A propos du 25 novembre, journée de lutte contre les violences faites aux femmes
Depuis 1981, le 25 novembre est la « Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes », déclarée « grande cause nationale » par le gouvernement français en 2010. L’Observatoire de la violence éducative ordinaire ne peut bien sûr qu’être solidaire de toute lutte contre une forme de violence, que cette violence soit utilisée comme méthode d’éducation ou comme moyen de « régler » un conflit. Il ne s’agit donc pas pour nous d’opposer les unes aux autres les diverses formes de violence, encore moins de les mettre en concurrence pour déclarer que l’une est plus importante ou plus grave que l’autre, mais bien de les mettre en relation. De montrer que la violence, qu’elle soit physique ou psychologique, qu’elle s’exerce contre les femmes ou contre les enfants, ou contre n’importe quelle catégorie d’êtres plus faibles que soi ou incapables de se défendre, est toujours une façon, précisément, de ne PAS régler le conflit (réel ou supposé) avec l’autre, mais plutôt de régler d’autres comptes, de ne PAS affronter les causes d’une souffrance, d’une incompréhension, d’un manque affectif, d’un besoin de pouvoir ou de vengeance.
Personne ne peut être « pour » le viol, « pour » la maltraitance, « pour » les violences conjugales. Mais beaucoup de gens se proclament encore pour des méthodes d’éducation qui, bien souvent, incluent les châtiments corporels (en particulier la fessée), et qui, même dans le cas contraire, semblent surtout déconseiller les châtiments corporels parce qu’ils sont « inefficaces » – donc inefficaces pour contrôler l’enfant et obtenir de lui ce qu’on veut. Dans toute la société, les enfants sont généralement traités de telle façon que le modèle de leurs relations affectives est basé sur des relations de pouvoir et de non-respect de l’identité et des besoins de chacun, en l’occurrence de non-respect du plus faible.
Dans le meilleur des cas, les militants contre les violences faites aux femmes et les professionnels qui s’occupent de ce problème (comme Muriel Salmona ou Cornélia Gauthier) mettent en cause le mode d’éducation des garçons et la violence éducative en général comme une source essentielle de ces violences. Mais la plupart semblent considérer que ce qu’on appelle les « pervers narcissiques manipulateurs » sont simplement des prédateurs « naturels », en quelque sorte de naissance, et qu’il est le plus souvent impossible de les « guérir » – chose qui, d’ailleurs, ne semble guère les préoccuper, comme s’il était indécent de vouloir résoudre le problème du bourreau et comme si cela devait s’opposer à la prise en charge de la victime… Alors même que, bien souvent aussi, on nous explique que pratiquement chacun d’entre nous peut être tantôt victime, tantôt bourreau et « pervers manipulateur », selon la situation ! Et qu’il n’y aurait donc que des différences de degré (et donc pas de « nature ») entre le fait d’être plutôt (ou plus souvent) victime que bourreau…
Nous pensons qu’il n’y aura pas d’issue à ce problème des violences faites aux femmes (ou des violences conjugales en général) tant que la violence éducative ordinaire sous toutes ses formes (châtiments corporels, violence psychologique, négligence et toutes les formes d’abus de pouvoir) ne sera pas considérée par tous, pouvoirs publics, psychologues, professions médicales, juges, enseignants et professionnels de l’enfance, et bien sûr par les parents eux-mêmes, comme une « grande cause nationale » digne de considération.
Le compte-rendu ci-dessous, par une thérapeute membre de l’OVEO, d’une conférence-débat qui a eu lieu le 25 novembre dernier à Paris sur « les violences psychologiques au sein de la famille », nous a paru significatif de la façon dont la violence éducative ordinaire est mal prise en compte comme cause de violence familiale. La loi du 9 juillet 2010 (n° 2010-769) sur le harcèlement moral considère l’enfant comme victime en tant que témoin des violences conjugales, mais semble considérer que ce même enfant ne subit pas de violence directe (seule sa mère ou son parent est victime directe, alors qu’il est bien rare que le parent violent ne le soit que contre l’autre parent), ou encore, que cette violence exercée contre un enfant est acceptable, alors qu’elle ne l’est pas lorsqu’elle s’exerce contre un adulte. Quel que soit le raisonnement, il ignore la violence éducative ordinaire comme cause première de la violence de l’adulte.
