Le ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles a récemment publié le Référentiel national de la qualité d’accueil du jeune enfant.
Il est le fruit d’un travail collaboratif de plusieurs mois avec des professionnel·les du secteur de la petite enfance, à la suite des dysfonctionnements constatés au sein des structures d’accueil des jeunes enfants (enquête IGAS, commission d’enquête parlementaire, livres-enquêtes Le Prix du berceau, de Daphné Gastaldi et Mathieu Perisse, et Babyzness, de Bérangère Lepetit et Elsa Marnette).
Ce référentiel s’adresse aux établissements d’accueil du jeune enfant, aux assistant·es maternel·les (à leur domicile, au sein des crèches familiales), aux auxiliaires parentaux intervenant au domicile des parents, aux autorités de contrôle et d’accompagnement (PMI, CAF, inspection du travail…).
Il concerne aussi les élu·es et l’ensemble des acteur·ices de la petite enfance : relais petite enfance, lieux d’accueil enfants-parents, classes passerelles et toutes petites sections de maternelle pour les 2-3 ans, protection de l’enfance pour l’accueil et l’accompagnement des enfants de zéro à trois ans.
Éviter toute violence éducative
Ce référentiel s’appuie sur la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE, 1989) et prend notamment en compte la loi du 10 juillet 2019 interdisant les violences éducatives ordinaires.
La philosophie générale du texte met l’accent sur la nécessité d’un accueil bienveillant des manifestations émotionnelles du tout jeune enfant. Sont clairement identifiées comme maltraitantes des postures éducatives qui privilégient la punition et la mise à l’écart (« time-out »).
On y parle de sécuriser l’enfant et non pas de le discipliner, et de proscrire toute approche punitive dans le cas où les enfants ne respectent pas le cadre. Il est recommandé de questionner « les interdits formulés, pour se demander si ces interdits sont réellement légitimes et nécessaires, et s’ils répondent aux besoins de l’enfant ou plutôt aux attentes de l’adulte ». Un ensemble de recommandations qui aurait pu intervenir il y a bien longtemps, notamment à la suite de la loi du 10 juillet 2019, et qui pourrait inspirer les pratiques de tous les professionnel·les de l’enfance.
Les adeptes du « time-out » s’insurgent
Un référentiel qui va véritablement dans le bon sens et à contre-courant des appels à plus de répression et d’autorité habituellement ressassés, mais qui n’a pas manqué de faire réagir la psychologue C. Goldman, adepte de la « la mise à l’écart du jeune enfant ». Elle a publié une tribune signée par de nombreux professionnels, dont certains s’étaient opposés à la loi interdisant les violences éducatives.
Les professionnels à l’initiative du référentiel ont choisi de répondre à cette tribune, nous en publions l’intégralité :
Référentiel national : la mise au point du comité de pilotage et du comité scientifique :
En juillet 2025, la France s’est dotée pour la première fois d’un référentiel de pratiques pour l’accueil des bébés et des enfants de moins de 3 ans chez les assistants maternels, au domicile de leurs parents et dans les crèches. Comment accompagner les pleurs du jeune enfant, sécuriser son sommeil, favoriser le développement du langage, réagir à ses émotions, réguler l’usage de la tétine…
Sur l’ensemble de ces questions, le référentiel définit les attendus qui doivent composer le socle commun à partir desquels travaillent les professionnels de l’accueil. Fruit du travail de plus de 200 personnes, chercheurs, professionnels de terrain, institutionnels, puis affiné dans un processus itératif auprès de plus de 2 000 professionnels et acteurs de la petite enfance, il s’appuie sur un ensemble de connaissances scientifiques actuelles sur le jeune enfant (psychologie du développement, théorie de l’attachement, sciences du comportement, neurosciences…), et se situe au croisement de la recherche et de la pratique concrète du quotidien de l’accueil.
Dans une tribune publiée le 20 août dans Le Point, un collectif d’auteurs a accusé ce texte de promouvoir une « idéologie positive dévoyée » et de défaire l’autorité éducative en refusant de recourir à la sanction, à la punition et à l’isolement dans l’accueil des bébés et des enfants de moins de 3 ans.
