Quand on a rencontré la violence pendant l'enfance, c'est comme une langue maternelle qu'on nous a apprise.

Marie-France Hirigoyen.

« Les enfants sont comme les animaux, il faut les dresser »

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site, précédé d'un texte par lequel l'auteure a souhaité le compléter.

"Les enfants sont comme les animaux, il faut les dresser"

Voilà la conviction de certaines personnes de mon entourage, quand j'étais enfant, dans un milieu plutôt favorisé.

J'ai été élevée dans les années 1960 à coups de martinet, de cravache, de claques. Ma mère me tirait violemment les cheveux ou les oreilles. Quand elle me faisait travailler, c'était l'enfer, j'étais tellement terrorisée que je ne pouvais plus penser. Quand elle en avait fini avec moi j'avais l'impression d'en avoir fini avec la vie.

Mon enfance a été faite d'humiliations, de sermons dénigrants et rabaissants. Sans encouragement ni marque d'affection, j'ai grandi avec la conviction d'être nulle, sans personnalité, uniquement bonne à me soumettre et à rendre service.

Mise assez jeune parfois au placard (sans doute un endroit spacieux) et au pain sec et à l'eau, je m'y sentais en sécurité et j'ai gardé 50 ans après ce que j'appellerai "le syndrome du placard", j'ai besoin d'être à l'abri, de m'absenter comme je le faisais pour supporter les punitions, de me mettre en veille pour me sentir en sécurité mais ça freine mon élan vital et limite ma possibilité de m'ouvrir au monde.

Malgré une enfance très traumatisante, j'ai eu la chance de pouvoir aimer mes enfants et de ne pas reproduire ce que j'ai subi.

Les mauvais traitements ne servent qu'à casser un enfant, le priver de sa dignité et de son identité propre. Il se sent mauvais (quoi qu'il fasse ou ne fasse pas justifie une punition), délaissé voire même abandonné. De son enveloppe corporelle sans cesse effractée, il ne ressentira que honte et dégoût et ne saura pas comment prendre soin de lui-même. La peur de mal faire est inscrite dans ses tripes ainsi que la conviction de ne pas pouvoir être aimé car moralement il ne vaut rien et ne mérite ni attention, ni douceur, ni gentillesse, ni encouragement.

Les parents maltraitants se rendent coupables de :
Mauvais traitements sur plus faible
Non assistance à personne en danger
Abus de pouvoir sur un petit sans défense
Usage de la terreur, menace, violence
Transgression permanente de toutes les règles les plus sacrées du respect du corps et du cœur de l'enfant
Meurtre psychique et anéantissement physique

Un enfant maltraité fait un adulte mal, malade, qui ne sait plus où il en est, sans talent ni envie, hagard, muet, perdu, saccagé. Il a été si malheureux, s'est senti si mal aimé, a eu si peur, si mal et tellement honte. Honte de son corps bafoué, honte de cette tête si mal faite qu'on a envie de lui donner des claques et de l'effacer.

La culpabilité qu'il ressent l'empêche d'analyser que l'atmosphère dans laquelle il a vécu était polluée par des êtres sans limite dans la cruauté, le sadisme et le manque de soins élémentaires.


Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?
Claques, martinet, cravache, douches froides, tirer par les cheveux et les oreilles, tapes sur les mains, balais entre mes omoplates pour que je me tienne droite. Humiliations, privations, injonctions. Je sais maintenant que c'était de la maltraitance, un mélange de cruauté et de sadisme avec sans doute des intentions très louables mais si contestables.A partir de et jusqu'à quel âge ?
Dès mon plus jeune âge, j'ai redouté ma mère étant donné son comportement envers mon frère aîné mais sans doute de 3 à 12 ans pour les corrections et ensuite ça a continué dans les violences plus psychologiques.Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Surtout ma mère, mon père plus rarement, et des claques à l'école par mes professeurs ou à la maison par ceux qui me faisaient travailler

Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Sans doute

Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir “bien mérité”...) ?
Tristesse, désespoir, perte de dignité et d'identité, dégoût de moi-même, honte, envie de mourir, injustice, absence, dédoublement (Je ne sens rien, je me moque de ce qui peut m'arriver, tout est normal) mais aussi l'impression de l'avoir mérité. Sacrifice, je me dénonçais pour épargner mes frère et sœur.

Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Isolement total, il ne fallait pas en parler. J'ai encore du mal à en parler, par peur de choquer mes enfants et de dénoncer mes parents en portant atteinte à leur réputation, surtout tant d'années après, il y a prescription...

Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
J'étais repliée sur moi-même, très seule, mal dans ma peau et dans mon corps, en difficulté pour penser et oser parler, inhibée, très complexée, persuadée de n'avoir aucune personnalité ni valeur et de ne pas être aimable. J'ai eu beaucoup de problèmes de santé sans gravité (somatisations)

Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ? En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
J'ai toujours du mal à avoir confiance en moi et de l'estime pour moi. Je n'ai envie de rien mais fais tout pour me soigner grâce à des gens remarquables qui dédient leur vie à tenter de sauver des gens qui sont peut-être des causes perdues à cause de leur vécu. Je pleure encore beaucoup trop. Je souffre toujours d'insomnie et de problèmes intestinaux. J'ai eu la chance d'avoir 3 enfants que j'ai aimés dès le début et j'ai toujours tenté de les encourager, de dédramatiser, de garder mon calme et surtout il m'a toujours semblé cruel, inhumain de leur faire du mal même si j'ai fait des erreurs, sans aucun doute

Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
J'ai été bien dressée, je suis rapide et efficace, je comprends les autres, sais être à l'écoute et rendre service mais je suis encore beaucoup trop traumatisée

Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Oui sans doute

Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?J'ai habité en Angleterre où la fessée est interdite et c'était un grand soulagement. En France, dans les différentes écoles que mes enfants ont fréquentées, j'ai pu constater l'ignorance des parents et leurs exigences démesurées vis-à-vis de leurs enfants, dès leur plus jeune âge.

Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
Je ne fais pas vraiment de différence entre la violence éducative ordinaire et la maltraitance. Je ne crois pas que la violence puisse éduquer, bien sûr il faut à un enfant un cadre, des horaires, l'apprentissage de l'existence et le respect d'autrui mais la violence n'est pas nécessaire, même s'il faut des punitions de temps en temps qui n'ont pas besoin d'être des sévices corporels. Je suis totalement d'accord avec la lutte contre la violence éducative ordinaire.

Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Non, au contraire, prôner le droit au respect de l'intégrité physique et psychique de l'enfant est vital pour l'avenir de notre société.

Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
Internet

Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
Non mais confirmé. C'est une réflexion que j'ai mûrie depuis longtemps.

Céline, 54 ans, milieu plutôt favorisé.

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