« L’attachement, un instinct oublié » de Yvane Wiart
Par Jean Pierre Thielland, membre de l'OVEO
« La main d’œuvre féminine et masculine consacrée à la production de biens matériels constitue un atout dans nos indices économiques. Celle consacrée à la production dans leurs propres foyers d’enfants heureux, en bonne santé et autonomes ne compte absolument pas. Nous avons créé un monde qui marche sur la tête. »
John Bowlby, « Le lien, la psychanalyse et l’art d’être parent »
Yvane Wiart, psychologue de la santé et chercheur au laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie de l’Université Paris Descartes, nous offre un aperçu détaillé et actualisé de la théorie de l’attachement. Elle nous permet véritablement de saisir toutes les subtilités de cette approche tout à fait originale du développement de l’enfant, initiée par John Bowlby, un psychanalyste original et peu connu en France..
Le débat avec la psychanalyse
Dans l’immédiat après guerre, John Bowlby dirige le service pédiatrique de la « Tavistock Clinic de Londres ». De par son histoire et sa formation il se montre très attentif aux liens entre les symptômes des enfants et les relations familiales perturbées qu’ils vivent. Dès ses débuts de psychanalyste, il se propose de traiter conjointement l’enfant et la mère afin de modifier la base de leur relation.
S’appuyant sur l’éthologie, il soutient auprès de ses collègues psychanalystes, qu’une des fonctions de l’attachement est de permettre au jeune enfant de se sentir en sécurité pour partir à la découverte de ce qui l’entoure. Les comportements d’agrippements et de suite (visuel, puis moteur), ainsi que les pleurs, le sourire, le babil sont des réactions innées du bébé pour assurer la proximité de la figure principale d’attachement et non pas le résultat d’un apprentissage. Il met ainsi en cause le principe freudien d’un enfant qui s’attache à sa mère uniquement parce qu’elle l’alimente. Cette approche sera rejetée avec constance par ses collègues psychanalystes.
Mary Ainsworth et « la situation étrange »
Cette psychologue canadienne rencontre Bowlby en 1950 à Londres et s’intéresse aux effets, sur la personnalité de l’enfant, des séparations précoces. Elle va mener ses recherches sur les réactions à la séparation des bébés au moment du sevrage et elle va découvrir sur le terrain combien les premières intuitions de Bowlby s’avèrent justes. Elle met en place son dispositif expérimental de « la situation étrange » pour essayer de mesurer les réactions du bébé au stress.
Après l’entrée du bébé et de sa mère, en compagnie d’une assistante de recherche, mère et bébé sont laissés seuls dans un environnement comportant de nombreux jouets. Cet environnement non familier reproduit un contexte alarmant, mais la présence de la mère doit rassurer l’enfant et lui permettre d’explorer et de jouer. Un élément insécurisant est apporté par l’entrée dans la pièce d’une personne inconnue, à la suite de quoi la mère quitte la pièce .Le plus souvent l’enfant s’alarme, commence à pleurer et à chercher sa mère. La mère revient, et l’étrangère s’en va et à ce moment là, la plupart des bébés se rapprochent de leur mère, mais rassurés par sa proximité se remettent à jouer.
Ce qui surprend Mary Ainsworth est ce qui se passe au retour de la mère. Certains bébés se montrent très en colère, ils pleurent et recherchent le contact avec leur mère mais ne se laissent pas câliner, ils s’agitent et parfois frappent leur mère. Un autre groupe d’enfants au contraire semble indifférent à son retour, même lorsqu’ils l’ont activement cherchée après son départ.
Ces deux groupes d’enfants avaient les mères les moins sensibles à leurs signaux, contrairement à ceux qui recherchent sans difficulté, la proximité, l’interaction et le réconfort après la séparation. A partir de ses observations, Mary Ainsworth distingue les bébés à l’attachement sécure qui pleurent peu et explorent volontiers leur environnement en présence de leur mère, les bébés à l’attachement « insécure anxieux », qui pleurent beaucoup, même dans les bras de leur mère et qui explorent peu et les bébés « insécures évitants » qui ne manifestent pas de comportements différenciés envers leur mère. Elle met alors en évidence les répercussions sur le développement de l’enfant, des modes de réponse de la mère à ses signaux.
L’attachement et les découvertes en neurobiologie
Yvane Wiart nous apporte également l’éclairage des neurosciences pour valider les travaux de Bowlby. Elle y insiste notamment sur le rôle des émotions et montre combien la structure même du cerveau est modelée par les interactions avec autrui et tout particulièrement les interactions précoces.
Au travers de l’exemple du bébé qui a faim, elle indique qu’une première association de neurones va se mobiliser pour transmettre l’information en provenance du corps que l’homéostasie est rompue et qu’il faut la rééquilibrer par l’alimentation. Une deuxième association de neurones à l’origine du déclenchement des pleurs va être mobilisée pour attirer l’attention de quelqu’un susceptible de résoudre le problème.
Si la figure d’attachement arrive dans un temps raisonnable et nourrit l’enfant avec tendresse en prenant du plaisir dans la relation à son bébé, cette séquence sera codée par la dopamine. (neurotransmetteur qui entre en jeu lorsque la personne éprouve du plaisir)
Mais si la figure d’attachement remplit sa mission mécaniquement, avec irritation, le codage émotionnel sera marqué par la noradrénaline. (neurotransmetteur qui crée l’état d’alerte, augmente l’attention et la vigilance.)
Au stress de la faim et des pleurs, s’ajoute un autre stress, celui du contact relationnel qui lui indique un corps maternel tendu et peut-être aussi un visage et un regard irrités. Tous ces éléments vont, pour le bébé, être synonymes d’insécurité et de menace.
Si par ailleurs son cerveau enregistre que l’on vient régulièrement le nourrir même s’il ne pleure pas, son système cérébral va automatiquement privilégier la source de stress la moins grande et le bébé cessera de pleurer quand il a faim et mangera même s’il n’a pas faim pour s’adapter à la satisfaction des adultes et se préserver d’une interaction stressante pour son organisme.
Le cerveau enregistre deux informations très importantes, la première est que pour qu’on s’occupe de lui il vaut mieux ne pas réclamer et la seconde est que s’il réclame, ça ne va pas bien se passer pour lui. Il vaut mieux se taire et se débrouiller par ses propres moyens.
Enfin, un type d’information va disparaître en provenance du corps, celui signalant au cerveau qu’il a faim et qu’il doit être nourri car cette information ne sert plus à rien.
À partir de cette situation simple autour de l’alimentation, l’auteur montre bien comment le bébé va adapter le fonctionnement de son organisme en fonction du type de réponse qu’il va recevoir de son environnement. « Nourri » de cette expérience le bébé va s’en servir pour toute situation source potentielle de stress et va, dans certains cas, être amené à contenir, voire annuler, toute information émotionnelle.
La théorie de l’attachement met bien en évidence les compétences d’empathie et de socialisation innées du très jeune enfant. Elle montre combien l’environnement de l’enfant est déterminant pour son développement.. Elle insiste sur l’impossibilité de choix de l’enfant face aux réponses apportées par sa figure principale d’attachement. Sa seule possibilité est de s’adapter à ce que lui apporte l’adulte qui est censé prendre soin de lui. Ce processus est aussi en œuvre dans le cas de violence éducative, sans témoin secourable auprès de lui, l’enfant ne peut que se soumettre et faire taire ses besoins élémentaires.
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