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La violence éducative ordinaire en Chine

Nous commentons sur cette page diverses informations concernant la violence éducative ordinaire en Chine réunies au cours des dernières années. On lit parfois dans la presse des articles présentant la nouvelle génération des enfants chinois comme des "enfants-rois" particulièrement "gâtés", à cause de la politique de l'enfant unique ou de l'amélioration du niveau de vie matériel. On parle aussi du système scolaire chinois comme l'un des plus "performants" au monde (voir l'article de The Economist repris dans le dossier "Ecole : les recettes qui marchent ailleurs" de Courrier international n° 1118, 5-11 avril 2012, p. 15-16). Mais quel est le prix payé pour ces performances, et que cache ce mythe de l'enfant unique "gâté" ? C'est ce que nous essayons de montrer ici.


Une information qui nous a fait froid dans le dos, parue dans Aujourd'hui la Chine (dépêche AFP du 1er juin 2007) :

Incapable de mémoriser un idéogramme, une petite Chinoise battue à mort

Une fillette de trois ans est décédée en Chine après avoir été frappée par ses parents parce qu'elle n'avait pas mémorisé le caractère chinois du mot "banane", a rapporté vendredi le Beijing Daily Messenger.

En faisant ses devoirs dimanche chez elle à Zhengzhou, capitale de la province de Henan (centre), la petite fille a réussi à réciter tous les caractères qu'elle venait d'apprendre, sauf celui pour "banane", provoquant la colère de son père qui s'est mis à la frapper avec une de ses sandales, explique le journal, citant le témoignage de la mère à la police.

"Sa mère Zhang Ping n'est pas intervenue, estimant que Xiao Quan faisait honte à ses parents", écrit le Beijing Daily Messenger.

Le lendemain, la mère a de nouveau interrogé la petite fille, qui, encore une fois, n'a pas su répondre, déclenchant une nouvelle volée de coups. Mais, alors que sa santé se dégradait, le père a refusé de l'emmener à l'hôpital, arguant qu'il n'avait pas d'argent.

Elle est finalement décédée mardi à l'hôpital après que la mère eut décidé d'appeler les urgences. Les parents ont été emprisonnés, indique le journal.
En Chine, les meilleures écoles procèdent souvent à une sélection déguisée, en exigeant de leurs futurs élèves qu'ils connaissent déjà un certain nombre d'idéogrammes.


A la suite de cette information, un membre de l'OVEO nous a fait part d'une information trouvée au fil de ses lectures. Dans le livre Les Idéogrammes chinois ou l'empire du sens de Joël Bellassen (éditions You Feng, 1995), de nombreux caractères chinois sont présentés avec leur sens d'origine, leur histoire, l'évolution de la graphie des symboles, etc. On découvre ainsi que le caractère "Père" est décrit comme une main tenant un bâton, symbole du travail et du pouvoir paternel.

Le rapprochement entre ces deux faits nous rappelle froidement que les méthodes éducatives et l'attitude des adultes envers les enfants sont profondément ancrées dans la société, ce qui, en soi, ne justifie en rien cette violence, mais nous incite au contraire à poursuivre nos efforts pour faire connaître les méfaits de la violence éducative ordinaire.


"Mères Tigres" et "Pères Loups"...

Plusieurs articles récents dans la presse internationale ont attiré l'attention sur les méthodes d'éducation en Chine, en particulier après la parution aux Etats-Unis du livre Battle Hymn of the Tiger Mother, d'Amy Chua, une Américaine d'origine chinoise.

Dans une tribune parue dans le Wall Street Journal du 8 janvier 2011, Amy Chua vante les bienfaits de l'éducation "à la chinoise". Cette information a été relayée en France par le site "Rue 89" sous le titre Pourquoi les mères chinoises sont-elles les meilleures ?. Les méthodes préconisées paraissent si extrêmes (voir la liste des choses interdites...) que l'on peut se demander jusqu'à quel point il s'agit de provocation et de publicité pour son livre. Amy Chua prétend d'ailleurs aujourd'hui (voir cet article du Point) avoir écrit ce livre avec "humour" et reconnaît que ses méthodes n'ont pas très bien "marché" pour son deuxième enfant. Mais il ne fait aucun doute que ce discours est tout à fait représentatif de l'"éducation à la dure" traditionnelle en Chine, et de la honte qui pèse sur ceux qui ne "réussissent" pas, déshonorant ainsi leurs parents.

