La violence n'est pas innée chez l'homme. Elle s'acquiert par l'éducation et la pratique sociale.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

Ma mère avait des « trucs » qu’elle échangeait avec ses copines

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site.

1) Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?

Oui, quotidiennement : claques, cheveux et oreilles tirées, quelques fessées. Douches gelées, mon frère a reçu des coups de balais « car à force de lui taper dessus ça faisait mal aux mains ». Ma mère avait des « trucs » qu’elle échangeait volontiers avec ses copines, comme mouiller les mains pour que ça fasse encore plus mal.
Je ne sais pas si on peut dire que c’était de la « VEO » car ce n’étaient pas des punitions : elle nous frappait pour un oui ou pour un non, on ne comprenait pas les raisons et souvent il n’y en avait pas vraiment.
Il y avait aussi la violence psychologique (manipulation et chantage affectif), nous empêcher de faire ce qu’on désirait vraiment et qui nous donnerait un peu d’espace.
Autre chose sur le plan psychologique, ce n’est pas de la VEO, mais j’en ai aussi souffert : refus de toute intimité, interdiction de fermer à clé la porte de la salle de bains par exemple, à 19 ans ma mère a utilisé un tournevis pour entrer dans la salle de bains alors que je me douchais. Elle envahissait tout mon espace. Jusqu’à environ 12-13 ans il fallait « finir notre nuit » dans le lit avec elle, je me souviens de ses heures passées à l’entendre respirer, sans pouvoir bouger, au risque de « s’en prendre une ».
Et en plus de ça, les insultes « petits cons » « merdeux »…

2) A partir de et jusqu'à quel âge ?
Je ne sais pas quand ça a commencé, je ne m’en souviens pas, mais ma mère racontait souvent cette histoire : j’avais 2 ans et j’avais sorti les vêtements de ma commode, et je les ai recouverts de talc. Je me souviens de son ton de fierté quand elle décrivait la « belle fessée cul nu » que j’ai reçue alors. La dernière claque a eu lieu vers mes 18 ans. J’avais probablement dû « répondre » une fois de trop. ça n’a vraiment cessé que lorsque j’ai définitivement quitté le « foyer familial ».

3) Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Ma mère, tous les jours. Mon père ne m’a frappée que 2 fois. Ma grand-mère maternelle aussi, quelques fois, lorsque j’allais en vacances chez elle.

4) Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Ma mère a probablement été victime de violence éducative, mais je crois que mon grand père était plutôt « focalisé » sur ma tante, lui faisant subir des choses terribles en plus des « violences éducatives » comme par exemple passer la nuit seule dans la cave sans lumière.

5) Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir “bien mérité”...) ?
J’avais un petit frère, décédé il y a peu, et ma mère nous répétait que nous étions « méchants », elle se demandait « ce qu’elle avait bien pu faire pour avoir des enfants comme nous ». Donc nous pensions que nous méritions les punitions.
Je me souviens, je devais avoir 10 ans quand j’ai pris assez de recul pour me dire « ce ne sont que des coups, si tu ne dis rien ça va passer ». Car ma mère avait horreur qu’on lève les bras pour se protéger (« baisse les bras, sinon tu vas en avoir encore plus ! »), il fallait accepter les coups.

6) Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Dans l’isolement, jusqu’à ce que je quitte la maison. Des années plus tard, ma tante m’a dit qu’elle essayait de raisonner ma mère. Par exemple, elle nous laissait seuls dans l’appartement tout un après midi alors que nous n’avions que 2 ans (pour moi) et quelques mois (mon frère). Je ne pense pas que ma tante se rendait compte de ce que nous subissions vraiment.
Mon père a fermé les yeux pendant presque 20 ans sur ce qu’il se passait. Depuis la mort de mon frère, je me suis rendu compte qu’il avait aussi sa part de responsabilité.

7) Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
Je mentais constamment pour me créer une vie meilleure. A posteriori, je me rends compte que je savais que ce que je vivais chez mes parents n’était pas normal car je racontais des histoires à tout le monde, tout le temps.
J’ai demandé à l’aide une fois, pas directement mais en faisant croire que j’étais tombée dans les escaliers, et que je n’arrivais plus à bouger (j’avais 8-9 ans). Les pompiers sont venus, ils m’ont emmenée aux urgences ou j’ai fini par me lever. Le médecin de famille avait fait une lettre pour un pédopsychiatre, elle devait bien se douter de quelque chose ? Mes parents ne m’ont jamais emmenée consulter un pédopsychiatre…
Enfant, je me suis concentrée à bien réussir à l’école. C’était mon échappatoire.
Je ne connaissais que cette violence, c’était la seule façon de réagir aux conflits. On s’étripait avec mon frère, je n’ai pu communiquer avec lui qu’une fois que nous avions quitté la maison.
C’est un de mes grands regrets.
Contrairement aux désirs de notre mère, nous étions turbulents car nous nous faisions punir sans raison – autant en profiter et faire les 400 coups.

8) Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ?>
Je n’ai pas beaucoup confiance en moi, je suis très émotive, j’ai des difficultés à gérer les conflits.
Ca me pénalise au niveau du travail, avec mon supérieur hiérarchique.
Je m’énerve, j’ai besoin de pleurer.
Avant de consulter une psychologue, je pouvais avoir de très mauvais jours. Je faisais souvent des cauchemars, et ensuite la journée était difficile. Maintenant ça va mieux, mais je sens que j’ai toujours un peu de cette agressivité et de cette colère en moi.
Au niveau famille, je pense que je leur en veux à tous : oncles, tantes, grands parents… J’ai aujourd’hui du mal à garder contact avec eux, ça me fait de la peine que ma fille ne connaisse pas la joie d’une grande famille, mais elle a au moins la joie d’une famille restreinte (nous 3).
J’ai confronté ma mère une fois – j’avais 25 ans, et elle m’a dit « vous étiez méchants » - elle ne se remet pas en question, d’ailleurs elle essaie encore de me manipuler mais ça ne fonctionne plus. Entre nous c’est le statu quo.

9) En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?

J’ai une petite fille de 1 an ½ que nous n’avons jamais frappée. Nous essayons de l’éduquer sans la punir, car de toute façon je suis persuadée qu’elle ne comprendrait pas. Nous sommes contre le « dressage ».
Je me souviens de l’angoisse de la recherche d’une assistante maternelle : jusqu’à mes 5 ans, ma mère était « gardienne agrée » - difficile de faire confiance…
Ma première motivation pour consulter une psychologue était de ne pas faire subir à mes futurs enfants ce que j’avais subi, maintenant je continue ce travail en m’informant sur les personnes qui ont subi la VEO, en lisant des ouvrages sur le sujet.
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10) Si vos parents ont su éviter toute violence, pouvez-vous préciser comment ils s'y sont pris ?

Non – vraiment pas !

11) Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
J’ai l’impression que – contrairement à ce qu’ils font croire – mes parents n’ont aucune part dans ma relative réussite professionnelle.
J’ai dû me débrouiller toute seule, je m’en suis sortie grâce à l’école, pas à eux.

12) Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Oui – en France dans les années 80 – 90, et encore aujourd’hui ! Ma mère échangeait des « trucs » comme l’idée des douches froides avec ses copines de parc.
Aujourd’hui je suis choquée lorsque je vois des gens gifler leurs enfants – l’autre jour j’ai vu une maman gifler sa fille (à peu près 5 ans) à la caisse d’un supermarché, la tête de la pauvre petite a heurté un poteau en acier et elle hurlait. La caissière a demandé à la petite ce qu’il se passait, la mère a répondu « ce n’est pas ma faute – elle n’a qu’à se tenir » et elle a ri. A part la caissière, personne n’a réagi. Moi j’étais bloquée, les larmes me montaient aux yeux.

13) Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
J’ai vécu 3 ans en Grande Bretagne, et j’y ai vu beaucoup moins de claques en public qu’en France.

14) Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
La « violence éducative ordinaire » représente pour moi les claques reçues pour « fautes », ce sont des punitions pour lesquelles on utilise la violence physique. La manipulation peut aussi en faire partie.
La limite avec la maltraitance ? Difficile à dire… Jusqu’à il y a peu de temps, je pensais que c’était lorsque la vie de l’enfant était en danger. Mais en fait, je pense que même si les coups ne tuent pas tout de suite, les séquelles peuvent être elles-mêmes mortelles.

15) Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Non – j’adhère complètement à vos idées.

16) Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
J’ai vu la référence au livre d’Olivier Maurel La Fessée dans un magasine Bio – je suis allée visiter votre site internet, et j’ai acheté le livre.

17) Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
Il a renforcé mes convictions, et lire les articles et témoignages également.

18) Si vous acceptez de répondre, merci de préciser sexe, âge et milieu social.
Je suis une femme, 31 ans, issue d’un milieu ouvrier (mère « au foyer », père garagiste). Je suis maintenant ingénieur dans une grande entreprise.
Marion – 31 ans

Si je peux me permettre, j’aimerais ajouter ici un commentaire au sujet de mon frère :
Mon frère a emprunté un chemin différent du mien, je ne sais pas si c’est parce que ma mère le considérait comme son « fils adoré » tout en le frappant, ou si c’est car mon père l’ignorait totalement, mais il ne travaillait pas bien à l’école, après 5 ans au lycée il a eu son bac et a rejoint l’armée. Militaire, il voulait faire des missions à risque (Afghanistan), avait une moto et pratiquait du VTT de descente – tout pour avoir des sensations, ou pour mettre sa vie en danger. Il est décédé dans un accident de moto, à 27 ans. Je ne peux m’empêcher de me poser la question du lien de cause à effet entre ce qu’il a subi dans son enfance et sa mort tragique.

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