Pourquoi appelle-t-on cruauté le fait de frapper un animal, agression le fait de frapper un adulte et éducation le fait de frapper un enfant ?

Un long, très long processus de guérison intérieure…

Témoignage adressé à Olivier Maurel.


Je fais suite à la lecture de votre livre La Fessée et aux questions que vous posez aux lecteurs, à la fin de la première partie.

Je vous apporte mon témoignage et quelques réflexions concernant mon éducation, mon expérience de mère et de grand-mère, tout en répondant à quelques-unes de vos questions.

J'ai été frappée enfant, de façon occasionnelle.

Je me rappelle particulièrement deux fessées que mon père m'a données : la première, (4-5 ans ?) j'étais sous la table et j'essayais de rentrer les dents d'une fourchette dans une prise murale électrique. Il a crié en m'attrapant et m'a mis une fessée puis il a engueulé ma mère, qui ne faisait pas (très peu) attention à moi.

La deuxième fois, c'était à table : comme je ne voulais pas manger la nourriture non adaptée pour un enfant qui m'était servie (salade avec beaucoup de morceaux d'oignons crus, ail et persil) ou alors : je triais interminablement ma nourriture, ce qui énervait particulièrement les adultes autour de moi. Mon père m'a attrapé tout à coup, fort brutalement et m'a mis une grosse fessée.

Il faut dire que les repas étaient un moment particulièrement éprouvant : je ne mangeais pas grand-chose. La nourriture qui m'était servie ne me plaisait pas et visiblement, j'avais un gros blocage à table (anorexique à l'adolescence). Ma mère particulièrement usait de toutes sortes de stratagèmes pour me faire manger : mensonges, chantage, menaces, punitions...

D'aussi loin que remontent mes souvenirs, je ne me rappelle pas que ma mère m'ait frappée. Par contre, elle était très forte pour dresser mon père contre moi avec menaces du style : "je vais le dire à ton père quand il rentrera ce soir, tu vas voir..."

Voici une scène pour illustrer ma sensibilité qui, si celle-ci n'a rien d'exceptionnelle et concerne tous les enfants, montre qu'une "simple" tape sur la main a des effets dévastateurs :

Au cours préparatoire (6 ans) : Ma maîtresse, que j'aimais beaucoup, m'a donné un jour une tape sur une main. J'avais reporté sur elle beaucoup d'affection étant donné que j'en recevais très peu de ma mère (elle faisait peu attention à moi – indifférente).

Je me souviens que cette "simple" tape m'a profondément meurtrie et peinée. La maîtresse s'en est aperçue et m'a consolée. A la suite de cela, les autres enfants de la classe m'appelaient "la chouchoute de la maîtresse".

Mes parents m'ont mise en pension chez un jeune couple de commerçants, qui avait un bébé de 9 mois, avec comme injonction de me "serrer la vis" (dixit mon père). Ils me reprochaient de ne pas manger, de "pisser au lit" et de "répondre".

J'avais aux alentours de 7-8 ans, en 1965.

Ce couple m'a traitée extrêmement durement.

Parce que je ne pouvais pas boire le lait de vache fraîchement trait le matin au petit déjeuner (nausées) et de ce fait, manger les tartines beurrées, la femme me les enfonçait de force dans la gorge. Elle avait des ongles longs qui me lacéraient le fond de la gorge. J'avais mal pendant plusieurs jours.

La toilette se passait à l'aide d'une bassine et d'un gant, à l'eau froide. C'était en hiver. Je frissonnais en manifestant ainsi ma frilosité et me faisais réprimander durement.

Il y avait pourtant une cuisinière à bois dans la pièce, il aurait été facile de tempérer l'eau en la réchauffant.

Ensuite, après être allée aux toilettes dans une sorte de cour intérieure servant de débarras (pas d'intimité), la femme me faisait mettre à 4 pattes sur pieds et mains, la culotte baissée et inspectait mes fesses pour voir si je m'étais bien essuyée. Je me sentais très humiliée de ce traitement mais obtempérais avec la peur.

J'étais régulièrement menacée d'être envoyée le matin à l'école avec mes draps souillés accrochés sur moi ou bien, d'aller à l'école sans culotte (j'étais toujours habillée en jupe ou en robe), ou avec ma culotte sur la tête.

Ils ne l'ont jamais fait mais je vivais avec cette crainte permanente parce que j'étais petite et je les croyais.

J'ai tout de même le souvenir d'être allée pour juste une matinée d'école, sans culotte me semble-t-il.

Ce souvenir n'est pas très net dans ma tête. Je ne sais pas si je l'ai réellement vécu mais il me semble bien que oui. Ou alors, j'étais extrêmement malheureuse et craignais terriblement que cela n'arrive un jour. Je me revoie dans la cour de récréation ensoleillée, auprès d'autres enfants qui jouaient aux balançoires et moi, toute gênée, à n'oser rien faire.

Peut-être que ceci n'est que le fruit de ma crainte. Cependant, ce souvenir est bien vivace en moi.

