La violence éducative ordinaire à la télévision
Alors que nous sommes maintenant en mesure de connaître les dangers de la violence éducative ordinaire, et ses dramatiques conséquences sur l'équilibre et le psychisme d'une majorité d'êtres humains, nous pouvons constater à quel point la télévision, à travers des séries diffusées régulièrement et obtenant un grand succès, demeure "sympathisante" de la violence éducative ordinaire (VEO), contribuant ainsi à répandre des idées fausses et participant à la désinformation générale.
Dans la série L’Instit, qui met en scène les pérégrinations d'un instituteur remplaçant allant de ville en ville – et de classe en classe – afin de voler au secours de tous les écoliers en détresse, le problème de la VEO est très peu abordé, et lorsqu'il l'est, c'est pour être constamment minimisé : dans un épisode consacré à l'histoire d'un enfant régulièrement battu par son père, l'instit fait à une classe d'enfants un discours "pédagogique", établissant une différence fondamentale entre "les enfants vraiment battus par leurs parents", qu'il décrit comme une minorité d'enfants martyrs victimes de la violence la plus extrême, à l'opposé de la majorité des enfants, qui seraient, d'après lui, rarement frappés par leurs parents ("Une punition ou une petite fessée de temps en temps, ça n'est jamais bien grave") et qui, très bien traités, n'auraient aucune raison de souffrir de la maltraitance parentale.
Un tel discours, qui flatte le parent ordinaire qui ne frappe son enfant que "de temps en temps" et "sans excès", aux antipodes de ces parents violents qui vont jusqu'à rouer de coups leurs enfants, correspond à une vision entièrement faussée, celle d’une société qui ne s'indigne de la violence et de la maltraitance que lorsqu'elles atteignent un degré irréparable. De nombreuses études et d'innombrables témoignages nous montrent maintenant que les châtiments corporels les plus "ordinaires" sont extrêmement préjudiciables à tout enfant, qu'ils lui enseignent la violence et s'avèrent très destructeurs pour son équilibre psychique, quand bien même l'adulte qu'il deviendra par la suite n'en aurait pas conscience. Aucune forme de brutalité ne devrait être considérée comme acceptable et justifiée par un but "éducatif", et le fait de déclarer qu'un enfant n'est "vraiment battu" que lorsqu'il est frappé au point d'être couvert de marques montre simplement à quel point notre société est encore dans le déni des souffrances de l'enfance, et des dégâts psychologiques à long terme causés par la VEO.
[showhide type="1"]Dans la série Famille d'accueil, autre feuilleton abordant le thème de l'enfance en souffrance, une assistante maternelle prend en charge des enfants en difficulté et les héberge temporairement dans sa propre famille, censée leur offrir un cadre chaleureux et sécurisant, afin de les aider. Si tout se termine généralement par l'habituel "happy end", cette "famille d'accueil" est loin de désavouer la VEO, que bien au contraire elle légitime, ou même glorifie de nombreuses façons : le père de famille, mari de l'assistante maternelle, égrène régulièrement les formules chères à une éducation brutale traditionnelle, telles que "y a des baffes qui se perdent" et autres "y a des coups de pied au cul qui se perdent", sans oublier des commentaires tels que "ça a du bon la fermeté !" lorsqu'il lui semble qu'il a "maté" une adolescente rebelle et insolente subitement devenue douce et coopérative, après qu'il l'a humiliée en se moquant d'elle et en l'enfermant dans sa chambre. Très représentative de cet état d'esprit, la vieille tante vante également les mérites de la VEO, et même les concrétise à plusieurs reprises, lorsqu'elle donne des gifles à des adolescentes dont elle juge le comportement inadmissible, généralement parce qu'elles ont manqué de respect à des adultes.
