Pourquoi appelle-t-on cruauté le fait de frapper un animal, agression le fait de frapper un adulte et éducation le fait de frapper un enfant ?

Le colloque Misopédie 2 : pour une prise de conscience de la misopédie dans la société et dans les sciences humaines

par Catherine Barret, membre de l’OVEO

La 2ème édition du Colloque universitaire international transdisciplinaire sur la misopédie et la domination adulte dans les discours contemporains, portant plus spécialement sur l’aspect institutionnel de la misopédie, s’est tenue à Limoges les 9 et 10 octobre 2025. Environ 80 personnes étaient présentes dans la salle et plus de 200 en visioconférence, dont les questions ont également été posées à la suite de chacune des interventions, toutes particulièrement intéressantes. On peut penser qu’à la suite de ce colloque le concept de misopédie est véritablement entré dans le champ d’étude des sciences sociales et humaines, et espérer que cela contribuera à une prise de conscience dans les pratiques professionnelles et dans la société en général.

Merci aux intervenant.e.s qui ont contribué au compte-rendu qui suit, soit en nous permettant de lire leur texte, soit en nous en donnant le résumé, soit encore en relisant les notes prises pendant leur intervention.

Les personnes ayant assisté au colloque dans la salle ou en visioconférence sont invitées à envoyer leurs remarques à l’adresse [email protected], nous publierons volontiers les ajouts ou rectificatifs qui compléteront les lacunes de ce compte-rendu et transmettrons à l’organisatrice vos autres appréciations et suggestions.

Les actes du colloque Misopédie 1 (2024), Définir la misopédie. La domination adulte dans les discours contemporains, sont disponibles aux éditions Le Hêtre. En attendant la parution des actes du colloque 2025, la plupart des interventions seront prochainement proposées en replay sur la page du colloque.

Le colloque Misopédie 3, sur la misopédie dans les arts et la littérature, aura lieu les jeudi 8 et vendredi 9 octobre 2026 !


Cécile Kovacshazy, « Penser la misopédie, pour penser de façon éco-enfantiste »

Dans sa présentation de ce 2ème colloque, Cécile revient sur ce qui l’a amenée à travailler sur la « domination par l’âge », la plus universelle de toutes et à l’origine des autres violences sociales. Dès 1971, dans Pour décoloniser l’enfant, Gérard Mendel dénonçait la fabrique de l’enfance comme nouvelle « classe sociale » à travers un système scolaire hiérarchique qui, déjà, atteignait ses limites.

Plutôt que de voir dans les innombrables violences actuelles (maltraitance physique, affaires de viol, d’inceste et d’agressions sexuelles) dans les familles et les institutions – médecine, système judiciaire, école, aide sociale à l’enfance, etc. – un « retour de bâton », il vaut mieux, selon Cécile, les envisager comme la résistance de la société à une évolution déjà en cours, comme cela a déjà été le cas pour les femmes. La privation des droits fondamentaux ne va plus de soi, et ces colloques nous permettent désormais de « nommer, comprendre et analyser ce phénomène de masse » qu’est la misopédie, « système d’oppression omniprésent dans nos fonctionnements sociaux, politiques, économiques et culturels ». Au-delà de l’émotion causée par les affaires judiciaires, le concept de misopédie comme « système de pensée structurel et fonctionnel, le plus souvent inconscient » répond à la question : « Comment est-ce possible ? »

Non seulement la misopédie est omniprésente dans les institutions liées à la jeunesse, mais c’est elle qui leur permet de fonctionner, et cela « en perpétuant la misopédie qu’elles sont censées combattre » – une hypothèse que ce colloque devrait servir à valider (ou à infirmer...).

Cette réflexion doit s’inscrire dans ce qu’il est proposé de nommer « éco-enfantisme », pour aller au-delà de l’éco-féminisme, qui « avait permis de penser de façon intersectionnelle les similitudes d’appropriation patriarcale des corps féminins et des terres », mais en passant généralement sous silence « la domination patriarcale sur les corps enfantins – domination exercée par les hommes mais aussi par les femmes », à cause de laquelle 100 % des enfants subissent la violence éducative ordinaire, à quoi il faut ajouter « qu’un enfant est agressé sexuellement toutes les 3 minutes, qu’un parent ou beau-parent tous les 5 jours en France tue un enfant au nom de l’éducation, que 14,5 % des femmes et 6,4 % des hommes ont été confrontés à des violences sexuelles avant leur 18 ans, soit 5,4 millions de personnes (INSERM-CIASE) ».

Cette approche éco-enfantiste « permettra d’analyser le rapport au fragile et au vulnérable : les humains en patriarcat détruisent les écosystèmes, ils détruisent l’équilibre du vivant [...] en commençant par détruire l’écosystème des nouveau-nés » et en continuant à travers les institutions. [...] les relations de domination adultistes fabriquent des êtres vulnérables et refusent l’équidignité d’un monde enfantiste [...] où les humains sont toustes considérés avec la même dignité, en tenant compte de leurs particularités. » Comme John Holt le montrait dès 1976 dans S’évader de l’enfance (Escape from Childhood), « l’enfance elle-même est une institution au service des pouvoirs. Réfléchir à la misopédie dans les institutions [...], c’est donc [...] interroger les avantages et les inconvénients de cette construction sociale artificielle qu’est l’enfance ». (Tous les passages entre guillemets sont des citations du texte de Cécile et non des auteurs mentionnés.)


