C'est à l'échelle mondiale qu'il faut désormais inventer de nouveaux concepts mobilisateurs, pour parvenir à cet idéal : l'égalité en dignité et en droit de tous les êtres humains.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

Je voulais qu’on m’écoute…

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site.

 
1) Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?

J'ai reçu des coups et j'ai été enfermée à la cave dans le noir. J'ai aussi subi beaucoup de violence morale (humiliations, chantage affectif, menaces...)

2) A partir de et jusqu'à quel âge ?
Je n'ai pas de souvenirs précis... je ne sais pas quand ça a commencé. Mais en fait dès ma naissance, je peux dire, puisque je suis née prématurément, et suis restée un mois et demi en couveuse sans autre contact humain que celui du personnel de l'hôpital (rare et peu chaleureux dans les années 70..., très loin du peau à peau qu'on peut pratiquer aujourd'hui !). Et ça n'a pas pris fin, à mon avis, sauf en ce qui concerne les coups (vers 18 ans). Je subis encore le chantage affectif de mes parents par exemple, ainsi que leur déni face à ma souffrance d'enfant.

3) Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Mes parents et ma grand-mère paternelle, et un instituteur de CE1 qui m'a tiré violemment l'oreille un jour ( qui avait aussi fessé (pantalon baissé) un de nos camarades devant toute la classe et humiliait les élèves les moins bons).

4) Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Mes parents oui. Ma grand-mère paternelle et mon instituteur, je le suppose. Pour mes parents, coups, humiliations, chantage, menaces, délaissement...

5) Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir “bien mérité”...) ?
Je me souviens surtout d'un immense sentiment de révolte et d'injustice. Je hurlais jusqu'à en avoir la voix cassée. J'appelais, je voulais être entendue, je voulais être écoutée, qu'on arrête de décider à ma place ce qui était bon ou pas pour moi, sans jamais me demander mon avis. Je ne l'étais pas et comme je «répondais », cherchais sans cesse à être entendue, je criais, recevais encore des coups et criais de plus belle. J'avais envie de tout casser, j'avais envie de tuer mes parents dans ces moments-là. Et ce désir d'être écoutée persiste encore aujourd'hui. Et plus encore, le désir que ma souffrance soit reconnue.

6) Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Mes 2 soeurs ont subi la même chose que moi, mais nous avons chacune vécu cette violence seules, car mes parents nous isolaient séparément dans nos chambres après les crises. Et gare à nous si nous essayions de communiquer...
Les membres de notre famille qui étaient parfois témoins de ces actes violents s'interposaient et nous consolaient. Mais jamais personne n'a vraiment tenté de faire comprendre à nos parents qu'ils pouvaient obtenir de l'aide, faire une thérapie...

7) Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
Curieusement, j'étais une petite fille plutôt joyeuse et j'avais plein d'amis. J'aimais l'école et j'étais bonne élève. Mais je crois, avec le recul aujourd'hui, que je n'étais pas moi. Je faisais juste en sorte d'éviter les conflits. Je suis rentrée dans le rôle qu'ils attendaient que je tienne, la petite fille sage qui travaille bien à l'école et qui fait la fierté de ses parents.
Je ne me souviens surtout de la violence subie à l'adolescence. Là, je me suis révoltée, rebellée, je voulais qu'on m'écoute, je voulais leur dire qui j'étais, qu'ils me respectent enfin, moi et mes désirs. En vain. J'ai passé toute mon adolescence à crier, et je continue encore parfois. Notre seul moyen de communiquer, c'étaient les cris, les coups (j'ai frappé ma mère aussi). J'étais très déprimée, j'avais un bon cercle d'amis, mais je ne leur ai jamais parlé de tout ça, j'avais des idées noires...

8) Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ? En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
Je manque de confiance en moi, j'ai énormément besoin d'être écoutée, rassurée. J'ai du mal à m'imposer, à communiquer clairement mes sentiments, mes désirs. J'ai aussi beaucoup de mal à faire des choix.
Il m'est très difficile de garder mon calme, de ne pas crier et de ne pas avoir envie de frapper. J'en veux beaucoup à mes parents, qui continuent d'ailleurs à faire preuve parfois de cette violence éducative (ils ne m'écoutent pas, me jugent tout le temps, et me font du chantage affectif).

J'ai deux enfants et suis en congé parental. J'ai des difficultés à rester calme, à l'écoute, patiente... Je crie souvent, il m'est arrivé de frapper. Ce que j'essaie de leur offrir me renvoie sans cesse à ce que je n'ai pas eu, enfant. Je fais des efforts chaque jour, je travaille sur moi pour ne pas répéter mon éducation.

9) Si vos parents ont su éviter toute violence, pouvez-vous préciser comment ils s'y sont pris ?

10) Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
Mes parents sont ce qu'ils sont et malheureusement, ont eux-même subi des violences. Ils n'ont pas su / pu, travailler sur eux et n'ont pas été aidé, dans une société où la majorité agissait de même, ou la violence éducative n'était pas considérée comme telle et était banalisée. Devenir parent n'est pas quelque chose de facile, je le constate chaque jour, mais leur éducation m'aura au moins permis d'être ultra consciente, de rencontrer des gens bienveillants, dont l'aide m'est précieuse, et de tâcher de faire autrement avec mes propres enfants.

11) Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Oui, dans les années 70-80, c'était « normal » de donner des fessées, des claques, d'humilier... Je pense que c'est pour cela que mes parents minimisent ma souffrance aujourd'hui.

12) Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
J'ai peu voyagé, et à ces occasions n'ai pas rencontré de telles situations. Mais pas la peine d'aller si loin pour assister à ça... Les jardins publics, les rues, les écoles de mon quartier sont malheureusement remplis de violence.

13) Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
Cela m'évoque des scènes dont je suis témoin chaque jour (enfants envoyés au coin, saisis brutalement par la main pour traverser la rue, recevant des claques au supermarché, humiliés verbalement, bébés qu'on laisse pleurer ou qu'on abandonne dans leur transat durant des heures ...). Pour moi, c'est de la maltraitance. Il y a ensuite plusieurs degrés de maltraitance. Ce qui est sûr, c'est que cela laisse toujours des traces, cause des dégâts.

14) Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Aucune.

15) Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
J'ai connu l'OVEO en cherchant à m'inscrire sur la liste « Parents conscients ».

16) Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
J'ai pris conscience que cela était bien plus répandu que je ne le croyais enfant. Cela m'a donné le goût d'agir. Mais, cela remue tellement de choses !

17) Si vous acceptez de répondre, merci de préciser sexe, âge et milieu social.
Je suis une femme de 36 ans, professeur de français pour les étrangers.

Mady

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