Le message est donc clair : lorsqu’un adolescent "a dépassé les bornes" par ses propos ou son comportement, l'adulte peut se permettre de lui donner des coups, et donc par là même de dépasser tout autant les bornes, l'enfant n'étant protégé des brutalités que s'il "file doux". La vieille tante revendique même fréquemment son droit à la violence, par le type de réflexion classique sans appel : "Je suis fière d'avoir agi ainsi !" Il y a d'ailleurs dans cette série une insidieuse hypocrisie, les anti-VEO (l'assistante maternelle) et les pro-VEO (le mari et plus encore la tante) s'opposant mollement sans jamais entrer réellement en conflit : l'assistante maternelle déclare à la tante qu'elle désapprouve les brutalités physiques, mais n'interdit jamais à celle-ci de frapper, et cette dernière lui rétorque : "Chacun sa méthode !" On l'aura compris, la violence ordinaire reste une "méthode éducative" acceptable, qui parfois "a du bon", et elle ne divisera jamais les adultes de la famille.
Si cette série valorise souvent la VEO et la présente comme "sans gravité", elle atteint également un sommet de désinformation lorsqu'elle aborde le thème des "enfants-tyrans", dans un épisode où l'assistante maternelle accueille un jeune garçon qui va bientôt effrayer toute la famille par sa cruauté et son sadisme : il est présenté comme un enfant particulièrement violent, destructeur, méchant et manipulateur, qui prend plaisir à harceler les autres enfants et à les mettre en danger, ainsi qu'à torturer et tuer de petits animaux. Un psychiatre explique ensuite doctement à l'assistante maternelle, qui s'avoue dépassée par cet enfant monstrueux, que s'il est devenu aussi néfaste et incontrôlable, c'est parce qu'il a été beaucoup trop gâté par sa mère, qui n'a jamais su lui refuser quoi que ce soit. Puis le psychiatre dresse un portrait terrifiant des dégâts que peut causer une éducation trop laxiste, où "les rôles entre parents et enfants se sont inversés d'une manière malsaine, et où l'enfant dirige les parents et n'en fait qu'à sa tête".
Par ce discours mensonger, la série valide l'idée que l'enfant est par nature un petit être mauvais et méchant, qui fera preuve de destructivité et de sadisme, devenant un danger pour toute la société, si ses penchants négatifs ne sont pas étouffés par une éducation autoritaire qui le réprimera fermement. Etre un adulte bienveillant et "bientraitant", qui considère les enfants avec respect, ne leur infligeant ni châtiments corporels ni violences psychologiques, ne signifie pas pour autant satisfaire tous leurs désirs de consommateurs, ou ne jamais rien refuser (certains parents essayant d’ailleurs de compenser par toutes sortes de cadeaux le manque d’attention et de dialogue dont un enfant aurait besoin), mais il est primordial de savoir qu’aucun enfant ne devient violent et sadique, harcelant les autres ou torturant des animaux, s'il n'a pas été lui-même frappé et humilié, ou moralement maltraité par ses parents. Un enfant qui agresse les plus faibles est toujours un enfant victime d’une forme de VEO, physique ou psychique, dont il a intégré le modèle. Par son comportement, il exprime sa colère refoulée envers ses parents, et reproduit la maltraitance que les adultes lui ont auparavant fait subir.
Entre L’Instit qui présente "l'enfant battu" comme une dramatique exception, et Famille d'accueil qui affirme que "l'enfant-tyran" est le produit d'une éducation trop douce et trop bienveillante, la TV continue de répandre des informations fallacieuses qui occultent les véritables origines du mal dans l'éducation, et retardent les mesures nécessaires, notamment une loi interdisant aux parents d'utiliser toute forme de châtiment corporel, mesures pourtant indispensables à la protection de l'enfance.
[/showhide]Je t'aime, je te gifle...
Par Catherine Barret, membre de l’OVEO
La gifle comme preuve d’amour est un thème récurrent des séries télévisées, et, faute de pouvoir les répertorier toutes (ce qui serait d’ailleurs bien fastidieux pour le lecteur !), on ne peut qu’en citer quelques exemples plus ou moins significatifs. Exemples qui, parfois, se télescopent curieusement d’une série à l’autre, comme s’il était de première importance – dans un but « pédagogique », sans doute… – que le public soit entretenu à tout âge dans la croyance aux vertus rédemptrices de « la gifle ».