John Wall, Misopedic Politics: Violence against Children in the United States as a Normative Structure of Power.

John Wall, professeur à l’université Rutgers de Camden (New Jersey), est l’un des fondateurs du concept de childism (enfantisme) et responsable de la branche étatsunienne du Childism Institute1. Dans son intervention (en anglais), il aborde la question de la misopédie sous trois angles : ontologique, épistémologique et politique.

Approche ontologique : qu’est-ce que l’agency, qu’est-ce qu’être membre d’une société ? L’opposition binaire enfant/adulte, être dépendant ou indépendant, est considérée comme un état naturel (state of nature), décrit à l’origine par les philosophes (européens et blancs) des Lumières et utilisé pour justifier le colonialisme et l’esclavage. Ces attitudes perdurent aujourd’hui aux Etats-Unis.

- Approche épistémologique : ce sont généralement les adultes (les « sachants », knowers) qui parlent des enfants, eux-mêmes censés ne pas savoir ce qui est bon pour eux, cf. la théorie de la « page blanche » de John Locke, philosophe très influent aux Etats-Unis, selon qui les enfants ne sont pas capables de concevoir des structures et des idées, « puisque » la connaissance se développe avec l’expérience. Théorie également utilisée contre d’autres groupes : les femmes, les pauvres, les « non éduqués », considérés comme infantiles ou enfantins (childlike), privés de pouvoir pour leur propre bien. Le sujet est l’adulte, l’enfant est l’objet.

- Approche politique : c’est un sujet qui fâche, parce qu’il est difficile d’admettre que si les enfants n’ont pas le droit de vote, c’est qu’il y a un problème avec la démocratie, et non avec les enfants. On considère qu’il serait dangereux de laisser voter les enfants parce qu’ils ne sont pas « compétents », mais la démocratie n’est pas une question de compétence – de quelle compétence a-t-on besoin pour avoir le droit de voter ? Beaucoup d’adultes qui votent ne sont pas « compétents » (et ils votent parfois bizarrement !). La notion de vote a évolué au cours de l’Histoire – à Athènes, 6 % des hommes étaient électeurs (et aucune femme).

La misopédie est le résultat d’une longue évolution du pouvoir patriarcal et étatique. Le pouvoir est structuré autour de la privation de pouvoir (disempowerment) des enfants, les adultes se pensent eux-mêmes comme dominants. Lutter contre la misopédie dénouerait toutes les autres formes de domination.

En réponse à une question sur les élections, John Wall ajoute qu’elles ne fonctionnent plus, précisément parce qu’on passe les 18 premières années de sa vie à s’entendre dire qu’on est incapable. À la question « existe-t-il un lien entre infantilisation et “animalisation” (misogynie, racisme...) », il répond simplement : oui !


Maëva Herriau, « Déjouer la misopédie : vers une désessentialisation de l’enfance »

Maëva Herriau souhaite élaborer une théorie des représentations sociales (en psychologie, sociologie...) concernant les enfants, cf. par exemple les objets, mots et gestes qui leur sont adressés ou destinés. Ces représentations existent, on ne peut pas tout simplement les supprimer, il faut les adapter, les ajuster à une réalité souhaitable, ici l’égalité entre enfants et adultes.

De quel type d’égalité parle-t-on, une égalité complète, partielle ? Une égalité juridique, relationnelle, ou comme « critère de distribution » (des ressources ou des biens) ? Dans les trois cas, le principe d’égalité morale de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 s’applique. Le statut moral de la personne implique le respect de la dignité humaine, que l’on soit « agent moral » (la personne qui donne un droit) ou « patient moral » (la personne à qui le droit est dû). Or, ce respect semble périphérique dans le statut actuel des enfants.

La seule solution est donc la déessentialisation de l’enfance, mais pour autant la représentation sociale doit rester cohérente : ce sont les éléments périphériques qui doivent changer – éléments contradictoires entre eux : les enfants sont vus à la fois comme mignons et pénibles, purs et asexués / dangereux, mauvais de nature, sages et clairvoyants / idiots, ignorants, forts / faibles et à protéger. À quoi on peut ajouter les « biens spécifiques (special goods) à l’enfance » : caractéristiques biologiques telles que plasticité cérébrale, attention dispersée, joie de vivre, curiosité (questions, expérimentation). Théorie généralement utilisée pour dire que l’enfance vaut la peine d’être vécue, mais M. Herriau se propose de l’utiliser pour modifier les « représentations périphériques » dans la théorie et la pratique, donc avec des effets concrets (cf. les relations éducateur-éduqué...). Changer le regard, c’est changer les représentations sociales. L’équidignité étant au centre, il s’ensuit un cercle vertueux – mais tout cela reste à creuser.

Dernière remarque sur la misopédie comme mépris : ce mot peut désigner à la fois le « dédain » et... le fait de se méprendre !


Bertrand Stern, « L’enfance : une utopie caduque ? La C.I.D.E. »

Bertrand lit sa conférence car il est plus difficile pour lui de parler en français. Il met d’entrée en question la notion d’enfance : le mot vient de infans, qui ne parle pas au sens « ne sait pas parler » (donc le nourrisson). Ekkehard von Braunmühl, qu’il a rencontré, lui a permis de faire le lien entre conception de l’enfance et éducation. L’État paternaliste (éducation/enfance) base de la dictature. Avec le « statut de l’enfant », le jeune humain est (paradoxalement) de plus en plus stigmatisé. Sans « enfance », pas de système scolaire, or, l’école hypothèque l’avenir de l’être humain. Comment interpréter autrement le fait de dire qu’on envoie son enfant à l’école ? Le jeune humain qui refuse ce rôle met en péril son avenir de « bon citoyen ». De plus en plus de procès en Allemagne contre des parents « récalcitrants » aboutissent à un non-lieu considérant que l’enfant est sujet et non objet. Bertrand Stern nous invite à ne plus utiliser le mot « enfant ».