Compte-rendu de la conférence-débat « Les violences psychologiques au sein de la famille » à la mairie du 15ème arrondissement de Paris, le 25 novembre 2010
Conférence organisée par l'AVIP, Association d'aide aux victimes de violences psychologiques et de harcèlement moral dans la vie privée et professionnelle, en partenariat avec l'Observatoire européen des violences intrafamiliales et la mairie du 15ème arrondissement de Paris, sur le thème : « Les violences psychologiques au sein de la famille - Une nouvelle loi : Pour quoi faire ? Comment faire ? »
Cette soirée était réservée en priorité aux professionnels de la relation d'aide (thérapeute, médecin, psychologue, avocat, assistante sociale, juge, médiateur familial, officier de police...) mais ouverte à tous. L’OVEO y était représenté par Françoise Charrasse, auteur de ce compte-rendu, et par deux autres membres qui ont ajouté leurs commentaires.
Exposé 1 : Geneviève Pagnard, psychiatre
Les manipulations destructrices : propos humiliants, reproches incessants, insultes, isolement de la victime, appropriation des biens communs. Il arrive que le parent manipulateur fasse surveiller le parent victime par l'enfant qui est manipulé aussi afin qu'il se retourne contre le parent qui essayait de le protéger.
En général, le manipulateur pervers a un double visage et donne à l'extérieur une image très positive de lui-même. De ce fait, la victime se trouve de plus en plus isolée. Les magistrats ne savent pas détecter les manipulations et ne prennent pas les bonnes décisions au moment de la séparation, car le manipulateur (ou la manipulatrice) inspire confiance tandis que la victime apparaît fragilisée et peu fiable.
Il n'est pas possible de soigner le manipulateur, généralement pervers narcissique, car il est dans le déni total des abus qu'il commet(1). C'est toujours l'autre qui a tort. Très souvent, ces personnes ont un statut social élevé, une position de pouvoir dans la société, mais on en rencontre dans tous les milieux.
Exposé 2 : Laurent Hincker, avocat
Il expose aussi les dégâts causés dans la famille par les manipulateurs pervers. Il est très difficile de protéger les victimes quand il n'y a pas de passage à l'acte laissant des traces visibles. La loi du 9 juillet 2010 contre les violences psychologiques permet de porter plainte pour harcèlement moral dans la vie privée. Mais il n'existe pas encore d'observatoire des violences faites aux femmes. On recense environ 10 000 suicides en France et des milliers de personnes placées en psychiatrie à cause de violences intrafamiliales. Une convention européenne va bientôt être adoptée pour favoriser la protection des victimes, la prévention des violences intrafamiliales, organiser les poursuites et la répression, une politique intégrée qui permettra aux victimes de trouver secours, protection, soins adaptés et de porter plainte dans un même pôle au lieu d'être obligées de se rendre dans des lieux différents. Il y aura obligation pour les Etats européens d'appliquer la convention.
Laurent Hincker distingue trois profils psychologiques chez les agresseurs :
- Les immatures névrotiques, avec qui on peut travailler.
- Les égocentristes mal structurés, sur la défensive, qui ont du mal à s'autocritiquer, mais pas totalement incapables d'évoluer.
- Les égocentristes, mégalomaniaques, paranoïaques, qui ont une très forte emprise sur leur entourage, ne respectent pas leurs enfants, confondent les générations. Manipulateurs, destructeurs.