La gifle, considérée par certains éducateurs comme plus « respectueuse » que la fessée – tandis que pour d’autres c’est exactement le contraire. Nous avons entendu et lu beaucoup d’arguments, ou plutôt d’affirmations, à l’appui de l’une et l’autre thèse, mais, mis à part la question de « l’efficacité », la discussion se limite généralement à deux thèmes :
1/ Vaut-il mieux attenter à la sexualité de l’enfant ou à son identité ? (La question n’est pas formulée en ces termes, bien sûr ! Mais l’argument de ceux qui prônent la fessée contre la gifle est bien que la fessée serait plus « respectueuse ».)
2/ Qu’est-ce qui est le mieux adapté à chaque âge ? La fessée : plutôt pour les plus petits ? Avec débat : déculottée ou pas, qu’est-ce qui est « le plus respectueux » (sic), qu’est-ce qui fait le moins mal – et faut-il que ça fasse moins mal, au risque d’être moins « efficace » ? Variante : moyens pour que le parent ne se fasse pas mal lui-même, car il n’a pas à être puni, lui 1 , d’autant qu’il souffre de devoir faire cela…
[showhide type="2"]Une visiteuse de notre site nous a signalé un dessin animé de la série japonaise Magical DoRéMi, l’épisode intitulé L’amour paternel (43 de la saison 1, diffusée en France dans les années 2000 à 2010). Dès les premiers instants, on comprend de toute façon que les petites filles sont des chipies futiles et versatiles : elles se chamaillent, puis ouvrent de grands yeux innocents quand on leur explique que, lorsqu’on se dispute, c’est qu’on s’aime bien (première leçon de relations humaines…).
Mais ce qui a le plus choqué notre correspondante, c’est précisément le message sur l’amour parental véhiculé par cet épisode. « On y apprend, nous écrit-elle, que si la "peste" de la série est aussi insupportable, c'est parce que son père ne la gronde pas et donc qu'il ne l'aime pas. A la fin, le père "prouve son amour" à sa fille en lui donnant une claque. » Et elle poursuit : « Je trouve cela particulièrement vicieux étant donné que [ce dessin animé qui s'adresse aux enfants] leur fait ainsi comprendre que la violence que leur font endurer leur parents est en fait un signe d'amour, et pire, envoie comme message aux enfants élevés sans violence éducative qu'ils ne sont pas aimés. » On ne saurait mieux résumer la situation...
Les séries tout public ou réservées aux plus de 10 ans prennent le relais pour entretenir chez les adultes – jeunes ou moins jeunes, parents et non-parents – l’idée que « la gifle » est une preuve d’amour, qui en tant que telle (et elle est conçue, au sens propre, comme telle) non seulement peut avoir manqué, mais mérite une séance de rattrapage indispensable pour que tout rentre dans l’ordre – on n’est pas loin de la gifle « médicale », censée ramener à la vie, réveiller une personne en danger de mort (ou au minimum de perdre conscience… ou la raison !). Au point qu’on se demande quelle est la part de calcul – ingrédients obligatoires du scénario prévus dans le cahier des charges – et quelle est celle de l’inconscient des scénaristes, du rejouement de leur propre enfance... Les deux se rejoignent probablement.
