Quand on a rencontré la violence pendant l'enfance, c'est comme une langue maternelle qu'on nous a apprise.

Marie-France Hirigoyen.

Censure de l’article 222 de la loi Égalité et Citoyenneté par le Conseil constitutionnel

L’Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO), StopVEO-Enfance sans violences et la Fondation pour l’enfance sont déçus de la censure par le Conseil constitutionnel, ce 26 janvier 2017, de l’article 222 de la loi Égalité et Citoyenneté votée le 22  décembre 2016. La censure ne s’établit pas sur le principe même d’interdire la violence éducative ordinaire, mais sur une question de forme, l’article  222 n’étant pas considéré par le Conseil constitutionnel comme ayant un lien direct avec les objectifs initiaux de la loi.

Quel était le but de l’article 222 de la loi Égalité et Citoyenneté ?

L’article 222 complétait la définition de l’autorité parentale du Code civil en précisant qu’elle exclut « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ».

Cet article visait à mettre fin à une discrimination et à rétablir une égalité de droits entre les adultes et les enfants. Les adultes sont protégés par la loi contre les violences, mais les enfants ne le sont pas – à cause de la persistance d’un « droit de correction » archaïque utilisé par les juges – alors qu’ils sont les plus vulnérables.

Pourquoi le vote d’une loi civile interdisant les punitions corporelles est-il indispensable ?

Contrairement aux titres de certains journaux, cette interdiction des violences faites aux enfants, même sans ITT, incluant donc les tapes et les fessées, existe déjà dans le Code pénal français (Art. 222-13). Cependant, il ne précise pas que l’interdiction de la violence comprend également les punitions corporelles exercées par les parents sur les enfants pour des raisons « éducatives ». Par ailleurs, les sanctions prévues par le code pénal sont inadaptées (75 000 euros d’amende et 5 ans d'emprisonnement).

L’expérience des 51 pays qui ont précédemment voté cette loi montre qu’une loi civile symbolique, éthique et sans sanction est indispensable. Elle permet aux parents de prendre conscience que « toute punition physique impliquant l’usage de la force et visant à infliger un certain degré de douleur ou de désagrément, aussi léger soit-il, dans le but de modifier ou d’arrêter un comportement estimé incorrect ou indésirable de l’enfant » est une violence. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU (Observation générale n° 8 de 2006) cite expressément comme violences physiques : le fait de gifler, fesser, pincer, tirer les oreilles ou les cheveux, donner des coups de pied, secouer, saisir brutalement, bousculer, pousser, contraindre l’enfant dans une position inconfortable, le priver de nourriture, etc., et comme violences verbales et psychologiques : le fait de crier, injurier, se moquer, humilier, mentir, menacer, culpabiliser, rejeter, le chantage affectif, etc.

C’est cette prise de conscience qui entraînera une réduction rapide et considérable de la violence faite aux enfants dans le cadre éducatif et familial, car 75 % des maltraitances caractérisées se font dans un contexte de punitions corporelles à « but éducatif ». Deux générations après le vote de cette interdiction en Suède en 1979, 87 % des Suédois n’ont jamais été frappés par leurs parents, et 92 % des parents estiment qu’il est nocif de taper un enfant. Aujourd’hui, en France, ce sont 85 % des enfants qui subissent quotidiennement la violence éducative ordinaire.

Des campagnes régulières d’information et de sensibilisation des parents et des professionnels doivent être mises en place sans attendre le vote de la loi

La France sera amenée tôt ou tard à promulguer une loi interdisant la violence éducative. Mais, sans attendre le vote d’une loi, nous pouvons déjà faire baisser la violence grâce à :

  • des campagnes nationales régulières et de grande ampleur – dans les médias, dans l’espace public, dans les lieux accueillant parents ou enfants – pour sensibiliser à la possibilité d’une éducation sans violence ;
  • la sensibilisation des professionnels en contact avec des enfants, au cours de leur formation ;
  • des informations dans le carnet de santé.

Il faut informer les parents sur les besoins, les comportements et les étapes de développement de l’enfant à la lumière des découvertes scientifiques des vingt dernières années, encore trop méconnues, y compris des professionnels en contact avec les enfants.

Aux parents qui pensaient jusqu’ici bien faire en reproduisant le schéma éducatif vécu dans leur enfance, il faut dire que, contrairement aux idées reçues, ni la fessée ni aucune autre punition corporelle n’ont pour effet un meilleur comportement de leur enfant. Au contraire, la recherche indique que le recours à la fessée ou aux tapes est associé à une augmentation de nombreux troubles et problèmes au cours de l’enfance : agressivité, troubles émotionnels ou du comportement, problèmes de santé physique ou mentale, mauvaises relations avec les parents, diminution du sens moral, des capacités cognitives et de l’estime de soi. (Elizabeth T. Gershoff, Andrew Grogan-Kaylor, « Spanking and Child Outcomes : Old Controversies and New Meta-Analyses », Journal of Family Psychology, vol. 30, n° 4, 7 avril 2016, p. 453-469.)

Les parents pourront trouver sur les sites – de l’OVEO, Ni tapes ni fessées et la Fondation pour l’Enfance – des informations sur les conséquences des punitions corporelles pour leur enfant, des bibliographies et informations sur les structures d’aide à la parentalité.

La Cour de cassation peut mettre fin au « droit de correction » dès aujourd’hui

Comme beaucoup de pays dans le monde avant le vote de la loi, nous demandons à la Cour de cassation de ne pas attendre le vote de la loi en France, et de mettre fin dès aujourd’hui au recours par les juges à la notion de « droit de correction », notion jurisprudentielle qui fait obstacle à l’application de la loi pénale (l’article 222-13 du Code pénal).

Cette notion est contraire au principe de la loi pénale, qui doit se fonder sur une loi.

Le droit de correction a été aboli progressivement au cours du siècle dernier pour les employés, les militaires, les prisonniers et les femmes, mais pas encore pour les enfants.

Cette pratique inconstitutionnelle porte atteinte aux principes d'égalité, mais aussi du droit à la santé, à la protection de l’intégrité physique et à la dignité.

La France ne respecte pas les traités qu’elle a signés – la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU et la Charte sociale européenne – conformément à l’article 55 de la Constitution

La France n’est pas le « pays des droits de l’homme » qu’elle annonce alors que l’ONU, le Conseil de l’Europe, le Défenseur des droits et l’organisme France Stratégie, le Haut Commissariat aux droits de l’homme et l’UNICEF recommandent instamment l’abolition de toute forme de violence dans l’éducation des enfants et ne cessent de rappeler à la France ses manquements au respect de la Charte sociale européenne et la Convention relative aux droits de l’enfant qu’elle a signée il y a 27 ans.

Le vote de cette loi a beaucoup fait avancer le sujet en France malgré la censure, car elle a été largement relayée dans les médias et a été votée par plus de 300 députés, soutenue par des sénateurs, le gouvernement, le président de la République...

Nos associations continueront leur travail d'information en faveur d'une législation qui protège réellement les enfants et interdise toute « violence éducative ». Nous nous refusons à admettre que la France reste un des seuls pays d’Europe où les enfants demeurent écartés du droit au respect et à l’intégrité de leur personne ; 21 sur les 28 pays que compte l’Union européenne ont déjà franchi ce pas.

Nous nous adressons aux candidats à l’élection présidentielle : comment avez-vous l’intention d’agir pour que les enfants bénéficient d’un respect égal à celui dont bénéficient les adultes face à la violence ?

Télécharger le communiqué de presse (.pdf)

Voir notre Revue de presse, en particulier les articles de La Croix (29 janvier) et du Monde (26 janvier).

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