Effets pervers de la C.I.D.E : malgré ses bonnes intentions, elle enferme les enfants dans des obligations, alors que les droits humains étaient déjà dans les conventions internationales, sans précision d’âge. En particulier l’obligation scolaire (qui n’est plus seulement un droit, surtout en Allemagne avec la traduction qui parle de « rendre l’éducation scolaire obligatoire et gratuite ») « exproprie » les parents (NB, il ne s’agit bien sûr pas ici de propriété des parents sur les enfants). L’école est liée à l’exploitation par le travail.

Comme l’a écrit Richard Farson (Birthrights, 1974), « cessons de protéger les enfants et protégeons leurs droits » !

Bertrand Stern plaide pour une évolution radicale de l’être humain vers l’écologie :

1/ Il ne s’agit pas de transformer l’enfant en tyran (cf. l’« éducation antiautoritaire ») mais de créer un climat de convivialité.

2/ Aller vers un État de service public (au service du public), vers la communauté.

3/ Mettre fin à la méfiance envers les mères et la maternité (contre la position naturelle, le mot « accouchement » renvoie à la position couchée ! date de Louis XIV...). Base de la confiance en soi de l’enfant.

4/ L’actualité le pousse à se demander quelle est la relation entre cette violence structurelle et la violence écologique, la guerre etc. : sinon causalité, au minimum corrélation !

Il faut opter pour la convivialité, bien au-delà de toute misopédie. Un État paternaliste (ou l’O.N.U.) ne peut pas « émanciper l’enfance » !


Daniel Delanoë, « La misopédie dans la psychanalyse. Culture du viol et de l’inceste d’enfant »

Résumé. Contrairement à la domination masculine, la domination adulte et la misopédie n’ont guère été identifiées et décrites dans le corpus psychanalytique. Cela tient en particulier à la conceptualisation récente du rapport social de domination sur les enfants par la société adulte (Bonnardel, La Domination adulte, 2015). Dans ses premiers écrits, notamment Sur l’étiologie de l’hystérie (1896), Freud fait une découverte majeure : les symptômes de ses patientes sont la conséquence des agressions sexuelles et de l’inceste qu’elles ont subis dans l’enfance. Mais, en 1897, il abandonne cette théorie au motif qu’il ne pouvait « pas croire qu’il y ait autant de pères aussi pervers » y compris le sien, et qu’il s’agit de fantasmes (Lettre à Fliess du 21 septembre 1897). Deux mois plus tard, il commence à élaborer le complexe d’Œdipe, dans lequel ce sont les désirs de l’enfant envers le parent qui sont à la source des fantasmes. Le complexe d’Œdipe innocente ainsi le parent. Ce modèle est resté constitutif de la psychanalyse, malgré la critique de Ferenczi en 1932 dans son article « La confusion des langues » (Masson 2012).

Le déni et la banalisation des violences sexuelles et physiques envers les enfants se retrouvent dans les écrits suivants de Freud, dès le cas Dora (1905) et le cas de l’homme aux rats (1909). Freud élabore également une conception du psychisme de l’enfant comme pervers polymorphe qui constitue une violence théorique majeure envers les enfants. Depuis Eva Thomas (Le Viol du silence, 1986), plusieurs femmes victimes d’inceste ont témoigné avoir été renvoyées à leur désir inconscient pour leur père quand elles parlaient à un psychanalyste de l’inceste qu’elles avaient subi (Caroline Pothier dans son podcast 20 000 lieues sous ma chair). Bien que la psychanalyse ait contribué à forger l’idée de l’enfant comme un sujet, ces différentes formes de violence théorique et clinique se retrouvent chez la plupart des psychanalystes contemporains, de Françoise Dolto en 1979 (« Il n’y a pas de viol du tout, elles sont consentantes ») à Caroline Goldman justifiant la mise au coin depuis 2023. Il s’agira de tracer la généalogie de ces discours et de les inscrire dans les processus de misopédie.

Cette intervention de Daniel Delanoë est suivie de nombreuses questions et réponses que l’on pourra retrouver dans le replay.


Laurine Pinazo, « Lʼadultocentrisme des théories du “tabou de l’inceste” »

Cette intervention porte en grande partie sur la misopédie et la philosophie propédophile (le « rapt des enfants ») des années 1970, justifiée entre autres par Michel Foucault dans son Histoire de la sexualité, t. 1, par Guy Hocquenghem et René Schérer (1976), et quelques autres. Il est bien sûr aussi question de Gabriel Matzneff et de la complaisance des médias de l’époque (au moins jusqu’à la fin des années 1980, cf. les épisodes aujourd’hui bien connus des deux passages de Matzneff dans l’émission de Bernard Pivot). L. Pinazo cite l’émission radiophonique « La loi de la pudeur » (1978), entretiens entre Foucault, Hocquenghem et Jean Danet pour la modification du code pénal (la dépénalisation des relations entre adultes et « mineurs »). (Voir plus loin l'intervention de M.-D. Garnier.)