Dans une rediffusion récente (octobre 2014) de la série Joséphine, ange gardien, une jeune fille de 18 ans qui en veut à sa mère pour quelque raison oubliable et assurément légitime 2 accepte « enfin » de la revoir, grâce aux bons soins de Joséphine. La mère et la fille se retrouvent face à face sous le regard « bienveillant » de la bienfaitrice souriante, la jeune fille visiblement toute prête à se jeter dans les bras de sa mère. La mère s’avance et… la gifle ! Après quelques secondes de stupeur, la fille, plus du tout rancunière pour le coup (et puis, les scénaristes n’ont pas à s’embarrasser de telles subtilités psychologiques) se jette quand même dans ses bras comme si de rien n’était…
Les séries policières aussi sont une mine de ce genre de règlement de comptes à bon marché, avec éloge de la gifle et gratitude de la victime. Dans la récente série Mongeville (2013, épisode « La nuit des loups » diffusé le 1/11/2014 sur France 3), une jeune lieutenante de police est aux prises avec un problème de père absent (parti lorsqu’elle avait 10 ans) et de relation avec les hommes (en bonne logique, elle a du mal à leur faire confiance, et sort d’une relation malheureuse avec un homme marié). Pour évacuer le stress (car, pour corser le tout, son supérieur hiérarchique la persécute de façon mesquine), elle fait de la boxe – chose qui, elle aussi, mériterait commentaire, mais passons…
Dans cet épisode où il est question de faux suicides d’hommes douteux et de disparitions de jeunes filles, elle est amenée à coopérer avec un juge qui, apprend-on, s’est mis à la retraite depuis la disparition de sa propre fille (Francis Perrin, dont le visage ne change guère d’expression entre la bienveillance et les autres émotions, colère, déception, tristesse… sans qu’on sache si c’est par manque de conviction ou pour les besoins du scénario…). A un certain moment, les deux acolytes partent (à la nuit noire) dans la voiture du juge sur une petite route à travers la forêt qu’une jeune disparue a empruntée le soir de sa disparition. Il s’agit apparemment de comprendre ce qui a pu lui arriver… et c’est bien le cas. Sauf que, perversité du scénario, pour les besoins de la démonstration et du suspense, le juge oblique brusquement et s’arrête à l’entrée d’un chemin qui s’enfonce dans la forêt… La jeune lieutenante, prise de panique (tout naturellement, pourrait-on penser !), sort de la voiture et se met à crier tandis qu’il s’avance vers elle, visage de bois menaçant. Croyant avoir compris, elle lui demande combien de femmes il a tuées, l’accuse d’avoir tué sa propre fille… et il la gifle.
Mais l’instant d’après, là encore, tout est réparé ! On les voit assis côte à côte dans la voiture pour reconstituer ce qui a dû arriver à la victime… Et la policière déclare textuellement : « Ce n’est pas une gifle que vous auriez dû me donner, mais quinze ! » Et dans la foulée : « Mon père ne m’a jamais giflée. » Fin de la démonstration ou presque (le juge lui fait aussi comprendre que c’est bien qu’elle en ait profité, parce qu’il ne va pas recommencer – on s’en réjouit tout de même !). Entre ce qui est dit et ce qui est laissé à l’appréciation du spectateur, on ne peut manquer de comprendre (consciemment ou pas ?), grâce à cette gifle rédemptrice, un certain nombre d’évidences supposées :
1/ Là aussi (comme dans le dessin animé japonais), quand un père – ou un substitut de père – vous aime, il vous gifle au moins de temps en temps, pour votre bien…
2/ Quand on n’a pas reçu de gifles dans son enfance, ça peut manquer toute la vie…
3/ Malgré cela, il faut pardonner à ce père qui vous a abandonnée (sans même vous avoir giflée, comme preuve qu’il tenait à vous, donc…).
… Car, cela tombe bien, depuis le début de l’épisode, on sait que le père défaillant veut justement revoir sa fille, sous le prétexte surprenant (on pourrait penser que même un « père indigne » aurait trouvé une idée moins dissuasive…) d’obtenir sa signature afin de toucher l’héritage d’une tante ! On s’attend à ce que l’affaire se règle dans un prochain épisode.
Avec ou sans « gifle de rattrapage » ? Suspense…
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A lire également, sur notre site :
Le roman de la Gifle
Quand "Je t'aime" signifie : "Fais ce que je te dis..."
- Dans le genre, on nous a signalé au moins à deux reprises un article sur Internet qui explique très sérieusement Comment donner une fessée (donc de façon « respectueuse » et sans se faire mal…). Le fait que le même site propose également (comme s’il s’agissait d’un simple choix éducatif personnel) un article contre la fessée ne fait pas grand-chose pour éclairer le problème…[↩]
- Même si nous ne prônons pas pour autant la non-réconciliation… Mais apparemment, le ressentiment d’un enfant envers un parent qui l’a abandonné – par exemple – doit toujours se payer, selon les auteurs de séries, et selon une sorte de principe de la double peine… Enfant rebelle = réconciliation plus « gifle de rattrapage »… C’est encore plus fréquent dans la série Famille d’accueil (voir l’article précédent).[↩]
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