C'est à l'échelle mondiale qu'il faut désormais inventer de nouveaux concepts mobilisateurs, pour parvenir à cet idéal : l'égalité en dignité et en droit de tous les êtres humains.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

La vitalité et la gaieté de ma petite enfance s’étiolaient…

Témoignage reçu en réponse à un article de L'enfant et la vie sur la fessée.

Bonjour,

Je viens de lire, sur le site "L'enfant et la vie", un article relatif au rôle de la fessée dans l'éducation et je dois dire qu'en tant qu'ex-enfant battue (j'ai 46 ans) je partage tout à fait votre opinion sur le sujet et notamment sur les conséquences des coups.

Mon père est décédé lorsque j'avais 16 mois, j'ai été "éduqué" par ma mère dont j'ai découvert, après des années d'interrogations, qu'elle était perverse narcissique.

Ma mère a commencé très tôt à me frapper ; je devais avoir 2 ou 3 ans. Je ne pense pas qu'elle le faisait pour "mon bien" mais plutôt pour me soumettre. Elle ne me frappait que sur la tête et je vomissais souvent après avoir reçu une de ces râclée dont elle avait le secret. Je n'en parlais pas car elle anticipait en me menaçant pour le cas où je me serais plainte à mes grands-parents.

Cela a duré toute mon enfance, jusqu'à environ 11-12 ans. De temps en temps, ma soeur qui était mon aînée de 8 ans l'imitait (dans tous les sens du terme)... Elle jouissait de la même poigne !

Je tombais très très souvent malade et mettais, de surcroît, un temps fou à me rétablir. J'ai par ailleurs subi un nombre incroyable d'accidents stupides qui avaient tous l'air de m'être personnellement destinés. Il paraît que "je ne faisais pas attention". A l'école, j'ai été à plusieurs reprises, le souffre-douleur de gamins qui, en me croisant dans la cour le plus simplement du monde, se retournaient sur moi et sans aucune raison apparente se mettaient à me frapper.

Je travaillais plutôt bien en classe et j'étais très... sage. Toujours sur le qui-vive, j'étais confrontée à des troubles cognitifs soudains, comme si certains de mes acquis avaient brusquement disparu . Ce qui ne faisait, bien sûr, qu'accentuer mon angoisse car cela pouvait durer plusieurs heures. Un jour, à la rentrée, nous devions faire une rédaction. Je les réussissais plutôt bien mais ce jour-là, je n'arrivais pas à aligner mes idées. Je me rendais bien compte que ce que j'écrivais était du niveau d'un enfant de 4 ans mais je ne parvenais vraiment pas à faire mieux. La professeure qui arpentait les rangées s'est arrêtée à mes côtés et a pris le temps de lire quelques lignes de mon devoir. J'ai levé les yeux vers elle, elle m'a regardé et a pouffé d'un air moqueur tout en s'éloignant. Elle venait d'ajouter sans le savoir à la profondeur du désespoir qui était le mien à ce moment là.

Ces quelques anecdotes, loin d'être exhaustives, me permettent d'abonder dans votre sens et de réaffirmer à quel point vous avez raison de clamer que la fessée, les coups, n'éduquent pas. Ils détruisent. Les conséquences s'étendent bien au-delà de l'enfance et de l'adolescence même si l'on a réussi à signer un pacte, plus ou moins conscient, avec les instances du souvenir. Plus l'information circulera plus vite l'éradication de cette ignominie aura des chances d'aboutir... Qu'elle émane d'un pervers narcissique ou d'un quidam qui pense tout simplement bien faire.

Je vous adresse mes meilleures pensées.
G. D.

Bonjour Mr Maurel,

[...]

Vous me demandez si j'ai pu identifier la raison de mes maux grâce à l'aide de ces "témoins lucides et compatissants" dont parle Alice Miller...

Tout d'abord il faut savoir que mon histoire se divise au moins en deux périodes : celle d'avant mes 11-12 ans et celle d'après, qui est très longue en terme de souffrance, mais que par commodité je limiterai à mes 18 ans, âge où j'ai quitté le domicile de ma mère.

Jusqu'à mes 11-12 ans, j'ai eu la chance de profiter de la présence chaleureuse et épanouissante de mes grands-parents paternels ! Je passais mes journées chez eux puisque ma mère travaillait et j'ignore quel genre d'être humain je serais devenue sans l'affection de "Pépé" et "Mémé"... Ce fut à mon sens une inestimable compensation.

Lorsque j'ai atteint l'âge de me "débrouiller seule", c'est-à-dire vers 11ans, ma mère a accentué sa pression pour que je cesse de leur rendre visite. Elle ne me frappait plus mais redoublait de violence psychologique : menaces, brimades, voire insultes... J'ai donc fini par céder parce que j'en avais assez ; je sentais qu'au fil des ans, la vitalité et la gaieté de ma petite enfance s'étiolaient... je me repliais sur moi-même, fuyais la société et cherchais le mode de fonctionnement le plus économique possible en terme d'énergie vitale. Je n'ai jamais évoqué les "problèmes" que me posait ma mère car je craignais de déclencher de très gros conflits entre mes grands-parents et elle. En effet, mon grand-père avait déjà sermonné ma mère après qu'elle m'eut frappée alors que nous étions chez eux. Cela s'était vraiment très mal passé.