Elsa Roland, « Une généalogie foucaldienne intersectionnelle de la misopédie »

Dans Le Berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste, Dorothée Dussy montre qu’en anthropologie, dès l’origine, l’inceste n’existe qu’en négatif par son tabou – l’interdit de l’inceste –, son existence n’est pas traitée en tant que telle. Voir aussi le texte de 1975 de l’anthropologue états-unienne Gayle Rubin « L’économie politique du sexe2 » sur la « théorie féministe manquée » de Lévi-Strauss.

L’objectif de cette communication très dense était de « penser la misopédie, ses pratiques et ses discours, dans une perspective foucaldienne et intersectionnelle ». « Les généalogies de l'enfance de Michel Foucault, disséminées dans son œuvre », ont été reprises à partir des années 1990 dans les recherches féministes (Silvia Federici et ses généalogies des femmes) et les études postcoloniales, en particulier Anne Laura Stoler et ses généalogies des colonisés, absentes chez Foucault.

Comme le montre Foucault dans Surveiller et punir (1975) et dans son cours de 1973-74 au Collège de France (publié au Seuil en 2003 sous le titre Le Pouvoir psychiatrique), il y a à partir du XVIe siècle une soumission « de la jeunesse à “un très curieux schéma à la fois monastique et militaire” qui aura servi d’instrument à un vaste mouvement de capturede “la jeunesse à l'intérieur des formes pédagogiques” », mouvement qui constitue « une opération de colonisation par des techniques d'individualisation du pouvoir, largement héritées du “pastorat chrétien” [...] et qui constitue les prémices de ce que l’on nomme aujourd’hui en sociologie ou en sciences de l’éducation la “forme scolaire” », dans une perspective de rationalisation de l’exercice du pouvoir.

Les nouvelles études féministes (féminisme matérialiste de Butler, Federici, Dorlin, Delphy… et féminisme décolonial de Davis, Vergès, Mahmood, Hamidi…) montrent que les XVIe et XVIIe siècles « constituent également un tournant dans les rapports de domination homme/femme. Comme les enfants, au XVIe siècle, les femmes perdent du terrain dans tous les domaines de la vie sociale », mouvement qui s’accompagne d’une perte progressive de leurs droits juridiques. « Il y a donc un mouvement de bascule dans les rapports hommes/femmes, parallèlement à cette opération de capture et/ou de disciplinarisation/colonisation de la jeunesse après l’Ancien Régime. »

Elsa Roland explique comment, selon Ann Laura Stoler, il n’est pas possible de rendre compte de la construction des identités bourgeoises et des normes familiales et sexuelles européennes sans penser les situations coloniales : ainsi, alors que l’idée d’enfance n’existait ni dans les colonies ni dans les métropoles avant le XXe siècle, à partir du XVIe siècle les femmes deviennent les agents de la politique coloniale de ségrégation raciale et culturelle (idéologie de la conservation de « l’enfance blanche ») à travers l’éducation des enfants, la gestion de la domesticité etc.

L’objectif est donc « d’inscrire la misopédie dans les débats sur l’intersectionnalité » pour « penser conjointement l’historicité des rapports de domination enfants/adultes, femmes/hommes, colonies/métropoles, dans l’histoire longue des pratiques et des discours scolaires et éducatifs du XVIe au début du XXe siècle en Occident ».


Marie-Dominique Garnier, « Des philosophes et une enfance : des utopies-seventies au “pouvoir des petits” »

MDG parle à partir de l’université Paris VIII-Vincennes (le 2ème terme, Vincennes, aujourd’hui disparu) : Foucault, Guattari, Schérer, Hocquenghem, mais aussi Hélène Cixous, Paul D. Preciado...

Les émeutes urbaines sont le fait de jeunes : les petits, les « tipeu »... (grande résonance entre les années 1970 et ce qui se passe aujourd’hui...). La CIDE : sigle malheureux, cf. le suffixe –cide ! et l’acide !

MDG précise que le texte de l’émission de France Culture « La loi de la pudeur » (citée plus haut) a été publié l’année suivante dans la revue Recherches sous le titre « Fous d’enfance3 ». Les relations sexuelles entre adultes et enfants sont alors (juridiquement) qualifiées d’« attentat à la pudeur sans violence contre mineur »... On peut (re)lire L’Anti-Œdipe de Guattari et Deleuze (« sous Doliprane », précise MDG !)

Elle cite Derrida : le mot glas résonne avec « classe » dans la langue hégélienne.

Guattari : « Ce que n’importe quel enfant sait, Freud ne le sait pas... »

Deleuze et Guattari donnent une autre version de l’opposition majeur-mineur : majoritaire et minoritaire ! Les minorités sont des « ensembles flous »...

Tout cela pour « rouvrir la boîte » de ce qui a été dit et écrit dans ces années-là, au-delà des choix contestables (c’est moi qui reformule la conclusion).

À notre question sur la réalité des pratiques pédophiles actives des auteurs cités (cf. Schérer), MDG répond que sa recherche porte uniquement sur l’aspect philosophique.

Daniel Delanoë : il y a un droit d’inventaire, il faut revisiter les textes de cette époque.

Marc-André Cotton mentionne le film Little Girl Blue de Mona Achache, dont la mère a subi l’emprise sexuelle de Jean Genet. Il questionne aussi l’importance de revisiter ces auteurs à la lumière de récentes révélations d’abus.