Un rapport sera présenté en juin 2011 en vue d'une formation spécifique (comment reconnaître ces personnes et travailler avec elles et leur entourage) des personnels médicaux, sociaux, de police, des professeurs, magistrats, avocats…
Les médiations familiales sont contre-indiquées dans les cas pathologiques graves, car il ne s'agit pas d'un conflit qui peut se régler, mais d'une tentative d'anéantir l'autre. Les médiateurs se font manipuler par les abuseurs.
Selon la Cour européenne, la responsabilité de l'Etat est engagée dans la prévention des violences intrafamiliales : les autorités doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour qu'aucun accident ne survienne : elles doivent protéger la vie en toute circonstance.
Ni Geneviève Pagnard ni Laurent Hincker n'ont évoqué les racines de la pathologie dont souffrent les abuseurs. Seule Annick Didiot, psychopraticienne, va aborder cette problématique.
Exposé 3 : Annick Didiot, psychopraticienne
L'ordre venant des parents de réprimer besoins et émotions ne va pas permettre à l'enfant de s'épanouir. On interdit à l'enfant ce que l'on n'a pas eu le droit de ressentir soi-même. L'adulte défoule sa violence sur l'enfant, qui est une cible privilégiée. La plupart des mauvais traitements sont infligés dans le huis clos familial, mais il peut y avoir aussi humiliation en public. Plus l'accès à la famille est cadenassé, plus il est difficile à l'enfant de s'abstraire de cette emprise. Les conséquences : l'enfant culpabilisé se sent de plus en plus mauvais, il va reproduire les violences subies. La victime adulte possède une part d'ombre qu'il agit dans la relation, l'enfant, lui, est innocent.
Un obstacle majeur à la décision de se faire aider par une personne extérieure : « le tabou de la fidélité inconsciente ». Le surmonter demande du courage. Le thérapeute doit être le témoin bienveillant de la victime. Il s'agit dans le travail thérapeutique de déjouer la communication violente, et d'apprendre à la victime à dissocier le lien d'emprise du lien d'amour. Parfois, le patient tente de manipuler le thérapeute pour qu'il devienne l'agresseur.
Annick Didiot évoque le travail d'Alice Miller, le livre La Fessée d'Olivier Maurel et le film Mon fils à moi de Martial Fougeron.
Exposés 4 et 5 : brigadier major Dupuis et lieutenant Hélène Salles (Pôle protection de la famille du commissariat de Paris 15ème)
Ils expliquent comment ils peuvent intervenir, faire des rapports d'intervention quand ils se déplacent (à la demande des victimes ou des voisins), enregistrer des plaintes ou établir des mains-courantes, auditionner les parties en cause, mais ils ne peuvent pas entamer une expertise sans l'avis du procureur. Ils encouragent toutes les victimes de violences physiques ou psychologiques à venir au commissariat. Ils ne peuvent toutefois enregistrer les plaintes que de personnes habitant l’arrondissement.
Exposé 6 : Céline Hervier, psychologue du commissariat de Paris 15ème
Seuls 5 psychologues exercent à Paris dans des commissariats. 40 dans toute la France.
Céline Hervier assure l'accueil, le soutien et l'orientation des victimes. Elle est soumise au secret professionnel. Les sentiments exprimés par les victimes : honte, culpabilité, peur d'être jugées, de ne pas être crues, inquiétude pour les autres, peu pour elles-mêmes, estime de soi anéantie, ambivalence des sentiments à l'égard de l'agresseur, peur de mettre à mal l'équilibre familial, confusion des sentiments : ce que je vis, ressens est-il vrai ? La victime a généralement perdu le sens de ce qui est bon pour elle. Elle présente presque toujours des symptômes dépressifs, ne peut pas se projeter dans l'avenir. Le commissariat est un lieu symbolique dans le parcours de la victime.
L'intervention de la police constitue l'intervention d'un tiers protecteur. Avec la (ou le) psychologue, on met des mots sur son vécu douloureux et on peut vivre une décharge émotionnelle.
