Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

De quoi nous parle l’affaire de l’institution scolaire privée de Bétharram ?

Par Jean-Pierre Thielland, membre de l’OVEO

Les jeunes scolarisé·es à Notre-Dame-de-Bétharram ont tous et toutes été maltraité·es. Il y a bien sûr ceux qui ont été humiliés, frappés, violés, agressés sexuellement… Mais la confrontation quotidienne à un climat de violence et de domination perverse d’adultes hors-la-loi constitue en soi une maltraitance, avec les conséquences psycho-traumatiques que l’on sait.

De jour en jour, de nouvelles déclarations, de nouveaux témoignages nous disent que des alertes ont été données et que les agresseurs ont bénéficié de complaisances, voire de soutiens lorsque des enquêtes ou des plaintes ont tenté de dénoncer ces violences. Ce déni permanent de la violence à l’encontre des enfants et des adolescents nous conduit à poser un certain nombre de questions1.

Qui sont ces adultes qui choisissent de scolariser leurs enfants dans un collège qui légitime l’utilisation de la violence ?

Quelles personnalités pensent-ils forger en confiant leurs enfants à des institutions basées sur la violence éducative et les rapports de domination entre les individus ?

Quel système protège-t-on lorsque, comme Mme Bayrou, épouse du ministre, on refuse d’intervenir après avoir été témoin de maltraitances2 ?

Quels parents sont-ils, ceux qui excluent de l’association un père qui cherche à alerter l’ensemble des familles sur les violences subies par leurs enfants ?

Qui sont ces hommes et ces femmes politiques qui, malgré les faits, ne parviennent pas à admettre qu’ils ont fermé les yeux sur ces violences et qu’ils n’ont pas pris au sérieux les alertes qui leur ont été transmises3 ?

Bien sûr qu’il s’agit de questions éminemment politiques, qui interrogent la place des jeunes personnes dans notre société et la considération qui leur est accordée.

Ces exactions perdurent parce qu’elles bénéficient d’une démission politique collective pour tout ce qui concerne la protection de l’enfance et les droits des plus jeunes en général. Considérés socialement, juridiquement et politiquement comme « mineurs », ils sont de fait privés de l’exercice de leurs pleins droits.

C’est au contraire l’attribution de nouveaux droits aux jeunes personnes qui leur permettra de s’extraire de la catégorie de sujets dominés et de garantir leur intégrité : droit de saisir la justice, droit de s’organiser et de créer des associations sans le contrôle des adultes, droit de regard sur ce qui leur est enseigné et bien sûr le droit de voter avant l’âge de 18 ans.

Ce sont ces nouveaux droits qui leur donneront la possibilité de se défendre, de s’opposer aux discriminations et d’empêcher l’apparition de nouveaux « Bétharram ».


Pour prolonger la réflexion :

Le 9 juillet 2025, la chaine Youtube « Parole d’Honneur » a publié une vidéo intitulée « L’enfer Bétharam : mécanique de la répression » (vidéo de 2 heures 12).
Cette discussion, animée par Yazid Arifi, directeur de l’école démocratique de Paris (EDP) que l’OVEO connait bien pour y avoir organisé plusieurs AG et les premières Rencontres de l’OVEO le 21 octobre 2023, est a priori le premier d’une série envisagée sur le thème de l’éducation.
Les invités pour cette analyse sont François Begaudeau (auteur, réalisateur et ancien professeur), Matthieu Poupart (auteur et cofondateur du collectif Agir pour notre Église) et Gabriel Allégret (jeune chercheur sur la domination adulte, membre de l’OVEO), invité ici en tant que membre du Collectif Enfantiste.
Gabriel est intervenu pour expliquer l’aspect systémique des crimes sexuels, de la maltraitance et des tortures commis par de très nombreux adultes au collège-lycée de Bétharram4, dont des membres de la communauté religieuse, sur une période de plus de 50 années (ledit établissement étant toujours ouvert). Il évoque le problème de cette violence dans les familles et dans l’Église (2ème lieu des violences sexuelles après la famille), dans l’ensemble des écoles et au-delà dans les pensionnats, notamment les pensionnats autochtones en Guyane5.
Gabriel élargit ainsi son propos à la violence systémique sur toutes les jeunes personnes et dans toutes les institutions. Il inscrit aussi l’enfantisme/l’antiadultisme dans une dimension décoloniale et antiraciste, à l’heure où l’islamophobie s’exerce jusque sur les enfants de Gaza, tués, mutilés et affamés sous nos yeux, sans que notre gouvernement n’interroge sa collaboration avec le gouvernement israélien.
Les échanges mènent à la remise en question de l’éducation : l’éducation est violente par essence.6


  1. Une autre affaire actuellement en procès relève de la même loi du silence, celle de ce chirurgien qui, même après une condamnation pour « détention d’images pédopornographiques », a pu pendant 25 ans agresser et violer sans être inquiété près de 300 patients, la plupart enfants et adolescents. (Note de l’OVEO.) ↩︎
  2. https://www.mediapart.fr/journal/france/200225/avec-elisabeth-bayrou-entendait-les-coups-les-revelations-de-l-enseignante-qui-lance-l-alerte-betharram ↩︎
  3. Lire sur notre site l’article d’Alexandra Barral, « Le roman de la gifle », qui débute en rappelant la gifle infligée à un enfant de 10 ans par François Bayrou en 2002, alors qu'il était en campagne pour l'élection présidentielle. (Note de l’OVEO.) ↩︎
  4. Il est fait référence tout au long de l’échange au rapport parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires, avec les deux co-rapporteurs Violette Spillebout (EPR) et Paul Vannier (LFI) (lire les 50 recommandations du rapport ici) ↩︎
  5. Gabriel évoque le livre d’Hélène Ferarrini, Allons enfants de la Guyane – Éduquer, évangéliser, coloniser les Amérindiens dans la République, 2022, Edition Anarchasis. ↩︎
  6. De nombreux articles étayent cette idée sur notre site comme https://www.oveo.org/declaration-de-philosophie-de-loveo-avril-2021/, https://www.oveo.org/reflexions-sur-la-pertinence-de-la-formule-violence-educative-ordinaire/, https://www.oveo.org/violence-a-lecole-et-violence-de-lecole/ ↩︎

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