Daniel Delanoë conclut fort justement : « C’était une époque de grande confusion ! »


Claire Cossée, « Vers une perspective enfantiste dans les sciences sociales en France »

Il faudra écouter en replay cette intervention, dont nous avons seulement noté les conclusion(s) très intéressante(s) sur les travaux en sciences sociales en France, où les études féministes ont très peu pris en compte les childhood studies : mis à part quelques autrices (Christine Delphy...), on a perdu l’attention à la misopédie, alors qu’on peut citer des auteurs/trices anglophones comme Barrie Thorne (1987), “Re-Visioning Women and Social Change: Where Are the Children?” (Gender and Society, 1, 85-109).


Juliette Kos-Muller, « Les animateurices sont-iels misopèdes ? Une enquête sur la gestion de conflits entre enfants en centre de loisirs »

Résumé : Cette étude sur la gestion de conflits entre enfants par les animateur·ices est issue d’une enquête sociologique de terrain menée entre septembre 2024 et juin 2025 dans un centre de loisirs périscolaire. L’analyse de cet objet d’étude restreint permet de décrire plus largement comment la misopédie structure le fonctionnement du centre de loisirs et détermine les pratiques professionnelles des animateur·ices, qui renforcent la misopédie en retour. En effet, la gestion de conflits entre enfants fait l’objet d’un monopole adulte qui s’exerce sur un mode répressif, légitimé par des mythes misopèdes associant l’enfance à l’innocence et à l’inachèvement, avec pour conséquence la dépolitisation de l’enfance et le désempouvoirement des enfants.

Au centre de loisirs, il existe une stricte distribution des rôles entre deux catégories : « les enfants, qui entrent en conflit entre elleux ; et les animateur·ices, [...] chargé-es de la gestion de ces dissensions » et pas censés entrer en conflit entre eux devant les enfants, mais faire front contre eux, « au prétexte d’assurer une forme de cohérence pédagogique qu’on pourrait aussi qualifier de solidarité adulte. » On attend des enfants une certaine passivité : ils racontent leur version de l’histoire lorsqu’on leur donne la parole, puis « doivent exécuter les ordres des adultes qui leur demandent généralement de se séparer ou se présenter des excuses mutuelles. Les enfants qui tentent de participer à la gestion des conflits prennent le risque d’être rappelés à l’ordre », on les invite à « retourner à [leur ]place d’enfant », ou bien leur investissement suscite « un amusement tendre » (donc condescendant). La plupart des animateurs apprécient certes que les enfants s’entraident en cas de conflit, mais seulement sous la surveillance des adultes (JMK donne ici et ailleurs des exemples de dialogues très parlants), il s’agit toujours de corriger les solutions trouvées par les enfants, souvent d’empêcher le conflit par la punition, la « sanction » (censée différer de la punition en ce qu’elle doit réparer l’infraction commise, mais en réalité les mots sont interchangeables) ou la séparation des enfants concernés (elle aussi punitive : mise à l’écart, obligation de se taire et d’écouter l’adulte). En théorie les conflits ne sont pas « interdits », mais il le sont de fait puisque réprimés. Le conflit dérange les adultes, qui le manifestent par leurs gestes (agacement) et leurs paroles. Le manque de temps est invoqué comme excuse, mais le plus souvent l’adulte privilégie son propre programme, même dérisoire en comparaison du problème de l’enfant.

La « gestion des conflits » ne répond pas aux besoins des enfants, mais est censée les « préparer à la vie adulte ». Cette conception repose sur le mythe misopède de « l’enfant inachevé », la « contrainte par le droit » étant « un moyen de sortir de l’état de nature ». « L’enfance insouciante » est un autre mythe misopède. « Considérer que la conflictualité enfantine est causée par l’incompétence émotionnelle des enfants revient à dire que les enfants entrent en conflit parce qu’ils sont des enfants. Cette perspective nous rend aveugle aux causes sociales et politiques des conflits entre enfants. Pourtant, le racisme, le sexisme, le classisme ont un impact sur leur sociabilité et provoquent parfois des affrontements. »

La « gestion des conflits entre enfants » occupe une grande partie des réunions d’équipe des animateurs. Entre eux, les animateurs utilisent toutes sortes de qualificatifs pour déprécier les enfants (« menteurs », « manipulateurs », « trop intelligents pour leur âge »), surtout à propos des conflits. JKM suppose ainsi « que les conflits entre enfants font ressurgir chez les animateur·ices des représentations misopèdes, et que la misopédie influence en retour la façon dont ces conflits sont perçus, interprétés et gérés ». Elle tire de son enquête trois conclusions : « Les animateur·ices ont le monopole de la gestion de conflit et répriment la conflictualité entre enfants (1) ; cet ordre des choses est légitimé et produit par les mythes misopèdes que les animateur·ices remobilisent dans leur pratique professionnelle et qui structurent le fonctionnement du centre de loisirs en tant qu’institution4 (2) ; ce qui a pour effet de dépolitiser l’enfance et de désempouvoirer les enfants (3). »

« La monopolisation de la gestion de conflit par les animateur·ices prive par ailleurs les enfants de l’exercice de certains pouvoirs et du développement de dispositions et de compétences nécessaires pour agir sur le monde. » Les enfants sont privés du droit de définir ce qui est juste ou injuste, on les empêche de développer « leurs dispositions à l’expression du désaccord, au débat et à l’opposition ».

