C'est à l'échelle mondiale qu'il faut désormais inventer de nouveaux concepts mobilisateurs, pour parvenir à cet idéal : l'égalité en dignité et en droit de tous les êtres humains.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

Les punitions corporelles dénoncées dans le « Livret des parents »

Le-livret-des-parents-2Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, a présenté lundi 4 avril 2016 le tout nouveau "Livret des parents". Ce document, réalisé en partenariat avec la CNAF, sera envoyé aux futurs parents au cours du cinquième mois de grossesse. Un paragraphe est consacré aux punitions corporelles et humiliations et à leur nocivité :

Et le recours aux punitions corporelles ?
Face à ces nouvelles explorations, votre enfant aura besoin que des repères, partagés par les parents, soient posés et lui soient expliqués. Frapper un enfant (fessées, gifles, tapes, gestes brutaux) n’a aucune vertu éducative. Les punitions corporelles et les phrases qui humilient n’apprennent pas à l’enfant à ne plus recommencer, mais génèrent un stress et peuvent avoir des conséquences sur son développement. Sans culpabiliser les parents qui, à un moment, n’ont pas imaginé d’autres solutions, il est possible de trouver des appuis dans les lieux de soutien à la parentalité pour une éducation sans violence.

Ce livret n'est pas la loi que nous espérions (voir les points soulignés ci-dessous), mais c'est un premier pas. C'est la première fois qu'il est fait mention des punitions physiques dans un texte émanant du gouvernement français.

À cette occasion, VICE News a interviewé Olivier Maurel : La fessée n’a « aucune valeur éducative » pour le gouvernement français.

Olivier Maurel était également, avec Edwige Antier, l'invité de l'émission "Seul contre tous" mercredi 6 avril, sur l'antenne de Sud Radio. Le podcast est à télécharger sur le site de la radio.

Le nouveau livret est disponible en pdf sur le site du ministère des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes et sur le site de la CAF.


Quelques erreurs du "Livret des parents"

Ce livret est une avancée indéniable, mais il recèle néanmoins quelques erreurs de fond, que nous relevons ici.

  • Le livret recommande aux parents de fixer à leur enfant « des limites claires et adaptées à son âge » (page 6). Et plus loin (page 13) : « Fixer des règles et des limites, c'est sécuriser votre enfant. Mais se faire obéir, ce n'est pas tout interdire. »Non. Contrairement à une idée très répandue (notamment par la psychanalyse), c’est l’affection qu’il reçoit de ses parents, et non les règles ou le cadre qu’ils lui imposent, qui sont sécurisantes pour un enfant. Ce dont a besoin un enfant pour se développer, ce n’est pas que ses parents lui fixent des « limites » (il en rencontre déjà suffisamment dans sa vie quotidienne), mais qu’ils le protègent, l’aident, l’accompagnent, l’écoutent, fassent attention à lui… Les nombreuses règles imposées aux enfants « pour leur bien » correspondent en réalité plutôt aux limites de leurs parents, qui souvent manquent de patience et d’énergie pour répondre à tous leurs besoins. Et la phrase « ma patience a des limites ! » (souvent proférée comme une menace par les parents) trahit la vraie raison qui les pousse à vouloir « se faire obéir » de leurs enfants…

    Abreuvés par toute cette propagande sur la nécessité des limites, les parents reproduisent tout naturellement sur leurs enfants le modèle qu’ils ont hérité de leurs propres parents, celui de l’éducation à l’obéissance, avec ses effets destructeurs sur la personnalité et l’autonomie des enfants... On se demande au passage ce que peut bien signifier « tout interdire » à un enfant... Probablement juste une formule pour rassurer les parents, qui pourront ainsi continuer à interdire en toute bonne conscience à leurs enfants, sinon tout, du moins beaucoup de choses…

  • « Les punitions corporelles et les phrases qui humilient n’apprennent pas à l’enfant à ne plus recommencer » (page 7) : Ceci n'est pas tout à fait exact. Car l'éducation à l'obéissance, ça marche ! Sinon, l'usage des châtiments corporels ne serait pas aussi répandu. Les enfants frappés par leurs parents sont terrorisés, et n’ont souvent pas d’autre choix que de se soumettre. Ils obéissent, par peur de la prochaine punition. Ils ne « recommenceront plus », du moins pas de sitôt, et pas en présence de leurs parents... En ce sens, les punitions corporelles atteignent une partie de leur but.
  • Comme garantie du respect des droits des enfants par la France, le livret cite (en page 12) la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE, ratifiée en 1990 par la France), mais sans mentionner les obligations de la France. Pourtant, en février 2016, le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies lui a rappelé pour la quatrième fois son devoir de mettre en pratique l'article 19, qui lui enjoint de protéger les enfants contre toute forme de violence, si faible soit-elle : « Le Comité réitère sa recommandation à l’État partie d’interdire explicitement les châtiments corporels dans tous les domaines, y compris la famille, les écoles, les lieux de garde et de soins alternatifs » et « qu’aucune violence faite aux enfants n’est justifiable ».
  • Le livret se termine par une liste de sites de référence (page 16), dont le site belge yakapa.be, pour la prévention de la maltraitance. Malheureusement, ce site non seulement prend position contre une loi interdisant la fessée (comme d’ailleurs notre ministre Laurence Rossignol !), mais (contrairement au « Livret des parents ») il va jusqu’à défendre la « petite fessée » (cf. la vidéo Il y a fessée et fessée), alors qu'on sait maintenant que la VEO (dont la fessée est l’exemple le plus souvent donné) et la maltraitance ont les mêmes effets néfastes sur les enfants, avec uniquement une différence de degré, pas de nature 1...


  1. Cf. l’étude américaine citée par cet article, et en anglais Risks of Harm from Spanking Confirmed by Analysis of Five Decades of Research, extrait de l’article : “We as a society think of spanking and physical abuse as distinct behaviors,” she says. “Yet our research shows that spanking is linked with the same negative child outcomes as abuse, just to a slightly lesser degree.” Traduction : « Notre société considère la fessée et la maltraitance comme deux comportements bien distincts", dit-elle [Elisabeth Gershoff, l’un des auteurs de cette méta-analyse portant sur 50 ans de données]. Cependant, notre recherche montre que la fessée est liée pour l'enfant aux mêmes conséquences négatives que la maltraitance, seulement à un degré légèrement moindre. »[]

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