Le mari me menaçait toujours de me frapper à table, parce que je ne mangeais pas ou triais la nourriture. Il mettait, sans mot dire, sa grosse main à côté de mon assiette, ce qui voulait dire : "attention, ça va tomber". Ce n'était que des menaces sauf une fois où il m'a frappé avec le manche en bois du martinet sur le visage : j'en ai eu un gros coquard à un œil. La femme tenait l'épicerie (le mari travaillait en dehors, ouf !) et aux remarques des clients devant mon aspect amoché, elle répondait que je m'étais cogné l’œil à une poignée de porte ! De crainte des représailles, je ne disais rien.

Tous les samedis midi, l'homme me faisait mettre à genoux sur une règle carrée en bois, les mains sur la tête. Et je restais ainsi jusqu'à temps que je n'en puisse plus et pleure, d'abord silencieusement, puis plus fort. Il venait alors et donnait un grand coup de pied dans la règle pour me signifier que c'était fini. Je m'écroulais sur le sol en gémissant. Un tel traitement aurait nécessité de crier très fort. J'étais tellement inhibée et craintive, que je n'osais pas. Et certainement la croyance de ne pas attirer l'attention sur moi, qui ne me valait rien de bon, me tenait la bouche fermée.

J'ajoute que je ne savais pas pourquoi je subissais un tel châtiment. Il me semble que le prétexte étaient mes résultats à l'école, pas fameux.

A ce sujet, je me rappelle que le soir, au moment de noter les exercices et leçons à faire pour le lendemain, je mettais systématiquement autre chose que ce qui était demandé. Je notais d'autres numéros de pages, d'exercices et de leçons.

Je suppose que j'essayais d'attirer l'attention des adultes de l'école sur moi, pour que quelqu'un vienne enfin à mon secours.

Ce couple se montrait attentionné et aimant avec leur petite fille de 9 mois. J'étais apparemment, leur souffre-douleur.

En me réveillant très tôt un matin et en constatant mon lit mouillé encore une fois, j'ai voulu mourir en me plantant un couteau dans le ventre.

Je suis descendue silencieusement dans la cuisine, ai pris un couteau à bout pointu dans le tiroir. J'ai fait le geste mais évidemment, n'y suis pas parvenue. En tout cas, le désir de mourir et l'intention de passer à l'acte y étaient.

J'ai vécu 6 mois dans cet enfer. Je vous ai fait part des pires moments. Il n'y a jamais eu de “bons moments“que j'aurais plaisir à raconter. J'étais sous tensions permanentes. Le courrier que j'adressais tous les jeudis à mes parents étaient surveillé et lu, avec obligation de ne dire que des niaiseries, en gros que tout allait bien.

J'ai eu un frère de 11 ans mon ainé. D'après une de mes tantes qui a côtoyé la famille à une période , mon père était dur avec lui et "avait la main leste".

Mon père à giflé mon frère un jour en sa présence, et elle lui a entendu dire : "tu finiras comme gibier de potence !"

A ce sombre pronostic, l'avenir de mon frère semblait tout tracé. Il a eu sa majorité à 18 ans (à l'époque, elle était à 21 ans), après que mes parents en aient fait la demande, parce qu'ils "en avaient marre de payer pour ses conneries" (sic mes parents). Il a été incarcéré très jeune pour vol de voiture et le jour de sa sortie de prison qui a coïncidé avec la sortie d'un détenu-copain, ils ont volé ensemble une voiture avec laquelle ils ont eu un très grave accident dans lequel mon frère a perdu la vie. Il avait 24 ans.

Apparemment, mon père n'a pas eu du tout le même comportement avec mon frère qu'avec moi.

Il y a toujours eu un martinet dans mon enfance, aussi bien chez moi qu'en pension.
Je n'arrive plus à me rappeler si j'en ai reçu des coups de ma mère ou pas. Il me semble qu'elle m'en menaçait. En tout cas, je me rappelle du jour où nous sommes allées en acheter un dans une quincaillerie.

Ma mère, issue d'un milieu modeste d'une famille émigrée espagnole, n'a pas été frappée enfant par ses parents d'après ses dires (ce n'est pas très clair) mais le père "était sévère" et "les grondait". Il semble qu'il ne s'en soit tenu qu'aux menaces, en faisant mine de décrocher sa ceinture en cuir pour frapper.

Une de mes tantes m'a dit qu'il ne les avait pas battues avec sa ceinture tandis qu'une autre m'a dit qu'un jour, elle en avait reçu des coups sur les jambes.

Il est fort possible que les 3 filles en recevaient de temps en temps. Difficile de savoir exactement. Il semble que cela leur paraissait tout à fait normal et une de mes tantes m'a dit que : «l'enfant sait bien quand il le mérite !» !!
Je n'ai pas plus de précisions.

Mon père, quant à lui, est issu d'un milieu aisé, a peu grandi dans une famille au père militaire de carrière puisqu'il était destiné à être prêtre en étant placé très jeune (7ans) chez les Jésuites.