Après cet éloignement, je ne bénéficiais plus d'aucune "compensation" et à l'âge de 13 ans, ma mère m'a dotée d'un beau-père que j'ai dû supporter pendant cinq ans ! Sous divers prétextes sortis tout droit de son esprit malade, il enlevait le fusible destiné à l'éclairage de ma chambre dès le crépuscule... Le matin, lorsqu'il partait travailler vers 4h, il claquait les portes à toute volée. Je me réveillais en sursaut alors que mon coeur battait la chamade... Je n'avais pas le droit d'aller aux toilettes la nuit... Et j'en passe. Parfois, tout comme ma mère, il se montrait très agréable, presque complice. En fait, je ne savais jamais à quoi m'attendre.

A ce rythme, j'ai fini par devenir spasmophile ; ce fameux "mal-être" à connotation plutôt péjorative dans notre société... Je souffrais de crises de tachycardie, de terribles céphalées accompagnées de vomissements très spectaculaires. C'est tout simplement ma vie que je vomissais à chaque fois. Le premier médecin qui a pris connaissance de mes symptômes a eu la finesse de prier ma mère de patienter hors de la chambre. J'ai donc pu m'épancher et elle m'a ainsi conseillé de me réfugier, pour un temps, chez quelque membre de ma famille compatissant ... ce qui était bien sûr inconcevable ! Ceci étant, elle a su se montrer très distante envers ma mère et la fin de la consultation m'a laissé la fugace mais salutaire impression d'avoir été comprise... Ma mère n'a bien sûr pas tardé à changer de médecin ; celui-là soignait la mère de mon beau-père : un jeune homme désinvolte et rieur... c'était parfait ! Ma mère a eu tôt fait de le prévenir : "Ma fille est bizarre, mais c'est parce qu'elle a des complexes !"... J'étais une jolie jeune fille sans aucun problème physique, quoique très timide... mais le médecin semblait effectivement penser que je souffrais d'un déséquilibre quelconque... Lorsqu'il était appelé à mon chevet, toujours en présence de ma mère, il me demandait systématiquement en riant : "Bon allez, énumérez-moi d'abord ce qui va bien !".

Bien sûr, les divers traitements médicamenteux que je recevais n'entraînaient pas d'amélioration durable puisque mes malaises découlaient des conditions de vie qui m'étaient infligées. J'ai donc dû, tour à tour, consulter un psychiatre, un neurologue... ce dernier, après une discussion en aparté avec ma mère a pris congé en me lançant d'un ton péremptoire : "Mademoiselle, terminez vos études et si par la suite vous voulez vous envoler pour Hollywood et bien vous le ferez !"... Je n'avais jamais éprouvé d'attirance particulière pour Hollywood... Son commentaire acerbe m'a pourtant blessée ; j'ai baissé les yeux et j'ai acquiescé. Qu'aurais-je pu faire d'autre, avec ma mère à mes côtés, trônant dans toute la splendeur de ses principes moraux ? Elle présentait bien, ma mère ! Coquette, souriante, toujours bien mise... Qui donc aurait pu, ou simplement voulu, la mettre en doute ?

A 17 ans, j'ai écrit à une assistante sociale : je demandais à vivre en paix et je voulais qu'on m'éloigne de cette famille ! J'ai commis l'erreur de l'apprendre à ma mère pour lui signifier que j'avais enfin décidé de me défendre. J'ignore comment elle s'y est prise mais le soir même elle s'asseyait dans le bureau de cette assistante sociale pour la mettre en garde contre mes difficultés d'adolescente et mes fameux... "complexes". Est-il utile de préciser que cette personne n'a jamais donné suite à ma lettre ? J'ai tout juste appris de la bouche de ma mère, qu'elle s'était montrée très impressionnée par la qualité de ma missive et qu'elle m'encourageait vivement à poursuivre des études de lettres !...

A partir de ce jour là, je n'ai plus jamais cherché d'aide extérieure directe ; autrement dit je me suis débrouillée seule. Ce qui a ouvert la porte à une troisième période de ma vie dont je vous ferai grâce.

Mr Maurel, la question que vous m'avez posée aurait pu se satisfaire d'une réponse nettement plus concise et je vous prie de bien vouloir excuser ce surplus de précisions simplement destiné à mettre en exergue l'hermétisme, voire la totale indifférence des soignants ou autres intervenants sociaux qui, en se rangeant quasi-systématiquement du côté des parents, permettent ainsi aux pires situations de perdurer dans l'inextricable.

L'oeuvre d'Alice Miller que je n'ai découverte que récemment constitue une avancée incommensurable qui doit être relayée. Ce que vous faites, d'ailleurs, fort bien !

Je retournerai sur votre site et tâcherai d'apporter ma pierre à l'édifice de toutes les manières envisageables !

G.D.

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