C’est seulement quand se produit un changement dans l’enfance que les sociétés commencent à progresser dans des directions nouvelles imprévisibles et plus appropriées.

Lloyd de Mause, président de l'association internationale de Psychohistoire.

Déclaration de philosophie de l’OVEO (avril 2021-décembre 2023)

Illustration Gregory Nemec
Illustration : Gregory Nemec, Teachers College Reports, Columbia University, vol. 3, n° 1, hiver 2001 (www.nospank.net).

Violence éducative ordinaire : au-delà des gestes, des mots, un système de domination à déconstruire

À ce jour, la loi du 10 juillet 2019, dite d’interdiction "des" violences éducatives ordinaires, n’a pas encore été suivie de mesures précises (non-prise en compte dans le plan de lutte contre les violences faites aux enfants, pas de campagne d’information de grande ampleur…). Il s’agit pourtant d’un enjeu central, dans un contexte qui met à mal la situation des enfants (augmentation des violences intrafamiliales, difficultés psychologiques, violences institutionnelles…).

Cet enjeu de société est dans la plupart des cas envisagé sous l’angle d’une série de gestes ou d’attitudes qu’il s’agirait de bannir de l’éducation (« les » violences éducatives ordinaires). Bien souvent, le principe de l’obéissance aux adultes n’est pas remis en question, ce qui aboutit très souvent à des conseils éducatifs relevant de la manipulation. Les neurosciences, aujourd’hui mises en avant, peuvent malheureusement être utilisées dans le but que les enfants se conforment plus facilement aux demandes des adultes.

Or, la notion de violence éducative ordinaire va plus loin : il s’agit bien d’une violence systémique, relevant d’une logique de domination des adultes vis-à-vis des enfants. Ce système de domination apparaît d’autant plus difficile à déconstruire qu’il est considéré par la société comme normal, voire naturel. Ce schéma de pensée influence notre rapport au monde, notre rapport aux autres, notre rapport à nous-même, entretenant les mécanismes de la violence. À noter qu'il est particulièrement à l’œuvre dans les affaires de pédocriminalité et d’inceste (soumission inconditionnelle à l’autorité de l’adulte, enfants qui ne sont pas écoutés, pas crus…).

À travers cette déclaration de philosophie, l’OVEO entend clarifier ce qui constitue sa vocation la dénonciation de toutes les formes de violence, la déconstruction des principes de supériorité et de domination des adultes vis-à-vis des enfants et mettre en lumière les ressorts de cette violence systémique, dont la prise de conscience sociétale reste encore à venir.

Notre déclaration de philosophie (pdf)

Déclaration de philosophie (avril 2021-décembre 2023)

L’Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO) est une association à but non lucratif menée par des bénévoles. Apolitique, aconfessionnelle, elle est économiquement et idéologiquement indépendante de tout groupe d’intérêts ou de pression.

L’OVEO a été créé en 2005 à l’initiative d’Olivier Maurel. Sa philosophie plonge ses racines dans les travaux d’Alice Miller, qui a dénoncé la violence exercée sur l’enfant « pour son bien 1 ».

Toutefois, l’OVEO demeure à la fois un observatoire et un groupe de recherche et de réflexion qui ne préconise aucune méthode d’éducation ou de communication particulière. Que l’on soit parent ou non, que l’on exerce une activité professionnelle dans le domaine de l’enfance ou non, chacun·e peut apporter son témoignage et sa contribution à la réflexion sur le rapport de l’adulte à l’enfant, l’ayant vécu ou le vivant encore.

Depuis sa création, de nombreuses ressources, références scientifiques 2, témoignages et discussions entre membres ont fait progresser notre appréhension du phénomène, nous permettant d’affiner notre observation de la violence exercée à l’encontre des plus jeunes par les adultes et les institutions.

Nous utilisons l'expression « violence éducative ordinaire » au singulier 3 afin de souligner le caractère structurel de celle-ci et d’englober sous ce concept la multiplicité de formes que peut prendre cette structure de domination et les rapports de force qu’elle induit. En effet, la violence éducative ordinaire ne consiste pas en une liste de pratiques, comportements ou propos qualifiés de violents et qu’il s’agirait d’énumérer exhaustivement et de bannir. Elle s’exprime sous diverses formes (châtiments corporels, humiliations, intimidations, punitions, jugements, chantage, etc.) mais doit avant tout être comprise comme la volonté de l’adulte de contrôler l’enfant, même sous couvert de bonnes intentions.

