Les enfants n'ont pas besoin d'être éduqués, mais d'être accompagnés avec empathie.

Jesper Juul.

Des cris de parents, des bris d’enfants…

Depuis ma naissance, j’ai connu le calvaire des mots/maux. Ma mère était dépressive lorsqu’elle m’a mise au monde et on m’a raconté qu’en me donnant la vie, elle a crié « le diable arrive ! ». Pendant mon enfance et mon adolescence, ma mère me martelait l’esprit de paroles humiliantes inappropriées à la situation : « tu es méchante » parce que je transpirais du nez ( !), j’ai donc grandi avec au fond de moi l’idée que j’étais une mauvaise personne.

D’autres mots m’ont littéralement salie : « putain », « vilain crapaud »… « Putain », c’était chaque fois qu’elle était en colère, comme cette fois où elle a accepté de m’emmener chez le coiffeur : ce dernier ne m’avait pas coupé les cheveux comme elle le désirait, et à cause de cheveux trop courts, j’étais devenue une « putain ». J’avais 12 ou 13 ans. C’étaient des cris, la colère d’une mère devenue furie, une scène traumatisante qui a duré des heures et des heures. Elle répétait en boucle les mêmes mots avilissants, je subissais un bourrage de crâne, véritable traumatisme. Je me souviens avoir pensé très fort au moment de ma crise de larmes : « mes cheveux repousseront, mais jamais je n’oublierai ! ». En effet, je n’ai jamais pu oublier : ces mots résonnent encore dans ma tête…Aujourd’hui, j’ai un gros problème d’estime de soi à résoudre et le coiffeur ne me voit pas très souvent.

Les mots les plus forts que j’ai pu entendre, ceux qui ont bloqué ma vie, sont les suivants : « si tu grandis, tu n’es plus ma fille »… Ma mère avait peur que je vole de mes propres ailes, car elle associait cette idée à celle que j’allais « l’abandonner». Malgré cette phrase terrible, j’ai fait mes études, obtenu mon concours et déménagé de chez elle, mais je suis restée « petite ». J’appelais ma maman tous les jours, me conduisant avec elle comme une enfant. Inconsciemment, pendant des années, je me suis interdit de grandir, pour ne pas perdre l’ « amour » de ma mère. Ces mots : « si tu grandis, tu n’es plus ma fille » s’étaient sournoisement tapis dans ma mémoire, s’étaient imprimés jusque dans les cellules de mon corps (j’ai gardé des cheveux de bébé au front !) et ont impacté lourdement ma vie d’adulte.

Enfant, j’ai gardé le secret de mes souffrances, personne n’a jamais su à l’école que je vivais des choses aussi dures. Mes résultats ne s’en ressentaient pas, j’étais l’une des meilleurs élèves de ma classe. Je crois que je m’étais réfugiée dans mes livres et mes cahiers, dans un monde imaginaire qui m’a sauvée. J’ai survécu. Mais le venin de ces paroles n’en coulait pas moins dans mes veines…

C’est à l’âge de 30 ans que j’ai pris conscience de mon empoisonnement – et de mon emprisonnement - notamment grâce à l’aide de mes plus fidèles amis. C’est alors que je me suis réveillée comme d’un très long coma, que j’ai pris la décision de grandir, enfin, et de me soigner. Le chemin est long, difficile, mais je garde bon espoir…
Aujourd’hui, je n’en reviens toujours pas de l’impact que de simples mots ont pu avoir sur ma vie et ce n’est pas à ma mère que j’en veux, mais bien à moi d’avoir prêté foi à tant de bêtises ! J’ai beaucoup de mal à me pardonner, bien que j’aie conscience que rien n’est de ma faute. Je ne pouvais pas dire non à ma mère quand je n’étais qu’une enfant sans défense, ignorante des choses de la vie…

A la lumière de mes connaissances actuelles, je comprends mieux ma mère : elle était dépressive et ne s’est jamais fait soigner. Elle a elle-même baigné dans un univers malsain quand elle était petite et n’a fait que reproduire le mal qu’on lui a fait subir. Sa première et seule victime n’est autre qu’elle-même, puisqu’elle ne voit en moi, sa fille, qu’un prolongement de soi. Elle ne m’a jamais considérée comme un être à part entière. Elle s’est projetée en moi, je n’étais qu’un reflet pour elle. La relation était fusion, confusion et contusions…

Je ne peux que déplorer que tant de parents, inconsciemment, ne font des enfants qu’un miroir dans lequel ils ne voient qu’eux-mêmes, tels des Narcisse, rendant le lien parent-enfant dangereux, destructeur…

Je travaille au contact d’adolescents et je suis toujours choquée, chaque année, d’apprendre que certains souffrent au sein de leur famille, ne se sentent pas en sécurité. Je ne peux m’empêcher de me demander : « Qu’aurais-je fait, si j’avais été consciente que mes parents me traitent mal dès l’âge de 14 -15 ans ? Que serais-je devenue ? ». En effet, ce doit être encore plus difficile à vivre à un âge où l’on a si peu de marge de manœuvre…

La question de la maltraitance verbale me tient beaucoup à cœur, non seulement parce que je l’ai subie, mais parce que je la vois encore sévir de nos jours dans les familles, des familles qui ne se rendent pas compte de la dangerosité des mots qu’elles prononcent sur les jeunes esprits !

Cela me révolte ! Je souhaite que les consciences se réveillent, que les parents, que chaque adulte portent une attention particulière à leurs mots, pour ne plus jamais causer de maux aux enfants…

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