Ce qu'il n'a pas fait par la suite.

Je n'ai aucune précision sur la façon dont il a été traité enfant. Il n'en a jamais soufflé mot.
Par contre, il a eu un destin assez tragique et a été emporté par un cancer du foie à 54 ans.

Ce que je peux brièvement en dire, c'est que son comportement a été en forte opposition à son père, militaire.

Ceci est déjà parlant.

Et d'après une de ses sœurs, le père n'était "pas commode du tout".

J'ignore si les autres membres de ma famille ont été battus, maltraités pendant leur enfance. Je ne pourrais faire que des suppositions puisque ce sujet n'a jamais été abordé. Lorsque je pose des questions à ce sujet, mes tantes font preuve d'une grande gêne. Je sais juste, d'après un de mes cousins, que sa mère n'a jamais été douce avec ses 2 garçons et refusait de leur donner de la tendresse.

Je pense que cette façon de me traiter m'a profondément marquée et perturbée. J'ai eu de gros problèmes psychologiques, déjà dans l'enfance, surtout dans l'adolescence et plus tard aussi.

Pendant longtemps, j'ai vécu repliée sur moi-même (grandes difficultés relationnelles – extérieur perçu comme menaçant), avec un manque total de confiance en moi et une grande mésestime de moi-même.

J'ai tout de même fait des rencontres épanouissantes plus tard et trouvé du réconfort, enfant, auprès d'une personne bienveillante ici ou là, qui devait se rendre compte que je n'étais pas comme les autres enfants, à jouer et s'exprimer librement (je ne parlais pas).

Est-ce que je subis encore les effets de ces mauvais traitements ? Je pense que oui.

A 57 ans, je n'ai jamais pu établir de relation durable avec un homme (max. 2 ½ ans). Ma vie a été pendant longtemps une longue errance, avec des périodes de dépression lors de certaines ruptures sentimentales, une construction intérieure fragile. Dès que je voyais deux personnes parler entre elles de moi, c'était forcément pour dire des choses négatives et désagréables. Du coup, je me refermais encore plus sur moi-même.

En ce qui concerne mon expérience de mère, je n'ai eu qu'une seule enfant, une fille que j'ai élevée seule.

Ma colère-fureur refoulée enfant est ressortie dans les scènes de la vie quotidienne, vis-à-vis d'elle. J'avais par moments une envie irrépressible de la frapper et je me retenais de le faire le plus souvent. Il y a eu cependant quelques coups donnés, quelques fessées, « peu » me semble-t-il mais certainement beaucoup trop pour la sensibilité d'un enfant. Une seule fois marque de façon indélébile et pour la vie.

Je n'ai jamais pensé que les châtiments corporels soient bons à quelque chose : ce sont simplement les adultes qui soulagent momentanément leurs tensions nerveuses sur des êtres plus faibles qu'eux et avec lesquels ils ne risquent pas grand-chose.

Mais surtout je rentrais dans des colères terribles, débordantes qui se manifestaient par des cris. Je devenais menaçante, exerçais du chantage pour la faire obéir et me servais de la culpabilité pour me soulager des tensions intérieures qui m'habitaient.

Je lui tenais un discours hautement toxique – si je devais entendre les paroles et les accusations que je lui servais, j'en serai certainement fortement bouleversée.

Mais à l'époque, je n'avais pas conscience de ce qui m'habitait et rejetait la cause de mon état sur le comportement de ma fille. Une fois, après que ma colère fut calmée, ma fille m'a dit avec des yeux pleins de larmes : «ce qui me fait le plus de peine, c'est de penser que ma mère me fait mal !» (je lui avais tiré les cheveux). Et là, ce fut un choc : je n'avais jamais réalisé que ce que je lui faisais subir pas moments étaient douloureux, aussi incroyable que cela puisse paraître. Cela a eu pour résultat heureux de me faire réfléchir et de revenir vers ma fille pour m'excuser de mes actes et paroles.

Après avoir effectué beaucoup de « travail sur moi-même » au fil des années et surtout, la vie m'ayant aidé à guérir de nombreuses blessures, je me rends compte que les schémas toxiques que j'ai engrammés petite, sont encore bien vivaces en moi ! Ma petite-fille parvient à me faire contacter de la colère, ce qui est salvateur. J 'apprends petit à petit à ne pas la retourner contre elle en observant mes schémas comportementaux et pensées qui attisent le feu de la colère. Ce qui est difficile (mais pas impossible) Et pourtant, c'est absolument nécessaire. Les enfants sont des révélateurs des émotions refoulées de leurs parents, qui ressortent pour être vues, reconnues pour ce qu'elles sont et guéries, enfin !
Et surtout, je souhaite transmettre autre chose à ma petite fille que mes colères, qui est déjà héritière des colères non guéries de sa mère, ma fille.

Pour conclure, je peux dire que je suis dans un long, très long processus de guérison intérieure. J'ai appris beaucoup tout au long de ces années, sur moi, sur la vie, et sur les difficultés à être parent, tout simplement.

Coletta Bouillon

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