Cette enquête a permis de faire apparaître un non-dit dans les priorités des animateurs : selon leur propre conception de leur métier, cinq sur six affirmaient que (sur une liste de 5 missions) « discuter avec les enfants » devrait être leur mission première, mais estimaient que « concevoir et animer des ateliers » était ce que la hiérarchie et les parents attendaient d’eux – d’où la répression et la gestion autoritaire des conflits entre enfants. La mise au jour de cette contradiction « pourrait aboutir à une mutation des pratiques professionnelles vers une moindre misopédie ».

JKM conclut par les mots d’une enfant de CM1 en réponse à sa question sur la journée idéale – « avec plein de conflits, un peu de conflit, ou pas de conflit du tout ? ». Réponse : « Y avait pas sans adultes ? [...] Comme ça au moins on va pas à l'école, comme ça y a pas de conflits du tout ! […] Au pire on prend une ou deux minutes pour réviser nos tables et après on saura ! Et voilà, on a trouvé une solution, on a trouvé le futur. »


Daliborka Milovanovic, « Ce que l'école fait aux enfants »

Cette intervention qui nous a tous et toutes « scotché(e)s », tant par sa qualité que par son contenu, a eu lieu en visioconférence, l'autrice ne pouvant être présente pour des raisons indépendantes de sa volonté. Certains objecteront à cette dénonciation du système scolaire que l’école peut sauver de enfants, que beaucoup ne pourraient pas s’instruire sans elle... Mais il faut la comprendre comme une dénonciation globale de l’aliénation des êtres humains sacrifiés par un système productiviste et hiérarchique. Pour cela, on peut relire ou réécouter les propositions de Bertrand Stern pour un État « de service public », réellement au service d’une société et d’une « communauté » solidaire qui mettrait ses ressources à la disposition des enfants, sans les enfermer dans le cadre limité de la famille restreinte.

L’objet de cette intervention est ce que l’école fait aux enfants, mais ce qu’elle leur fait vraiment, pas ce qu’on prétend qu’elle fait ou voudrait qu’elle fasse. Ce discours critique de l’école est rarement pris au sérieux, parce qu’il est dérangeant.

L'école et la famille sont les deux structures de l’aliénation, de la négation du corps des enfants. Les corps enfantins ne sont pas reconnus pour ce qu’ils sont. Ils sont colonisés, capitalisés, transformés en « produits finis »...

Comme pour l’amour, on pourrait dire qu’il n’y a pas de haine, mais seulement des preuves de haine : ce que la haine ou le mépris produit sur son objet. Les corps enfantins portent les stigmates de la misopédie, depuis la façon de naître jusqu’à la façon (et le fait même) d’organiser leur temps, le façonnement des corps par la haine des enfants (allant à l’extrême jusqu’à l’anéantissement) détermine des attitudes et des postures, et cause des pathologies. Or, « l’école façonne les corps humains pendant tout le temps de leur croissance, au moment où ils sont le plus malléables ».

Une précision : dans une perspective matérialiste, on ne distingue pas ici le corps et l'esprit : le corps n'est pas un symptôme de la « vie intérieure », il est la vie intérieure – « le psychisme, les pensées, mais aussi les rêves, les traumas refoulés ». Pas de dualisme : le corps est un « point de vue » sur lui-même et ce qui l’entoure (perceptions), il traite les informations pour s’y adapter.

Le paradigme sur la nature humaine qui prévaut en Occident depuis quelques siècles (et qui est à la base des institutions éducatives) considère l’enfant comme une matière brute, inachevée, donc « à développer ». D’où la théorie du « développement humain » (développementalisme).

Les discours du XIXe siècle justifiaient l’institution scolaire par des considérations socio-économiques, ce qui avait au moins le mérite de la clarté. Les arguments d’aujourd’hui s’appuient plutôt sur l’éthique, le droit, voire la science, mais ne sont pas cohérents avec ce que l’école fait réellement aux enfants, ils parlent de corps fantasmés, « espérés ». « Ils ne parlent pas du présent, mais de l’avenir » : le « produit fini ». Gérard Mendel a parlé des corps enfantins colonisés – destin commun avec les corps féminins ou plutôt maternels : corps exploités dans un but productiviste, ne s’appartenant plus.

Coloniser le corps, c’est aussi coloniser le temps du corps. L’école (comme le travail) est « la grande voleuse de temps ». Le temps est, avec le corps, le bien le plus personnel, le plus intime. L’école prive l’enfant de son temps pour en disposer à ses propres fins, mais elle échoue même selon ses propres critères de « performance ». Le temps volé est irrémédiablement perdu, la privation des expériences et apprentissages personnels, leur négation par l’institution scolaire, a de graves conséquences pour la suite de la vie.

L’école est donc « la grande menteuse » en prétendant agir « pour le bien » des enfants, les parents (surtout les plus pauvres) qui voudraient les soustraire à l’obligation scolaire étant par définition suspects. La mise à l’école de tous les enfants est allée de pair avec la révolution industrielle qui envoyait leurs parents à l’usine.