Nous considérons ainsi que 100 % des jeunes sont confrontés à la violence éducative ordinaire 4. Si certains enfants la subissent moins fortement dans le cadre familial ou scolaire, les institutions (enseignement, loisirs, sport, médecine, protection de l’enfance, etc.) et la majorité des adultes qu’ils rencontrent (professionnels, famille, amis, inconnus) sont imprégnés de ce modèle hiérarchique de relation entre les adultes et les plus jeunes.

La notion de « violence éducative ordinaire » est finalement une mise en lumière de la domination adulte en général, omniprésente, dont peu de personnes ont conscience. Notre culture et notre société entretiennent la croyance selon laquelle les adultes seraient supérieurs aux jeunes, auraient le droit et le devoir de les éduquer 5, et que les jeunes seraient par nature incapables de savoir ce qui est bon pour eux. Jusqu’à 18 ans, un être humain est désigné comme « mineur » et considéré comme tel : assigné à un statut socialement inférieur et le privant de certains droits.

Nous pensons que l’idée même d’attendre l’obéissance de la part d’un enfant est problématique, et qu’il faut remettre en question collectivement le regard que la société porte sur lui, sa condition et son statut.

La domination adulte, comme les autres dominations – masculine, de classe, raciste et coloniale, sur le vivant et la nature, etc. – s’exerce, selon les cas, par la contrainte, l’appropriation, la subordination, la privation de droits, la violence, qu’elle soit physique, psychologique, sexuelle ou symbolique. Elle est à la fois la condition et le résultat des autres formes de domination, notamment par l’intégration des rapports de force dès le plus jeune âge.

Une des particularités de la domination adulte est que chacun·e l’a subie, d’une façon ou d’une autre, parce que tous les adultes ont été des enfants. Elle s’impose à tou·te·s telle une évidence, comme ce fut si longtemps le cas de la domination masculine. De la même manière qu’on a pu identifier et décrire une culture du viol et des violences contre les femmes, on peut identifier et décrire une culture de la violence éducative. À l’instar des luttes pour les droits des femmes qui font reculer la domination masculine, la lutte pour le respect des droits des enfants doit faire reculer la domination adulte.

La violence éducative ordinaire est reproduite selon des processus tant individuels (reproduction de schémas connus, incompréhension des réactions et des besoins de l’enfant, facteurs psychologiques, psychotraumatiques, transgénérationnels, etc.) que systémiques (droit, coutumes, culture patriarcale, attentes sociétales, organisation sociale, etc.).
Elle inhibe le développement et les apprentissages de l’enfant et le fragilise sur le plan émotionnel comme sur le plan physiologique 6. La violence éducative ordinaire entrave la construction du sentiment d’identité de l’enfant, le développement de ses capacités d’empathie et d’autonomie, et le prive en partie de son propre jugement sur lui-même et le monde. Elle altère la sensibilité et conditionne les personnes dès leur plus jeune âge à nier leurs propres besoins, leurs perceptions et leur aptitude à prendre des décisions, afin de se plier aux injonctions qui leur sont adressées.

Nous soutenons ainsi que la domination adulte et les violences subies dans l’enfance engendrent la violence de et dans la société, en légitimant les rapports de force et de pouvoir entre les individus et entre les groupes humains.

Certaines violences, qui pourraient être qualifiées de « violences sexuelles ordinaires » (considérées comme mineures et non pénalisées, telles que forcer à donner ou accepter des marques d’affection, sexualiser la tenue de l’enfant, s’immiscer dans son intimité, moquer les manifestations de sa puberté, etc.) ne sont possibles que parce que l’adulte considère généralement que l’enfant lui appartient et qu’il est en droit de le contrôler.

