Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

Lettre de l’OVEO à la Défenseure des enfants, Dominique Versini

La Défenseure des enfants, Dominique Versini, n'ayant pas répondu à notre lettre expédiée le 10 décembre 2008, nous la publions et invitons tous les visiteurs du site qui le désirent à la copier, à la signer à leur tour et à l'expédier à son mel : communication@defenseurdesenfants.fr
ou à l'adresse postale : Dominique Versini, Défenseure des enfants 104 Bd Auguste Blanqui 75013 Paris.
Merci de nous signaler votre envoi à l'adresse : contactez_nous@oveo.org .


Lettre d'Olivier Maurel à la Défenseure des enfants, Dominique Versini

Madame,

Je me permets de vous écrire au nom de toute l'équipe d'animation de notre Observatoire pour vous faire part de notre déception à la lecture des propos que vous avez tenus dans votre interview au journal La Croix du 29 octobre dernier(1).

Vous y dites qu'après avoir été « plutôt favorable » à l'interdiction des punitions corporelles, le fait que vingt jeunes gens de 12 à 17 ans se soient prononcés contre cette interdiction vous a « perturbée » et amenée à renoncer à une nouvelle proposition de loi demandant cette interdiction.

Nous ne sommes pas du tout étonnés que des jeunes gens qui ont sans doute subi des punitions corporelles, comme plus de 80 % des enfants de leur génération, vous aient dit qu'il n'était pas souhaitable d'interdire ces punitions. Ils n'ont fait qu'obéir au conditionnement de la méthode d'éducation qu'ils ont subie depuis leur plus jeune âge, ce même conditionnement qui amène la majorité des Français à être partisans de la fessée et de la gifle. Ils ont sans doute cru faire preuve de responsabilité en s'alignant sur l'opinion et la pratique de la majorité des adultes.

En revanche, nous sommes étonnés et même consternés de voir que leur opinion a suffi pour vous amener, vous qui êtes chargée de faire respecter la Convention relative aux droits de l'enfant, et notamment son article 19 qui demande aux États de protéger les enfants contre toute forme de violence, à renoncer à l'idée d'interdire ces punitions.

Comment pouvez-vous accepter, vous, Défenseure des enfants, que ceux-ci soient actuellement la seule catégorie d'êtres humains qu'on ait le droit de frapper ? Depuis le XIXe siècle, vous le savez, on a successivement interdit de frapper les domestiques, les hommes d'équipage, les prisonniers, quel que soit leur crime, les femmes, mais il est toujours permis de frapper les enfants.

L'UNICEF, le Comité des droits de l'enfant, l'OMS, l'UNESCO, le Conseil de l'Europe, demandent instamment à tous les États d'interdire les punitions corporelles, et la Défenseure des enfants du « pays des Droits de l'homme » refuse de demander cette interdiction !

Combien faudra-t-il de morts d'enfants par maltraitance pour qu'on prenne conscience que l'autorisation de frapper les enfants est le terreau sur lequel se développe la maltraitance ? Et qu'une fois admis ce principe, il est inévitable qu'un certain pourcentage de parents dépassent les limites considérées comme « normales » de ces punitions et frappent à tour de bras des êtres sans défense.

Vous avez dit aussi à la journaliste de La Croix que « l'urgence serait de mettre en place une politique d'accompagnement des parents ». Certes, c'est aussi ce que nous demandons et nous attendons avec impatience les mesures que vous allez sans doute proposer dans ce sens. Mais cette politique ne peut pas être suffisante. Quand on porte en soi, comme les jeunes gens qui vous ont fait changer d'avis, le conditionnement psychologique et physiologique causé par les punitions corporelles, ce conditionnement a une telle force, comme le prouve le fait qu'il dure depuis des millénaires, que seule une interdiction prononcée par une autorité supérieure à celle des parents, celle de la loi, peut en venir efficacement à bout, comme on l'a vu, en peu d'années, dans les pays où cette interdiction a été votée.

De grâce, Madame, revenez à votre première opinion dont nous savons que vous aviez fait part au Dr Jacqueline Cornet, qui, elle aussi, milite pour l'interdiction des punitions corporelles.

A la base, l'opinion est en train de bouger. 170 associations(2) ont signé notre pétition pour demander l'interdiction des punitions corporelles. En tant que président de l'Observatoire de la violence éducative, je suis de plus en plus souvent invité, non plus seulement par des associations militantes, mais par des institutions officielles comme les conseils généraux, les REAAP, les CCAS, et cela pour parler devant des professionnels de l'enfance. D'autre part, vous avez pu voir que le sondage effectué par l'association des familles d'Europe, pourtant tout à fait opposée à l'interdiction, a montré que 34 % des parents et 27 % des grands-parents qui ont répondu à cette enquête sont déjà opposés à l'usage des punitions corporelles. Il n'y a guère de doute qu'une loi assortie d'une campagne d'information bien faite ferait basculer la majorité des parents dans le sens de l'interdiction.

Nous attendons de vous, Madame, que vous soyez la personne grâce à qui les enfants seront simplement aussi bien protégés que les adultes.

Olivier Maurel, président de l'Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO, www.oveo.org), et l'équipe d'animation de l'OVEO :
Catherine Barret, traductrice
David Dutarte, papa, enseignant et éducateur
Anne Le Quellec
Victorine Meyers, maman, éditrice
Anne-Claire Paumard
Elisabeth Richard, maman, étudiante
Marianne Roger, informaticienne, maman

Note 1 : Voici la déclaration de Dominique Versini à la journaliste de La Croix : « J'y étais plutôt favorable [à l'interdiction], mais j'ai posé la question à mon comité consultatif de 20 jeunes (âgés de 12 à 17 ans) et ils se sont plutôt prononcés contre, ce qui m'a perturbée. Il s 'agit d'une question encore sensible en France. Et plutôt que de faire une nouvelle loi, l'urgence serait de mettre en place une politique globale d'accompagnement des parents. »

Note 2 : en ce début d'année 2009, 180 associations ont signé cet appel.

, ,