Il est urgent de promouvoir la culture du respect de l’enfant comme “ultime révolution possible” et comme élément fondamental de transformation sociale, culturelle, politique et humaine de la collectivité.

Maria Rita Parsi, psychologue italienne.

Le cri silencieux du corps

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site


Mon espace intérieur écrasé, mon enfance abusée (ma définition de la violence éducative ordinaire)

Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?

Oui. Insultes, harcèlement, gifles, humiliation en relation à la classe (école) 

A partir de et jusqu'à quel âge ?

des 6 ans (1986) jusqu’à 16 (1996)

Par qui ?

Enseignant (nonne, école catholique privé en Italie) Mère, père, oncle.

En école primaire, la nonne, seule enseignante de ma classe était habituée à gifler les enfants le plus inquiets. J’ai fréquenté cette école pendant trois ans. J’ai imploré mes parents pour changer d’école mais ils n’ont pas entendu ma plainte. Après notre déménagement dans une autre ville, suite aux plaintes de certains parents, j’ai appris que la nonne avait été transférée dans un autre établissement.

Aujourd’hui j’ai découvert qu’elle est morte. J’écris un roman témoignage sur cette période.

Ma mère avait reçu par sa mère et ses frères une éducation où le silence, la soumission et la violence corporelle étaient au quotidien. Elle a répété le même chemin avec moi.

Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?

Oui, certainement au sein de ma famille. Gifles, violence verbale, usage d’objet contre le corps.

Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d’alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d’injustice ou au contraire de l’avoir “bien mérité”…) ?

Douleur, incompréhension, puis colère, envie de quitter le foyer.

Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?

J’ai vécu cela seule. A l’époque la violence était considérée comme  outil pédagogique normal. Je pleurais à la maison, pour pouvoir quitter cette école, mais ma mère a toujours considéré juste que je la fréquente.

Ma sœur a été également battue, nous avons commencé à aborder le sujet maintenant. J’ai 40 ans et elle 35. Nous avons quitté toutes les deux l’Italie.

Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?

Etant dépressive ma mère a été longtemps enfermée dans son silence. Quand elle en sortait elle réagissait en levant la main. Je me suis isolée, j’ai trouvé le sport, puis la musique pour exprimer ma colère. Mais là a commencé un parcours de dissociation dans mon corps. Adolescente j’ai eu beaucoup de problèmes dans le développement d’une relation sereine à l’autre et d’une image positive de mon corps.

Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ?

J’ai commencé un parcours de reconstruction grâce à L’Eutonie Gerda Alexander, pour réintégrer mon chemin corporel et apaiser les tension. Il demeure encore des tocs et un léger état dépressif mais je crois profondément dans le pouvoir de la transformation. A mon tour je vais devenir thérapeute et être en mesure d’écouter et accueillir ceux qui ont vécu la même chose.

En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) – merci de préciser le contexte ?

J’ai un immense respect pour l’enfance, de la sagesse qu’elle porte en elle-même. J’ai coupé le cercle vicieux de la violence. Mais j’ai fait le choix de ne pas en avoir.

Si vos parents ont su éviter toute violence, pouvez-vous préciser comment ils s'y sont pris ?

Non, ils n’ont pas su éviter la violence, puisqu’elle était partie du quotidien. Le dialogue n’était que hurlements et objets cassés dans la maison.

Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?

Violente et castratrice. Je ne me suis  reconstruite qu’une fois à l’université quand j’ai découvert le travail corporel, la danse et le théâtre au sein d’une école de théâtre, à Sienne, loin du sud de l’Italie.

Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?

Oui. Mon père a été battu par ses parents, ma mère aussi par ma grand-mère. Je porte le même prénom que mes deux grand mères

Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l’égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?

En France, lors de mon travail comme animatrice ( clown dans des animation enfantines) souvent j’ai vu un langage violent vis-à-vis de l’enfant. Et des punitions de l’ordre de la privation. 

Qu’est-ce qu’évoque pour vous l’expression «violence éducative ordinaire »? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et «violence éducative ordinaire »?

Une façon non assumé de pratiquer la violence au quotidien. Un manque immense d’amour et de respect envers l’enfant et sa position. Un exercice délibéré de la force sur un faible. La maltraitance peut être aléatoire, hebdomadaire.

La violence ordinaire fait partie d’un mode de vie, d’une façon de transmettre l’éducation, d’élever au quotidien les enfants, d’interagir avec eux. Une monotonie d’expression, une tension constante. Une mise en danger au sein du foyer de la famille. Une occupation  de l’espace intérieur de l’enfant.

Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?

Non

Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?

Un flyer de l’OVEO est exposé à l’Ecole d’Eutonie Gerda Alexander dont je suis devenue étudiante. J’ai fait le choix de témoigner.

Ce site/livre/salon/conférence a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l’égard des enfants ?

Ce site m’a permis de témoigner et de libérer la parole. Merci

Maria, 40 ans, artiste


Vers la mer

La danse coule à travers mes doigts. Même les doigts, tout froids, des doigts de petite fille s’en souviennent.

En faisant le chemin pour aller à la danse, rue de Rivoli, sous le soleil, les jambes étaient déjà plus  souples. Puis ce passé a fait surface. Cette longue course vers la mer, un après-midi. Nous partions habillées très légèrement, à trois. Trois copines.

Nous courions vers la mer. Dix kilomètres, en moins d’une heure, cela aurait dû être fait. C’est l’étrangeté de ces trois filles, au bord d’une autoroute qui vont vers la mer. Les conducteurs sonnent, elles continuent, elles ne répondent pas, elles y vont. L’air devient coupant. La course a l’odeur de l’herbe taillée, fraiche. Elle est envahissante cette odeur, l’odeur de la terre mouillée, l’humidité de la tramontana qui se levait, qui annonçait la chaleur du lendemain. Une terre entre les fleuves, terre porteuse d’eau.

Les autres plus lentes je les ai attendues. Le printemps s’annonçait.

J’étais une enfant de quinze ans et demi.

Je rentrais, c’était le crépuscule, les autres étaient parties vers leurs maisons, personne ne les attendait.

Moi si. La mère, elle a fait son entrée pour la deuxième fois dans mon corps, elle n’a rien dit, elle m’a trainée dans la chambre à coucher, elle a cassé ses cuillères en bois sur mes jambes. Je n’ai plus couru. Les bleus dessinaient des traces de doigts sur les cuisses. C’était le corps, c’était sa fuite.

J’ai couru très peu, après cela.

Les jambes se ramollissent rue de Rivoli, ce passage de la longue course vers la mer Ionienne, l’une des plus belles, cette course libératoire, ultime, refait son chemin dans mon esprit.

Je me fais porter par le mouvement de l’eau qui repart vers la Méditerranée.

Mer aimée que j’ai quittée.

Je voulais l’embrasser tout entière, c’est elle qui m’habite encore quand je traverse l’espace du studio de danse à Paris.

Je ne danse pas les positions, je danse les vagues, je danse les morts de la mer, les mort de la terre, je ne danse que pour eux.

Ma dédicace c’est pas une dédicace, un hommage, je suis cette eau, ces corps, ces courants. Il faut l’avoir vécu pour ne s’en séparer plus et savoir ce que c’est.


 

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