C'est apparemment à la suite de la parution de ce livre, dont il a beaucoup été question en Chine dans les débats sur la famille et l'éducation, qu'est apparue dans les médias chinois une nouvelle version encore plus autoritaire et violente : le "père Loup" ! Dans cet article en anglais And You Thought The Tiger Mother Was Tough (14 décembre 2011), "Wolf Dad", qui pose fièrement en compagnie de ses enfants devenus grands, se vante de "gouverner sa famille comme un empereur", et d'avoir édicté plus de mille (!) règles, chaque transgression étant punie d'un coup de plumeau, soit sur les jambes, soit sur la paume de la main.

Un "père Aigle" chinois a également défrayé la chronique en 2012 en forçant son fils de 4 ans à courir presque nu dans la neige dans les rues de New York (où cet homme d'affaire de Nankin était en vacances), voir l'article en anglais du New York Post, où ce père explique qu'il rend service à son fils en le traitant de cette manière pour l'endurcir (l'enfant, né prématuré, avait déjà subi des épreuves du même genre)...

Le 20 juillet 2010, Arte diffusait un documentaire intitulé Les écoliers chinois sous pression, ou comment "dans un des plus prestigieux lycées de Chine [...] cette fabrique d'excellence [...] prépare chaque année 1 800 élèves dans la sueur et les larmes à l'examen d'entrée à l'université" (Télérama).

A lire également, cette information de 2009 : Chine : trois écolières tentent de se suicider pour échapper à leurs devoirs.

L'entraînement sportif est aussi un domaine où la maltraitance des enfants et des jeunes est la règle en Chine (même si c'est le cas à des degrés divers dans beaucoup de pays). Dans Courrier international (n° 1025 du 24 au 30 juin 2010, p. 38), un article intitulé "La biche agile de l'Orient" raconte l'existence d'une gymnaste chinoise très connue (elle a participé aux jeux Olympiques de 2000 à Sydney) qui a dû arrêter sa carrière et subir 8 opérations chirurgicales parce qu'elle souffrait d'une ostéonécrose des têtes fémorales (maladie causée par les chocs répétée sur les os à cause de l'excès d'entraînement). L'article explique que, née dans une cité minière de parents pauvres, "dès l'âge de 4 ans, elle a été envoyée dans une école pour jeunes gymnastes où elle a appris à supporter l'effort et l'ennui. Ses parents, qui voulaient avant tout qu'elle devienne championne olympique, exigeaient que même dans la douleur elle garde le sourire."

Un article de 2000 sur la brutalité traditionnelles dans les écoles chinoises, reproduit sur le site Project NoSpank et paru à l'origine dans USA Today : Chinese schools try to unlearn brutality (en anglais uniquement). Dans cet article, on voit apparaître les termes tiger et wolf ("tigre" et "loup"), employés par la Justice et les médias pour qualifier une enseignante accusée de violence contre ses élèves dans une école à la campagne (où les conditions de travail sont certes très difficiles)... et soutenue par les parents, qui la considèrent comme victime d'accusations injustes.


D'autres informations plus récentes donnent cependant de l'espoir : certains parents chinois ne supportent plus la pression exercée sur leurs enfants et remettent en cause l'"éducation à la dure" de l'école publique. Comme le dit une mère dans cette vidéo de mars 2012 sur une école alternative à Pékin, en Chine, on considérait traditionnellement l'enfant comme "une feuille de papier blanche [vierge] sur laquelle on pouvait écrire ce qu'on voulait" (à noter que la même conception prévalait en Europe !). Aujourd'hui, on commence à parler de "graines" qu'il faut laisser germer. On peut donc espérer que cette prise de conscience concerne également la façon de traiter les enfants dans les familles, et qu'elle se généralise peu à peu à toute la société.

Dans cet article d'Elvire Emptaz (paru dans le magazine ELLE n° 3442 du 16 décembre 2011), on voit aussi que "l'éducation à la dure" n'est pas sans inconvénients pour le parent autoritaire, et ne garantit pas de bonnes relations à l'âge adulte :

Comment supporter l'éducation extrêmement autoritaire d'une « mère Tigre » ? C'est la question à laquelle ont tenté de répondre deux petites Chinoises de 10 ans, Leshui et Xinyi, dans un guide de survie pour les enfants intitulé Le Livre complet pour combattre Maman. Elles y donnent vingt « trucs » pour supporter les punitions quotidiennes, comme courir, pleurer dans sa chambre en n'oubliant surtout pas de fermer la porte à clé, ou menacer de s'enfuir sans aller trop loin. Le livret, écrit à la main et illustré de charmants dessins, a été publié sur l'équivalent chinois de Twitter par… le père d'une des filles, bluffé par leur maturité ! Résultat, le guide des fillettes risque d'avoir autant de succès que le best-seller d'Amy Chua, L'Hymne de bataille de la mère Tigre.


A lire aussi : Une rentrée des classes ordinaire, témoignage d'un membre de l'OVEO sur une rentrée scolaire dans une école française en Chine.