Le grand mensonge réside aussi dans la confusion, juridiquement infondée, entre « droit à l’instruction » et « instruction obligatoire » : en réalité, l’obligation (et la répression qui l’accompagne) précède le droit et les justifications juridiques. Les jurisprudences européennes prétendent se sortir de cette contradiction en laissant à chaque État la latitude de traduire à sa convenance le « droit à l’instruction » dans sa législation – donc d’y entériner l’obligation qui existait déjà. Le « droit à l’instruction » est ainsi satisfait à bon compte par un service minimum (un enseignement limité et un enfermement) au lieu d’un « accès libre et facilité à une grande diversité d’enseignements riches et attrayants ». L’école nous prive des meilleures années de notre vie, « il n’y a aucun bon sentiment, aucune bonne intention, aucune morale, aucun argument, fût-il scientifique, aucune excuse qui rendrait acceptable une telle effraction et une telle privation ».

La conférence se conclut par cette phrase du poète tzigane Alexandre Romanès : « On enverra nos enfants à l’école quand les vôtres iront en chantant. »


Rodolphe Dumouch, « Les particularités du développement humain, alibis du maintien tardif de la minorité »

La domination des jeunes personnes se fonde sur la notion d'“adulte”, stade considéré comme accompli par opposition à l'enfant et à l'adolescent, non finis, frappés d'une immaturité qui justifierait un statut infériorisé. Il convient, pour déconstruire cet adultisme, d'examiner le fondement biologique sur lequel elle prétend s'appuyer. On peut l'examiner du point de vue de l'ontogenèse et constater qu'il est difficile de déterminer un stade “fini”, il y a même régression de certaines fonctions. Mais c'est encore plus éclairant de le relativiser par la phylogenèse, où la “finitude” d'une espèce descendante peut correspondre à un stade juvénile de l'espèce ancestrale. (Voir le travail de Stephen G. Gould sur la biologie évolutive du développement.)

En classe de seconde Rodolphe a été choqué par le texte (souvent distribué aux élèves) sur “les adolescents et le sport” d'après Avanzini, Le Temps de l'adolescence, où l'auteur affirme que le seul domaine où les adolescents peuvent être meilleurs que les adultes est le sport. Il est considéré comme l’un des inspirateurs de la pédagogie où “l'élève construit son savoir”, alors qu'il valide sa minorisation. 

Le développement se poursuit à “l'âge adulte”– certaines parties du corps (taille, mâchoire etc.) poussent plus vite que d’autres. Le phénomène inverse est la néoténie : conservation de caractères juvéniles chez l'adulte par rapport à l'espèce ancestrale. Exemple : migration du trou occipital (racine de la colonne vertébrale) vers l'arrière du crâne. L'homme adulte a les caractéristiques du jeune chimpanzé. Cf. schémas des horloges de Gould sur l'hypermorphose (“hypermorphose de durée” et “homme ancestral”) à la fin de l’article Hétérochronies dans l'évolution des hominidés. Le développement dentaire des australopithécines « robustes » :

Il existe d'autres formes ou combinaisons de variations du développement : ralentissement, accélération, arrêt précoce ou tardif... Pour le cerveau, il y a à la fois ralentissement et hypermorphose : certaines capacités atteignent leur maximum avant l’âge « adulte » et décroissent ensuite (par ex. la capacité à apprendre des langues est maximale vers 11 ans). La plupart des représentations sociales sur le développement humain ne correspondent pas à la réalité biologique.

Autre aspect du développement humain utilisé de façon stéréotypée : la corrélation supposée – selon l’article de Cecile D. Ladouceur (université De Pittsburgh) L’influence de la puberté sur les circuits neuronaux sous-tendant la régulation des émotions : implications pour la compréhension des risques de troubles affectifs, revue Santé mentale au Québec – entre montée des hormones et capacité de régulation des émotions, alors qu'en réalité la montée hormonale est très progressive et se poursuit après l'adolescence. Non seulement il y a confusion entre corrélation et causalité, mais, quand bien même les ados seraient plus « immatures » pour contrôler leurs émotions, cela justifie-t-il de nier leurs droits ?

La prise de risque, par exemple, peut être utile à la société, et il est logique qu’elle concerne davantage les jeunes (on prend généralement moins de risques quand on est âgé... ou quand on a des enfants). Mais on a utilisé ce facteur pour envoyer à la guerre des jeunes de 18 ans alors que la majorité était encore à 21 ans. 

L'interprétation de la CIDE par des auteurs médiatiques : voir Irène Théry et Alain Finkielkraut, pour qui il ne faut pas confondre les enfants et les adultes, ces premiers ne pouvant, “par définition” (confusion entre nature et artifice social de la minorité), avoir les mêmes droits. Et Jean-Pierre Chartier (voir la critique de son livre Les Transgression adolescentes) : il ne faut pas que les enfants aient des droits, il faut juste que les adultes se comportent mieux, a influencé les parlementaires en ce sens. Selon le juge Durand, il ne faut pas “démanteler l'enfance”, on doit donc garder la “minorité” en un seul bloc sans tenir compte des divers degrés d'autonomie entre 0 et 18 ans. 

La fausse laïcité scolaire française : ce sont les parents qui décident de la religion de l'enfant et peuvent l'imposer dans des écoles comme le collège Stanislas – confirmé par l'inspection générale en 2025 – à l'inverse de ce qui se fait dans d'autres pays développés et au mépris de l'article 14 de la CIDE.

Ils décident aussi de l'orientation scolaire de l'enfant (ce sont eux qui signent le formulaire et pas l'enfant), touchent les indemnités d'apprentissage, les salaires etc. Autre exemple : un concours de textes littéraires ou de poésie au collège pour lequel les parents devaient donner leur autorisation pour envoyer un simple texte...