Ces positions relèvent d’une méconnaissance du jeune enfant et de ce que les dernières décennies de recherche nous ont appris de son développement, de ses besoins et de ses droits. L’enfant de moins de 3 ans est un être profondément immature et vulnérable : il n’est en capacité ni de se défendre ni de se réguler seul, et ne peut se construire que sous le regard bienveillant d’un adulte qui l’accompagne.L’éducation du jeune enfant n’est pas un dressage. Plus il sera sécurisé affectivement par une relation chaleureuse et empathique avec l’adulte, plus il développera ses propres capacités d’empathie et ses aptitudes à interagir de façon harmonieuse et prosociale avec les autres, dans toutes les sphères de sa vie.
Accueillir le jeune enfant, c’est l’accompagner dans son développement, l’orienter, lui donner les ressources pour se construire, lui fournir la sécurité affective et physique nécessaire pour explorer le monde.
Ceci ne signifie pas qu’il ne faille pas donner à l’enfant des cadres et des repères. Ces cadres sont nécessaires à la construction de l’enfant et le sécurisent : il est de la responsabilité de l’adulte de dire ce qui est permis et ne l’est pas. Mais ces cadres sont posés sans violence éducative, ni physique, ni psychologique.
Il est fréquent par exemple que les professionnels de crèche doivent gérer des enfants qui mordent ou qui tapent. Sur le plan éducatif, il est tout à fait contreproductif dans ces situations de crier, de dire à l’enfant qu’il est méchant, de le punir ou de l’isoler.
L’adulte est là pour rappeler à l’enfant le cadre, sécuriser l’enfant qui a été mordu, mais aussi chercher à comprendre ce qui se passe chez l’enfant qui manifeste ces comportements de façon régulière et l’aider à développer d’autres modalités de régulation de ses émotions et de la frustration. C’est précisément l’expertise des professionnels de l’enfance que de chercher à comprendre ce qu’il exprime et de l’accompagner vers des comportements plus constructifs.
La punition n’apporte aucun bénéfice en termes de développement de l’enfant. Ce point a fait l’objet d’une abondante littérature scientifique. Certes, punir fait généralement cesser le comportement non désiré dans l’immédiat, mais elle ne favorise pas le développement des comportements prosociaux et des compétences émotionnelles et sociales sur le long terme, et peut au contraire renforcer les comportements antisociaux.
De façon générale, les professionnels de l’accueil n’utilisent pas des approches punitives. Les auteurs de la tribune préconisent que les crèches conservent un coin pour isoler les enfants lorsqu’ils n’ont pas respecté les règles : ce type de pratiques maltraitantes n’est pas accepté ni mis en œuvre dans les crèches, fort heureusement !
Si un enfant peut être mis à l’écart du groupe pour son confort et/ou pour la sécurité des autres enfants, cela se fait de manière respectueuse et non punitive, en présence rassurante d’un adulte : un groupe d’enfants peut en effet être un environnement sur-stimulant qui augmente le stress des enfants accueillis et leur impulsivité.
Oui, il arrive qu’un enfant de moins de 3 ans se roule par terre, pleure d’une façon qui paraisse excessive par rapport à la cause… Le sentiment qu’il faut le « cadrer » en lui disant d’aller au coin ou d'« arrêter son cinéma » relève néanmoins d’une incompréhension des émotions vécues et d’une méconnaissance du développement des compétences d’autorégulation chez l’enfant. Un enfant de moins de 3 ans n’est pas en capacité de réguler seul ses émotions ou de différer dans le temps l’expression de ses besoins. Son cerveau n’est pas assez mûr pour ce type d’opérations. Il l’apprendra progressivement, et d’autant mieux qu’il aura été accompagné et régulé dans ses manifestations émotionnelles avec l’aide de l’adulte.
C’est là le processus de développement normal du cerveau humain que l’on connaît depuis désormais bien longtemps.Le référentiel de qualité d’accueil réaffirme les valeurs qui guident au quotidien des milliers de professionnels qui œuvrent à l’accueil des bébés et des enfants de moins de 3 ans, et qui fondent le service public de la petite enfance. La violence n’y a pas sa place. C’est en accompagnant, en encourageant, en sécurisant, en donnant aux enfants les ressources et les repères pour construire leur identité et leur estime de soi que l’on aidera les individus à grandir, à trouver leur équilibre individuel et à entretenir des relations sociales harmonieuses.