Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

Les injonctions à plus de répression ne régleront pas la question de la violence

Par Jean-Pierre Thielland, membre de l'OVEO. Article d'abord publié le 20 avril 2024 sur le blog de Médiapart à la suite de l'intervention du Premier ministre sur "la violence des jeunes".


Gabriel Attal n’a pas failli à la règle, comme bon nombre d’hommes politiques, il s’empare d’une question de société réellement préoccupante pour en faire une opération de communication idéologique. Pas pour répondre sérieusement à la question de la violence, qui ne concerne d’ailleurs pas seulement les collégiens ou les adolescents, mais pour un étalage de mesures totalement tournées vers la répression. Un discours à seule visée électoraliste qui vient renforcer les idéologies autoritaires dans le contexte des élections européennes.

Si Gabriel Attal avait voulu réellement s’attaquer à la question de la violence chez les jeunes, il aurait commencé par dire : « La culture de la violence éducative, c’est fini ! »

Parce que les prémisses de la violence coïncident avec les premiers pas du petit enfant, dans cet espace de grande insécurité : l’espace familial. C’est la Fondation pour l’Enfance qui le dit dans son baromètre sur les violences éducatives ordinaires : près de 8 parents sur 10 déclarent avoir recours à une violence éducative ordinaire, qu'elle soit physique ou morale. Et près de 60 % disent toujours user de violence physique à l’égard de leur progéniture.

Parce que la violence, ça s’apprend, Monsieur le Premier Ministre, dans un espace qui n’est pas la rue — puisque vous voulez interdire la rue aux collégiens —, mais la famille, un espace de non-droit pour les enfants, soumis à l’arbitraire et à la domination violente des adultes.

Une domination exercée souvent dès les premiers jours de vie et dont l’issue est parfois fatale. Lisa, trois ans, Louka, 5 ans, Mathéïs, 3 mois, Louna, 2 mois ont été tués dans leur famille (voir cet article publié dans Le Monde).

Tous les quatre ou cinq jours, Monsieur le Premier Ministre, au moins un enfant meurt dans sa famille, estimation (sans doute sous-évaluée) de la CNCDH. Il ne s’agit plus d’une succession de faits divers, mais d’un problème systémique qui concerne la grande majorité des familles.

Et où regardez-vous, Monsieur le Premier Ministre, quand vous parlez d’une « spirale d’affaiblissement de l’autorité » ? Comment faites-vous pour ne pas voir ce nombre bien réel de familles où règne la violence des mots et des coups et qui fabrique des enfants qui se sont blindés pour survivre à la violence et ont perdu toute empathie ?

Vous sous-entendez, Monsieur le Premier Ministre, que les parents seraient démissionnaires, trop permissifs, pas assez coercitifs. Ne pourriez-vous pas éviter cette facilité démagogique ? Et vous pourriez reconnaître qu'un enfant n'en vient pas à tuer parce qu'on l'a laissé tout faire, mais parce que des adultes, bien souvent ses parents, lui ont donné l'exemple de la violence depuis qu'il est petit, par l'arbitraire des règles familiales qu'ils lui ont imposées, l'incohérence affective et la brutalité éducative auxquelles ils l'ont soumis. 

Monsieur le Premier Ministre, vous confondez éducation et dressage, autorité et soumission à l’arbitraire. Vous êtes-vous demandé comment des parents qui ont toujours « maté » leur enfant pouvaient comprendre qu’il leur soit reproché de ne pas avoir assez serré la vis ? 

Vous avez sans doute saisi que cette question de la violence ne pourra trouver une issue par des rodomontades et un appel à une coercition généralisée de la jeunesse. 

Monsieur le Premier Ministre, engagez au plus vite un plan d’urgence pour les services dédiés à la petite enfance et à la protection de l’enfance, sinistrés par le manque de personnel et de moyens à la hauteur des besoins.

Monsieur le Premier Ministre, mobilisez votre dynamisme pour restaurer un grand service public du soin psychique des enfants et des adolescents.

Et enfin, Monsieur le Premier Ministre, n’attendez plus pour mettre en place une véritable politique de prévention de la violence éducative dans la famille et dans tous les lieux fréquentés par les enfants. Ce qui exige bien sûr un plan de formation pour l’ensemble des professionnels concernés, comme le prévoyait la loi du 10 juillet 2019 qui visait à interdire les violences éducatives ordinaires.

Jean-Pierre Thielland, auteur de "Je peux la taper, elle est de ma famille" : attachement et violence éducative ordinaire.
Instituteur puis enseignant spécialisé en Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), Jean-Pierre Thielland a ensuite exercé les fonctions de psychopédagogue en CMPP (Centre médico-psycho-pédagogique).

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