Les adolescents ont intégré l'idée que leur comportement est “dicté par les hormones” (dans les réponses écrites des élèves de trois classes en relation avec le programme de seconde sur la procréation, seulement 2 sur 70 disent le contraire ; d'autres s'autocensurent), alors qu'en réalité le maximum de la progestérone est autour de 30 ans pour les femmes, et que la testostérone atteint un plateau vers 20 ans.

Là encore, cette intervention (ici très résumée) annonce, du moins on l’espère, une évolution vers une conception plus scientifique et moins idéologique (misopède) du “développement de l’enfant”, qui irait dans le sens du respect des droits humains sans distinction d’âge.


Maialen Berasategui, « L’infantilisation : de la théorie médicale à la revendication politique, histoire d’un concept misopède »

D’où vient l’infantilisation ? À quoi sert-elle ? Comment la définir, et peut-on utiliser ce concept en sciences sociales ?

Le mot remonte au XXe siècle – dès les années 1920 en Allemagne, un peu plus tard en France. Le XIXe siècle est marqué par l’apparition de la notion de « normalité ». Pour l’individu, devenir adulte signifie « devenir une meilleure version de ce qu’il était enfant ».

Avant le mot « infantilisation », il existait déjà l’infantilisme. Le féminisme était une pathologie, la « féminisation » d’un homme adulte.

Misopédie des revendications féministes et raciales : « on n’est pas des enfants ». Analogie entre pouvoir dans la famille (patriarcat) et dans la société.

Considérations linguistiques : à noter que le mot infantilism en anglais renvoie au bébé et non à « l’enfant » ! En allemand, verkindlichen (infantiliser, de Kind = enfant) signifie aussi simplifier, rendre « enfantin » (un raisonnement)...

Au début du XXe siècle émerge en littérature la figure de l’homme pris pour un enfant : The Curious Case of Benjamin Button, nouvelle de Fitzgerald, en 1922 (où le héros naît à l’état de vieillard et rajeunit tout au long de sa vie jusqu’à sa mort à l’état de nourrisson) ; Ferdydurke, roman de Gombrowicz paru en 1937, où un homme adulte est pris pour un adolescent, symbolise la peur d’être infantilisé / traité comme un enfant / déclassé...

Actuellement campagne d’affichage sur les handicapés qu’il faudrait « sauver de l’infantilisation »...

Les actes des adultes sont justifiés par leur statut, ils sont supposés compétents.

En réponse à une question sur « l’infantilisation des enfants » (selon Toby Rollo), assignation à la catégorie « enfance » : dans l’absolu c’est pertinent, mais cela crée une confusion.

Yves Bonnardel (dans le public) fait un parallèle avec l’animalisation des animaux (vs. l’animalisation des humains) : oui, mais l’usage (de ce concept) n’est pas le même.


Le colloque se termine par l’intervention des jeunes membres du J.E.M (Journal des enfants du monde) qui l’ont ouvert : Lalitha, Saan et Vadim, accompagnés de leur assistante et productrice Nina. Ce podcast est visible pour le moment sur le site adyct.org.

Petite annonce : Bertrand Stern cherche des avocat(e)s qui accepteraient d’utiliser l’argument de la misopédie !

Cécile K. signale à l’assistance le petit livre de Clémentine Beauvais, Droit de vote dès la naissance.


  1. La cofondatrice du Childism Institute, Tanu Biswas (Childism Institute de Stavanger, Danemark) est intervenue lors de la première édition du colloque. On peut lire en ligne l’article de John Wall (2019) From childhood studies to childism: reconstructing the scholarly and social imaginations, Children's Geographies. ↩︎
  2. Gayle Rubin, 1975, « L’économie politique du sexe. Transactions sur les femmes et systèmes de sexe/genre », trad. Nicole-Claude Mathieu, Cahiers du CEDREF, Paris, Université de Paris VII. Disponible en ligne ici. ↩︎
  3. « Fous d’enfance. Qui a peur des pédophiles ? », Recherches n° 37, avril 1979, retiré ensuite de la circulation, voir l’intéressant article Wikipédia Apologie de la pédophilie. Sur la « libération sexuelle » des enfants et, entre autres, Richard Farson, ami de John Holt cité par Bertrand Stern dans sa conférence, voir aussi cet article (en anglais). ↩︎
  4. Note de l’autrice de ce compte-rendu : Juliette Kos-Muller n’aborde pas dans son intervention la question de la formation initiale – qui, il est vrai, se pose davantage pour les formations longues. Mais la formation théorique du BAFA (voir le site gouvernemental et ceux des organismes de formation) comporte une partie « Connaissance de l’enfant (0-18 ans) » dont on peut supposer qu’elle repose sur les mêmes bases. Cette remarque sur les « mythes misopèdes » pourrait en tout cas certainement être généralisée à la plupart des personnes qui travaillent avec des enfants, éducateurs, enseignants, professions médicales, personnel des lieux de garde etc. C’est une question que nous avons déjà abordée à l’OVEO : en France, la formation en psychologie des éducateurs, par exemple (et ne parlons pas des formations universitaires), repose presque entièrement sur la psychanalyse freudienne, même si la « gestion des conflits » (expression très entrepreneuriale) est surtout héritée du comportementalisme et des techniques de communication. Il serait intéressant aussi de savoir quel rôle joue l’adhésion ou non des animateurs et des professionnels de l’enfance aux principes et aux connaissances dispensées par leur formation. Gros chantier en perspective... ↩︎

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