Ancrer en chacun·e un devoir de soumission, justifié par les principes d’obéissance, de bienséance et de politesse, contribue à la construction d’une vulnérabilité de l’enfant vis-à-vis de la maltraitance, de l’inceste, de l’agression sexuelle, du viol.

Il nous paraît important de souligner que les plus jeunes ne sont pas des victimes uniquement passives de la domination adulte, ils résistent sous des formes multiples (opposition, désinvestissement, fuite…), les seules à leur disposition dans un contexte familial, institutionnel et sociétal de répression.

Lorsqu’on comprend profondément l’origine systémique et individuelle de la violence faite aux plus jeunes, mettre celle-ci en lumière conduit nécessairement à agir sur toute forme de violence et de domination. Reconnaître ce processus, c’est reconnaître que la violence est socialement construite, c’est rompre avec la croyance en une humanité naturellement violente.

L’OVEO a pour missions :

  • d'observer de façon critique les pratiques, les discours, l’évolution du droit et de la recherche concernant la violence éducative ordinaire et la domination adulte, ainsi que leurs modes de reproduction et de transmission ;
  • de dénoncer toute décision ou disposition légale, politique ou institutionnelle qui porterait atteinte à l’intégrité physique, affective ou psychique des enfants, ainsi qu’à leurs droits fondamentaux 7 ;
  • de contribuer à développer la prise de conscience de la réalité de la violence éducative ordinaire et de la domination adulte, de leurs différentes formes et de leurs conséquences au niveau individuel et sociétal ;
  • de participer à reconsidérer les principes de la relation de l’adulte à l’enfant ;
  • de mettre à disposition du public des ressources et supports permettant de diffuser des informations sur la violence éducative ordinaire et la domination adulte ;
  • de favoriser la prise de parole et la capacité d’agir des jeunes êtres humains.

  1. Alice Miller, C’est pour ton bien. Racines de la violence dans l’éducation des enfants (1984) ; L’Enfant sous terreur (1993).[]
  2. De très nombreuses études ont démontré les conséquences néfastes du stress et de la peur, ont permis d’approfondir notre compréhension du développement cérébral de l’humain, clarifient les mécanismes psychologiques mis en place lors de traumatismes, explorent la construction sociale de la violence éducative, etc. Pour plus d’informations voir : www.oveo.org/etudes-scientifiques-sur-les-effets-de-la-violence-educative-ordinaire[]
  3. Alors que l’expression est souvent utilisée au pluriel, notamment depuis le vote de la loi du 11 juillet 2019, par d’autres associations, de nombreux militants et la presse.[]
  4. Les textes rapportant que 85 % des enfants subissent la violence éducative ordinaire – laissant croire que 15 % y échappent – s’appuient généralement sur l’étude de Bussmann et al. (« Impact en Europe de l’interdiction des châtiments corporels », Déviance et Société, 36, (1), 2012, pp. 85-106), réalisée en 2007 et publiée en 2012. Or cette étude (et les autres) ne questionne(nt) les parents que sur les châtiments corporels et non, plus largement, sur les punitions, le chantage affectif, la mise au coin et toute autre forme de rapport de force et de manipulation exercée à l’encontre de leurs enfants.[]
  5. Dans le sens d’agir sur l’enfant dans une visée éducative en le contrôlant, en lui inculquant des normes, en le contraignant pour modifier son comportement ou sa personnalité.[]
  6. Une méta-analyse de 75 études (sur 50 ans, 13 pays, 160 000 enfants) révèle que les punitions corporelles favorisent des troubles du comportement, des troubles anxieux et mentaux, une baisse de l’estime de soi, une baisse des capacités d’apprentissage, et ont des liens avec des blessures physiques (Gershoff E.T., Grogan-Kaylor A., 2016, “Spanking and child outcomes : Old controversies and New Meta-Analyses”, Journal of Family Psychology, 30(4), 453-469.) Également Polcari 2014, Teicher 2010, Tomoda 2014, Van Harmelen 2014, Wang et al. 2014, etc.[]
  7. Droits fondamentaux consacrés par la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), dus à tout être humain, sans distinction d’âge, de sexe, d’origine, etc. Ce texte, ratifié par la France, est juridiquement contraignant. www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=home[]

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