enfant maltraité a cela de bon : elle nous apprend à mieux nous connaître et à faire des choix.
J'ai eu la révélation qu'il me faudrait quitter ma mère, que sa violence ne s'arrêterait jamais.

Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
A partir du moment où j'ai commencé à parler de ce que je vivais à la maison, vers l'âge de 15/16 ans, j'ai eu le soutien du directeur du collège que je fréquentais et de deux professeurs, dont l'épouse du directeur. Ils m'encourageaient à m'exprimer, ils écoutaient ma souffrance. Je ne m'explique pas pourquoi je n'ai pas parlé avant cet âge : peur de ne pas être crue ? peur de faire du mal à ma mère ? peur des représailles ?
Les adultes chargés de l'enfance ne m'ont pas protégée, ni mes deux sœurs, elles aussi maltraitées, malgré les témoignages d'une voisine et de mon père qui leur apportaient des preuves. Ils se sont trompés de victimes. Le regard porté sur notre mère quand notre père tentait de nous protéger a été plus important que celui porté sur nous, un regard stéréotypé de la bonne mère et de la maison bien tenue. On la plaignait d'élever seule ses trois filles.

Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
J'avais peur de tout et surtout du noir. Je me cachais sous la table et sous les couvertures. J'avais peur du feu : ma mère disait que j'irais en enfer, tellement j'étais mauvaise.
Je volais des bricoles dans les magasins, je volais les affaires de mes camarades.
J'agressais les passants, je leur faisais des grimaces.
J'avais appris à lire, écrire et compter sans difficulté (je ramenais beaucoup de bons-points qui se transformaient en images), puis je suis devenue une mauvaise élève. Il m'a fallu étudier énormément pour atteindre un niveau moins que moyen.
Je m'isolais dans un monde intérieur en me créant des jeux de rôle qui me faisaient supporter ma vie.
Je ne faisais pas de bruit pour ne pas attirer l'attention sur moi. J'apprenais à me taire en toute circonstance. J'étais en permanence sur le qui-vive. En fait, j'étais réservée, effacée, inhibée...
En grandissant, je devenais menteuse et calculatrice pour éviter les punitions, manipulatrice pour ne pas contrarier ma mère et pour m'attirer ses bonnes grâces.

Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ?
Le manque de confiance en soi et d'assurance, tellement j'ai été dévalorisée.
L'impossibilité de prendre la parole en public. Des émotions incontrôlables me font perdre le fil conducteur de ma pensée, c'est une vraie pagaille dans ma tête.
Je ne montre pas mes sentiments.
Je suis hypersensible. Je ne regarde pas de films où il est question d'enfants en souffrance.
J'ai élevé mes enfants sans grandes démonstrations, habituée depuis mon plus jeune âge à taire mes émotions. Je ne les ai jamais frappés. Je ne supportais pas de les entendre pleurer. Leurs pleurs me renvoyaient à ma propre souffrance pendant mon enfance. J'allais même au-devant de leurs désirs.
Pour moi, la vie à l'extérieur s'arrête quand il fait nuit. Je n'aime pas la nuit.
Je ne tourne pas le dos à une porte, le danger pourrait venir de derrière moi.

En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
Je ne suis pas quotidiennement au contact d'enfants.
Concernant les miens, ils savent ce que j'ai vécu durant mon enfance. Ils savent à quoi attribuer ce qui leur a manqué de par mon comportement. Ce sont des enfants équilibrés, qui réussissent dans leur vie de couple et professionnelle.

Si vos parents ont su éviter toute violence, pouvez-vous préciser comment ils s'y sont pris ?
Ma mère n'a pas su éviter toute violence. En avait-elle seulement conscience ?

Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
J'estime que je n'ai pas été éduquée. J'étais un objet parmi d'autres au service de ma mère, rien d'autre. Elle utilisait ses filles comme des armes pour se venger de celui qui l'avait abandonnée. Ce sont les livres que je lisais qui m'ont éduquée. Je trouvais mes modèles dans les romans. Avec eux, je grandissais en cachette.

Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Non. J'avais des camarades qui étaient choyées par leurs parents. Elles portaient des vêtements à la mode, elles étaient coquettes, décontractées, elles sortaient avec leurs amis. Nous, nous étions séquestrées à la maison. Ainsi, ma mère ne craignait pas que nous parlions à l'extérieur. Elle nous accompagnait partout pour ces mêmes raisons.

Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
Au Mexique, près d'une école, j'ai vu une fresque sur un mur d'une longueur conséquente "Rejoins-nous pour mettre fin à la violence contre les femmes". Une femme était allongée par terre, une autre tirait les cheveux à sa fille, un autre enfant se bouchait les oreilles et une petite fille se cachait derrière une porte. S'agissait-il de la violence subie reproduite sur la génération suivante ?

Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
L'expression "Violence Educative Ordinaire" évoque pour moi une éducation par la force pour soumettre l'enfant à ses propres exigences, sans tenir compte qu'il est un être vivant, un homme ou une femme en devenir. Font partie de cette éducation la gifle, les coups, les cris, les paroles qui rabaissent l'enfant, les regards méprisants, l'absence de regard, l'absence d'attention à l'enfant, à ce qu'il exprime, les interdits sans justification, les menaces, le chantage...
Pour moi, il n'y a pas de différence entre maltraitance et "violence éducative ordinaire". Une simple gifle, une simple phrase dévalorisante sous prétexte d'éduquer, sont de la maltraitance. L'enfant n'est pas respecté.

Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Pas d'objection. Les enfants qui ont été maltraités devenus adultes gardent trop souvent le silence sur la violence qu'ils ont subie. Il faudrait qu'ils témoignent de ce qu'ils ont vécu et des conséquences sur leur développement, car ce sont eux qui feront évoluer les mentalités ancestrales de notre société pour aller vers une éducation sans violence.
Il faut sans cesse répéter que la violence doit être bannie de l'éducation pour que les parents en prennent conscience. Et pas seulement les parents, mais tous ceux qui sont censés protéger les enfants. Ils n'en sont pas tous persuadés. Notre pays protège mal ses enfants.
"Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage"

Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
En faisant des recherches sur Internet sur les associations qui militent contre la maltraitance.

Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
Le site m'a permis de structurer ma pensée quand je parle de maltraitance et de bientraitance autour de moi. Il y a tant de gens qui sont persuadés "qu'une petite gifle ne fait de mal à personne, la preuve ils en ont reçu et s'en portent bien". Il faut des arguments pour les contredire, l'expérience vécue ne suffit pas !

Sylvie, 68 ans, milieu social aisé.

, , ,