Ces exposés sont tous intéressants. Le public peut poser des questions après l'intervention de la psychologue. Elles sont essentiellement des demandes de conseils auxquelles les intervenants répondent avec compétence et amabilité. Je m'adresse aux représentants de la police. « Que se passe-t-il si un mineur vient se plaindre d'avoir été giflé par un de ses parents ? » (Il avait été préconisé pour les femmes de réagir « dès la première gifle ».) Puis à tous : « que pensez-vous de la proposition de loi d'Edwige Antier ? » Hélène Salles répond à ma première question : les policiers ne peuvent entendre un mineur que s'il est accompagné d'un adulte. On ne peut enregistrer la plainte d'un mineur. Celui-ci doit se rendre quai de Gesvres à la brigade de protection des mineurs. Il faut bien sûr qu'il ait un motif sérieux de se plaindre – ce ne sont sans doute pas les termes exacts employés, mais je les comprends ainsi (l'ami qui m'accompagne également) et je ne crois pas me tromper. On s'apprête à donner la parole à une autre personne du public. Je signale que ma deuxième question n'a pas obtenu de réponse. Les intervenants se regardent et se concertent rapidement. Personne ne connaît ce projet. On me demande de préciser. Maître Hincker donne une réponse aberrante que Sandrine a parfaitement retranscrite(2).
Je suis tout à fait d'accord avec les commentaires de Sandrine, même si je suis habituée à ce type de réaction quand il s'agit des violences faites aux enfants. Elles sont toujours minimisées, voire balayées d'un revers de main. La cécité émotionnelle de la très grande majorité des adultes est une réalité à laquelle je suis continuellement confrontée.
Quant à l'ignorance de la proposition de loi d'Edwige Antier, je dois dire qu'elle m'a « interpellée » !... les intervenants étaient tous des professionnels très impliqués dans le domaine des violences intrafamiliales !
1. Note de Thierry Kopernik, membre de l’OVEO : La prise en charge thérapeutique du pervers narcissique n'a pas été abordée, mais il faut dire qu'elle pose de nombreuses questions, dans la mesure où, pour qu'il puisse y avoir prise en charge, il convient que cette personne s'identifie comme souffrante, et il faut bien dire que les qualificatifs n'aident pas forcément dans la mesure où, dès lors qu'on prononce le terme de pervers narcissique, on crée du dégât, compte tenu du fait que le pervers prend soin de son image. Dans la vie de tous les jours, ce personnage passe totalement inaperçu, c'est la raison pour laquelle il est très difficile à démasquer du point de vue de la victime, mais pas impossible.
2. Note de Sandrine, membre de l’OVEO : Françoise a demandé aux intervenants s'ils étaient au courant de la proposition de loi d'Edwige Antier, une policière a dit que non, et quand Françoise a énoncé la loi, la même policière a dit qu'elle ne pouvait pas se prononcer parce qu'elle n'avait pas eu connaissance de cette loi... Elle a donc passé le micro à l'avocat, qui a dit que l'interdiction de la fessée était « symbolique » (sic) et que « la question n'était pas de savoir si l'on pouvait ou non donner une fessée à un enfant », que cette loi proposée par le Conseil de l'Europe était surtout pour mettre en garde les pays qui pratiquent « trop souvent » les châtiments corporels, comme l'Angleterre (!). Donc, en gros : les châtiments corporels sur les enfants, oui, mais pas trop quand même, c'est du moins comme cela que j'ai compris sa réponse. Il est vraiment étrange que des personnes qui comprennent si bien les mécanismes des violences conjugales et qui se battent contre elles ne soient pas capables de s'indigner contre les violences faites aux enfants – ce n'est pas nouveau, mais on ne s’y fait pas ! Annick Didiot n'a pas pris la parole au sujet de cette loi.
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